Introduction Le premier tome d’une nouvelle série de cinq livres a posé les fondements de l’intégration des méthodes psychothérapiques/psychanalytiques et des différentes théories (Meyer 2008). En quatre cent pages, s’est dévoilée la méthodologie qui fait converger les grands courants et les centaines de techniques, et s’est affirmée l’épistémologie qui va à la base des théories. Il en résulte une démarche, une approche, pluriglobale et pléni-intégrative, qui n’est chaque fois que personnelle, individuelle. Il ne s’agit pas de créer de nouvelles méthodes ou théories mais de permettre à chaque thérapeute/analyste de connecter thérapies et théories. Le chapitre quatre de ce deuxième tome synthétise cette première étape praxique et noétique. Pour ce deuxième tome, le sujet s’impose de lui-même, à savoir la clinique et les psychopathologies. En effet elles constituent le cœur même et le but des pratiques et savoirs. Il peut y avoir clinique en l’absence de technique ou de théorie, mais pas l’inverse : dès qu’il y a pratique, l’effet clinique est là. Ça peut découler d’un subtil feeling, ça peut résulter d’une parfaite reliance et guérir, et faire grandir. On va même apprendre chez ces praticiens-là, tel Milton Erickson. Mais tout comme il faut au minimum un canal de communication et une relation réelle entre les protagonistes pour faire thérapie, il faut aussi une psychopathologie, même si elle reste implicite, non dite. La clinique est l’effet de cette rencontre thérapeutique chaque fois unique et originale, personnelle et confidentielle. La clinique ne se transmet donc que personnellement, directement. Ainsi recommande-t-on aux élèves psychothérapeutes d’apprendre auprès de plusieurs maîtres. La clinique est un processus interrelationnel. La psychopathologie, elle, au contraire, est une théorie. Il y a donc des psychopathologies. Nous en évoquerons deux douzaines au moins dans l’historique des psychopathologies. Il y en a même tellement que la dernière en date, celle des DSM et CIM, se veut a-théorique : « stop, on n’en sait pas tant que ça, repos, reconnaissons notre ignorance, recommençons juste à… décrire et à nous mettre d’accord sur ces observations ». La profession est sage et honnête. Mais voilà bien un premier souci : comment connecter l’unicité du temps clinique et la généralité du savoir pathique ? Car elles interagissent évidemment, elles sont complémentaires sinon symbiotiques. Clinique et psychopathologie vont de pair tout comme la technique et sa théorie. Eh bien, nous proposerons plus loin un modèle qui fera lien entre ces deux extrêmes, un modèle topographique qui se construit sur les généralités et inscrit les singularités, le modèle structuro-fonctionnel. Il va de soi que clinique et psychopathologies seront développées concomitamment, en interaction, ensemble, le savoir venant structurer l’action et la clinique fécondant le savoir. Puis vient un second souci : il y en a de trop, d’attitudes thérapeutiques, d’ambiances cliniques, de théories pathologiques, de systèmes scolastiques. Nous n’en sommes pas aux sept cents méthodes évoquées dans le tome I, et pourtant. Des approches cliniques, il y en a même plus. Des psychopathologies, quelques douzaines, et qui s’affrontent, et qui exacerbent leurs différences, officiellement du moins. Notre réponse à cette pluralité sera intégrative comme l’est toute notre œuvre, comme nous l’avons inauguré dans le premier tome. Nous faisons jouer le « postulat structuraliste de pluriglobalité » qui dit ceci : lorsqu’une dimension de l’être est (presque) totalement abordée par un ensemble de descriptions partielles, la somme de ces parties constitue une nouvelle entité, une structure, qui recèle des caractéristiques nouvelles à même d’enrichir l’ensemble et chacune des parties. Nous définirons donc de telles dimensions (presque) totalement décrites, à savoir, ici, dans ce tome II :
Nous les constituerons en structures et en tirerons des enseignements nouveaux, des enseignements généraux valables (presque) universellement. C’est ainsi que nous approfondirons dans la quatrième partie de ce livre l’ensemble – oh combien d’actualité – des troubles de la personnalité et ferons de ses treize formes (plus deux) répertoriées dans les DSM IV et CIM IO une structure globale qui jettera des lumières étonnantes et sur la personne saine définie par treize facettes et sur la personne troublée par treize handicaps. A treize – et sans superstition – les facettes et leurs handicaps diront quelque chose de global de l’être, de son art de vivre et de sa thérapie éventuelle. Voilà une première réponse à ce deuxième souci : transformer la pluralité en pluri-globalité, en passant par la structure. Car l’intégration n’est pas une fin en soi. Elle n’est que moyen : dépasser le foisonnement des attitudes et théories pour en tirer le meilleur. Et le meilleur passe par le bon couplage méthode thérapeutique-pathologie. En médecine, il s’agit de « l’indication » : quel traitement pour quelle maladie ? Nous avons fait de ce couplage le cœur de notre démarche intégrative dans le tome I : puisque nous disposons de plusieurs méthodes, et des meilleures, il faut encore poser les utilisations adéquates. Là-bas, cela passe par la mise en évidence des « facteurs organisateurs » (canal de communication, cadre, durée, attitude…). Ici, l’intégration des psychopathologies nous permettra la même déconstruction en leurs éléments de base que nous appelons « paramètres diagnostics » (polarité, temporalité, gravité, fonctionnalité…). Le couplage ne se fera donc pas comme « usuellement », d’emblée, entre une méthode et une pathologie. Il se fera, entre facteurs organisateurs et paramètres diagnostics, comme par exemple de façon très générale : Tableau 1 : le couplage facteurs organisateurs – paramètres diagnostics Voilà les deux premiers buts de l’intégration :
