Chapitre 16 : LÂ’intégralité est plus que lÂ’addition des méthodes et théories intégrées Nous l’avons déjà évoqué. Il se passe quelque chose de remarquable dans cette démarche intégrative quand ça passe tout d’un coup de la juxtaposition et de la recombinaison des différentes parties à la globalité de « la » psychothérapie. Au départ, nous nous sommes inspirés de Bertrand Russel et de son principe des types logiques. Aujourd’hui nous écoutons les sciences de la complexité : la somme est plus que la seule addition des parties. Cette réalité est encore plus criante dans les sciences de la vie et les sciences humaines dont fait partie la psychothérapie.
Deux processus tout aussi remarquables découlent de cet effet de globalité :
- le signalement du moment d’intégration par la survenue de ce « plus », telle l’expérience plénière par exemple faisant basculer le difficile travail de plénarisation vers la plénitude ;
- l’enrichissement des parties par l’apport du tout nouveau « tout », telle la classification des thérapies courtes selon trois mécanismes thérapeutiques : re-connexion, dés-amalgame et dé-blocage, par exemple.
Et cela découle du postulat structuraliste de pluriglobalité.
Et pourtant il ne s’agit pas de l’intégrale
Et là nous nous référons à la musique. Eh bien non ! Ce ne sera pas l’intégrale des œuvres telles que promise, évoquée, esquissée. Il n’y a pas tout, mais il y a plein :
- les principaux courants que le consensus actuel reconnaît : cognitivo-comportemental, stratégico-systémique, somatothérapique-somatanalytique, humaniste-transpersonnel, psychanalytique et …intégratif ;
- les grands auteurs à commencer par les classiques (Freud, Ferenczi, Reich, Jung, Lacan ; Wolpe, Beck, Erickson…) ; en continuant avec les psycho-corporels (Lowen, Janov, Casriel) pour capter ce que des créateurs contemporains apportent comme renouvellement (Veldman, Shapiro, Hellinger, Lazarus, Norcross) ;
- tous les cadres de vie, duel évidemment mais aussi solo (Présence Juste), conjugo (avec Caillé), et socio (sociothérapie courte, et socio-somatanalyse) ;
- les trois séquences temporelles : thérapies courtes, de durée moyenne, longue…
Mais ce n’est néanmoins pas tout. Ce n’est pas l’intégrale. Et je ne me cacherai pas derrière la réalité des « facteurs organisateurs » pour prétendre que nous remplissons toutes les cases organisationnelles. Il n’y a quand même pas tout. Ce n’est pas le but non plus, mais on pourra néanmoins reprocher que telle ou telle méthode ou théorie, et des plus intéressantes, n’a pas été retenue ou évoquée. Il reste donc du travail à faire encore, pour confirmer ou falsifier.
Les modèles retenus sont très systématisés
On reprochera peut-être aussi de trouver préférentiellement les méthodes et théories les mieux protocolées et les plus synthétisées, imposées par des auteurs impérieux sinon impérialistes. Je pense à un Veldman que j’ai fréquenté, à une Shapiro ou un Hellinger dont j’étudie assidument les livres, sans occulter Freud, Jung ou Reich ! Ces créateurs en imposent par leur rigueur (jusqu’à la rigidité).
On s’étonnera alors de ne pas trouver plus d’intérêt pour des pratiques protéiques comme la PNL, ou plus englobantes comme la biodanza. Il y a là une certaine injustice, j’en conviens.
Facilité et/ou légèreté ?
Cette injustice ne serait-elle que facilité ?
Et les présentations parfois cavalières de l’une ou l’autre méthode ne seraient-elles que légèreté ? D’aucuns décrieraient même le tout comme charlatanisme.
A décharge, il faut associer ici avec le travail de débriefing des séances restituées par les psychothérapeutes en formation et même avec le travail de supervision fait en groupe. Thérapeutes et tenants lieu de patient sont présents et ces derniers sont surpris, étonnés et parfois même horrifiés de la façon dont le thérapeute restitue la séance ou l’analyse du cas. Il y a un décalage entre le dire et le redire, entre la réception de l’un et le vécu de l’autre. Et pourtant c’est dans cet écart même entre les deux intentions que naît une nouvelle vérité.
