Pysch'Inté

Table des matières

L’INTEGRATION THEORIQUE : Le paradigme holanthropique et ses quatre modèles : Ontologique, Ontogénétique, Ontopathologique, Ontothérapeutique.

  • Chapitre 9 : Une nouvelle étape, scientifique, de la psychothérapie

  • Nous venons de voir que l’intégration des outils et procédés thérapeutiques impose une méthodologie stricte qui, basée sur les facteurs organisateurs, débouche sur une pratique pluri-globale comprenant un nombre minimum d’outils et procédés. Ces derniers sont choisis pour faire globalité, à savoir complexité, celle-là même du patient. Nous lui devons cela, au patient, et à nous aussi, thérapeutes. Avant tout éclectisme, il y a méthode.
                Pour les théories, il en va de même. Il y en a presque autant que de méthodes et elles sont trop souvent incompatibles. De plus le fonctionnement de l’esprit humain est tel qu’il ne peut concevoir tout, et ensemble. Il n’est pas possible d’additionner, d’accumuler, de multiréférencer indéfiniment... Ici, il faut recourir aux sciences et d’abord aux règles logiques.
                Il faut prendre du recul par rapport aux contenus - dont on sait qu’ils sont, au pire, également efficaces et, au mieux, complémentaires. Il faut se situer au-delà, méta !
                Que nous disent la science, l’épistémologie, la logique ?
                Que nous ne pouvons pas disposer des objets d’une catégorie donnée quand on est soi-même l’un des objets de cette catégorie. On ne peut pas être juge et parti. Je ne peux pas réfléchir sur les autres théories psychothérapiques à partir de ma propre théorie, sinon pour les rejeter ou les cannibaliser ! Voilà l’enseignement de Bertrand Russel avec sa règle des “types logiques”. Il faut aller au-delà, méta-, constituer une autre classe qui serait fondement pour les nombreux objets théoriques de la première classe.
     

    tableau 28

    Tableau 28 : le principe des types logiques de Bertrand Russell
     
    Voilà beaucoup d’ambition sinon de présomption. En fait, il s’agit d’autant d’abnégation et de modestie puisqu’il faut d’abord renoncer à son propre objet (pour nous c’est celui de la somatologie issue des somatanalyses) puis aux objets accrédités (métapsychologie freudienne, sciences cognitives et systémiques notamment). Il importe de créer les outils qui permettent d’aller au-delà et de respecter les règles logiques.... Pour arriver éventuellement à... l’intégration théorique escomptée !
                Nous ferons scientifique, autant que possible, expérientiel d’abord, méthodique ensuite, logique et épistémologique enfin. Nous ferons aussi simple et didactique en proposant deux sous-divisions à cette seconde partie :
    -          un cheminement personnel avec ses étapes intermédiaires et ses enseignements sur les théories psychothérapiques,
    -          un résultat sous forme paradigmatique avec les éléments de base d’une théorie véritablement intégrative.
     
    • UN ITINERAIRE : l’initiation aux règles de science

    • L’aridité des considérations précédentes ne doit pas nous faire oublier que nous sommes, ici, dans le domaine le plus humain qui soit, le plus subjectif, le plus personnalisé et individualisé, qui nous situe au plus “mou” de ces sciences dites molles que sont les sciences humaines.
                  Aussi me plaît-il de m’appuyer en partie sur mon cheminement personnel - bien humain - mais pour en tirer néanmoins les considérations générales sur la théorisation en psychothérapie. Ces préalables nous feront plus facilement sauter le pas méta, au delà.
       
       
      • Premier contact avec les méthodes et théories

      • Le contact avec la psychothérapie commence toujours par une, puis deux, parfois trois méthodes ou plus. Quand il s’agit de techniques avérées, une théorisation adéquate l’accompagne. C’est ainsi que j’ai reçu les enseignements multiples au CHU de Strasbourg (psychopathologie, psychanalyse) et à son équivalent lausannois (comportementalisme, systémisme, psychothérapie des psychoses, groupe-analyse). J’ai complété cet apprentissage par l’expérience personnelle, thérapeutique/analytique :
        psychanalyse (lacanienne),
        psychothérapie analytique de groupe (Selbsterfahrungsgruppe, en Allemagne voisine),
        New Identity Process (NIP) avec son créateur, Daniel Casriel, psychanalyste analysé par Abram Kardiner lui même directement analysé par Freud, ce qui me situe dans la troisième génération freudienne ! Le N.I.P. inclut le travail émotionnel jusqu’au cri et le contact jusqu’au bonding,
        le CHU de Strasbourg m’a formé à la relaxation de Schultz, à l’hypnose profonde, et m’a même proposé d’aller explorer la Konzentrative Bewegungstherapie (thérapie concentrative par le mouvement) chez nos mêmes voisins allemands.
         
                    Je n’ai probablement pas assez connecté avec chacune de ces méthodes, sans cela je me serais spécialisé dans l’une ou deux d’entre elles ! Quant aux théories, je les ai probablement tout aussi peu approfondies, sans cela j’en aurais été convaincu ! C’est cela le risque – et même le piège – de l’engagement total dans la première méthode rencontrée. On s’y identifie, elle devient consubstantielle, et toute prise de distance est difficile sinon impossible. C’est le reproche qu’on peut faire à ceux qui nous accusent en retour de… superficialité. In medio stat virtus. Toujours est-il que chacune de ces méthodes est bien ficelée et très sécurisante de par sa cohérence même. Mais, pour exister, elles doivent s’exclure mutuellement, sinon se faire la guerre ! Et les psychothérapeutes donnent ainsi un bien mauvais exemple à l’humanité.
         
