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Table des matières

Chapitre 4 : La psychothérapie et la psychopathologie en 2008

  • La psychothérapie comme « fait social total »

  • En ce début de XXIe siècle, l’humanité connaît le meilleur (l’éveil des pays émergents) et le pire (le changement climatique). L’individu voit poindre des prouesses (le grand âge en bonne santé) et des risques (maladies dues à l’environnement et stress de performance). La psychothérapie surfe sur la multiplication des méthodes et le désarroi devant ce foisonnement car la psychothérapie s’inscrit pleinement dans l’évolution de nos sociétés, cultures et civilisations.

    L’usage de la psychothérapie connaît une expansion de la demande sinon une explosion. Des chiffres approximatifs assignent cinq pour cent de la population occidentale à son utilisation, ce qui ferait autour de trois millions de Français en psychothérapie (passée ou actuelle). En face, de cinquante à soixante mille professionnels répondent à cette demande en France. Le développement de cette « activité de service » spécifique nous pousse très logiquement à considérer la psychothérapie comme un « fait social total »

    selon la définition des anthropologues (Durkheim, Mauss), avec comme corollaire qu’il faut la considérer en soi, comme une réalité qui n’a pas à être expliquée autrement (psychologiquement, économiquement, politiquement ou religieusement…). L’autre conséquence est la nécessité de fonder une anthropologie psychothérapique, comme il en existe déjà pour la médecine ou l’économie par exemple. 

    En effet, la psychothérapie comme fait social ne se contente pas seulement de foisonner de méthodes et théories, elle s’anime aussi de tous les processus qui s’observent dans les grands mouvements sociaux et culturels : la compétition jusqu’aux guerres (des écoles et des livres noirs), les convergences et, finalement, les tentatives d’intégration. N’est-ce pas ce qui s’observe pour la nouvelle et terrible pathologie, climatique, qui mobilise enfin les deux cents nations qui squattent notre unique planète ? Le fait psychothérapique pourrait même devenir un modèle de coopération, devant une réalité que Freud évoquait déjà : « N’est ce pas étrange que nous puissions passer des années à tenter d’aider un patient alors que des milliers d’êtres humains peuvent être tués d’une bombe en une seconde » (Schmideberg, 1938).

    Mais restons ici dans notre domaine professionnel (sans oublier cette autre responsabilité). Approchons ces trois mouvements qui animent le fait psychothérapique (incluant la psychanalyse) : foisonnement, convergence et intégration.

     

    • La créativité des méthodes thérapeutiques

    •  Nous accepterons ce premier fait sans statistiques infaillibles. Il y aurait près de sept cents méthodes, thérapies, protocoles. Ce chiffre est purement évocateur : si on considère seulement les grandes méthodes bien différenciées, structurées et pratiquées par un minimum de professionnels, on s’arrêtera à une centaine d’exemplaires. Si on répertorie les variantes, combinaisons et créations encore confidentielles, il faut évoquer le millier. La psychanalyse a éclaté en une dizaine de courants ; le seul courant lacanien, en une douzaine d’associations. Les somatothérapies (méthodes psycho-corporelles) se construisent sur une quinzaine de fonctions corporelles différentes dont chacune occasionne des dizaines d’applications. Le comportementalisme s’adjoint le cognitivisme puis l’émotionnel et encore le méditatif… (Cottraux, 2007).

       

      • Les causes du foisonnement

      •  Interrogeons-nous sur le pourquoi de cette prolifération. Nous pouvons évoquer une demi-douzaine de causes :

        • la mise à disposition de nouveaux outils,

        • la modification des pathologies,

        • le ciblage de maladies et problèmes précis,

        • la création de protocoles structurés,

        • l’élargissement de la demande

        • et la créativité des thérapeutes.

           

        • La mise à disposition de nouveaux outils

        •  Appelons-les ainsi : des outils. La société nous permet d’intervenir dans de nouvelles dimensions de l’être quand elle est permissive puis restreint à nouveau ces libertés en temps de rétraction. Exemple : le contact, l’émotion, l’affectif. Anton Mesmer avait intégré le toucher et la crise émotionnelle lorsqu’il était à Paris à la fin du XVIIIe siècle avec des résultats cliniquement appréciés par une commission royale. Mais cette dernière n’a pas entériné la dimension affective, transférentielle, trop dangereuse pour l’époque. Cent ans plus tard, Freud a utilisé le contact (sur le front, en hypnose) puis l’a abandonné. Ferenczi a repris le toucher thérapeutique avec la néo-catharsis vers 1925 mais s’est fait désavouer par Freud et son école. En ce début de XXe siècle, seul le corps « fonctionnel » donnait assez de garanties : le corps du mouvement (danse thérapie), le corps de relaxation (de Schultz, de Jacobson), le corps en posture (eutonie de Gerda Alexander) notamment.

          Il faudra attendre mai 1968 pour que le corps émotionnel (Reich, Perls, Janov, Casriel) puis sensuel (massages, sexothérapies) prenne sa place officielle et définitive. Mais voici qu’en 2008, une réglementation interdit aux ostéopathes de toucher les bébés de moins de six mois et de « travailler » à l’intérieur des rectums et vagins, ce qui se faisait pourtant avec de bons effets cliniques. Depuis un quart de siècle, ce sont même les états de conscience modifiés qui prennent rang d’outils agréés (Présence Juste de Meyer, Mindfullness de Kabat-Zin et de Segal).