Ici aussi, dans la restitution parfois très partielle, partiale et subjective d’une méthode ou d’une théorie, peut émerger une nouvelle compréhension ou, du moins, une invitation à laisser faire l’effet de surprise. Mais cela ne fait pas raison. Et je ne me réfère pas encore au saut qualitatif qu’effectue l’accès à l’intégralité. Je me défends encore…
Il faut bien reconnaître que, bien qu’ayant été retenues dans notre présentation, les méthodes et théories décrites ne se sentent pas nécessairement traitées à leur juste valeur, ou même seulement mises en valeur.
Probablement que bien des « traités de psychothérapie » qui ne veulent être que descriptifs, rendent mieux justice à leurs élus. Le reproche qu’on peut leur faire réside dans leur sélectivité qui exclut trop de méthodes, le psychocorporel ou le spirituel par exemple.
Mais reconnaissons encore une fois que celui qui ne veut pas se laisser surprendre par ce qui se retient ici d’une méthode/théorie peut à juste titre se plaindre de superficialité, légèreté et même de mauvaise foi.
Associations osées et même hasardeuses
Les associations d’idées sont pain béni en... psychanalyse. Oui mais c’est une praxis alors qu’ici nous contons science. Nous voulons respecter les règles de science, même de la « dure ». Alors peut-on encore s’appuyer sur des associations d’idées osées et même sur des évidences qui ne convainquent que les initiés ?
Rappelons-nous : un quart de siècle à entendre des milliers de compte-rendu de pneumanalyse (ou rebirth), dix années à suivre l’évolution des connaissances médicales sur les NDE (near death experience), vingt ans à pister les inconscients, de Freud et de Jung… Puis, tout d’un coup, kairos, expérience jubilatoire, tout s’associe : la pneumanalyse passe par des étapes qui sont celles de la NDE et de celles de l’accès à l’inconscient, freudien d’abord, jungien ensuite, oriental entre les deux. Eurêka, cette association permet enfin de constituer le modèle ontologique. Et ça marche.
Et ces trois inconscients qui sont associés aux étapes centrales de la NDE, aux sept chambres du château de l’âme (Thérèse d’Avila), aux stades de la psychose aigüe…
Associations hasardeuses ? Peut-être bien. J’assume.
Sans oublier la théorie des catastrophes de René Thorn, les dernières trouvailles de l’IRMF, le mythe dogon et l’essai sur le don de Marcel Mauss. L’accumulation suscite-t-elle le saut de plénarisation ou décompose-t-elle dans le morcellement ?
Systématisations réductrices
Toute systématisation est réductrice. C’est le prix à payer pour la science et l’enseignement. La psychothérapie/psychanalyse oscille entre réduction et expansion, des dogmes freudiens à l’ici et maintenant humaniste, de la neutralité psychanalytique à l’amour inconditionnel rogérien, du décryptage jungien à la pure description phénoménologique…
Il y a dans notre texte des systématisations vertigineuses, qui s’emboîtent les unes dans les autres, qui débouchent sur des tableaux prétentieux : toute l’ontologie en un seul schéma, toute la psychopathologie en un tableau, tableau à deux dimensions seulement !
Ouverture illimitée
Ça fleure bon l’ouverture politique et le débauchage à gauche et à droite. Dans la réalité, ça ne marche pas. Du temps de la revue « Somatothérapies et Somatologie », j’ai pu faire cohabiter deux textes des deux héritiers français de Milton Erickson, mais seulement les textes. J’ai pu publier la révolte d’un bioénergéticien contre Lowen, pour m’en faire un ennemi aussi vite. Parce que ça sent la récupération ! Par trois fois, je me suis fait menacer par les avocats de chers confrères !