        Enseignement : Toute psychothérapie commence d’abord comme pratique. Et comme nous sommes sapiens sapiens (et bientôt sudans, en sueur !), nous devons connecter du sens, de la pensée, qui débouchent immanquablement sur de la théorie. Toute pratique se complète d’explications : qu’est ce que je fais, pourquoi, comment ça marche, est-ce légitime, efficace, validé, comment cela se situe-t-il par rapport aux autres théories, par rapport aux sciences ?
                    Les accompagnements théoriques dérivent de constructions diverses (pragmatique, fonctionnelle, historique, circonstanciée, personnelle etc...). Ce qui nous intéresse, ici, c’est la congruence de la théorie avec la praxis d’origine et/ou son extension au-delà du champ d’observation initial. On peut distinguer :
         
        1) les théorisations congruantes avec la praxis :
        purement descriptives des techniques et de leurs effets,
        délimitant les indications privilégiées à partir des effets observés (plus ou moins statistiquement),
        rationnalisant un élément majeur (le cri primal fait accéder au “réel”),
        interprétant un contenu remarquable (l’hyperventilation fait contacter le vécu de naissance et baptiser la méthode comme “rebirth”) ;
        2) les théorisations progressivement généralisantes au-delà de cette congruence première:
        -   par emprunt à des théories voisines, (neuroscientifiques, orientales, psychanalytiques, etc...)
        -   par extrapolation à des champs certes voisins mais peu argumentés (le toucher haptonomique débouche sur la science de l’affectivité),
        -   par élargissement tout aussi peu valide des indications (la PNL soigne de plus en plus de pathologies).
                    Voilà pour les pratiques relativement systématisées. Viennent ensuite les combinaisons de techniques plus complexes.
         
        • Intégration de méthodes partielles et perte des repères théoriques

        • J’avais démarré un groupe de thérapie avec le très directif New Identity Process de Casriel mais les Français ne sont pas aussi complaisants que les Américains et je n’avais pas le même goût de la directivité que Casriel. Peu à peu cette méthode s’est transformée en un groupe analytique, non directif, sur le modèle de la groupe-analyse (Foulkes). Et si, dans la pratique, le contenu corporel s’est bien marié au setting analytique, comme nous l’avons vu avec la socio-somatanalyse, dans la théorie, plus rien ne collait !
                      J’avais aussi entrepris des psychanalyses sur le divan. Mais comme je n’appartenais à aucun réseau psychanalytique officiel, je n’avais pas le recrutement optimal. Et je me suis lassé puis j’ai arrêté après quelques années. Il aura fallu quelques années supplémentaires pour oser le nouveau cadre de la psycho-somatanalyse. Mais, dans la théorie, plus rien ne collait !
                      Pourtant, trouvant beaucoup de satisfaction à ces deux nouveaux cadres de travail et obtenant des résultats prometteurs (ne serait ce que par effet de nouveauté, par « catharsis de surprise » au début !) je me suis attelé à une recherche rigoureuse et logique que l’on peut systématiser (du moins dans l’après-coup) en trois étapes (plus une) :
          remettre les compteurs théoriques à zéro,
          créer des modèles intermédiaires entre pratique et théorie,
          rechercher des concordances ou falsifications,
          en attendant les évaluations statistiques de l’efficacité.
          Enseignement : Ces combinaisons de techniques en un protocole unique - parfois très simple comme le divan/fauteuil ou la famille avec glace sans tain- se développent en théorisations proliférantes, omniscientes et impérialistes quand les disciples s’en emparent. Nous avons évoqué la psychanalyse qui est devenue “le” paradigme, pour la psychiatrie française en tout cas. Et pourtant la naissance de nouvelles pratiques et d’autres théories - ainsi que la diminution de clientèle - montre clairement que la psychanalyse occupe un champ bien délimité - et de plus en plus réduit - de la psychothérapie, bien qu’elle s’élargisse à (quasi) toutes les indications comme les thérapies de famille et les cures “brèves”.
                      De même les thérapies familiales, devenues systémiques et stratégiques, s’imposent comme nouveau paradigme et partent à l’assaut de tout le marché de la thérapie. Il n’y a pourtant pas, chez elles, de protocole unique et central. Au contraire, une multitude d’équipes développent de nouvelles techniques et pensées relativement délimitées mais dont l’ensemble fait globalité. C’est ainsi que le système originaire, de la première cybernétique, qui s’est opposé à la psychanalyse, se complexifie en une deuxième cybernétique qui voit l’implication du thérapeute dans le système, évoquant le contre-transfert du psychanalyste, puis en un constructionisme social et cette “narration“ de Michael White qui renouvelle la “verbalisation” du divan. Partis de deux pôles opposés, ces deux courants se rejoignent autour des processus et théorisations principaux : famille/surmoi, transfert/affect, contre-transfert/implication du thérapeute, verbalisation/narration. Mais les deux courants font néanmoins systèmes et se concurrencent sur les mêmes champs... de clientèle.
           