          J’évoque ici les outils corporels que j’ai bien étudiés personnellement à travers les somatothérapies et la somatanalyse. Mais il faut déjà évoquer les nouveaux outils liés aux «tic», technologies de l’information et de la communication (psy-show, téléphone, ordinateur, images virtuelles et blog-thérapie). Nous constatons que notre profession est intimement reliée au social. Elle constitue un fait social total.

           

          • La modification des pathologies

          •  Les psys soulignent généreusement la disparition de l’hystérie (de Charcot, Janet et Freud) sans bien percevoir ses résurgences comme spasmophilie, fibromyalgie, syndrome de fatigue chronique, syndrome d’hypersensibilité chimique multiple notamment. Le grand bénéficiaire de cet effacement n’est autre que le « trouble de personnalité » dont on peut trouver treize formes en recoupant DSM IV et CIM IO (la série schizoïde, schizotypique, borderline, histrionique, psychopathe, paranoïaque et post traumatique marquée par le clivage jusqu’à la dissociation ; et la série narcissique, impulsive, obsessionnelle-compulsive, évitante, dépendante et postpathologique marquée par l’amalgame jusqu’à la dissolution). Quinze pour cent de la population présenteraient une « caractérose » et ils représenteraient cinquante pour cent de nos patients. Il n’est jusqu’à la nouvelle « écolose » ou « climatose » qui ne produit ses nouveaux patients : écopsychotiques, écopathes, écodéliquants, écophobiques, éc’obsessionnels et écomélancoliques… Nous savons combien les personnalités « troublées » nous obligent à « aménager » nos thérapies jusqu’à en inventer de nouvelles (particulièrement nombreuses pour les borderlines, comme la thérapie comportementale dialectique de Linehan ou la schémathérapie de Young). Espérons que de nouvelles approches s’attaqueront aux écoloses ou climatoses.

             

            • Le ciblage de maladies et problèmes précis

            •  Nous assistons, émerveillés, à la prolifération de nouvelles cliniques : de l’alcoolisme, des toxicomanies, de l’addiction aux jeux et à Internet, du sommeil, de la douleur, des troubles alimentaires, des adolescents… Ces cliniques ont lancé les équipes pluridisciplinaires et les pratiques pluriglobales. Mais il y a aussi des méthodes très pointues pour certaines pathologies ciblées. Evoquons l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) pour le symptôme post-traumatique, la méditation pleine conscience (MBCT) pour la prévention de la rechute dépressive et les acouphènes, les constellations familiales pour les troubles (trans-) générationnels…

              Ma propre « Présence Juste » propose des applications pratiques pour : le symptôme fonctionnel habituel (bobo chéri), le trouble sexuel, le trac devant le jury d’examen, l’intimidation (admirative) pour le/la partenaire provoquant éjaculation précoce et vaginisme…

              Mais plus que de nouvelles méthodes, ce sont des protocoles mieux adaptés à telle ou telle pathologie qui excellent et se multiplient. Les courants cognitivo-comportementaux et systémiques excellent dans cet exercice sans oublier les « aménagements du cadre » des psychanalystes.

               

              • Les protocoles et processus structurés

              •  En 2008, il n’y a plus tellement de nouveaux outils, de nouveaux cadres, de nouvelles cliniques à utiliser. Mais il y a des protocoles à construire et des processus à mettre en valeur. Je n’en donnerai que deux exemples, déjà évoqués : l’EMDR et la Présence Juste.

                L’EMDR de Francine Shapiro est exemplaire. Elle retrouve le balayage oculaire de Wilhelm Reich mais l’inscrit dans un protocole de thérapie courte, et même extracourte (2 à 3 séances). Voici ce protocole.

                Les huit étapes du protocole :

                  1. exploration de l'histoire du patient, des événements traumatogènes, de leur situation précise et de leurs effets ;

                  2. préparation d'une relation de confiance (alliance thérapeutique), en présentant la méthode et sa théorie, en enseignant une technique de relaxation (pour se récupérer en cas de besoin) et en promettant de respecter le besoin du patient de contrôler la situation (possibilité d'interrompre le balayage) ;

                  3. évaluation de l'intensité du trauma en sélectionnant l'image traumatogène la plus forte ainsi que de la pensée automatique négative (sur une échelle de 1 à 10) et de la phrase positive, de maîtrise. (Ces trois premières étapes peuvent prendre une partie seulement de la première séance ou plusieurs séances préalables.)

                  4. désensibilisation (terme emprunté au comportementalisme) : séquences de 30 à 120 secondes avec visualisation de la scène entraînant émotions fortes, souvenirs associés, idées, sensations ; dialogue après chaque acting et évaluation chiffrée de la souffrance et des pensées négative et positive ;

                  5. installation de l'opinion positive après que souffrance et négativisme aient commencé à baisser ;

                  6. scanner du corps permettant de déceler les tensions résiduelles du corps et les malaises (intégration du corporel au relationnel (alliance) et au psychique (pensées automatiques) ;

                  7. clôture de séance qui consiste à s'assurer d'une amélioration (vécue et chiffrée) et à renvoyer le patient à des exercices de récupération si nécessaire (relaxation, image- refuge) ;

                  8. réévaluation en début de séance suivante : chiffrage de la souffrance et des pensées négative et positive. » (Meyer 2008).

                Le dernier livre de Shapiro (2007) reconnaît que les effets de la méthode ne sont plus aussi bons qu’annoncés triomphalement au début. Elle incrimine la… non observance du protocole – en onze points – par ses élèves. Pour ma part, je souligne que les extrapolations du balayage oculaire à quasi toutes les pathologies sont l’erreur qui explique les échecs. Quant au nouveau protocole, il se fonde sur la juxtaposition des deux visions, du doigt à suivre dans son mouvement de balayage et de la scène traumatogène responsable du syndrome de stress post-traumatique. Ce processus est affiné de par les séquences de balayage courtes (de 30 à 80 secondes) avec interruption de l’émotion, alors que l’acting reichien de l’ « essuie-glace » dure quinze minutes. Protocole et processus nouvellement structurés constituent effectivement une méthode différenciée.

