Chapitre 12 : Les purs processus inconscients et le modèle ontologique Nul ne pourrait prétendre à la méthode analytique (freudienne) s’il ne situait la place des processus inconscients dans le déroulement de son travail. Psychanalyste de formation, j’ai eu longtemps du mal à concevoir “ l’inconscient “ comme entité et même à départager les innombrables définitions des “ processus inconscients “ dont les plus importantes sont celle de Freud qu’on appelle parfois “ inconscient personnel “ et celle de Jung qu’il annonce comme “inconscient collectif “. Pourtant l’expérience personnelle et professionnelle m’a familiarisé avec ces deux aspects à travers les lapsus du discours, les actes manqués, les rêves freudiens et grands rêves jungiens, les fantasmatisations et le transfert, sans oublier l’enseignement des mythes en ethnologie.
Mais ce sont les observations des “expériences plénières” centrées sur les cinq “pleines fonctions” (émotionnelle, affective, énergétique, consensuelle et véridique) qui m’ont fixé sur la réalité de dynamiques tellement processuelles que je les ai appelées “pures“, pures de toute structure. Ce qu’on appelle “ structure “ dans le langage professionnel, à savoir les cognitions, comportements et scénarios relationnels fixés (de socialité et de conjugalité), les traits de caractère et la trame permanente de la personnalité, disparaît ici pour laisser place à la pure expérience de processus en mouvement. Mais de quels processus s’agit-il au juste, freudiens, jungiens, reichiens, lacaniens ou même mystiques ? Ou tout simplement neuro-bio-physiologiques ?
L’observation minutieuse des purs moments somatanalytiques et l’accompagnement de milliers de pneumanalyses (rebirth) m’ont amené à détecter des constantes tantôt freudiennes (libidinales), tantôt jungiennes (archétypales) et d’un troisième type, d’ineffable amour et de certitude absolue évoquant la mystique orientale. Mais j’étais encore bien loin des concepts classiques d’inconscient et, plutôt que de forcer le trait ou de dessiner une fausse fenêtre, j’ai laissé la case vide en attendant qu’elle se remplisse.
Puis, un jour, une nouvelle étape s’impose dans la connaissance des états de conscience avec ce qu’on appelle EMI, NDE en anglais, expérience de mort imminente, near death experience. En effet, après les descriptions étonnées et étonnantes de Raymond Moody ou de Kenneth Ring notamment, insistant plus sur le fantastique du contenu que sur la permanence des étapes formelles, on en arrive aux études scientifiques, méthodiques, comme celle d’un cardiologue hollandais qui comptabilise près de 15 % d’EMI parmi plus de trois cents comateux après infarctus du myocarde (Van Lommel). Moi-même j’ai interrogé mes patients qui ont passé par une anesthésie générale et j’arrive à une proportion très proche – mais sans la rigueur statistique. Cette E.M.I. nous la retrouvons décrite de façon très proche dans toutes les traditions de toutes les époques (dans le Bardo Thödol tibétain, le livre des morts égyptien, la mystique chrétienne, la divine comédie de Dante etc...). Cette E.M.I., nous la cultivons dans les pratiques respiratoires telle que le Rebirth et dans bien des somatothérapies centrées sur les états de conscience. Fritz Perls la décrit dans la Gestalt-thérapie. Cette E.M.I. est reconnue maintenant comme un processus bien précis qui fait traverser cinq étapes dans un ordre chronologique habituel après le trauma initial, même si le contenu semble disparate :
Aussi est-il évident à présent que la dite EMI n’est autre qu’un processus neuro-bio-physiologique, à manifestation psychologique, qui se déroule selon ces cinq étapes auxquelles j’ajoute une sixième : le changement de vie. Cette sixième étape qui s’écoule sur des mois, ce changement de vie, démontre l’effet thérapeutique de l’éveil de ces processus. Le monde médical et scientifique reconnaît enfin la réalité de ces vécus qui n’ont plus rien d’ésotérique ni même de mystique. Il en arrive à évaluer l’occurrence de l’E.M.I. à un tiers de la population : une personne sur trois fait, un jour ou l’autre, une expérience dite de mort imminente. Quand j’en parle à un groupe de vingt élèves, il y a toujours trois ou quatre d’entre eux qui ont fait cette expérience.
Mais n’oublions pas que, dans l’EMI, la cause est traumatique et violente ou chimique (anesthésie, drogue dure) et provoque donc des phénomènes en clivage tel que l’excorporation. Dans le travail analytique, par contre, la pratique est volontaire et progressive. Dans les pratiques somatothérapiques, somatanalytiques et méditatives, c’est un acting, l’hyperventilation notamment, qui lève la structure correspondante et libère le processus qui reste unifié et centré. J’ai bien observé ce mécanisme lors des milliers de séances de pneumanalyse (rebirth) que j’ai accompagnées au cours du quart de siècle écoulé. C’est ainsi qu’on peut systématiser les mêmes étapes que celles de l’E.M.I. raison pour laquelle nous appellerons ce deuxième mode d’obtention : expérience des processus inconscients.
Pour chaque étape, il y a d’abord la traversée d’une structure défensive spécifique puis l’accès au pur processus.
Etape 1
pratique : subversion de la structure de vigilance que requiert la vie sociale, par la mise en posture allongée et relâchée sur un matelas ;
effet : éveil du bien être.
Etape 2
pratique : subversion de la “structure corporelle”, du “ schéma corporel “ anatomique et de l’homéostasie bio-physiologique par l’hyperventilation et l’hyperoxygénation ;
effet : éveil du pur processus énergétique, ou “expansion du corps énergétique “, il s’agit aussi de la libido freudienne, donc de l’inconscient personnel avec retour de souvenirs réels et d’émotions.
Etape 3
pratique : subversion de la “ structure mentale “, de celle qui donne “ forme “ à toute production psychique (image, pensée, mélodie etc...), par l’invasion de la vague énergétique dans le cerveau et relâchement de la conscience ;
effet : aspiration dans le tunnel noir, l’obscurité, l’informe, le gris ; sensation d’un mouvement très intense qui fait débouler en spirale à travers le tunnel vers...la lumière qui point au bout. L’absence de “ l’in - formation “ donne des ressentis d’une extrême intensité et d’une nouveauté surprenante. C’est dans ce tunnel que l’on peut paniquer et résister jusqu’à éprouver l’enfer. Vingt pour cent des E.M.I. sont des expériences angoissantes et infernales. Si l’on s’abandonne avec confiance à ce pur processus spirituel, on arrive à la pure lumière, à des taches de couleur extrêmement vives, à une vérité d’une évidence totale ; on entre dans un mouvement d’aspiration libérateur. C’est à ce niveau que se situe, pour les Tibétains, l’éveil définitif, le nirvana, qui intègre l’amour sans objet ni image. Eveil de clarté, volupté, agapé, épistémé.