Il s’agit de théories, nous l’avons déjà dit. Et ces théories concernent l’être humain, à travers ses pathologies dites mentales. Et comme la psychopathologie est en continuité avec le fonctionnement normal, nous avons là un véritable art de vivre, en creux, en négatif. Il importe donc de nous appesantir sur un historique d’abord, sur un inventaire ensuite. L’historique des théories psychopathologiques remonte évidemment à Hippocrate et Galien et nous montre une description quasi médicale, biophysiologique, avec inscription dans le contexte culturel. Nous sommes d’emblée dans la globalité psycho-, socio- et somato- telle que les sagesses grecque et latine la développaient. C’est l’emprise du christianisme qui nous montre les distorsions que le religieux peut provoquer même à la maladie : elle l’impute au péché, à la possession, à la sorcellerie et soigne par l’exil et le bûcher, avant d’ouvrir des foyers d’hébergement. Le politique, les Lumières puis les sciences remettent un peu d’objectivité dans la psychopathologie. La philosophie s’en mêle, suscitant des approches phénoménologique, existentielle, structuraliste. Cela montre bien la globalité de notre domaine d’étude, humain, ontique. Les grands pays ont aussi promu leurs produits nationaux jusqu’à ce que leurs contradictions les amènent à la globalisation… a-théorique. Ce survol historique pourra dépayser à force d’accumuler les théories ; il pourra même évoquer le morcellement psychotique ! D’autant plus que nous allongerons la liste des évocations de théories du coté des principaux psychothérapeutes. Nous rencontrerons les pathologies « bizarres » avec Mesmer, la psychasthénie avec Janet, la criminologie avec Adler, sans oublier les psychonévroses de Freud. C’était à cent et deux cents ans d’aujourd’hui. (Nous fêtons le cent cinquantième anniversaire de Janet en 2009 après celui de Freud en 2006). La psychothérapie occupe une place de plus en plus grande dans la recherche psychopathologique puisqu’elle propose la vérification de ses théories par la guérison (éventuelle). Aussi compléterons-nous la présentation des psychopathologies par deux inventaires détaillés, chronologiquement marqués, l’un en 1985, insistant sur les apports des pratiques psychocorporelles et humanistes, l’autre en 2008, synthétisant et développant la démarche intégrative telle qu’elle figure dans le premier tome de cette œuvre. Ce parcours à travers deux mille cinq cents ans de traitement de la maladie psy- nous donnera envie… d’intégrer, mais sans simplifier pour autant, bien au contraire.
Le contexte politique, culturel, religieux et scientifique intervient dans l’établissement d’une psychopathologie. Il fait aussi bouger l’humain et ses maladies. Voilà deux raisons pour postuler du neuf. Il y en a une troisième, c’est l’évolution des traitements et là nous proposons du nouveau avec le traitement pluri-global, psycho- socio- et somato-. C’est ce que cette deuxième partie de ce tome II illustre longuement avec une douzaine de cas cliniques bien développés. Nouvelles pratiques, nouvelle clinique, nouveau regard sur la psychopathologie. Les cas référencés ont été l’objet de cures à la fois individuelle et groupale, verbale et corporelle. Les cures ont duré de longues années et ont été suivies par des observations catamnéstiques sur plusieurs années aussi. Et nous livrons ces observations, même celles qui ne sont pas très bonnes. Les hommes et femmes décrits présentent les pathologies classiques et graves :
Le cas Marjolaine est détaillé sur une cinquantaine de pages, documenté et systématisé que les psychanalyses de Freud. Fabienne et Monique sont au cœur d’une thèse de médecine, éditée en livre. On pourrait se perdre dans ces histoires personnelles. On pourrait s’égarer dans la complexité de ces traitements. Mais c’est là précisément que vient la nouveauté. Ces descriptions cliniques ne sont pas seulement poignantes, elles sont parfaitement didactiques. En effet, bien avant de systématiser les « paramètres diagnostics », je faisais déjà ressortir de ces tableaux des concepts plus généraux :
Ces cas cliniques sont à la base de notre élaboration ontopathologique et serviront d’illustration sinon d’argumentation pour nos nouvelles propositions. En fait, les cas uniques ne prouvent rien, ils illustrent seulement. Mais on développe de plus en plus la recherche à partir des cas uniques lui donnant une valeur scientifique, nous en témoignerons.