Dans ce livre, nous sommes au-delà des auteurs, créateurs, concepteurs. Nous puisons dans leurs œuvres, nous expérimentons leurs protocoles, nous comparons, associons, intégrons. La nouvelle question est éthique et déontologique : jusqu’où aller, quelles méthodes intégrer, quel crédit accorder :
- au bonding de Daniel Casriel, répertorié dans la liste des sectes par les Renseignements généraux,
- au rebirth, créé par un baba cool new age,
- à la méditation, que j’ai pudiquement appelée « Présence Juste » et qui s’impose enfin comme « mindfullness » dans le cognitivo-comportementalisme,
- au comportementalisme qui cache son Orange Mécanique,
- au transgénérationnel qui ressuscite aussi les vies antérieures,
- au chamanisme planqué derrière « l’écothérapie » ?
J’évoque les extrêmes. Mais on peut se hérisser pour moins que ça. On peut s’interroger légitimement sur la rigueur de telle pratique, sur la pertinence de telle indication thérapeutique, sur l’éthique de leurs promoteurs, sur la scientificité de leurs théorisations ou… rationalisations. En trente années de quête curieuse et d’annexions hâtives sinon avides, j’ai parfois frôlé la limite, offensé la bienséance, montré ma naïveté et mis à rude épreuve la confraternité. On peut le penser à juste titre à la lecture de ce livre.
Il ne s’agit pas plus d’intégrisme
Ce n’est pas l’intégrale. Même si ça récupère aux limites mêmes du domaine. Mais ce n’est pas plus de l’intégrisme.
Après l’ouverture politique, l’allusion religieuse.
Acceptons la proximité des termes : intégration et intégrisme ! Ce dérapage tristement contemporain condamne-t-il l’intégration ? Faut-il préférer le communautarisme à l’anglaise ? Il ne réussit pas plus ! Essayons une définition de l’intégrisme qui s’appliquerait au religieux comme à la psychothérapie, deux domaines décidément proches même si Freud a cru devoir s’en distancier. Ce serait :
- accaparer un héritage (cultuel, culturel) ;
- le réduire à sa plus simple expression, le systématiser pour assurer sa transmission au plus grand nombre ;
- en faire une arme de domination et parfois même d’exclusion sinon d’extermination.
Notre démarche intégrative répond-elle ou s’oppose-t-elle à ces trois critères ?
La psychothérapie est un héritage, culturel, professionnel, mais pas cultuel. Nous avons nous-mêmes enrichi cet héritage de trois nouvelles pratiques (somatanalyses et Présence Juste). Loin d’accaparer, nous avons intégré les œuvres personnelles dans le vaste domaine commun. La démarche intégrative elle-même développée ici est mise à disposition de qui veut en prendre connaissance et en emboîter le pas. Et si j’ai pu déposer certaines propriétés intellectuelles ce n’est que pour assurer leur bon développement pendant les dix années du dépôt. Après cet élevage contrôlé, ces propriétés retournent au bien commun.
L’intégration des psychothérapies prend le risque de systématiser, de réduire, mais à l’essentiel. J’ai évoqué ce risque, par honnêteté intellectuelle et presque par provocation. Le chemin de la praxis et d’épistémè passe par là. Ce travail d’abstraction est d’ailleurs tellement austère que les mémoires de fin de formation de mes élèves citent bien plus volontiers Jacques Salomé ou David Servan-Schreiber que mes propres textes ! Et puis, il y a toute l’ouverture sur toutes ces méthodes tellement séduisantes de par leur systématicité (jungienne ou reichienne) et de par leur nouveauté (EMDR, constellations familiales) que j’en perds des élèves !
Les collègues invités à nos congrès vantent leur produit tout aussi bien et en séduisent encore d’autres, d’élèves. Nous assistons au mouvement inverse de l’intégrisme : à force de présenter la diversité des méthodes, on suscite un certain éparpillement.
Il reste le troisième critère : l’arme de domination… J’ai participé à la fondation de l’Association Française pour une Approche Intégrative et Eclectique de la Psychothérapie (AFIEP) avec des universitaires lyonnais respectés et dynamiques. Ils ont organisé le premier congrès… ce fut un échec ! J’ai édité le premier livre français sur le thème, il fut un échec ! L’intégration ne paye pas, n’impressionne pas, ne motive pas les foules. Ce ne sont ni les psychiatres ni les psychologues qui s’y intéressent mais les futurs thérapeutes venant d’horizons divers et que dérange la dispersion des méthodes et théories et leur… impérialisme.