Etape 4
pratique : subversion de la “ structure personnelle “, à savoir de tout ce qui fait la définition de la personne avec son identité, son individualité, son apparence que nous connaissons, sa séparation d’avec les autres, d’avec son ego freudien méfiant, de sa persona jungienne artificielle ;
effet : - survenue de visions “ transpersonnelles “ et archétypales dans lesquelles des êtres mythiques côtoient des êtres vivants et des êtres morts à nouveau vivants dans des paysages paradisiaques; créativité visuelle débridée et exaltante, mais aussi révélation, audition de musiques célestes, olfaction de parfums sublimes...
- libération d’un sentiment d’amour intense, profond, inconditionnel, tel qu’on ne l’a jamais connu, envers les vivants et les morts (d’anciens êtres proches) et surtout des êtres archétypaux : maître, saint, dieu...
- défilement de toute la vie (en une ou deux minutes) avec, parfois, jugement moral sur certains événements où l’on a été mauvais,
- le tout sur la base d’une volupté et d’une félicité stables et inconnues jusque là.
Ces derniers vécus sont ceux-là même que C.G. Jung conceptualise comme “ inconscient collectif “. Jung a accédé à ce quatrième palier après des années à régresser, déprimer ou, tout simplement, à subvertir les structures mentales et individuelles. Quant à Freud, il s’est arrêté au deuxième palier, énergétique, celui de la “ libido “, et encore cette énergie libérée se focalise-t-elle préférentiellement sur le sensuel et le sexuel. A ce deuxième stade freudien, il y a un accès facilité aux souvenirs réels et enfuis de la petite enfance, aux événements et processus refoulés, ce qui constitue l’essentiel de “ l’inconscient personnel “.
Etape 5
Point de non-retour : en E.M.I. comme en rebirth, quelque chose fait revenir à l’état de conscience habituel, que ce soit un être archétypal qui en fasse la demande, ou le médecin auprès du comateux qui appelle à se réveiller, ou le souvenir de ses obligations de père , mère, conjoint etc. Le corps revient à la vie, l’esprit traduit ce changement en un message symbolique tout comme, en rêve, il met en image les événements corporels de la nuit. Ce retour se fait le plus souvent à contre cœur.
Etape 6
Changement de vie : cette expérience est si riche et si intense qu’elle reste profondément et durablement gravée dans les sens et dans la mémoire. On s’y réfère avec bonheur. Elle est très souvent le vécu le plus important de toute la vie, aussi entraîne-t-elle un changement d’état d’être et de vie. Pour rester dans l’amour qu’on a ressenti, on modifie son attitude envers les autres. On change son mode de vie pour rester en contact avec ce ressenti intérieur.
Ce sont les trois étapes centrales qui ont mis en ordre les observations que je fais depuis si longtemps :
- l’étape corporelle, énergétique, qui correspond à l’inconscient freudien et que je généralise en “essence de l’énergie” (terme freudien d’ailleurs),
- l’étape psychique, spirituelle, qui correspond à l’inconscient oriental ou inconscient absolu et qu’ils appellent “nature de l’esprit”,
- l’étape relationnelle, transpersonnelle, qui donne les mêmes contenus que l’inconscient collectif de Jung et que j’appelle “l’intime du lien“, parce qu’on y côtoie également les êtres aimés vivants, morts et virtuels ainsi qu’un environnement magnifié.
Voici cet essai de description de ces trois temps centraux et successifs et quasiment toujours décelables quelle que soit la richesse et le désordre apparent du contenu imaginal.
Dans nos mises en commun des vécus de rebirth, nous commençons maintenant par déterminer le cheminement formel (la succession des subversions de structures et d’éveils de processus) parce que l’analyse des contenus change totalement selon l’étape. Lorsque le patient s’arrête à l’essence de l’énergie, nous sortons l’analyse freudienne, avec insistance sur le sexuel éventuellement. Lorsqu’il passe jusqu’à l’intime du lien, il n’y a plus aucune interprétation sexuelle, mais une pure plongée dans le symbolisme jungien. Cela évite bien des contresens. Si le patient reste coincé dans les structures (avec tétanie, puis hyperacuité sensorielle), nous nous focalisons sur les mécanismes de défense et les difficultés à s’abandonner. Mais est-ce bien l’inconscient ou, plus justement, le processus inconscient ? Accordons-nous une approche supplémentaire avant de nous prononcer, celle de la Présence Juste déjà évoquée ci-dessus, proche d’une méditation, qui nous permettra une troisième appellation : Présence aux Processus Inconscients P.P.I.
Le pur processus énergétique ou essence de l’énergie
Je m’assieds en tailleur, la colonne droite, dans mon petit coin bien calme, lâche la tête et me tourne vers l’intérieur. Après une à deux minutes, un endroit du corps se met à se remplir d’une douce énergie, à pulser cette sensation plus loin, à la diffuser dans tout le corps. Au début ça s’éveille dans le périnée et monte sagement le long de la colonne comme l’enseigne l’Orient avec son image du serpent kundalini. Arrivé dans le crâne, le serpent y répand douceur et félicité et calme la pensée. Puis elle se déverse dans le reste du corps en redescendant très lentement.
Le pur processus spirituel ou nature de l’esprit
C’est quand le mouvement énergétique submerge plus massivement le cerveau, au-delà de la douceur et de la félicité évoquées ci-dessus, que la structure mentale cède dans des manifestations très proches du tunnel noir, mais néanmoins atténuées : obnubilation de l’esprit, envahissement par une obscurité plus ou moins opaque, déferlement d’une vague d’endormissement qui nous emporterait vers le sommeil comme dans un brouillard noir si on allait se coucher. Quand on sait résister au sommeil et qu’on reste dans la posture, on sort lentement de l’éclipse et l’on découvre la clarté, la lumière, l’éclat du soleil. Le cerveau devient lui-même lumière, soleil et rayonnement. Il faut qu’elle sorte, cette lumière, qu’elle se répande, enrichisse alentour et entourage. Parfois ce sont de pures plages de couleur, vives et lumineuses. Puis ce flamboiement envahit le reste du corps en descendant lentement.