           
          • Un protocole de recherche rigoureu

          • La perte des repères théoriques liés aux pratiques d’origine est évidente et doit être acceptée. Mais cela va loin jusqu’à interroger les grands principes, psychanalytiques en particulier : l’Oedipe, l’inconscient et autre pulsion de mort, par exemple. Un jour mon patron strasbourgeois m’entreprit sur ma thèse d’ethnologie et me demanda à brûle-pourpoint : «  Et le complexe d’Oedipe, qu’en faites-vous ? »  - «  C’est à discuter »  fût ma réponse naïve. Et ce fût aussi la dernière discussion théorique avec le regretté Kammerer ! Il fallait accepter et systématiser cette absence de théorie, y renoncer, retrouvant par là quelque chose comme le doute systématique de Descartes.
                        Il ne restait de solide qu’un cadre de travail strict, qu’un fantastique champ d’observation, véritable laboratoire expérimental que le protocole structurait rigoureusement, faisant référence pour ces vécus des plus nouveaux. Il y avait les règles éthiques et déontologiques comme garde-fou. Encore que l’entourage les mettait en doute, reprochant des «  passages à l’acte «  là où advenaient les «  mises en acte »  novatrices. Mais la véritable énergie des deux somatanalyses provenait de la relation émotionnelle et affective entre analysant et analyste et entre membres du groupe, ce fameux «  facteur non spécifique » reconnu à présent comme essentiel par toute la profession.
                        Il fallait donc observer, scruter, prendre du recul. Mais c’est justement cette distanciation que ces nouvelles méthodes veulent éviter, corrigeant, après Ferenczi et Reich, ce que Freud a institué en se cachant derrière le divan ! Il est vrai que l’émotion, l’énergétique, l’intime du lien, doivent se partager pour exister, doivent s’échanger pour « constituer » l’être. Après mes premiers week-end de socio-somatanalyse, j’étais tellement chamboulé – j’étais dans les processus, sinon dans les choux – que je ne pouvais même plus partager le film du dimanche soir avec ma famille. Et si les premiers repères théoriques ont tardé à en résulter, ils auront au moins été «  processuels », eux aussi, dynamiques, globaux, pléniers.
             
            Enseignement : Trois conditions préalables sont évoquées ici pour arriver à l’intégration théorique, au-delà, méta- :
            -   expérimenter de nouvelles combinaisons pratiques nécessairement plus complexes, prendre le temps de leur élaboration théorique et ne pas s’en contenter néanmoins comme nième théorie de la même catégorie logique ;
            -   se baser sur le seul laboratoire expérimental méta, à savoir la pratique pluri-globale constituée autour des “facteurs organisateurs” ;
            -   repartir dans le doute systématique ou, plus simplement, dans la suspension théorique jusqu’à ce que, d’étape en étape, du neuf advienne.
             
             
          • Modèles intermédiaires entre pratique et théorie

          •           Mes études d’anthropologie m’avaient sensibilisé à cette autre aberration qu’était l’opposition entre le fonctionnalisme (anglais) et le structuralisme (français) : comment pouvait-on insister sur l’un seulement des pôles de l’être, sur sa dynamique ou sur ses constantes ? Aussi me suis-je astreint, dès le départ, à être du côté de la complexité, à savoir «  structuro-fonctionnel ». C’est le titre de la modélisation que j’ai entreprise dès le début de la somatanalyse.
             
             
            • Le modèle structuro-fonctionnel

            • N’ayant plus de théorie, et n’en voulant pas à tout prix, sachant que les concepts sont réducteurs et enfermant, j’ai choisi les modèles topographiques comme premier degré de représentation. En effet, il n’est presque pas possible de passer directement de la clinique à la théorie sans retomber dans les concepts anciens ou dans ceux d’un système voisin, à moins de rester dans des descriptions purement phénoménologiques. Mais on peut modéliser… Voici le départ de ces incessants griffonnages qui ont produit, entre temps, plus de cent vingt schémas différents.
               
              Le modèle structuro-fonctionnel réintroduit le maillon manquant entre :
               
               
              Nous avons longuement présenté les schémas de base de ce modèle ci-dessus pour ne pas les reproduire ici. Nous pouvons observer que ce modèle structuro-fonctionnel est universel. Il ne concerne pas seulement la somatanalyse mais toute psychothérapie, même si chaque méthode n’occupe qu’une surface déterminée du territoire. Il concerne la vie humaine tout bonnement, ses structures et sa dynamique.
                          Il nous suffit de rappeler la fécondité de ce modèle qui a abouti au questionnaire EISARC Plé que nous revisitons rapidement.
               
               
              • Le modèle EISARC Plé

              • L’une des illustrations de cette universalité nous vient d’un auteur “intégratif” déjà cité, à savoir d’Arnold A. Lazarus dont la “thérapie multimodale : éclectisme méthodique” repose sur les mêmes six fonctions du modèle structuro-fonctionnel, comme nous l’avons déjà évoqué.
                 
                modèle structuro-fonctionnel
                 
                thérapie multimodale
                 
                 
                 
                 
                 
                 émotion
                (E)
                Affect
                (A)
                 intuition
                (I)
                Sensation
                (S)
                 sensation
                (S)
                Imagerie
                (I)
                 action
                (A)
                Cognition
                (C)
                 réflexion
                ( R )
                Comportement
                (B)
                 communication
                ( C )
                relation interpersonnelle
                (I)
                 
                 
                drug, medicaments
                (D)
                 
                 
                (en remettant le B au début, nous
                 
                 plénarisation
                (Plé)
                retrouvons le logo de Lazarus
                BASIC-ID
                 
                Tableau30 : concordances entre EISARC Plé et BASIC ID de Lazarus.
                           