                 

                • Présence Juste

                • Le second exemple reprend le MBSR, mindfullness based stress reduction de Kabat-Zin qui fait mode comme l’EMDR en thérapie comportementale. Cette « méditation pleine conscience » a un quart de siècle et provient d’une combinaison de yoga, zen et vipassana. Ma propre Présence Juste a le même âge, correspond largement au MBSR, partage donc ses indications et peut se baser sur ses validations d’efficacité. Mais elle s’est construite différemment et présente un protocole bien charpenté pour éveiller la « pleine présence » ou pleine conscience chez les occidentaux bien occupés et préoccupés, stressés et pressés ; à partir de cet éveil, le protocole s’efface et sert de recours… contre distractions, jugements et préoccupations. Voici très succinctement ce protocole en sa progression très étudiée.

                   Premier cycle : personnel, corporel

                   

                  1. présence relax par la relaxation de Schultz et la posture de Mathias Alexander,

                  2. présence espace par l’expansion dans l’espace de l’haptonomie,

                  3. présence énerg’ par l’éveil des sept centres énergétiques (appelés plexus neurovégétatifs, chakras orientaux ou anneaux reichiens) en un mouvement ascendant,

                  4. présence contact par l’ouverture des centres de communication de la face antérieure du corps, de haut en bas : vue, ouïe, odorat, goût, lèvres, larynx, cœur, tripes, paumes et voûtes plantaires.

                   Deuxième cycle : interpersonnel, social et affectif

                   

                  1. voir : visualiser les images spontanées des personnes de notre vie,

                  2. sentir : observer les émotions ou sentiments liés à chaque personne,

                  3. centrer : dans son axe énergétique (de l’étape 3),

                  4. communiquer activement avec l’une ou l’autre de ces personnes grâce aux centres ouverts en 4.

                  Troisième cycle : transpersonnel

                  Nous ne développerons par ici les quatre étapes suivantes, plus subtiles, concernant la planète, l’éthique (affirmer le non et le oui), l’univers. Elles débouchent sur un équivalent de méditation ou pratique prise au sens large, non religieuse, comme chez Kabat-Zin. 

                  Voilà deux exemples de nouveautés qui doivent plus aux protocoles et aux processus (déjà connus) qu’aux outils eux-mêmes. Les thérapies conjugales, familiales, groupales se (dé-) multiplient principalement de cette façon.

                   

                  • La demande des patients et la créativité des thérapeutes

                  •  L’explosion de la demande de psychothérapie impose des offres de plus en plus diversifiées. Déjà du temps de Freud. La bourgeoisie viennoise a induit la psychanalyse classique ; la banlieue viennoise a suscité l’analyse caractérielle de Reich ; les analyses traînant en longueur ont nécessité thérapie active et néo-catharsis à Budapest ; l’intelligentsia parisienne a orienté vers structuralisme et linguistique lacaniennes. La réponse de ces auteurs est adaptative et néanmoins créative. Mais il faut encore évoquer la pure créativité des auteurs à partir de leurs besoins et capacités propres.

                    Oserais-je évoquer que si j’ai créé somatanalyse et somatothérapie, c’est que j’avais besoin du corporel pour ma propre thérapie et analyse ; que la Présence Juste a été esquissée lors d’un arrêt prolongé sur un télésiège, pour réduire le stress ? Quant à l’étape transpersonnelle de cette dernière, elle m’a reconnecté avec mes trois années de couvent de ma jeunesse…

                    Et la créativité personnelle n’ayant pas de limites, nous pouvons nous promettre un bel avenir pour les psychothérapies !

                    Là, nous reconnectons aussi avec l’appartenance de la psychothérapie à la société. Cette dernière nous reproche – aux thérapeutes et plus encore aux psychanalystes – d’avoir initié et d’encourager l’individualisme – le narcissisme, de Lash – qui créerait tellement de difficultés à l’esprit communautaire (cher à A. Adler) et à la planète. La prolifération des méthodes et théories en serait l’illustration. Eh bien non. Ou plutôt : oui mais. Tout comme la société actuelle se réunit, volens nolens, au chevet de la planète, les psychothérapeutes esquissent des convergences et même de l’intégration. Il ne s’agit pas tellement de volonté délibérée que du génie propre de ce « fait social total » : la différenciation atteint des paliers – sinon des limites – où des convergences apparaissent, se reconnaissent et entrent en concordance.

                    Le big bang engendre son big crunch.

                    L’entropie suscite la néguentropie.

                     

                  • Les convergences des grands courants psychothérapiques

                  • Les signes évidents de la rencontre des courants sont récents et il faut s’intéresser de près à la grande famille que nous avons décrite pour les apercevoir. Il s’agit de faits que nous pouvons ranger sous trois rubriques notamment : durée de la cure, canal de communication et nature de la reliance.