Une grande volupté accompagne cette lumière et la présence reste juste ; on est là, présent, capable d’intégrer ce qui peut se passer d’imprévu. Il s’agit de rester dans cette présence plénière, riche et sobre à la fois, exaltante et simple tout autant. C’est “ pur “ processus, sans forme, sans structure, sans intention ni but, hors du temps sinon éternel. C’est, tout uniment.
Selon le contexte de vie (période calme ou préoccupée), cet être de lumière et de jouissance se maintient plus ou moins longtemps. Si on s’écarte de ce pur état d’être, la structuration se réinstalle et c’est, paradoxalement, en passant à la production imaginaire (les images ayant des formes et les pensées s’inscrivant dans des concepts et des mots).
Le pur processus affectif ou l’intime du lien
Alors s’imposent des images, des personnages, des paysages, des considérations éthiques, des intuitions plus ou moins essentielles. Pour les personnes qui ont une visualisation prédominante et une créativité débordante, il y a incursion dans le paradis de l’E.M.I. avec la luxuriance succinctement décrite ci-dessus.
Mais c’est la dimension affective qui caractérise fondamentalement ce qui correspond ici au quatrième palier de l’E.M.I.. Quand la lumière descend dans le corps jusqu’au cœur, elle allume ce sentiment d’amour ineffable déjà évoqué en pneumanalyse ; l’intensité est moindre, certes. Ce troisième processus hors structure vient redonner les formes aux images, les visages aux personnages, le paradisiaque aux paysages. L’affectif, s’éveillant de plus en plus, fait advenir ses objets privilégiés: les êtres aimés, vivants et morts indifféremment, les êtres archétypaux, réels et virtuels indifféremment, les ambiances de rêve amoureux. Lorsqu’il y a évocation d’événements de vie, ces événements sont ressentis comme augmentant ou diminuant le sentiment d’amour et prennent ainsi une couleur morale. S’ils l’augmentent, ils étaient bons ; s’ils le diminuent, il y avait faute. Je vais aggraver mon cas - déjà bien suspect avec la prétention à l’inconscient - en affirmant, très simplement mais avec conviction, que nous sommes ici aux origines des processus les plus nobles de la civilisation : sentiments artistiques, éthiques, mystiques et religieux. Qu’il y ait sécrétion d’ocytocine, la toute nouvelle hormone de l’amour, comme il peut y avoir libération d’endorphine dans le pur processus énergétique et de mélatonine dans l’obscurité de l’esprit, ne change rien à l’affaire. Ce serait plutôt plus rassurant que d’en rester au “meurtre du père“, ce mythe freudien qui aurait présidé à la naissance de la civilisation !
Nous avons là trois approches différentes des processus inconscients, purs de structures. Ce sont des approches paroxystiques – EMI, pneumanalyse, Présence Juste – qui ont pu révéler ces processus de par leur intensité même. Aussi peuvent-elles tout autant semer le doute et la suspicion, faire penser à l’ésotérisme sinon au sectaire. Je n’en suis pas dupe. En réalité, je le répète, il s’agit de processus neuro-bio-physiologiques universels tellement ils se retrouvent dans les expériences les plus variées. Et ils sont ce que nous travaillons en psychanalyse et somatanalyse tout autant.
En effet, les descriptions proposées ci-dessus, aussi sommaires soient-elles, se retrouvent dans tous les grands textes traditionnels de toutes les civilisations et époques. Serait-ce encore ésotérique ? Elles font la trame des expériences mystiques comme des sept demeures du château de l’âme de Thérèse d’Avila. Serait-ce rédhibitoire ? Elles font le bonheur des grands drogués, à leur début du moins. Serait-ce politiquement incorrect ?
Plus proche de notre domaine professionnel, nous pouvons retrouver ces expériences et leur déroulement séquentiel dans la vie sexuelle, amoureuse, artistique et dans les pratiques énergétiques venues d’Orient (Yoga, Tai-chi, Zazen etc.…). Nos rêves passent tout autant par les trois paliers et la subversion des structures défensives de chacun d’entre eux. Les rêves freudiens, sensuels et sexuels, illustrent l’essence de l’énergie. Le long corridor obscur aux nombreuses portes successives est analogue au tunnel noir jusqu’à déboucher sur une chambre plus lumineuse. Puis ce sont les grands rêves jungiens avec archétypes et paysages paradisiaques qui s’épanouissent jusqu’à nous laisser au réveil une félicité qui transforme notre journée. L’intérêt de détecter le palier processuel du rêve réside dans la possibilité de recourir aux règles d’interprétation correspondantes : on sera freudien avec un rêve resté dans l’essence de l’énergie, on respectera le symbolisme jungien dès que le rêve aura atteint la nature de l’esprit et l’intime du lien.
Mais c’est à un niveau plus précisément professionnel, à savoir psychopathologique, que les purs processus inconscients nous interpellent encore, à savoir dans les psychoses aiguës et bouffées délirantes. En effet, quoique les déroulements de ces épisodes soient décrits de façons assez différentes jusqu’à déboucher sur des nosographies apparemment contradictoires, on peut extraire des principales théories psychiatriques une trame commune qui est précisément celle… des processus en question.
C’est ce que la lecture d’un texte de J. Moya et I. Olle sur « la naissance de la psychose, les voies de la formation du délire » nous permet d’observer. Les auteurs résument les grandes conceptions de ce syndrome et y distinguent plus précisément des étapes qui ne sont pas sans nous intéresser. Encore faut-il se rappeler qu’il s’agit ici de pathologie, douloureuse en soi, mais aussi voluptueuse au fond, du moins au début, bien que les psychiatres hésitent à parler du bon, du vrai et de l’aimer en pareil contexte. Pour nous, il faut distinguer, pour chaque étape, la dé-structuration puis l’éveil processuel, pour chacune des trois étapes centrales : de l’énergie, de l’esprit, du lien. Voici d’abord une mise en tableau de cinq des descriptions résumées par les deux auteurs qui se réfèrent aux théorisations les plus communes.
Tableau 35 : les trois étapes de la psychose aiguë et de l’IPI.