Et puis, le recours à une méthodologie rigoureuse et à une épistémologie scientifique ainsi que l’arrimage à un humanisme exigeant sont aux antipodes de tout intégrisme. De plus, la reconnaissance de la psychothérapie comme « fait social total » et son inscription dans le champ de l’anthropologie, constituent une ouverture supplémentaire, garante de notre esprit démocratique.
Et quid de l’intégralisme ?
Il y a près de trente ans, j’avais lancé l’Association des Jeunes Psychiatres. Et ce sont des plus âgés qui ont aussi répondu, notamment des concepteurs de méthodes « orphelines » pour reprendre le concept aux maladies génétiques qui n’intéressent personne. Il y avait notamment le créateur de « l’intégralisme ». Je ne sais plus en quoi cela consistait mais le mot fait partie de notre déclinaison autour d’integer.
Que serait dans notre contexte, un intégralisme ? Probablement quelque chose comme l’intégrisme de l’intégration. Eh bien non ! Répétons-le encore une fois, notre propos est une démarche, un cheminement, individuel et personnel, sur les bases des méthodes et théories existantes et avec un certain nombre de règles méthodologiques, épistémologiques, cliniques et humanistes ! Exit donc l’intégralisme qui se retrouve à nouveau orphelin.
Après les réserves d’usage, après les esquisses de falsification ou, du moins, après les indications sur les lieux où pourrait se faire cette remise en question, nous pouvons aborder l’essentiel, à savoir ce saut qualitatif qu’opère l’effet d’intégralité. Nous postulons que cette intégralité est acquise même si elle est à parfaire ou, du moins, que cette intégralité est suffisante pour produire son effet spécifique : la somme est plus que l’addition de ses parties.
Rappelons les conditions de cette intégralité :
- la prise en considération de toutes les méthodes et théories (éthiques et déontologiques) ;
- le respect du principe des types logiques et le décalage en méta- ;
- l’interaction constante avec la clinique et, plus récemment, avec la formation des thérapeutes.
L’effet d’intégralité opère dans les quatre dimensions de la psychothérapie, au niveau des :
- méthodes, comme saut méthodique,
- théories, comme saut épistémique,
- psychopathologies, comme saut ontopathique,
- pratiques, comme saut créa-praxique.
Ce long texte a bien établi les trois premiers acquis (méthodique, épistémique et ontopathique) que nous ne réévoquerons que rapidement pour développer le quatrième point plus nouveau : le saut praxique.
Le saut méthodique
La prise en considération de tous les grands courants de la psychothérapie nous a permis d’extraire les constantes et les invariants de toute méthode sous la forme des facteurs organisateurs (F.O.) En répondant aux exigences de tous ces facteurs, nous arrivons à la création d’une pratique pluri-globale (dont le contenu particulier peut varier, signe de l’ouverture décrite).
En insistant sur le facteur durée, nous débouchons sur la cure séquentielle qui dépasse toutes les polémiques entre écoles en insistant sur la différence et la complémentarité temporelles.
Il s’agit là d’un véritable saut qualitatif qui nous permet de nous situer en une quatrième étape du mouvement intégratif, après les juxtaposition, recombinaison et éclectisme multi-référentiel. Il n’y a pas lieu de revenir plus longuement sur ce premier point.
Le saut épistémique
Nous observions déjà que la prise en considération des principales théories est beaucoup plus difficile que celle des méthodes, ces dernières peuvent s’accaparer éclectiquement mais les premières ne s’acoquinent pas aussi aisément. Le cognitif est plus opiniâtre que le comportemental, tout comme les thérapies cognitives sont de durée plus longue que les thérapies comportementales. L’erreur réside dans cette tentative de les fusionner au lieu de passer au niveau méta-. On peut évidemment rapprocher le cognitivo-comportemental et la psychodynamique puisque c’est complémentaire.