                     

                    • Les convergences sur la durée de la cure

                    •  Nous connaissons bien les deux durées classiques, courte et longue, de la cure. Les thérapies comportementales et systémiques ainsi que de nombreuses somatothérapies se veulent courtes (3 à 6 mois, 6 à 12 séances) alors que psychanalyse et somatanalyse s’annoncent longues, jusqu’aux vingt cinq années de Woody Allen. Il y a même une exacerbation de ces critères, la psychanalyse revendiquant de plus en plus d’années et l’EMDR, par exemple, s’enorgueillissant de guérir d’un trauma en deux à trois séances. N’oublions pas, pour la petite histoire, que Freud a guéri Gustav Mahler en une seule après-midi et que J.A. Miller, le gendre de Lacan, théorise les « effets rapides de la psychanalyse » en deux à trois séances aussi. La convergence ne se situe pas ici ; ce ne serait même que revendication accrue de la différence (qui, pour nous, n’est que complémentarité).

                      La convergence se fait entre ces deux extrêmes, à savoir dans la cure de durée moyenne s’étendant entre 6 et 24 mois, 15 et 60 séances. (Ce ne sont évidemment que des moyennes approximatives). Les cures analytiques se raccourcissent à cinquante séances sous l’appellation de psychanalyse brève, psychothérapie d’inspiration analytique, short term anxiety provoking psychotherapy… Adler et Rank s’y étaient déjà rangés. Il en va de même pour l’analyse reichienne qui s’accélère en psychothérapie brève caractéro-analytique (Serrano). Ma propre somatanalyse connaît également des protocoles pour un à deux ans, en groupe (socio-somatanalyse) et en duel (psycho-somatanalyse). Dans cette durée intermédiaire, les indications s’appellent foyer, focus, trouble psychodynamique, trait de caractère, trouble de la personnalité.

                      Aussi spectaculaire est l’allongement des thérapies courtes à la même durée d’un à deux ans. La relaxation devient analytique avec Sapir. La musicothérapie se développe en analyse néo-reichienne voco-posturale avec M-C. Piatkowski. Mais c’est le courant comportemental qui présente l’évolution la plus intéressante après avoir tant vanté la rapidité du traitement. En effet, il s’est quand même mis à s’intéresser à la fameuse boîte noire qui s’intercale entre stimulus et réponse, y découvrant le cognitif avec ses pensées automatiques, schémas conditionnels et postulats inconditionnels. Et cela prend de plus en plus de temps, d’autant plus que ces fixations cognitives constituent des traits de caractère et s’ouvrent sur les troubles de la personnalité. Le cognitivo-comportementalisme s’enrichit depuis peu d’une troisième étape, émotionnelle, et même de cette quatrième dimension, méditative, déjà évoquée, ce qui rajoute une dizaine de séances pour son apprentissage. L’EMDR lui-même accuse ses trente à quarante séances dès que les traumas sont ancrés et graves (névrose de guerre) ou que les indications débordent les seuls clivages post traumatiques.

                      La toute nouvelle importance accordée à la psychothérapie de durée moyenne et surtout la systématisation des protocoles qui permet de tenir la durée entre les deux butoirs sont d’un grand intérêt. Analyses longues et thérapies courtes viennent côtoyer là le courant déjà installé dans la durée moyenne parfois appelé « humaniste », avec la Gestalt thérapie en exemple. Car c’est le travail d’un à deux ans, au-delà du seul symptôme et en deçà de la névrose de transfert, qui s’affirme comme le modèle de thérapie le plus intéressant, avec un rapport qualité/prix des plus rentable. Eh oui, la société nous regarde et demande des comptes !

                       

                      • Les convergences sur les canaux de communication

                      •  La psychothérapie s’inscrit obligatoirement dans une relation et nécessite donc un canal de communication. Ce canal se voulait longtemps exclusivement verbal. Françoise Dolto martelait : « il faut verbaliser ». Mais sa fille Catherine s’est ralliée à l’haptothérapie, à savoir au toucher thérapeutique en prolongement ! Inversement, de nombreux somatothérapeutes ont basculé dans le sens inverse, purement verbal et analytique.

                        Car l’autre grand canal de communication s’inscrit dans le corps : la voix, le mouvement, la mimique, le toucher, qui sont des canaux qui se suffisent à eux-mêmes. Quant au troisième canal, dit médiatisé, il englobe la musique, les arts plastiques, la dramaturgie et même les animaux pour ne pas évoquer l’ergothérapie, ou la bibliothérapie. Tous ces modes permettent d’établir la communication garante de thérapie.

                        Et c’est là que se fait cette autre convergence dans l’élargissement des canaux. Aux côtés de Catherine Dolto, Bernard This, lacanien tout aussi convaincu, a lui aussi annexé le toucher haptonomique comme bien d’autres psychanalystes. Malgré sa mise au placard, Ferenczi a légué son toucher néo-cathartique à Balint, Winnicott et à toute une lignée de psychanalystes, sans parler de ceux qui « aménagent le cadre » pour prendre en analyse les personnalités archaïques et même les psychotiques. Pour ces derniers, les médiateurs sont bienvenus et bien utiles, comme pour les enfants. Mais c’est ma propre somatanalyse qui élargit la communication du verbal au corporel, accordant autant d’importance à l’un qu’à l’autre, que ce soit en groupe ou en individuel.

                        Inversement, les méthodes principalement corporelles ont accordé de plus en plus de place au verbal, et peuvent ainsi s’inscrire dans un cadre analytique qu’elles affichent gaillardement : analyse reichienne, analyses bioénergétique, biodynamique, biosystémique par exemple. Le rêve éveillé devient lui-même analytique en insistant sur la verbalisation.

                        Quant aux méthodes reléguées à leurs seuls médias (musique, arts plastiques, cheval) elles ont largement accueilli le somato-, le corporel, et le discours verbal évidemment. C’est ainsi que la musicothérapie voco-posturale marie harmonieusement voix, corps et narration. Après les convergences sur les durées et les convergences sur les canaux de communication, voici les convergences sur le mode relationnel, ou reliance, là où ça se bagarrait entre simple alliance thérapeutique et transfert.