                            Cette mise en rapport des deux approches enrichit le contenu de ces “modes” que les mots risquent d’appauvrir. Nous avons d’ailleurs proposé des termes plus techniques aux quatre fonctions internes :
                                        - intuition et imagerie = fonction psycho-associative,
                                        - sensation = fonction viscéro-sensitive,
                                        - réflexion et cognition = fonction psycho-dissociative,
                                        - action et comportement = fonction musculo-tensionnelle.
                                        - P = plénarité et plénitude, à savoir l’intégration des 6 fonctions.
                            Une autre illustration de l’universalité et de la fécondité du modèle provient de sa pertinence dans mon deuxième travail de doctorat en sociologie et ethnologie.
                 
                 
                • L’analyse structuro-fonctionnelle du mythe dogon

                • Ce n’est pas par hasard que ce modèle a coïncidé avec la conclusion de ma thèse d’anthropologie sur le mythe Dogon (peuple du Mali, Afrique). Ce mythe situe évidemment dieu et l’homme, l’individu et la société. Voici, pour complément d’information, cette rencontre du mythe et de la psychologie, au niveau formel, structurel.
                   
                  Le modèle du mythe se complète et se compare très simplement au modèle structuro- fonctionnel :
                  -         le pôle du haut, Amma, est le pôle psychologique,
                  -         le pôle du bas, des humains, est le pôle somatologique,
                  -         le pôle de gauche, Ogoéen, est le pôle essensiel,
                  -         le pôle de droite, Nommoéen, est le pôle attensionnel.
                   
                  Le mouvement va très nettement de gauche à droite,    d'Ogo    à    Nommo,    de    la    solitude pulsionnelle   à   la   gemelléité   institutionnelle. Mais   il   n'y   a   pas   pour   autant   rejet   ni condamnation    d'Ogo,    il    y    a    seulement distribution    des    rôles    et    insistance    sur l'indispensable travail d'attensionalisation pour intégrer Ogo, l'individu, au groupe social. Il n'y a pas de manichéisme relégant la sexualité à gauche   par   exemple.   Ici,   elle   est   partout. L'homme   doit réaliser toutes ses fonctions potentielles.
                  Ainsi,     nos    processus    vitaux    les    plus fondamentaux sont des processus... divins. Nous sommes Amma, Ogo et Nommo, et Homme tout à la fois. Quand une personne découvre enfin qu'elle est dieu, qu'elle participe de dieu, en Orient on la félicite mais en Occident, on l'enferme.
                   

                  schéma 32

                  Schéma 32 : concordances entre la structure du mythe dogon et le modèle structuro-fonctionnel

                   

                   

                  • Le théorème de l’hum’un

                  • Nous sommes toujours encore dans «  l’agencement du multiple ». Un jour, il a quand même fallu se résoudre à identifier les principaux paramètres qui informent notre modèle. Ils sont au nombre de quatre, auxquels j’ai ajouté un cinquième par après :
                    -    l’unité de l’être,
                    -    la polarité maîtrise-jouissance,
                    -    les trois positions de vie : groupe, couple, solo,
                    -    les six étapes du développement relationnel,
                    -    les principales fonctions de l’être.
                     
                                Ces cinq paramètres sont à la fois nécessaires et suffisants pour définir anthropos. Me souvenant du pont aux ânes (le théorème de Pythagore), j’ai appelé cet ensemble : le théorème de l’humain ou l’hum’un trois six deux (auquel j’ai ajouté le dix-huit). A ce propos, une recension d’un de mes livres m’a renvoyé au Président Schreber et à sa paranoïa chiffrée (une des cinq psychanalyses de Freud) ! Nous sommes de nouveau dans le multiple, et dans les concepts réducteurs. Mais ils permettent de travailler, d’observer, d’abstraire, de connecter avec les pathologies notamment. Voici quelques exemples :
                    -    le un, l’unité, soi : le patient arrive-t-il à être là, pleinement là, juste là ?
                    -    le deux, la polarité maîtrise- jouissance : en rebirth, le patient entre-t-il en tétanie par excès de maîtrise ? Ou peut-il s’engager jusqu’à l’intime du lien grâce à sa flexibilité fonctionnelle?
                    -    le trois : groupe, couple, solo : dans quel cadre de vie le patient excelle-t-il, échoue-t-il?
                    -    le six, les étapes de l’ontogenèse : dans quelle étape de vie s’inscrit l’origine de sa pathologie ?
                    -    le dix-huit, les fonctions différenciées : dans quelle fonction s’inscrit prioritairement la pathologie du patient ou son excellence ?
                     
                                Pour mes élèves, les deux critères les plus prisés du théorème auront été le trois (les trois cadres de vie, normalement séparés et connectés) et le six (le six étapes du développement, en particulier les trois dernières étapes, de l’adulte, qui sont rarement envisagées dans les théories psychothérapiques).
                                Quatre de ces paramètres se laissent agencer en un schéma (auquel manque la polarité maîtrise-jouissance).
                     

                    schéma 33

                    Schéma 33 : Les étapes du développement ontogénétique

                    Précisons encore le sens du dix-huit de la différenciation des fonctions particulières : nous avons retenu les 18 fonctions les plus importantes parmi les trois douzaines de “modes” qui constituent l’être humain : chacune de ces fonctions se différencie en se développant, (en hyper- hypo- ou dys- fonctionnement) à un moment relativement précis de la vie et présente alors une “période de sensibilité” particulière qui en fait le lieu d’impact privilégié des événements de vie marquants (paroxystiques, traumatiques ou pléniers). Ainsi, le divorce traumatisant des parents a beaucoup de chance de provoquer :
                    -     des troubles de la propreté chez l’enfant de 2 ans,
                    -     une dyslexie chez l’enfant de 6 ans,
                    -     une dyscalculie chez l’enfant de 9 ans,
                    -     des troubles sexuels chez l’adolescent de 14 ans, par exemple.
                     