Tous les concepts, toutes les descriptions de ce tableau sont repris au mot près du texte des auteurs. Pour ne paraphraser que succinctement, j’évoquerai que :
- la première étape est très corporelle, y compris voluptueuse, donc énergétique ;
- que la seconde est psychique et sans structure : pas de signifiant, de repère, de savoir, mais une production paranoïde qui va jusqu’à la certitude ;
- la troisième se re-constitue autour de choses organisées, délire systématisé, vécu de grandeur, de beauté, d’archétype, jusqu’au pur amour (si les psychiatres se laissent aimer !).
J’ai escamoté la quatrième étape, de chronicisation, qui n’entre plus dans notre étude de la psychose naissante, processuelle, réversible. Jusque là, tout est encore souple et fluide, et donc amendable, ce qui nous intéresse au plus haut point parce qu’une bonne expérience personnelle de ces trois processus inconscients permet de comprendre, de “s’accorder “ au patient qui fait le même parcours, bien que chaotiquement. Et si, de surcroît, on a à sa disposition des techniques corporelles, ou tout simplement la capacité de toucher, tenir, contenir, et si toute une équipe soignante peut le faire pendant les premiers jours de la bouffée, le pronostic de ces psychoses naissantes continuera à s’améliorer. Car tout se passe au-delà des mots, des logiques et des conditions. Ça peut-être beau et constituant, sinon c’est tragique et définitivement déstructuré. Tout dépend de la bonne compréhension de cette “irruption des processus inconscients” I.P.I.
Et pour asseoir la pertinence de cette I.P.I, il m’est agréable d’appeler à la rescousse la psychiatrie officielle qui, dans la dernière livraison de la revue “Psychiatrie Française”, évoque la cure de Sakel d’autrefois, à savoir la provocation d’un coma artificiel par injection d’insuline. Voici ce qu’un patient en rapporte :
“Lorsque j’étais dans ces comas provoqués, apparaissait mon grand-père paternel, vêtu d’un costume sombre, son visage resplendissant. Mais, avant de le découvrir, il fallait me laisser guider par une lueur m’indiquant un genre de chemin à emprunter.... Ce chemin ressemblait à un long couloir bleu turquoise. C’était étrange, il semblait ne pas être délimité sur les côtés... J’étais dans un monde totalement imaginaire, qui était d’une beauté incomparable, j’en éprouvais du plaisir, un bien-être que je n’ai jamais retrouvé dans un état conscient”. Et que répond le médecin prescripteur ? “Sur la cure de Sakel, certainement il y a des ressemblances entre l’état d’inconscience dans l’Expérience de Mort Imminente et le coma durant la cure de Sakel.” (Rumen p. 11 et 14).
Cette longue description des “purs processus inconscients” ne sera pas nécessairement convaincante parce qu’elle est trop résumée d’une part et qu’elle nécessite une expérience vécue d’autre part. Mais le psychothérapeute expérimenté s’y retrouvera. Pour notre part, il ne nous reste qu’à évoquer que l’ensemble de ces conceptions ne nous est venu qu’après une vingtaine d’années de pratique et de réflexion, que l’association des purs processus et de l’inconscient a été bouleversante, et qu’il a encore fallu penser au mot “ constituant “ pour donner toute la valeur à ces processus.
Si déjà on prend le risque de dé-structurer, de purifier des structures rigides, encore faut-il relayer par autre chose : ces processus “ constituent “ le sujet par l’intérieur, de façon dynamique, authentique, en énergie, en esprit, en amour. Les analystes le savent. C’est l’avènement du sujet, c’est l’individuation. Il reste à rappeler que cet accès aux processus se fait par différents moyens, par des pratiques plurielles, dans des cadres thérapeutiques multiples, mais qu’il reste privilégié en analyse où la longue durée évite de plaquer des structures de remplacement (intellectuelles, relationnelles, new age, sectaires même) et laisse le temps au temps, le temps de la constitution personnelle. Mais s’agit-il bien des inconscients de Freud et de Jung. Interrogeons ces auteurs directement.
Commençons par Freud avec “les propriétés particulières du système Ics” (in Freud 1988 Métapsychologie, p. 225 à 233 passim). Nous nous permettons de compléter certaines citations par l’association des termes employés dans nos textes (et que nous mettons entre parenthèses).
- « Le noyau de l’Ics se compose de représentances de pulsions…de motions de souhait (motions, au pluriel, comme les trois purs processus)...
- « Il n’y a pas de négation, pas de doute, pas de degrés de la certitude (évidence absolue)…
- « Il règne une beaucoup plus grande mobilité des intensités d’investissement par le procès du déplacement… par celui de la condensation, indices de ce que nous appelons le processus primaire... (la circulation de l’énergie selon Reich)
- « Les processus du système Ics sont atemporels…
- « Les processus Ics connaissent tout aussi peu la prise en considération de la réalité (sans structure). Ils sont soumis au principe de plaisir (purement processuels)…
- « Remplacement de la réalité extérieure par la réalité psychique (au lieu de connexion de… à)…
- « Les processus inconscients ne nous sont connaissables que dans les conditions du rêver et des névroses (Freud méconnaît les pratiques centrées sur les états de conscience)…
- « Dans la vie d’âme deux états distincts de l’énergie d’investissement, un état toniquement lié et un librement mobile… Cette différenciation présente ce qui, à ce jour, nous fait pénétrer le plus profondément dans l’essence de l’énergie…
- « L’Ics d’un être humain… peut réagir à l’Ics d’un autre (connexion directe)…
- « L’inconscient est… autonome et non-influençable...
- « Une rupture absolue entre les deux systèmes (Ics et Pcs) est par excellence la caractéristique de l’état de maladie (clivage)...
- « La modification de l’Ics de la part du Cs est un procès difficile et se déroulant lentement (constituance)…
- « L’inconscient devient… conforme au moi (pleine présence)…
- « S’il existe chez l’être humain des formations psychiques héritées, quelque chose d’analogue à l’instinct des animaux, c’est là ce qui constitue le noyau de l’Ics ».
Interdisons-nous de commenter plus avant ces caractéristiques, qu’elles abondent dans notre sens ou qu’elles en diffèrent. C’est cela l’inconscient, c’est direct, affirmatif, sans doute. Rappelons-nous seulement que Freud s’est limité à l’inconscient énergétique parce qu’il a maintenu la structure mentale dans sa pratique psychanalytique. Avec la verbalisation et la conceptualisation obligatoires, il empêche d’aller au-delà, dans la lumière, les couleurs, l’amour, le sentiment océanique.