                         

                        • Les convergences sur la nature de la reliance

                        •  Trois durées, trois grands canaux de communication… Y aurait-il aussi trois modes de relation ? Et tout cela déboucherait sur des centaines de combinaisons différentes ?

                          Effectivement, il y a là aussi des différences véhémentement affirmées : alliance thérapeutique pour les uns, transfert pour les autres, attachement pour d’autres encore ou refus de l’attachement ; amour inconditionnel, neutralité, implication personnelle, abstinence… nous connaissons ces attitudes bien tranchées. Et pourtant les positions convergent.

                          Reprenons avec les tenants des thérapies courtes qui prônent l’alliance thérapeutique, la position d’égal à égal (et même la position basse en thérapie stratégique), et qui échangent sur le mode de l’intersubjectivité : on est sur la même longueur d’onde, ça coule, je sens que tu sens que je sens, je sais que tu sais que je sais… Et voici que les cognitivo-comportementalistes qui intègrent l’émotionnel s’intéressent à l’attachement. Voici comment F. Mehran résume cette convergence : « Les premiers auteurs qui ont proposé un rapprochement entre la théorie des schémas de Beck et la théorie de l'attachement de John Bowlby sont deux psychothérapeutes cognitivistes italiens Guidano et Liotti (1983), Du fait de leur proximité conceptuelle, ces travaux ont été progressivement transposés en termes de schémas cognitifs Des travaux récents (Williams et Riskind, 2004) ont montré que les perturbations anciennes de l’attachement étaient à relier aux difficultés actuelles dans la relation amoureuse, étaient, également, en lien avec des troubles anxieux et dépressifs, et s'exprimaient dans des mesures des schémas cognitifs. La théorie de l'attachement a été intégrée dans la thérapie des schémas de Jeffrey Young, qui est actuellement validée empiriquement (Giesen-Bloo et coll., 2006). En pratique, ce modèle du développement affectif aide le patient et le thérapeute à conceptualiser la genèse de ses perturbations émotionnelles et à réparer les carences parentales précoces. » (Mehran in Cottraux 2007 p. 29).

                          Mehran évoque la référence à la théorie de l’attachement, et, avec les psychothérapies de durée moyenne comme celle qu’il annonce là, la nature de la reliance se transforme effectivement en attachement jusqu’à la dépendance qui se vit et se rejoue entre patient et thérapeute. C’est ce que les psychanalystes avaient du mal à intégrer, eux pour qui cette reliance n’est que transfert.

                          Bowlby, l’observateur et théoricien de l’attachement, était pourtant psychanalyste. Mais sa famille a longtemps rejeté la théorie et le vécu de l’attachement. René Spitz qui a renforcé l’observation avec la « peur de l’étranger » à huit mois d’âge était aussi psychanalyste. Mais la notion de transfert était trop prégnante, à la fois découverte de Freud et propriété du courant psychanalytique. Et pourtant l’attachement s’annonçait, permettant à Reich d’observer des traits de caractère défensifs et résistants qu’il appela néanmoins « transfert négatif ». Anna Freud elle-même, systématisant les mécanismes de défense, pointait les mêmes traits de caractère issus de l’attachement et de la peur de la dépendance. Mais il ne fallait pas toucher au transfert. Pourtant, peu à peu, les psychanalystes qui prennent en charge les personnalités archaïques, qui raccourcissent les cures ou aménagent le cadre, s’adaptent à cette nouvelle reliance qui tourne autour de l’attachement et de l’intersubjectivité beaucoup plus que de la névrose de transfert.

                          En cela, ils rejoignent Fritz Perls, freudien jusqu’à ses cinquante ans, puis gestaltiste. Lors de ce tournant de vie, il rejette le transfert, propose l’égalité patient-thérapeute et s’implique dans la relation, se dévoilant dans ses ressentis et émotions personnels. Il répond ainsi aux troubles de l’attachement et cherche à réparer ce qui a manqué ou dysfonctionné dans le passé du patient.

                          Voilà une troisième dimension qui dévoile la convergence des grands courants psychothérapiques, dans ce no man’s land entre les durées courte et longue qui s’avère le lieu le plus intéressant : il est assez long pour devenir profond ; il ne déborde pas jusqu’à la névrose de transfert qui change tout. En fait, ces convergences évoquent le fameux « facteur non spécifique » qui serait commun à toutes les méthodes et pratiques.

                          Mais que nous apporte cette observation sur les convergences ? Que change-t-elle à l’autre réalité du foisonnement des méthodes et théories ? Elle nous montre énormément de choses. D’abord qu’il y a des paramètres communs aux méthodes : une durée, un canal de communication, une reliance par exemple. Ces paramètres sont peu nombreux et constituent le cœur même des psychothérapies. Plus ça foisonne, plus ça converge. Plus ça se particularise, plus les traits communs s’affirment. Plus on se veut différent, plus on se retrouve.

                          Certes on peut résister là aussi, clamer l’originalité et l’unicité de sa méthode, scotomiser le voisinage de l’autre, nier la proximité de l’attitude de ce voisin. En fait, la réalité de ces convergences nous oblige à aller plus loin encore, à oser l’intégration.

                           

                        • LÂ’intégration des psychothérapies

                        •  Le courant intégratif vient des Etats-Unis, s’est implanté en France via des universitaires lyonnais et l’Association Française pour l’Approche Eclectique et Intégrative des Psychothérapies, AFIEP, dont je suis fondateur et ancien vice-président. J’ai également édité le premier livre français sur la question (Meyer 1995).