                                Avec ces modèles intermédiaires, nous sommes toujours encore dans le multiple, à la recherche d’agencements astucieux : topographique, mythologique, en théorème. Ils permettent de travailler. Ils nous ont redonné des repères suffisants pour soigner, former des thérapeutes /analystes, écrire et nous produire. Mais ils ne constituent pas encore l’intégration théorique. La distance entre la clinique et sa compréhension restait trop grande. Et la complication prenait le pas sur la complexité.
                     
                    Enseignement : L’utilisation d’illustrations schématiques est fréquente en psychothérapie. Freud avait dessiné les première et deuxième topiques. Ça reste, ici, des illustrations qui n’ajoutent que la visualisation. D’autres auteurs recourent aux modèles mathématiques, géométriques, topologiques comme Lacan. Là, le modèle possède aussi une dynamique propre qui vient enrichir le concept humaniste. C’est ce que j’ai fait moi-même avec le modèle topographique appelé structuro-fonctionnel. C’est le modèle lui-même qui m’a suggéré de nouveaux développements comme je le décris dans les textes correspondants (Meyer 1995 et 1998). Ce modèle est basique, méta-, puisqu’il représente le setting même de toute thérapie, quelle qu’elle soit, et même la situation de l’humain dans son contexte tout universellement. C’est pourquoi ce modèle est pertinent pour tous les domaines humains comme le montre sa correspondance avec la structure du mythe (dogon d’abord, universel ensuite). 
                    N’oublions pas que tout le courant systémique se nourrit des analogies avec l’ordinateur et ses première et deuxième cybernétiques, mais pour s’en libérer de nouveau avec le constructionisme et la narration. On a beaucoup critiqué ce recours aux sciences dures, confer la facétie de Sokal ! Il faut évidemment reconnaître clairement les limites de ces analogies et les référer incessamment aux réalités cliniques. Voilà l’aspect le plus « dur » de ces références transdisciplinaires. Il y a également transversalité avec les humanistes, comme avec l’ethnologie, mais aussi avec l’éthologie (Harvey, Cyrulnik) l’anthropologie (Freud), la philosophie (Janet, Reich et Bergson), la pensée orientale, sans parler de la psychologie expérimentale (pour le cognitivisme et le comportementalisme) et des neurosciences (comme nous le ferons avec Edelman, ci-après). Le recours à toutes ces sciences annexes n’apporte pas la réponse mais oblige à prendre du recul et à introduire une rigueur méthodologique et logique dans notre domaine si « mou ».
                     
                     
                  • La véritable intégration théorique Le paradigme holanthropique

                  • Après le doute systématique et le renoncement aux théories venues d’ailleurs, après le recul anthropologique, après une complication gênante à force de complétude, s’impose un nouveau cahier de charges :
                    -    rendre justice à la pratique pluriglobale,
                    -    rester au plus près de la thérapie/analyse, de ses techniques, méthodes, procédés et cadres,
                    -    simplifier l’ensemble, comme l’est le vécu du moment présent,
                    -    devenir un lieu d’accueil pour (presque) toutes les théories existantes (et à venir),
                    -    s’ouvrir à la vérification scientifique que constitue la falsification.
                    Les réponses partielles sont venues l’une après l’autre, puis la réponse globale, sous la forme du « paradigme holanthropique ». Holanthropique, nous le sommes assurément. Paradigmatique, au sens de Thomas Kuhn, l’avenir nous le dira !
                     
                     
                    • Les purs processus inconscients

                    • La première réponse est celle qui concerne l’inconscient. Je me rappelle avoir fait une conférence aux psychologues de Nancy, il y a plus de vingt ans, et m’être fait    interpeller : «Vous n’avez pas prononcé une seule fois le mot inconscient ». C’était vrai. J’étais très gêné quant à ce concept fondamental pour l’analyse, sans en nier la réalité évidemment. Eh bien, la réponse est venue, de là où on ne l’attendait pas, des pratiques centrées sur les états de conscience comme le rebirth et la Présence Juste. Quant au finish, il s’est fait avec l’EMI, la dite Expérience de Mort Imminente. Le nouveau concept de «pur processus inconscient »  n’englobe pas seulement les deux inconscients déclarés, ceux de Freud et de Jung, mais élargit leur réalité aux vécus et acquis de nombre d’autres pratiques.
                                  Les purs processus («purs»  de structure) ne sont pas seulement les ressources fondamentales que nous allons chercher dans les cures longues, mais aussi les limites qui balisent la thérapie courte et même la cure moyenne. Cet acquis achève de fonder les deux somatanalyses en freudisme et jungisme en attendant d’initier une « psychanalyse plénière ».
                       
                      Enseignement : Autant nous avons énuméré longuement les méthodes de thérapie courte (somatothérapies) et leurs procédés (des-amalgamage, re-connexion, dé-blocage). Autant il faut fonder les cures longues, analytiques, en leur cœur même, en leurs processus inconscients. Mais fallait-il pour autant tourner plus de vingt ans autour de « l’inconscient »  parce qu’il a été transformé en une entité, en un substantif (et mis à toutes les sauces) ? Fallait-il sacrifier une carrière universitaire (chez Kammerer) et une conférence (à Nancy) pour la même raison ? Ça s’est fait, tout simplement. Ça a résisté, ça s’est imposé, pour déboucher sur quelque chose de plus juste et de plus fondamental comme nous le verrons plus loin. C’est le prix à payer pour passer au niveau méta-.
                       