C’est ce qu’a fait Jung, par contre, qu’il faut lire dans le texte aussi, dans « Dialectique du Moi et de l’inconscient ».
- « La marque indiscutable des images collectives semble être leur aspect cosmique, c’est-à-dire une manière de lien interne qui associe les images du rêve et les fantasmes à des faits cosmiques, tel que l’infini spatial ou temporel, une vitesse, un mouvement ou une expansion considérable (voici l’aspiration du tunnel)… des modifications essentielles dans les proportions du corps…
- « On traverse le firmament comme une comète…
- « Une libération et un déchaînement de l’imagination involontaire…
- « Le conscient perd sa position dominante de puissance dirigeante (subversion de la structure mentale)… un processus inconscient et impersonnel assumant progressivement la direction…
- « Libération du transfert (amour de qualité nouvelle)…
- « Une telle perte de l’équilibre est dans son principe très comparable à un trouble psychotique… (comme évoqué ci-dessus)
- « L’énergie qui abandonne le conscient anime l’inconscient…
- « Le conscient défaillant sera remplacé par l’activité automatique et instructive de l’inconscient (constituance). (passim p. 88 à 92)
- « (L’inconscient) renferme et constitue lui-même la source de la libido dont émanent les éléments psychiques qui font notre vie « . (p. 103)
- « Les processus inconscients se situent dans une position de compensation par rapport au conscient ». (p. 122)
Changement de tonalité. L’inconscient ne doit pas tout simplement devenir conscient, l’inconscient est un processus en soi qui a son utilité et qui « compense » le conscient. Pour nous, il « complète » l’être dont le conscient n’est qu’un aspect. Ensemble, ils plénarisent, font accéder à la plénitude.
En fait, ce qui se décline ici en langage médical, scientifique et rationnel, ne peut pas l’être de la sorte, c’est un quiproquo, un contresens. Et cela se lit dans ces extraits. L’inconscient est précisément l’antidote de la raison ! Nous ne pouvons que placer les poteaux indicateurs pour donner le sens du cheminement, pour sécuriser la progression et familiariser avec les processus. Mais nous ne pouvons rien prouver. Leur éveil dans le consensus d’un groupe de rebirth ou sous la main du psycho-somatanalyste se “constitue” de par ces cadres positifs même. L’expérience de cet “inconscient heureux” devient alors accès aux ressources les plus fondamentales de l’être, œuvre de la constituance de soi. Voilà pour l’utilité de ce travail d’analyse, qu’il soit intensifié comme en pneumanalyse ou progressif comme en psycho-somatanalyse. Au moment où l’humanité se solidarise avec les victimes du tsunami, il faut se rappeler qu’un humain sur trois fait, un jour ou l’autre, une EMI, cet autre raz de marée, neuro-bio-physiologique. L’accès aux purs processus inconscients déconstruit les points de rencontre entre les plaques structurelles de l’être et fraye un passage souple à ces forces irrépressibles.
Il reste encore une dernière question : pourquoi trois processus inconscients : essence de l’énergie, nature de l’esprit et intime du lien ? Pourquoi pas un seul comme chez Freud et les Orientaux, pas seulement deux comme chez Jung ? Freud s’est barré l’au-delà de l’énergétique de par sa méthode même. Lacan, par contre, a beaucoup œuvré à la subversion de la structure mentale avec son travail de déconstruction des mots, des phrases et du sens. Jung a trop vite investi la restructuration des images dans la fantasmagorie transpersonnelle et trop aimé les symboles et archétypes à analyser. Quant à la pure lumière, pur amour, absolue vérité des Orientaux, ils englobent tout… et ne permettent pas trop de différencier!
Une réponse partielle à cette question de la tridimensionnalité inconsciente nous vient de l’utilisation de ces processus dans la vie courante :
- dans la sexualité, nous accédons à l’essence de l’énergie,
- dans la spiritualité, nous accédons à la nature de l’esprit,
- dans la vie amoureuse, nous accédons à l’intime du lien.
Or nous savons bien que ces trois “qualités de vie”, (le bon, le vrai, l’aimer) se différencient et peuvent se décliner séparément même si leur réunion est encore plus agréable.
Quant à nous, nous tentons de produire une phénoménologie scientifique et une nomenclature des vécus reliées au mode d’obtention de ces vécus :
- expérience de mort imminente, E.M.I., traumatique,
- expérience des processus inconscients, E.P.I., par des pratiques intensives comme la pneumanalyse,
- présence aux processus inconscients, P.P.I., en Présence Juste et méditation,
- irruption des processus inconscients, I.P.I, dans les psychoses.
Cet acquis nous permet de proposer enfin un modèle ontologique qui, entre autres, nous montre la différence entre le déroulement des processus inconscients jusqu’aux “qualités de vie” et l’accès direct -analytique- à ces “purs processus”. L’inscription des processus inconscients dans ce modèle apportera une réponse complémentaire à la question : pourquoi trois ?
Avec les purs processus inconscients nous fondons l’être au cœur, c’est le point de départ et la référence incontournable. L’autre réalité absolue, ce sont les cadres de vie obligés: la société, le couple, (maternel puis affectif) et l’écosystème (qui commence dans l’utérus). Ces deux dimensions constituent la réalité objective, intérieure pour les premières, extérieure pour les seconds. J’insiste sur la qualité de l’inconscient comme réalité objective, puisque fondée en neuro-bio-physiologie.
Du côté de la subjectivité, nous avons deux dimensions correspondantes, l’une extérieure, l’autre intérieure. La dimension des structures stables (du “conscient” de Freud et Jung) doit être considérée comme une extériorité à cause de sa permanence ; elle comprend le tempérament et les traits de caractère habituels, quasi automatiques, qui se déclinent, selon les cadres de vie, en : socialité, conjugalité et personnalité (ce dernier concept est à prendre dans un sens restreint). Ces structures stables délimitent les champs et l’intensité des “qualités de vie” : le bon, le vrai, l’aimer. Et nous sommes de nouveau dans l’intériorité, dans les sensations, sentiments et significations, qui s’extériorisent par des comportements, des cognitions et des communications.
Voici comment ces quatre dimensions s’inscrivent dans l’être, Je, pour constituer sa complexité et sa globalité. Chaque dimension se subdivise en trois fonctions correspondant grossièrement à psycho-, socio- et somato-.
