INTERMEDE C’est le Sixième Congrès International de Psychothérapie Socio- et Somato-Analytique (Paris, mai 2006) qui a fondé la nouvelle étape pour l'intégration des psychothérapies. Il y avait 350 professionnels d'une dizaine de pays européens et africains.
Une nouvelle étape, mais de quoi ?
Intégrer les psychothérapies, qu'est-ce donc ? Une tentative d'information auprès de quelques journalistes nous a montré que le message passait difficilement. Nous n'avons pas insisté.
Intégrer les psychothérapies, les sociothérapies, les somatothérapies et même… les psychanalyses, est-ce seulement possible ?
Aller au-delà de la simple juxtaposition de quelques techniques, d’une recombinaison de quelques procédés et techniques en un nouveau et Xème système, ne pas arrêter son éclectisme aux seules méthodes politiquement correctes… est-ce seulement envisageable, souhaitable ?
Pourtant c'est ce qui se passe ici :
- puisque la profession reconnaît que 70 % de l'efficacité de la psychothérapie dépend de la personne du thérapeute, bien plus que de la méthode et de la théorie,
- puisque que 50 % des patients ne veulent qu'une thérapie courte et que 15 % seulement persévèrent jusqu'à l'analyse longue,
- puisque le ministère de la santé français a retenu le « courant intégratif » parmi les quatre courants préconisés,
l’intégration fait son chemin, comme le montrent ces trois réalités.
Mais il faut le tracer, ce chemin.
L'intégration des psychothérapies sera scientifique ou ne sera pas, à savoir méthodologique, épistémologique et expérientielle.
Ce n'est en rien pour refouler l'humanisme, le cœur et l'âme, qui font l'essentiel de notre pratique ! Bien au contraire, c'est pour les servir au mieux en leur donnant des fondements de sécurité et un cadre de contenance.
Nous proposons ici une méthodologie pour aborder les 500 (ou 700 ?) méthodes. Nous développons une épistémologie pour convoquer les grandes théories d'Ecole.
Et nous devons en déduire que cette tâche ne peut être qu’expérientielle et donc personnelle.
Ambition et modestie, comme le veut la science.
Mes deux thèses de doctorat m’ont préparé à cette rigueur scientifique : sur la rémanence d'action des psychotropes en médecine, sur la méthode structuraliste de Lévi-Strauss en ethnologie.
Mon parcours professionnel a profondément ancré le besoin de méthode : pratique professionnelle dans les deux centres psychiatriques universitaires de Strasbourg et Lausanne, fondation des techniques psycho-corporelles en somatothérapie et somatanalyse, formation de près de 1000 professionnels en Europe et Tunisie ; organisation d'une dizaine de congrès internationaux…
Dans un premier temps, il aura fallu différencier clairement les somatothérapies pour pouvoir les intégrer plus tard à la psychothérapie. Aujourd'hui toutes les principales méthodes et théories sont prêtes à ce travail d'intégration.
Nous proposons ici le complément scientifique de ce que le politique impose comme cadre professionnel. Les politiciens l'ont d'ailleurs compris puisqu'ils ont désigné « l’intégratif » comme quatrième courant à côté des trois classiques : cognitivo-comportemental, systémique et analytique. Résumons les trois dimensions de notre démarche :
- l’intégration des méthodes,
- l’intégration théorique,
- le psychothérapeute « à » l’intégration.
Le foisonnement des méthodes (à 500, 700 ?) est une richesse qui doit balayer la peur, il est une preuve de créativité et non pas de charlatanisme, à condition…d’intégrer !
Les causes de cette multiplication sont diverses, dans notre humanité plurielle, complexe, individualiste :
- mise à disposition de nouvelles dimensions, fonctions, modes de relation : corporelles, sexo-, spirituelles, transfert, etc…
- investissement de pathologies de plus en plus spécifiques : conjugo-, toxicomanies, PTSD etc.
- apports scientifiques : psychologie expérimentale, cognitive, neurosciences, linguistique etc.
- élargissement des indications à des demandes de plus en plus larges, « de confort »,
- reconnaissance de la créativité personnelle du thérapeute : l'intégration n'est pas un intégrisme !
Historique, en quatre temps :
1) éclectisme a minima : juxtaposition de trois à quatre méthodes,
2) recombinaison : synthétiser deux à trois méthodes en un nouveau système clos,
3) approche éclectique et intégrative : autour de processus partiels avec un choix de méthodes limité,
4) pleine intégration méthodologique, paradigmatique et personnelle, n’excluant aucune méthode a priori.
Les cinq facteurs organisateurs de toute méthode (f.o.)
sont un premier acquis qui permet de se limiter à un petit nombre de méthodes tout en réalisant un ensemble global et complet : la pratique pluriglobale :
1) le canal de communication : verbal, corporel, médiatisé,
2) le cadre de vie : groupal, duel, solo (conjugal, familial)
3) la durée de la thérapie :
· courte (de 8 à 12 séances)
· moyenne (de 6 à 20 mois)
· longue (plusieurs années),
4) l'attitude du thérapeute : directive, interactionnelle, analytique,
5) fonctions corporelles, procédés partiels, protocoles spécifiques.
Nous retiendrons surtout le troisième facteur, celui de la durée, et organisons ces trois temps en une cure séquentielle. Nous démarrons comme si elle s'arrêtait en durée courte, pouvons passer à un contrat de durée moyenne et s’y arrêter, ou encore basculer en analyse longue après bilan et entente mutuelle.