                       
                      • Le modèle ontologique

                      • Ce premier acquis a permis de constituer le modèle ontologique auquel je travaillais depuis longtemps. Il transforme l’énumération qui préside au théorème de l’humain en un ensemble simple parfaitement coordonné et interconnecté dont les applications pratiques sont multiples et au plus près de la thérapie, éclairant :
                        -    les lieux d’impact des trois durées de la cure : courte, focale et analytique,
                        -    les étapes du cheminement vers les purs processus, l’évolution du transfert et le déroulement de la dynamique de groupe,
                        -    l’ontogenèse,
                        -    le principe complexification/plénarité, notamment.
                         
                         
                        Enseignement : Il est à la page 266, ce fameux schéma. Il devrait parler de lui-même, même sans légende. Il a une certaine esthétique à être symétrique (un quadrilatère avec quatre ensembles comprenant chacun trois sous-ensembles…) et dynamique (par l’extérieur et l’intérieur). L’esthétique est un critère de scientificité parce que la vie fait des choses simples et belles, belles par leur simplicité, tout en hébergeant la complexité. Il est fécond, comme la vie, autopoïétique. Il recèle tous les points évoqués ci-dessus et d’autres à venir. Il est donc méta, à un autre niveau ; il n’entre pas en concurrence avec d’autres théories mais les invite, au contraire, à s’y situer. Simple, esthétique, fécond, accueillant… il peut se prêter à l’intégration théorique.
                         
                        • Le processus thérapeutique de base : plénier

                        • La pluralité des pratiques et la complexité théorique doivent nécessairement déboucher quelque part où il y a l’un, l’unité, l’unification. Et cette base commune ne peut être que le processus thérapeutique/analytique. Nous l’avons appelé « expérience plénière », et sa répétition débouche sur la « pleine présence ».  Il s’agit d’un vécu immédiat et complexe. Il n’y aura ni argumentation ni preuve, mais seulement phénoménologie et recherche de concordances :
                          -    auprès de Csikszentmihalyi, Stern, Veldman, qui ont des concepts analogues,
                          -    auprès d’Edelman, neuroscientifique, et de sa théorie générale du cerveau,
                          -    dans l’expérience fondatrice des psychothérapeutes en formation,
                          -    à travers l’inscription des méthodes particulières que nous avons évoquées tout du long de ce texte.
                                      La reconnaissance de ce moment plénier comme moment thérapeutique s’est faite par observation et expérience. Elle s’est imposée. Puis il aura fallu trouver des concordances. Nous en citerons ci-après. Mais cela ne prouve rien en soi. Nous ne courrons pas plus après les arguments définitifs… Et pourtant, méthodologiquement et scientifiquement, il faut un tel processus fondamental et commun. La définition même de la psychothérapie le postule et le revendique. Il y a de l’un dans ce moment de re-vitalisation comme dans la vie elle-même. Il est commun, méta-, présent dans toutes les méthodes, toutes les théories, dans chaque cure. La science psychothérapique le veut. La méthodologie intégrative y amène.
                                      L’ensemble de ces quatre thèmes fondamentaux (l’ontogenèse, l’inconscient, l’ontologie, le processus thérapeutique) est nécessaire mais aussi suffisant pour constituer un véritable paradigme. En effet, il cumule :
                          -    les références de base de l’être,
                          -    les particularités de “la” et des psychothérapies,
                          -    l’unicité de la clinique.
                                      Il ne reste qu’à s’engager avec curiosité et courage dans cette démonstration qui nous proposera trois chapitres avec les thèmes annoncés :
                          -     l’ontogenèse avec ses six étapes de vie,
                          -     l’ontologie avec insistance sur les purs processus inconscients,
                          -     l’ontothérapie avec l’expérience plénière comme processus thérapeutique.
                           