Schéma 34 : le modèle ontologique et la dynamique ontogénétique
La disposition de ce modèle est à la fois riche et évident. De plus il nous introduit très logiquement dans l’ontogénèse :
en a) se retrouvent les purs processus présents dès les origines et toujours inconsciemment à l’œuvre ;
en b) ils doivent s’inscrire dans les cadres de vie objectifs et extérieurs, en société, couple (et famille) et écosystème (englobant le corps), sous peine d’élimination ou de pathologie grave ;
en c) cette inscription génère peu à peu les structures stables, que sont le tempérament et les traits de personnalité ;
en d) ces structures stables délimitent les trois qualités de vie correspondantes: le bon, le vrai et l’aimer, comme inscriptions des trois purs processus en situation et en durée, en comportements, pensées automatiques et scénarios relationnels.
De a) à d), nous assistons à l’ontogenèse telle qu’elle s’effectue spontanément avant que l’être humain n’ait la capacité d’intervenir de par lui-même (voir les flèches extérieures). Il faut bien observer la genèse des “qualités de vie” qui résultent de l’inscription des purs processus dans les cadres de vie puis dans les structures stables, jusqu’à y être enfermées, délimitées, réduites. Ce qui se présente ici comme ontogénèse ne vient pas contredire les six étapes longuement développées dans le chapitre précédent. Il ne fait que le compléter dans la mesure où le cheminement des purs processus jusqu’aux qualités de vie concerne chaque étape de développement, la différence ne venant que du cadre de vie concerné, l’utérus pour l’énergie de vie du fœtus, l’école pour l’enfant de huit ans, par exemple, chaque cadre impliquant un processus privilégié et déterminant les structures conséquentes. Nous avons ici l’image synchronique alors que, là-bas, nous décrivions le déroulement diachronique.
Ce développement peut caler, déraper, dévier en pathologie, à chacune des étapes. A ce moment, le travail thérapeutique/analytique prend le relais, impactant des lieux spécifiques à chaque séquence de la cure :
- la thérapie courte, symptomatique, investit les qualités de vie en d) (comportementalisme, cognitivisme, systémisme, somatothérapies notamment) ou tente de faire changer les cadres de vie ; (en b) sur le schéma) ;
- la thérapie de durée moyenne, structuro-fonctionnelle, se focalise sur un foyer partiel englobant une structure particulière (trait de caractère par exemple) et sa qualité de vie (le bon), essayant de modifier en bloc l’équilibre structuro-fonctionnel de ce foyer (personnalité et bon) ;
- l’analyse longue, processuo-constituante, psycho- et/ou somato- analytique, entreprend une véritable palingenèse (re-naissance) en prenant le risque de sacrifier les structures, réinvestissant les purs processus pour les constituer en nouvelles qualités de vie qui vont, à leur tour, habiter différemment les cadres de vie et construire une “constitution” dynamique au lieu des structures rigides.
- (voir flèches intérieures du schéma c → a → d → b).
Schéma 35 : le modèle ontologique et les lieux d’impact de la cure séquentielle
Ce modèle permet aussi de situer sommairement les quatre grandes familles de pathologies psy :
- psychoses : non intégration des purs processus inconscients dans les cadres de vie,
- caractéroses ou troubles de la personnalité : mauvais effet des cadres de vie sur la personnalité,
- névroses : distorsion des vécus par les structures stables,
- normoses : non ressourcement des qualités de vie aux purs processus inconscients.
Nous apercevons très vite la fécondité - et la beauté - de ce modèle ontologique. A peine nous a-t-il donné le sens de l’ontogenèse, qu’il nous permet de situer très précisément les lieux d’impact des trois séquences de la cure thérapeutique. Nous retrouvons là aussi la raison des butées à ces durées :
- en thérapie courte, on ne s’aventure pas dans l’affectif (l’intime du lien) ;
- en thérapie focale, on respecte la structure globale et n’engage qu’un travail partiel sur une structure précise et sa qualité de vie correspondante ;
- en analyse longue, on prend le risque de la déstructuration, pour accéder aux ressources de base et œuvrer à leur constituance.
Nous pouvons aller plus loin et fonder plus solidement le délicat travail sur les sentiments en somatanalyse.
Transfert →passion → amour
les trois étapes de l’affectif en psycho-somatanalyse
A propos de la psycho-somatanalyse, nous avons évoqué les trois grandes transformations du sentiment affectif au cours de la cure :
- transfert comme répétition du passé,
- passion comme actualisation sur l’analyste,
- amour inconditionnel, ne donnant ni droit ni devoir.
Le modèle ontologique vient fonder ces observations de la somatanalyse en situant ces trois vécus dans l’être même de l’analysant :
- le transfert au sens large ou attachement est “structure stable”, trait de caractère fixé et répétitif, suscité et parfois exacerbé par le cadre facilitateur de l’analyse (dont fait partie l’analyste) ;
- la passion ou névrose de transfert succède au transfert lorsque la structure est “liquidée” plus ou moins violemment ; il s’agit du processus affectif (l’intime du lien) qui est d’abord amalgamé à la pulsion et à la libido (l’essence de l’énergie) ainsi qu’à la sécurisation par l’objet (l’analyste) tellement l’I.R.P. (irruption des processus inconscients) est subite et étrange ;
- l’amour ou agape émerge peu à peu dans toute sa “pureté” en se désamalgamant de l’objet indu ; l’amour ne donne ni droit ni devoir (envers son objet), il est inconditionnel ; personne et rien ne peut enlever l’amour de mon cœur.
S’il faut l’explorer longuement, ce pur amour, c’est pour qu’il devienne “constituant”, assurant son équilibre de par sa dynamique même, et faisant advenir le sujet, je (voir schéma ).
Schéma 35 :les trois étapes de l’affectif en psycho-somatanalyse
Conflit →sécurité →consensus →don
les quatre étapes de la dynamique de groupe en socio-somatanalyse
Nous pouvons retrouver la même inscription en science des quatre étapes de la dynamique de groupe puisque ces dernières renvoient aux quatre dimensions de l’être :
- le conflit est l’effet de la réalité des “cadres de vie” : chaque personne est différente et c’est cette différence qui suscite le conflit.... entre les membres du groupe et la tâche à accomplir ;
- la sécurisation est l’inscription des différences dans des rôles complémentaires comme autant de “structures stables”, rassurantes ;
- le consensus peut alors s’éveiller comme “qualité de vie” du bon et du vrai, à la fois sensitive et sensuelle (on sent ensemble), signifiante (on donne le même sens aux choses) et dynamique (on va dans le même sens) ;
- le don résulte du partage prolongé du bon et du vrai et se constitue de la troisième qualité de vie, l’aimer, qui n’est, ici dans un groupe, qu’un “sentiment affectif”, mais suffisamment fort pour recevoir et donner et, surtout, respecter la créativité d’un chacun.