Passer en méta-, c’est transcender les théories spécifiques pour fonder au-delà :
- le modèle ontologique qui accueille les comportements et l’inconscient, le cognitif et le corporel, le duel et le groupal, entre autres ;
- le modèle ontogénétique, construit sur le critère relationnel qui permet aussi de sérier les étapes de la théorisation freudienne, par exemple ;
- les processus complexification/plénarité et ontothérapeutique qui situent dans le développement personnel et dans la guérison, le même principe du saut qualitatif que dans l’effet d’intégralité.
- Le modèle ontophathologique qui dispose en un seul tableau les principales maladies.
Nous n’avons pas plus à insister sur ce deuxième point largement développé dans la troisième partie de ce livre, si ce n’est pour préciser ce qu’apporte ce saut qualitatif. Chaque élément constitutif de ces modèles et processus peut être discuté ou même falsifié isolément, par exemple le point d’impact de chaque séquence temporelle (courte, moyenne, longue) sur la dimension cible (qualité de vie, traits de caractère ou cadres de vie). Il y a, de toute façon, les exceptions et les nuances. Mais l’intégralité donne une valeur supplémentaire à chacun de ces points et le valide, au-delà des opinions communément admises, du simple fait de la mise en perspective globale. Si la psychanalyse veut accéder aux processus inconscients, et si le comportemental s’assigne les qualités de vie, il reste les traits de personnalité troublée aux thérapies de durée moyenne. C’est l’effet de différenciation qui joue ici, nous faisant entrer dans la dimension structurale et la méthode structuraliste.
Rappelons-nous aussi que ces modèles n’ont pas été construits au forceps, produits à la force des méninges. Non. Ils ont émergé spontanément sinon dans la surprise, kairos, lorsque l’ensemble était prêt :
- le modèle ontogénétique m’est apparu en contemplant -rêvassant sur- les schémas structuro-fonctionnels ; une nouvelle structure s’est imposée au détour du jeu sur les fonctions ;
- le modèle ontologique ne s’est réalisé qu’avec la découverte des purs processus inconscients, vingt ans plus tard ;
- le principe complexification/plénarité doit sa qualité principale à la cause de René Thom, à la théorie des catastrophes.
Il y a du structuralisme à l’œuvre comme pour ma thèse d’ethnologie. Si donc l’établissement des modèles épistémiques se fait dans une réorganisation subite des éléments constitutifs, l’effet de ces modèles intégraux offre un saut qualitatif tout aussi subit. Il s’y recèle une cohérence, une structuralité, un au-delà qui charrie autant de vérité que de beauté. En effet, l’esthétique est le critère et la preuve de l’aboutissement de cette structure. Et la simplicité aussi. Et la transmissibilité. L’accueil d’un modèle par mes élèves me montre si ce dernier est achevé ou pas.
L’effet d’intégralité est donc un effet de structuralité. Mon maître Lévi-Strauss m’a montré le chemin en anthropologie mais Freud déjà avec sa deuxième topique (moi, ça, surmoi) et Lacan par la suite ont surfé sur les bénéfices de la structuralité. Pour ma part, ce n’était nullement un propos délibéré. Ça s’est fait tout simplement. Cela nous montre que la vie, que la constitution et le fonctionnement humains s’organisent autour de structures simples, cohérentes, esthétiques, que nous avons à repérer. Tout à coup elles se dévoilent, s’imposent, facilitent la vie et sa compréhension, donnant par là validation à ce nouveau modèle. Ces considérations doivent nous aider à aborder la troisième dimension, la plus fragile encore.
Le saut ontopathique
Bien que promis au deuxième tome de cette œuvre, le modèle ontopathologique a été dévoilé ci-dessus et son mode de déconstruction aussi en ses « paramètres diagnostics » (P.D.). Pour le moment, nous en connaissons trois :
- le degré de gravité, en trois degrés,
- la polarité structure-fonction,
- la temporalité de mise en place et/ou de manifestation pathologique.