                          Troisième étape de son histoire, (après la simple juxtaposition de quelques méthodes, étape 1, et la recombinaison de méthodes antérieures en un nouveau système fermé, étape 2), l’approche éclectique et intégrative, étape 3, pèche par trois défauts : 

                          • elle ne prend en compte qu’un nombre limité de méthodes, en particulier les méthodes cognitivo-comportementales et la psychodynamique ;

                          • elle se construit sur des paramètres et des processus qui ne sont pas généraux ;

                          • elle se referme en de nouvelles méthodes, les 701ème et 702ème méthodes, qui ne font qu’accroître le foisonnement.

                           Voici deux exemples représentatifs, ceux de Lazarus et de Di Clemente et Prochaska.

                           

                          • La thérapie multimodale : éclectisme méthodique d’Arnold A. Lazarus

                          •  Elle réunit les principaux mécanismes de changement en sept modes :

                            • comportement : renforcement positif, renforcement négatif, punition, contre conditionnement, extinction,

                            • affect : prise de conscience, clarification et acceptation des sentiments, abréaction,

                            • sensation : relâchement de la tension, plaisir sensoriel,

                            • imagerie : images de la réussite, modification de l’image de soi,

                            • cognition : restructuration cognitive, prise de conscience,

                            • relations interpersonnelles : modelage (pour développer l’assertivité et autres habiletés sociales), élimination des collusions malsaines,

                            • facteurs organiques : identification des maladies organiques, arrêt de la consommation abusive de toute substance, alimentation équilibrée et exercice régulier, méditation, médication psychotrope si indiquée » (Norcross p. 220).

                            Cette liste est intéressante et très riche. Nous ne savons pourtant pas ce qui en constituerait la globalité au-delà d’une accumulation de procédés (certes assez large). Nous avons ici un exemple du seul éclectisme : additionner les méthodes intéressantes même s’il y a une unité autour des « modes » ou fonctions comme nous le verrons plus loin.

                            La deuxième démarche, d’O. Prochaska et Carlo C. Di Clemente, veut aller plus loin puisqu’elle s’intitule « approche transthéorique ». Nous leur laissons la parole.

                             

                            • L’approche transthéorique de Prochaska et Di Clemente

                            • Les deux auteurs ont effectué une déconstruction analogue à celle de Lazarus. Mais au lieu de se focaliser sur la dimension fonctionnelle (avec les sept éléments du BASIC ID), ils privilégient deux autres dimensions : les processus de changement et les étapes de la cure. Voici comment Norcross résume les choses.

                              Des recherches nous ont permis de raffiner nos formulations d’origine pour aboutir à dix processus de changements distincts :

                               

                              1. développement de la prise de conscience,

                              2. libération de soi,

                              3. libération sociale,

                              4. contre-additionnement,

                              5. contrôle des stimuli,

                              6. remise en cause personnelle,

                              7. remise en cause de l’environnement,

                              8. gestion des contingences,

                              9. techniques théâtrales,

                              10. relations aidantes » (Norcross p. 284).

                              Dans un deuxième temps les auteurs situent les indications de ces dix processus en fonction des étapes de la cure qu’ils pensent être au nombre de cinq.

                              Tableau 4 : processus et stades de changement (Norcross p. 286)

                              Ces deux exemples illustrent bien les restrictions du choix des méthodes et des processus de base. Nous voyons ainsi que les fonctions et processus retenus ne sont pas représentatifs de toutes les psychothérapies/psychanalyses.

                              Aussi proposons-nous un pas de plus jusqu’à constituer la quatrième étape de l’intégration. Trois principes fondent cette nouvelle étape : 

                               

                              • la prise en considération de toutes les méthodes et théories (pour peu qu’elles soient professionnelles et éthiques) ;

                              • la mise en œuvre d’une méthodologie pour l’intégration des pratiques et d’une épistémologie pour l’intégration des théories ;

                              • la dévolution de cette intégration à chaque praticien comme démarche personnelle et non pas comme constitution d’un Xème système.

                                 

                              • La prise en considération de toutes les méthodes

                              •  S’il y a effectivement 700 thérapies différentes, il est difficile de les approcher toutes. Et pourtant, c’est un préalable. J’ai passé une vingtaine d’années à parcourir le champ des thérapies psychocorporelles, à les appeler d’un terme universel, somatothérapie, et à les mettre en ordre. Voici la proposition d’un historique de ces somato-psychothérapies qui représentent la catégorie la plus oubliée du courant éclectique et multiréférentiel.

                                 

                                 Tableau 5 : Histoire des Somatothérapies en Occident.» (Meyer, Liénard p. 21)

                                Nous retrouvons ici l’influence de la société sur la mise à disposition des « outils » corporels. En même temps, nous observons déjà une classification en fonction des « formes d’organisation ». Bien que l’assignation d’une méthode à une place précise soit réductrice, il est important d’en indiquer la fonction prévalente.

                                La plupart de ces méthodes du courant somatothérapique, s’étaient donné rendez-vous au Premier Congrès International de Somatothérapie en 1988 à Paris ; six cents cinquante professionnels ont exposé une soixantaine de techniques et théories. On peut trouver des inventaires identiques pour les autres grands courants, chez Mony Elkhaïm par exemple (Panorama des thérapies familiales, 1995) ou dans le dernier Cottraux (thérapies cognitives et émotions, 2007) qui analyse une dizaine de méthodes récentes dans son domaine.