Nous pouvons proposer une schématisation de ces deux parcours à partir de la trame du modèle ontologique.
Schéma 36 : les quatre étapes de la dynamique de groupe
Ces deux schémas nous rappellent le bien fondé de la distinction réelle (et de l’insistance didactique ici déployée) entre l’affectif du couple qui effracte jusqu’au pur processus et constitue directement le sujet, je, et l’affectif du groupe qui n’est que consensus et don, qui reste “qualité de vie” conditionnée par les exigences du groupe. Cette distinction souligne l’importance de disposer des deux cadres analytiques, individuel et groupal, pour travailler ces deux dimensions.
Les observations des dynamiques affectives et sociales en psycho-somatanalyse et en socio-somatanalyse s’étendent sur les trente dernières années, alors que le modèle ontologique est récent sous cette forme définitive. La rencontre de la clinique et de la théorie de façon aussi seyante est un heureux aboutissement qui fait validation de l’une et de l’autre. De plus l’élégance de l’ensemble ajoute une preuve supplémentaire de sa faisabilité.
Le modèle ontologique propose les panneaux indicateurs du cheminement que suscite « l’hyperventilation en état de détente » de la pneumanalyse. On peut moderniser l’image et parler de GPS, en attendant Galileo. En effet, les quatre consignes (qui ne sont pas des obligations) induisent un processus bio-physiologique commun qui s’habille de contenus somatologiques et psychologiques personnels. Ce sont les étapes de base que précise le modèle ontologique, laissant à l’analyste le soin d’exploiter les sensations, visions et vécus propres. Depuis que je fournis aux pneumanalysants ce GPS, ils cheminent avec sécurité et célérité dans cette initiation, vers l’éveil des purs processus inconscients, sans être gêné par les panneaux indicateurs, tout simplement parce qu’ils tracent le véritable processus. Voici cette route… ontologique.
Schéma 36 : les étapes ontologiques de la pneumanalyse
Voici la légende du schéma :
I. Subversion des traits de caractère et des scénarios relationnels.
1) Subversion de la socialité
Il suffit d’être à l’Eepssa et de se prêter à la pneumanalyse pour avoir suffisamment échappé aux contraintes et pesanteurs sociales !
2) Subversion de la conjugalité
L’exercice se fait en duel, avec un thérapeute ; ça fait couple et le patient doit choisir, accepter son accompagnateur, lâcher-prise et s’abandonner à sa présence et à ses interventions éventuelles ; il doit s’extraire de ses structures de gestion de la relation à deux ;
3) Subversion de la structure personnelle
Il y a quatre « consignes » et le patient va les interpréter très personnellement :
- inspirer plus que d’ordinaire,
- expirer passivement,
- remplir les lobes supérieurs des poumons,
- ne pas bloquer la respiration.
Nous n’expliquerons pas le pourquoi de ces consignes qui nous apparaissent dans une indétermination suffisante pour permettre toutes les mises en acte et adaptations nouvelles ; le patient subvertit ses structures habituelles de respiration, de docilité/rébellion, d’état d’être.
II. Accès aux purs processus inconscients
Cette respiration particulière doit se faire en état de détente pour franchir les trois étapes suivantes sinon elle provoque des résistances dont les signes sont tout aussi universels que les étapes elles-mêmes, car chaque processus inconscient est protégé par une structure particulière.
4) Traversée de la structure corporelle et éveil de « l’essence de l’énergie »
C’est l’hyperventilation qui subvertit la structure corporelle en modifiant les constantes internes (hyperoxygénation, hypocapnie, modification de l’équilibre acido-basique etc.) ; l’attitude externe (contrôle conscient, tension musculaire etc.) doit s’adapter par la détente pour rétablir l’équilibre global ; cela permet l’éveil énergétique que nous avons décrit à propos des p.p.i. (ouverture des centres énergétiques, circulation entre les centres, volupté, blocage sur anneau musculaire (reichien) fermé avec émotion et remémoration des causes du blocage, souvenirs anciens oubliés mais réels, visions d’images réalistes). C’est ce qui se passe sur le divan freudien et le matelas reichien. Il s’agit donc de l’inconscient personnel, réel, libidinal, historique, de l’inconscient freudo-reichien.
En cas de résistance de la structure corporelle, nous observons les signes classiques de la tétanie (picotements, tensions, paralysies partielles, main d’accoucheur, anxiété etc.). Dans les cas les plus sévères, il y a subitement « sortie du corps » (OBE) en clivage. Quant à la tétanie, elle cède tout d’un coup, dans un grand éclat de rire éventuellement !
Tétanie et sortie du corps marquent l’excès de contrôle. Du côté du choc et de l’amalgame, on notera ennui, lassitude jusqu’à endormissement.
5) Traversée de la structure mentale et accès à la nature de l’esprit.
La circulation énergétique envahit peu à peu le cerveau et subvertit la structure mentale. Le vécu intérieur s’annonce par le fameux tunnel noir avec aspiration de plus en plus vive vers son extrémité ; la manifestation extérieure, pour le thérapeute, est : réduction du volume et du rythme respiratoire jusqu’à l’apnée. Puis se manifestent les processus « purs » de structure :
- clarté : pure lumière et pures couleurs, sans les contours qui en font des images ;
- agapé : sentiment d’amour sans objet (partenaire) qui le structurerait ;
- epistémé : conviction d’évidence absolue ; je sais que je sais, je ne sais pas ce que je sais, mais je sais ; les structures conceptuelles, sémiotiques, syntaxiques ont disparu ;
- volupté : la volupté énergétique s’accroît encore ;
- liberté : ça se déroule tout seul et comme il se doit, dans l’auto-organisation et l’autopoïèse parce que la volonté et la maîtrise ont cédé.