Ces premiers critères permettent de situer toutes les grandes pathologies de nos manuels athéoriques, comme nous le savons à présent. Laissons opérer ici encore l’effet d’intégralité et son saut ontopathique.
Là encore émerge une structure cohérente jouant les différences, les opportunités et les interrelations dégagées par la méthode structuraliste. Mais il se dégage beaucoup plus encore un enseignement magistral : la psychopathologie est elle aussi ordonnée, structurée, en interrelation. Les quelques douzaines de grandes pathologies ne sont pas jetées là au petit bonheur la malchance… Il y a des règles, des cohérences, comme notre tableau le laisse voir.
Voilà un effet étonnant, et réjouissant, du saut qualitatif effectué par l’intégralité.
Le saut créapraxique
Les trois premières dimensionsde la psychothérapie évoquées jusqu’à présent ne constituent que 30 à 40% de son efficacité ; nous le savons à présent. Le thérapeute en sa praxis et sa reliance conserve 60 à 70% de cette fonctionnalité. Et là encore l’effet d’intégralité opère son saut qualitatif : il amplifie la liberté d’action et de relationnalité, il élargit le champ de créativité, il restitue pleinement la part de 70% d’efficacité qui lui échoit.
Nous n’avons pas assez abordé la situation de la personne même du thérapeute. Nous resterons encore relativement bref, schématique, structural, en opposant la situation du thérapeute d’une seule méthode et le praticien en démarche intégrative.
Lorsque je pratique une seule méthode, quand je suis adepte d’un seul courant thérapeutique, je possède une technique qui est étroitement imbriquée à une théorie, les deux définissant des indications thérapeutiques très précises. On pourrait représenter cette étroite cohésion par le schéma suivant :
Schéma 62 : la symbiose de la méthode unique
L’illustration (par l’absurde) nous vient par la malheureuse guerre des écoles qui a fourbi le « livre noir de la psychanalyse » et sa contre-attaque, « l’anti-livre noir de la psychanalyse ». Deux blocs se font face, persuadés de leur bon droit et de leur cohérence praxo-théorético-clinique.
En face, on doit concevoir l’effet d’intégralité qui libère entre les trois dimensions praxo-théorético-clinique un large espace de liberté et de créativité.
Schéma 63 : le saut créapraxique de la démarche intégrative
En effet, il n’y a pas de référence unique et obligatoire entre méthode, théorie et clinique. Il y a des couplages chaque fois particuliers. Il y a des accordages chaque fois congruents.
Tableau 39 : la double créativité de la praxis intégrative
Ce champ de liberté peut connecter une méthode avec une théorie venue d’ailleurs par l’intermédiaire des bases méta-. Il peut rapprocher une pratique d’une indication originale grâce à un aménagement de la pratique. Cette liberté se gagne peu à peu à travers l’assurance que donnent la richesse de l’intégration et les résultats cliniques assurés par un bon couplage et des accordages justes.
Mais cette créativité laisse aussi de la place au doute, à l’hésitation, à la peur de ne pas trouver… A ce moment, on peut se référer au systémisme et à ce qu’il appelle la « position basse » : « ok, en ce moment je ne sais pas, j’hésite, acceptons-le, ça veut sûrement dire quelque chose, ça viendra ».
Pour être créatif, il faut être libre. Pour être libre, il faut que la place ne soit pas déjà occupée ! Pour trouver, il faut un temps mort, du vide, de l’ennui, puis de l’angoisse, jusqu’à ce que, eurêka, l’intuition surgisse et l’acte s’ensuive.
Mais il faut cet espace vide, libre, créatif, praxique. C’est ce qu’offre l’effet d’intégralité au niveau de la praxis, en termes de créativité. Et le patient ? Et son histoire personnelle ? Ils trouvent exactement la même place dans cette faille des structures.
Ce saut créapraxique fait passer le thérapeute/psychanalyste dans l’intégrité.