                                 

                                • Une méthodologie pour l’intégration des thérapies : les facteurs organisateurs

                                •  Le tableau réunissant les principales somatothérapies s’ordonne déjà selon deux critères : forme d’organisation et fonction prévalente en plus de la date de naissance. C’est dans cette direction que se développe notre méthodologie, du côté des « facteurs organisateurs ». Toute méthode se construit sur un certain nombre de facteurs infrastructuraux, dont je ne veux énumérer ici que les quatre principaux :

                                  • canal de communication : verbal, corporel, médiatisé (musique, arts, animaux, tic),

                                  • cadre de vie : duel, conjugal, groupal,

                                  • durée : jusqu’à 6-8 mois, de 10 à 24 mois, au-delà de deux années,

                                  • attitude thérapeutique : directive, interactionnelle, analytique.

                                   Ces facteurs organisateurs et leur petit nombre de formes différenciées s’agencent en un ensemble relativement limité, avec douze à dix-huit méthodes. Voici ce tableau.

                                   

                                   

                                   Tableau 6 : mise en cohérence des facteurs organisateurs

                                   Il ne s’agit plus de juxtaposer éclectiquement des méthodes choisies on ne sait pourquoi. Il suffit de remplir chaque case :

                                  une méthode verbale, une corporelle, une médiatisée,

                                  une méthode duelle, conjugale, groupale,

                                  un protocole court, une psychothérapie de durée moyenne, une analyse longue…

                                  Avec un nombre limité, nous construisons une globalité : c’est ce que j’appelle la « pratique pluriglobale ». J’insiste particulièrement sur le facteur temps, commençant toujours par une séquence courte (50% des thérapies), faisant bilan et nouveau contrat pour une durée moyenne (1 à 2 ans) pour 35% des patients, proposant bilan et troisième contrat d’analyse pour les 15% de patients restant. (…)

                                  C’est ce que j’appelle la « cure séquentielle », j’en ai parlé plus longuement à propos de la convergence des courants psychothérapiques. Mais ici nous organisons les trois temps successivement avec contrat, bilan, respect des durées annoncées et proposition de passer au-delà.

                                   

                                  • Une épistémologie pour l’intégration des théories

                                  •  Les « facteurs organisateurs » permettent d’aller au-delà des techniques particulières. Ici, c’est la pensée méta- qui se généralise au-delà des théories d’école, selon le principe des types logiques de Bertrand Russell. Nous n’avons pas la place de développer tout ce cheminement ici. Je ne voudrais insister que sur l’aspect « inconscient », fondateur de la psychothérapie. Des approches plurielles m’ont amené à proposer des « purs processus inconscients », purs de structure, au nombre de trois :

                                    • l’essence de l’énergie, terme freudien, à la base de l’inconscient personnel,

                                    • la nature de l’esprit, concept oriental, ou inconscient absolu,

                                    • l’intime du lien, proche de l’inconscient collectif de Jung.

                                    Ces trois processus constituent le déroulement chronologique de nombreuses expériences: les psychanalyses freudienne et jungienne, la somatanalyse, l’EMI ou expérience de mort imminente, la pneumanalyse ou rebirth, la Présence Juste et autre méditations, les grandes pratiques sur les états de conscience modifiés. Chacun de ces processus est défendu par une structure propre (corporelle, mentale, personnelle) qu’il faut subvertir au risque de troubles (tétanie, effondrement, sortie du corps…) pour en faire une dynamique « constituante ».

                                    L’éveil successif des « trois processus inconscients » est représenté sur le tableau suivant qui met en regard les étapes de la… psychose aiguë. 

                                     

                                  • La psychose aiguë

                                  • C’est à un niveau plus précisément professionnel, à savoir psychopathologique, que les purs processus inconscients nous interpellent, à savoir dans les psychoses aiguës et bouffées délirantes. En effet, quoique les déroulements de ces épisodes soient décrits de façons assez différentes jusqu’à déboucher sur des nosographies apparemment contradictoires, on peut extraire des principales théories psychiatriques une trame commune qui est précisément celle… des processus en question.

                                    C’est ce que la lecture d’un texte de J. Moya i Olle sur « la naissance de la psychose, les voies de la formation du délire » nous permet d’observer. Les auteurs résument les grandes conceptions de ce syndrome et y distinguent plus précisément des étapes qui ne sont pas sans nous intéresser. Encore faut-il se rappeler qu’il s’agit ici de pathologie, douloureuse en soi, mais aussi voluptueuse au fond, bien que les psychiatres hésitent à parler du bon, du vrai et de l’aimer en pareil contexte. Pour nous, il faut distinguer, pour chaque étape, la dé-structuration puis l’éveil processuel, pour chacune des trois étapes centrales : de l’énergie, de l’esprit, du lien. Voici d’abord une mise en tableau de cinq des descriptions résumées par les deux auteurs qui se réfèrent à des théorisations bien connues.

                                    Tableau 7 : les trois étapes de la psychose aiguë et de l’IPI.

                                     Tous les concepts, tous les termes de ce tableau sont repris au mot près du texte des auteurs. Pour ne paraphraser que succinctement, j’évoquerai que :

                                     

                                    • la première étape est très corporelle, y compris voluptueuse, donc énergétique ;

                                    • que la seconde est psychique et sans structure : pas de signifiant, pas de repère, de savoir, mais une production paranoïde qui va jusqu’à la certitude ;

                                    • la troisième se re-constitue autour de choses organisées, délire systématisé, vécu de grandeur, de beauté, d’archétype, jusqu’au pur amour (si les psychiatres se laissent aimer !).