                      • Chapitre 10 : Le modèle ontogénétique

                      • La topique développementale
                        et les six étapes de vie
                         
                        Que l'espèce humaine soit issue d'un long développement est maintenant une évidence mais ce n'est que depuis peu, depuis Charles Darwin, qu'on l'appelle phylogenèse. Que chaque être humain soit en développement est une autre évidence, c'est ce qu'on appelle ontogenèse. Mais que ce développement ne s'arrête pas à la fin de l'adolescence, est moins évident et ce sera l'un des apports de ce texte de situer les étapes de la vie jusqu'au grand âge sans oublier la mort comme étape à elle seule. L'on ne discutera donc pas de l'existence du développement de l'être humain, on ne fera que jeter un nouveau regard sur lui, un regard qui observe un long et lent processus de complexification. Avancer en âge, c'est devenir plus complexe. Pour d'aucuns, cette complexité nouvelle est d'abord une complication, une adjonction de fonctions supplémentaires, de règles de fonctionnement multipliées, de responsabilités en plus. Il s'agit de nouveautés à programmer, de contraintes à gérer, jusqu'au stress. Pour les autres, ces adjonctions sont un enrichissement. En fait, elles sont les deux à la fois lorsqu'elles suivent le circuit complet de l'assimilation (adaptation du sujet aux nouveautés) et de l'accommodation (adaptation des nouveautés au sujet) comme le propose Jean Piaget. Cette complexification s'appelle ailleurs hominisation, socialisation, humanisation. Chez les Dogons du Mali, le nouveau-né n'est pas encore homme ou humain quand il sort du ventre maternel, il ne le devient que vers le huitième jour avec la dation du nom par le groupe social : l'humanisation est aussi une socialisation.
                        Entendons-nous bien : chaque étape du développement est autant une épreuve qu'une nécessité. Voilà le paradoxe. Pour nous qui situerons la mère, puis la famille, puis le groupe social, au départ d'autant d'étapes de vie, le paradoxe est criant : la mère est une épreuve pour le nouveau-né stabilisé dans sa bulle primitive, la famille est une épreuve pour le nourrisson structuré dans la matrice fusionnelle, et ainsi de suite. Ailleurs on parle de castration pour évoquer l'épreuve de chaque nouvelle étape. Pour la psychanalyse, le passage de la matrice fusionnelle à la dynamique de socialisation familiale est une castration, une ablation. Pour Françoise Dolto, il faut même que les parents « donnent la castration » aux différentes étapes du développement de l'enfant. Nous n'irons pas jusque là, laissant à la vie elle-même le soin d'ordonner le passage des étapes et confiant aux parents la seule tâche d'y accompagner l'enfant. Nous préférerions dire qu'il s'agit d'une « érection » pour rester dans le symbole phallique cher aux psychanalystes et faire un clin d'œil à ce moment clé de la phylogenèse qu'est l'acquisition de la position debout. Chaque nouvelle étape érige l'être humain un peu plus. Même s'il y a épreuve, ou à tout le moins contrainte et stress, ce n'est que pour un enrichissement certain.
                        La première vraie question ne tombe qu'ensuite : ce développement est-il continu ou discontinu? Se fait-il d'un trait ou par phases ? On pourrait ergoter indéfiniment si notre besoin de connaissance et d'opérationnalité ne nous obligeait pas à faire fonctionner la raison qui est discontinue et réductrice par essence. Il y aura donc des phases, des stades ou étapes du développement humain. Tous les auteurs qui se sont penchés sur la question, de Freud à Piaget, en passant par Wallon et Gesell, ont proposé des découpages temporels et/ou fonctionnels du développement humain, chez l'enfant en particulier.
                        Freud propose des stades liés aux zones érogènes : stades oral, anal, phallique et génital.
                        Wallon découpe ce jeune âge différemment :
                        -   stade d'impulsivité motrice (0-3 mois),
                        -   stade émotionnel (3-12 mois),
                        -   stade sensori-moteur et projectif (1-3 ans)
                        -   stade du personnalisme (3-6 ans),
                        -   stade de la puberté et de l'adolescence (11-16 ans).
                        Piaget, investissant prioritairement la dimension cognitive, caractérise les stades suivants :
                        -   stade sensori-moteur, divisé en six sous-stades (0-18 mois),
                        -   stade de préparation et de mise en place des opérations concrètes, divisé en trois sous stades (18 mois-11/12 ans),
                        -   stade des opérations formelles, divisé en deux sous-stades (11/12 ans à 14/16 an&). (Bitteau p. 38)
                        Enfin Gesell nous propose tout simplement une succession de livres qui décrivent l'enfant à des âges bien délimités.
                        Toutes ces propositions, tirées d'une période de la recherche déjà classique, ont eu leur utilité pour la thérapie, la pédagogie, les sciences cognitives et les parents et éducateurs. Les critères de différenciation de ces classifications sont divers et nous ne les aborderons pas sinon pour dire qu'il en faut, des critères, et que la pertinence des étapes dépend fondamentalement de la pertinence du critère de différenciation.
                         
                        • La dimension relationnelle comme critère de différenciation : cadres de vie et positions de vie

                        • La somatologie nous propose un nouveau critère, ce qui justifie l'élaboration d'un modèle développemental tout aussi nouveau. Avec sa « topique des positions », elle nous invite à une gymnastique intellectuelle, à une observation anthropologique et à une vérification clinique, qui ont abouti au modèle développemental en six étapes. II nous reste maintenant à expliquer et expliciter ce choix avant de le fonder par ses apports pour les sciences humaines, la psychothérapie et la nosologie psychiatrique.
                          Le critère de différenciation est celui du relationnel qui se précise par les cadres de vie, des trois et seulement trois milieux distincts que sont le groupe social, le couple affectif et l'écosystème environnant. Vu du côté de la personne, cela donne la situation en groupe, en couple et en isolement. La notionde « position de vie » ajoute à chaque cadre une fonction spécifique : respectivement la dynamique sécuritaire, la fusion affective et la créativité individuelle. Nous arrivons ainsi à des entités réelles, stables et opérantes, comme nous le montreront les études à venir. Pour le moment, il nous suffit de souligner les qualités intrinsèques de ce critère situationnel et positionnel.
                          Il s'agit d'abord d'un élément quasi matériel et objectif. Le groupe, le couple et l'isolement, ça se distingue aisément. Si l'on objecte que l'on peut être en couple dans un groupe et solitaire même à deux, il suffira de se référer à la position de vie, (sécuritaire, affective ou créative) pour définir la prévalence d'une position donnée. On privilégie l’univers créatif bien qu'on soit à deux. On ne voit que le couple même dans un banquet. Car il s'agit de la prévalence d'une des positions quand il y a « superposition » des cadres, à savoir présence simultanée des trois positions. Ici fait retour toute la complexité de l'homme, complexité qui est la chance de l'humaniste et la malchance du scientifique. Notre critère ne dépend donc pas d'une théorie a priori comme le fait le critère des zones érogènes de Freud. Il ne rend probablement pas justice à toute la richesse du fonctionnement humain ; mais cette limite est le garant même de son objectivité.
                          La même remarque concerne la capacité à fixer une chronologie exacte et précise. Tout le monde sait que chaque individu connait un développement différent de celui des autres, quant à des détails de variance sûrement, et même souvent quant à l'inversion ou l'absence de stades. Notre modèle rend compte de toutes ces variations puisque le critère de différenciation est très souple quant à la chronologie. Nous expliciterons cet aspect plus loin.
                          Le critère des trois cadres et positions de vie, redupliqués en six étapes développementales, trouve une très grande pertinence dans sa capacité à se référer à des modèles scientifiques expérimentaux. Plus loin, nous mettrons en œuvre un modèle aussi important que la théorie des catastrophes. C'est la matérialité même de notre critère qui permet cette rencontre avec les sciences dures.
                          Enfin notre critère de différenciation est tout autant pragmatique, Il se réfère à un lieu d'observation totalement adéquat avec les trois cadres organisationnels des nouvelles psychothérapies : en groupe, en couple et en solitaire. C'est ainsi que les trois formes de la somatanalyse, socio-, psycho- et éco-somatanalyses, constituent de véritables laboratoires expérimentaux comme je l'ai souligné à plusieurs reprises, non seulement pour l'observation de ce qui s'y passe mais aussi pour la vérification des hypothèses.
                           