L'intégration méthodique débouche nécessairement sur une pratique pluri-globale et la cure séquentielle.
Le millier de praticiens formés montre que les trajectoires professionnelles après
formation « à » l'intégration se subdivisent en trois voies principales :
- formation initiale dans une méthode unique puis formation intégrative : privilège à la méthode d'origine, puis adjonction progressive de nouvelles méthodes et d'une pensée de la complexité ;
- formation initiale pluriglobale puis une spécialisation dans l'une des méthodes principales qui sécurise et qui est pratiquée de préférence ;
- formation initiale pluriglobale et pratique finale pluriglobale, créative, s'élargissant des séquences courtes aux durées moyennes et longues.
L'intérêt de l'intégration des méthodes permet de :
- aller au-delà du simple éclectisme de juxtaposition,
- accéder aux fondements de la construction d'une méthode
- affiner les indications, le couplage méthode- pathologie,
- construire les bases objectives, précises, pour la réflexion théorique, paradigmatique.
La guerre entre les Ecoles de psychothérapie est beaucoup plus féroce au niveau des théories qu'à celui des pratiques puisque la psychanalyse devient « brève », (18 mois) et même courte (3 à 20 séances pour J.A. Miller) et que le cognitivo-comportementalisme devient « moyen » (1 à 2 ans) surtout avec la « troisième vague », émotionnelle (J. Cottraux). Il nous faut donc une rigueur épistémologique et une clarté méthodologique d'autant plus fortes.
L'intégration des méthodes en pratique pluri-globale et en cure séquentielle nous assure de l'objectivité du lieu d'observation et donc de la clarté méthodique.
L’apport de la théorie des « types logiques » de B. Russell nous guide épistémologiquement : il n'est pas possible de traiter des autres théories d’Ecole à partir de sa propre théorie d'Ecole. Il faut aller méta -, au-delà, à un niveau véritablement paradigmatique. Pour nous, cela implique trois modèles fondamentaux : ontologique, ontogénétique, thérapeutique :
- le modèle ontologique doit comprendre les grandes dimensions de l’être, à savoir : cadres de vie, structures stables (cognitions, comportements, communications, traits) processus fonctionnels (bon, vrai, aimer) et processus inconscients ;
- le modèle ontogénétique propose les étapes du développement nécessaires à l'analyse d'une histoire de vie ; pour distinguer ces étapes, nous devons nous référer au critère le plus prégnant et le plus pertinent pour la psychothérapie, à savoir au critère relationnel ; en effet, c'est au niveau des relations humaines (et environnementales) que se joue prioritairement santé, pathologie et guérison ; chacune des six étapes retenues se subdivise en une phase de « stabilité structurelle » et une phase de transition « catastrophique » (théorie du chaos de René Thom) ; la vie étant auto-organisatrice, elle se développe selon le principe complexification / plénarité :
- le processus thérapeutique fondamental répète le modèle de développement : il recherche l'unification des composantes pertinentes dans la situation donnée jusqu'à la connexion globale (et l’élimination des fonctions non pertinentes à la situation) en une « expérience plénière » aussi jubilatoire que le stade du miroir.
Voilà la moitié du chemin de cette intégration théorique. Il reste à la valider en montrant qu'elle n'exclut aucune des grandes théories d’Ecole bien élaborée, qu'elle permet de situer leurs champs de pertinence particuliers et les… enrichit à partir de cette re- contextualisation.
Notre position, que seul chaque professionnel réalise l'intégration, personnellement et de façon personnalisée, découle d'une observation très simple : aussi longtemps qu'on ne respecte pas la pleine intégration (méthodologique et paradigmatique), on ne fait que construire un nouveau système qui s'ajoute au foisonnement des méthodes - certes heureux - et on laisse croire que l'intégration n'est, au fond, pas vraiment possible, même si ces nouveaux systèmes représentent des avancées pour la pratique plurielle et le penser complexe. Il faut donc aller jusqu'au bout… et prôner que seul chaque professionnel est « à » l'intégration.
Il s'agit d'une quête, d'une démarche et d’une réalisation à jamais évolutive,toujours à construire et perfectionner. La rencontre et les échanges des passionnés de l'intégration se fera autour d'une recherche et non d'un résultat, autour d'un cheminement et non de l'arrivée ! Quatre points méritent d'être soulignés à ce sujet :
- la nécessité de la subversion, ou déconstruction, des systèmes monolithiques, en acceptant par exemple ce que les historiens impartiaux dévoilent sur nos principaux maîtres, tel Freud, ou en examinant de plus près la prétention à scientificité absolue de certaines thérapies courtes ; mais c'est l'expérience personnelle directe de ces méthodes dans un cadre intégratif qui permet de subvertir réellement ce qui en est annoncé de superfétatoire ;
- le développement des éléments nouveaux, en particulier de la cure séquentielle ;
- le couplage méthode / pathologie et l’accordage praticien / patient, au-delà de toute préconisation d’Ecole ;
- la méthodologie pour accueillir les nouvelles techniques et théories ; en effet il s'en crée tout le temps et si quelqu'un arrive à les protocoler et conceptualiser de façon intéressante, nous avons à les scruter ; il s'agit aussi d'une mise en question de notre démarche personnelle : arrive-t-elle à intégrer l'intrus ou est-elle mise en défaut par la nouveauté ?
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