Nous ne prétendons pas que le praticien d’une méthode systématisée, à la cohésion praxo-théorico-clinique quasi symbiotique, n’ait pas aussi un certain degré de liberté créative ni surtout qu’il ne jouisse de cette intégrité dont le terme fait sens. Mais avec les trois sauts qualitatifs évoqués, le thérapeute pléni-intégratif est évidemment catapulté d’office dans cet espace structurellement ouvert qui le désigne à l’intégrité.
Nous continuons à décliner cette racine « integer » pour en tirer le meilleur mais pour en saisir aussi les dangers (comme l’intégrisme). « Intégrité » évoque deux aspects principaux desquels nous tirerons un troisième : l’entièreté, l’honnêteté et la présence. Ces trois caractéristiques rejoignent les trois qualités que nous assignons au thérapeute/analyste depuis longtemps et que l’approche intégrative renforce : la plénarité, la positivité et la présence.
Entièreté et plénarité
L’intégrité évoque l’entièreté : ça ne s’est pas désintégré, ça a tenu le choc sans se morceler. Ça sent bon la résilience. On peut taper dessus et ça reprend sa forme d’origine. On tape aussi sur le praticien de toutes ses souffrances, de tous ses problèmes insolubles, attachements et transferts et il n’explose pas. Il se retrouve dans ce champ de liberté entre facteurs organisateurs, paramètres diagnostics et modèles holanthropiques et il ne se désintègre pas. C’est que le thérapeute pléni-intégratif n’est pas « structure » à toute épreuve mais « constitué » de l’intérieur, dynamiquement, par les purs processus inconscients. Il est plein de cette dynamique auto-organisatrice, il est plénier jusqu’à la plénitude, souffrance et doute pouvant aussi participer de cette entièreté et faire plénitude.
Plénitude et présence
Cette plénarité ne peut advenir qu’en englobant la situation du moment, l’entourage de l’instant. Cette entièreté implique nécessairement la présence. Nous accordons un intérêt majeur à cette présence, ne serait-ce qu’avec la pratique de la Présence Juste. Cette présence au patient et à l’événement nécessite un certain recul par rapport aux structures imposées et c’est ce qu’apporte ce champ de liberté créapraxique laissé ouvert entre méthode, théorie et psychopathologie.
L’approche intégrative impose la présence de chaque instant. L’intégrité comme entièreté inclut cette présence et ne l’empêche pas. Je termine enfin le grand livre de Francine Shapiro où elle s’étale sur les études statistiques évaluant l’efficacité de son EMDR. Elle se plaint que les résultats sont de moins en moins bons. Que trouve-t-elle comme explication ? Dans les études à résultats mitigés, les praticiens n’auraient pas respecté strictement les onze étapes du protocole à présent codifié !
Cette présence ne résulte pas d’un protocole, d’une morale ou de la déontologie professionnelle. Elle n’est pas imposée ni inculquée par la formation. Cette présence découle de l’effet d’intégralité. Elle est structurellement issue de ce saut qualitatif pléni-intégratif. Elle est partie prenante de l’intégrité.
Honnêteté et positivité
Un homme intègre est un homme honnête, droit, juste et fiable. Parce qu’il est entier et présent, il représente la réalité de la vie, de l’humanité, telle qu’elle est. Et comment est-elle donc, cette réalité, sinon souffrance et guérison, problème et solution, dés-être et plénitude ? Par définition, le thérapeute possède l’art de la guérison, de la solution et de la plénitude, ne serait-ce qu’en décelant dans la maladie le tremplin vers l’être réel et authentique. Le thérapeute intègre est positif, surtout le thérapeute intégratif qui assume l’angoisse du champ créapraxique vide et en attente. Le cynisme d’un Freud et surtout d’un Lacan peut lui-même être retourné en positivité quand on y voit une injonction paradoxale, une prescription stratégique ou une ADM (Arme de Déconstruction Massive). Mais il ne faudrait pas en faire une philosophie de vie, ce que les disciples oublient trop souvent.
Le saut créapraxique accule le thérapeute à l’intégrité, à savoir à un être plénier, présent et positif. C’est la structure même de la démarche pléni-intégrative qui fait franchir cette étape définitive.
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