Le choix du préfixe grec ons (ontos) qui désigne l’être, et qui s’utilise surtout en philosophie et en métaphysique vient compléter un mouvement de plus de cent ans. Le préfixe psycho- est venu signifier que le seul organisme (soma) ne suffisait pas à évoquer l’humain. Puis tout est devenu psycho- (psychiatrie, psychologie, psychothérapie) bien que Freud, par exemple, utilisât le terme allemand Seele, l’âme. Une deuxième correction s’est faite avec le psycho-somatique. Mais on accepte aujourd’hui que toute médecine est psychosomatique et même psychosociosomatique ou biopsychosociale. Ce terme n’a donc plus de sens. Alors autant saluer le retour de l’approche globale de l’être par le préfixe onto-. Il ne s’agit pas de simple argutie. Le choix du mot évoque l’essentiel, à savoir cette globalisation qui est à l’être ce que la mondialisation est à l’humanité (et pas seulement à l’économie). Avec cette dernière partie, nous aborderons les apports originaux de notre œuvre, en quatre étapes. La première énonce les choix théoriques et les principes de base. Nous posons clairement nos références :
Nous proposons aussi nos exigences éthiques :
Enfin nous construirons l’outil épistémologique principal avec le « postulat structuraliste de pluriglobalité », sans oublier le continuum santé-pathologie, ethos-pathos. C’est la raison pour laquelle la deuxième étape s’appesantira encore sur un dernier préparatif, à savoir sur le modèle ontodynamique : comment fonctionne l’être humain en bonne santé ? Voilà un quart de siècle que je forme des psychothérapeutes et des somatothérapeutes en quatre à cinq années. Et j’en suis au millième de ces professionnels formés. Eh bien, ils m’offrent le spectacle même du développement de l’adulte à partir de la position sociale classique jusqu’à cette expansion de l’être qui réalise le futur thérapeute/analyste. Cette ontodynamique constitue le cœur de notre modèle dont l’ontopathologie n’est que la continuation : Tableau 2 : le modèle ontopathologique Les voici ces tableaux ontopathologique et ontodynamique qui seront explicités plus loin, livré en bloc et tout à trac. Toutes les grandes pathologies des adultes décrites dans les DSM et CIM s’y trouvent, positionnées selon les paramètres diagnostics évoqués ! Il y a de l’ordre dans l’univers et dans la vie :
Eh bien, les pathologies s’ordonnent elles aussi dans un ensemble, chacune à sa place…. C’est notre hypothèse de base. Et même si on me proposera – je l’espère – de déplacer telle ou telle maladie sur le tableau, l’ensemble restera structurellement valable. Mes élèves en sont les premiers témoins et bénéficiaires, n’apprenant plus par cœur les dix symptômes de la centaine de pathologies, n’attendant plus d’avoir l’expérience clinique de toutes ces entités… ça s’agence, ça s’intrique en une logique qui réalise déjà la moitié du travail d’apprentissage des psychopathologies et des cliniques. Le voici ce tableau qui sera documenté dans la troisième partie de livre. Tableau 3 : le modèle ontodynamique Mais notre souci n’est pas seulement pédagogique. Il se veut fondamentalement scientifique, fidèle aux principes des sciences humaines. Aussi faut-il développer une stricte méthodologie et énoncer les règles épistémologiques. Cette rigueur n’est pourtant pas austère. L’évocation des théories psychopathologiques des deux derniers millénaires et demi nous replonge dans l’histoire culturelle et les civilisations. Le point sur les psychothérapies des deux derniers siècles et demi est une utile histoire des écoles de thérapies/analyse. Quant aux cas cliniques que j’ai choisis graves et douloureux, ils nous entraînent au cœur même de l’humaine souffrance, dans le vif de la bagarre existentielle. La rigueur scientifique ne fait qu’enrichir cette humanité parce qu’elle la rend plausible, vraie, exemplaire.
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