Les orientaux situent le nirvana ici. C’est la fin des cycles de réincarnation, de structuration ! D’où la tentation d’appeler ce processus « inconscient oriental », ou méditatif ; nous l’appellerons « inconscient absolu ».
En cas de résistance des structures mentales, le patient ressent une hyperacuité sensorielle : les cinq sens sont à cran : tout bruit, tout mouvement du thérapeute dérangent, agacent, irritent. Lorsqu’il y a eu sortie du corps, le patient (en clivage) accède directement à l’étape suivante sans traverser le tunnel noir ou ses équivalents.
Du côté de l’amalgame, on tombe dans la confusion, dans le tunnel noir et même dans l’effroi. Il en résulte une peur panique, de l’ordre de la peur de l’effondrement évoquée par Winnicott.
6) Traversée de la structure personnelle et accès à l’intime du lien
Les orientaux méditent pour…rester dans la nature de l’esprit parce que le passage à l’étape suivante se fait… spontanément comme chez les occidentaux avides d’images. En effet les images reviennent mais informées par clarté, agapé, epistémé, volupté et liberté. Ces images sont belles, luxuriantes, paradisiaques. Elles sont symboliques, archétypales, d’où l’association à l’inconscient collectif de Jung. Des scénarios se construisent sur la trame des contes, fables et autres mythes. Ils sont quasi toujours moraux et éthiques.
Pourquoi cette irruption de l’éthique et de l’esthétique ? Parce que l’éveil des clarté, agapé, epistémé et volupté produisent une telle intimité que l’extérieur devient beau et l’intérieur, moral. Mais on s’immerge totalement dans le symbolique et l’archétypal et en voici la manifestation fondamentale : on rencontre dans ces scénarios mythiques trois types de personnages :
- des êtres vivants que l’on aime ;
- des êtres morts qu’on a aimés ;
- des êtres « virtuels » qui font modèle : êtres religieux, archétypaux, divins…
Nous ne différencions plus le vivant, le mort et le virtuel. La structure « personnelle » qui sépare ces trois états est subvertie.
Les personnes qui sont sorties du corps et fonctionnent en clivage, s’exposent aux fameux défilements de vie et voyages planétaires.
7) Le point de retour
Ça s’arrête spontanément, à moins que ce ne soit le thérapeute qui arrête la séance en réclamant ses… cinquante euros ! Le vécu de ces purs processus – toujours conscient, mémorisé et restituable – contribue à la « constituance » de l’être, du sujet : Je (8).
La constituance de l’être, l’avènement du sujet
Ce terme de « constituance » nous renvoie au travail analytique (psychanalyse, somatanalyse, pneumanalyse) et à sa finalité. Dans cette séquence longue de la cure séquentielle nous travaillons à l’assouplissement des structures, à leur déconstruction, avec même une déstructuration transitoire. Les « structures stables » ne sont donc plus là comme des échafaudages externes, comme des étayages, comme une cuirasse musculo-caractérielle. A la place, s’éveillent les purs processus comme des forces dynamiques qui remplissent l’être par l’intérieur, le gonflent, le constituent. Mais, contrairement aux structures externes qui sont stables, ces processus (énergie, esprit, intimité) nécessitent une animation constante avec l’avantage d’être adaptés au présent, en présence juste, et d’être authentiques, issus du plus profond de l’être, en situation.
La pneumanalyse et ses réactions pathologiques
Un processus aussi puissant que l’hyperventilation en position allongée provoque des mécanismes de défense tout aussi puissants. Le tableau suivant les énumère et les dispose aux trois temps des subversions structurelles selon l’attitude en stress (excès de structuralité) ou en choc (excès de fonctionnalité) du sujet.
Attitude en stress
L’hyperventilation provoque une modification de l’homéostasie interne qui doit être équilibrée par le lâcher-prise externe. A défaut, s’installe une tétanie classique avec picotements, fourmillements, crispations jusqu’aux paralysies qui déclenchent angoisse et douleurs. Lorsque le patient est en clivage, il peut vivre une sortie du corps classique, à la fois voluptueuse et angoissante.
Plus loin, le refus de lâcher la structure mentale provoque une hyperacuité sensorielle avec perception désagréable des bruits, des mouvements du thérapeute, des lumières jusqu’à l’agacement, l’irritation avec retour à la conscience habituelle.
Enfin, à la troisième étape, la personnalité clivée, déjà sortie du corps, expérimentera les fameux défilés instantanés de vie, ou se déplacera à toute allure sur la planète et dans l’espace.
Attitude en choc
Les personnalités en manque d’énergie qui, de plus, n’hyperventilent pas suffisamment, se retrouvent peu à peu dans l’ennui et la lassitude parce qu’il ne se passe rien. Elles peuvent aussi s’endormir, ce qui n’est pas à confondre avec la légère confusion qui signe la subversion de la structure mentale.
A l’approche de cette dernière, les personnes en choc peuvent développer effroi et effondrement, ou une confusion suffisamment paniquante pour qu’elle « réveille ».
Enfin, plus loin, s’installent stase, stagnation, position scotchée sur place à l’intérieur du tunnel, faisant ressentir des vécus infernaux (20% des expériences).
Tous ces symptômes, ici artificiellement provoqués, correspondent à des symptômes fonctionnels courants (tétanie, spasmophilie, peut-être fibromyalgie et fatigue chronique) et à des vécus existentiels fréquents (vide intérieur, burn out, stagnation) et permettent d’en comprendre le fonctionnement jusqu’à pouvoir en gérer la prévention.
Schéma 37 : subversion des structures internes, résistances en stress et en choc, et accès aux purs processus inconscients
La systématisation des trois étapes de subversion des structures et d’éveil des trois processus inconscients peut laisser songeur… comme ses contenus ! Elle correspond pourtant totalement aux exercices débouchant sur des états de conscience modifiés, des NDE, des expériences paroxystiques sexuelles, amoureuses, artistiques et mystiques, des psychanalyses et somatanalyses. Son intérêt est double : elle illustre encore une fois la pertinence du modèle ontologique et donne des éclaircissements fondamentaux pour toutes les pratiques énumérées ci-dessus. Quant à celui que cela laisse dubitatif, il ne lui reste plus qu’à lire les livres de plus en plus nombreux, y compris médicaux, qui évoquent la chose jusqu’à ce qu’une sécurité suffisante donne envie d’essayer !
Mais proposons encore une illustration plus détaillée de ces processus révélés par le tanking.
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