                                    J’ai escamoté la quatrième étape, de chronicisation, qui n’entre plus dans notre étude de la psychose naissante, processuelle, réversible. Jusque là, tout est encore souple et fluide, et donc amendable, ce qui nous intéresse au plus haut point parce qu’une bonne expérience personnelle de ces trois processus inconscients permet de comprendre, de « s’accorder » au patient qui fait le même parcours, bien que chaotiquement. Et si, de surcroît, on a à sa disposition des techniques corporelles, ou tout simplement la capacité de toucher, tenir, contenir, et si toute une équipe soignante peut le faire pendant les premiers jours de la bouffée, le pronostic de ces psychoses naissantes continuera à s’améliorer. Car tout se passe au-delà des mots, des logiques et des conditions. Ça peut-être beau et constituant, sinon c’est tragique et définitivement déstructuré. Tout dépend de la bonne compréhension de cette « irruption des processus inconscients (I.P.I.).

                                    Et pour asseoir la pertinence de cette I.P.I, il m’est agréable d’appeler à la rescousse la psychiatrie officielle qui, dans la dernière livraison de la revue Psychiatrie Française, évoque la cure de Sakel d’autrefois, à savoir la provocation d’un coma artificiel par injection d’insuline. Voici ce qu’un patient en rapporte :

                                    « Lorsque j’étais dans ces comas provoqués, apparaissait mon grand-père paternel, vêtu d’un costume sombre, son visage resplendissant. Mais, avant de le découvrir, il fallait me laisser guider par une lueur m’indiquant un genre de chemin à emprunter.... Ce chemin ressemblait à un long couloir bleu turquoise. C’était étrange, il semblait ne pas être délimité sur les côtés... J’étais dans un monde totalement imaginaire, qui était d’une beauté incomparable, j’en éprouvais du plaisir, un bien-être que je n’ai jamais retrouvé dans un état conscient ». Et que répond le médecin prescripteur ? « Sur la cure de Sakel, certainement il y a des ressemblances entre l’état d’inconscience dans l’Expérience de Mort Imminente et le coma durant la cure de Sakel » (Rumen p. 11 et 14).

                                    Cette longue description des « purs processus inconscients » ne sera pas nécessairement convaincante parce qu’elle est trop résumée d’une part et qu’elle nécessite une expérience vécue d’autre part. Mais le psychothérapeute expérimenté s’y retrouvera. Pour notre part, il ne nous reste qu’à évoquer que l’ensemble de ces conceptions ne nous est venu qu’après une vingtaine d’années de pratique et de réflexion, que l’association des purs processus et de l’inconscient a été bouleversante, et qu’il a encore fallu penser au mot « constituant » pour donner toute la valeur à ces processus.

                                    Si déjà on prend le risque de dé-structurer, de purifier des structures rigides, encore faut-il relayer par autre chose : ces processus « constituent » le sujet par l’intérieur, de façon dynamique, authentique, en énergie, en esprit, en amour. Les analystes le savent. C’est l’avènement du sujet, c’est l’individuation. Il reste à rappeler que cet accès aux processus se fait par différents moyens, par des pratiques plurielles, dans des cadres thérapeutiques multiples, mais qu’il reste privilégié en analyse où la longue durée évite de plaquer des structures de remplacement (intellectuelles, relationnelles, new age, sectaires même) et laisse le temps au temps, le temps de la constitution personnelle » (Meyer 2008).

                                    Voici une partie de cette intégration théorique autour des processus inconscients. Certes, sorti du contexte, cet extrait n’est pas immédiatement compréhensible. Mais je tenais à montrer que le « paradigme holanthropique » qui découle de cette épistémologie intégrative concerne tout le champ de la psychothérapie et tout le champ de la psychopathologie – ici du côté des psychoses aiguës.

                                    En effet, la définition très précise des trois étapes du processus inconscient permet la constitution d’un modèle « ontologique », à côté des autres modèles : ontogénétique, ontothérapeutique et ontopathologique. Nous préférons la référence à l’être global (ons, ontos) plutôt qu’au seul aspect psycho- de l’être. 

                                     

                                    • Psychothérapeute en démarche intégrative versus nouveau système psychothérapique

                                    •  Le troisième principe de l’approche méthodologique et épistémologique de l’intégration postule que cela se passe au niveau de chaque thérapeute et non pas avec une 704ème méthode. En effet, les propositions faites ici s’adressent à chaque professionnel qui, au vu du foisonnement et des convergences des méthodes, s’intéresse à l’étape ultime de l’intégration. Elles le guident dans la gestion de la pluralité et dans l’accès à la globalisation. Mais c’est lui seul qui intègre, qui est « à » l’intégration, sans jamais espérer, ni risquer, arriver à un résultat définitif et figé. Il est en démarche, il continue son analyse didactique, en recherche, en devenir, en évolution. Il s’intéresse aux nouveautés de plus en plus nombreuses, les déconstruit en leurs facteurs organisateurs et évalue s’il reste une case vide où ça manque. S’il l’intègre, l’ensemble « pluriglobal » et « holanthropique » se réorganise comme un kaléidoscope. S’il avance en âge ou s’intéresse à de nouveaux domaines de la pathologie, il réinvestit des acquis mis provisoirement de côté et en remise d’autres. Le thérapeute/analyste intégratif ne sera pas choqué par les nouvelles modes, ni étonné ; il avisera avec intérêt.

                                      Quant à la relation avec les autres professionnels, elle sera d’abord de partage d’une démarche analogue avant d’être acquisition ou transmission de contenus.

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