                           
                          • LES SIX POSITIONS DE STABILITÉ STRUCTURELLE

                          • La pièce maîtresse du modèle développemental est constituée par le concept d'état de stabilité structurelle. La dénomination est empruntée à la théorie des catastrophes de René Thom, que nous avons déjà rencontré ci-dessus, un mathématicien qui a réussi à systématiser jusqu'à un certain point les faits humains complexes. Cette théorie a apporté à la somatologie un cadre de rigueur que nous découvrirons tout de suite. Pour dire les choses plus simplement, il suffit de reconnaître que chaque étape du développement humain se centre sur un état d'être stable qui caractérise cette étape. Par contre, d'une étape à l'autre, s'impose un processus de complexification déjà évoqué, à la fois épreuve et enrichissement, que nous appellerons catastrophe avec René Thom. Dans ce chapitre sur le développement normal, nous verrons que ces passages peuvent s'ajuster plus ou moins harmonieusement, mais nous les appellerons quand même « catastrophes » pour signifier la perturbation qu'ils représentent, à savoir la perturbation de l'état de stabilité antérieur. Mais laissons au contenu de ces étapes le soin d'illustrer ce processus général.
                             
                            • L'homéoesthésie de la bulle primitive

                            • Nous avons déjà présenté les deux premières étapes à savoir la bulle primitive et la fusion de la matrice mère-enfant Continuons donc avec la troisième étape.

                               

                              • La protection et la dynamique de socialisation

                              • Les rationalistes et autres phobiques de l'amour formuleront une autre question : et comment ressort-on de cette matrice fusionnelle ? Eh bien, le plus simplement du monde, comme la quasi totalité des six milliards d'humains. Le développement de l'enfant continue, ses capacités et besoins augmentent, son champ d'action s'élargit. Il s'aperçoit surtout que la relation à une seule personne est malgré tout aléatoire et risquée, même avec la mère et malgré sa capacité fusionnante. En effet il aura largement expérimenté que cette partenaire n'est pas tellement fiable que cela : elle s'absente, est occupée ailleurs, peut-être déjà avec un autre enfant ; elle a ses préoccupations et ses humeurs et, surtout, un mari ! Quelle que soit la jouissance de son contact, il y a quand même toutes les cuisantes séparations.
                                Et puis il y a les autres partenaires : le père, les frères et sœurs, la grande famille, les invités, les rencontres lors des promenades. Au début, ils n'étaient que des empêcheurs de fusionner en rond. Peu à peu, ils offrent une présence qui, si elle ne vaut pas la fusion maternelle, pallie néanmoins à l'absence de la mère. D'abord ils constituent cette catastrophe qui expulse de la position de stabilité mais, à la longue, ils offrent quelque chose de nouveau qui semble tout aussi intéressant : la protection et la reconnaissance sociale.
                                Nous sommes là dans une réalité bien familière, tellement même que sa présentation pourrait paraître trop... familière : sécurité, protection, qu'est-ce que ce naturalisme ! Alors essayons de faire plus savant. Peut-être qu'en évoquant la liquidation du complexe d'Œdipe comme image freudienne de cette nouvelle catastrophe et la période de latence comme celle de la troisième position de stabilité, réveillons-nous des concordances... plus professionnelles. Mais il faut se rappeler que le concept de latence évoque quelque chose de négatif pour Freud, à savoir la mise en sommeil de la sexualité. Pour nous, il annonce un aspect positif, à savoir l'apaisement que procure la protection donnée par le groupe familial et la reconnaissance donnée par les groupes sociaux.
                                Car nous entrons de plain-pied dans le troisième cadre de vie, dans le groupe social que la famille représente en premier. Dès qu'il y a trois personnes en présence, on passe de la matrice affective à la dynamique sociale. Les amants ne le savent que trop bien, eux qui font un enfant pour sceller leur fusion et qui méconnaissent qu’ils se retrouvent dans une véritable dynamique de groupe dès son arrivée ! En fait, sans le savoir, ils veulent passer à la taille sociale pour asseoir une sécurité que l'amour seul ne donne pas.
                                Quant à l'enfant, il doit traverser cette nouvelle catastrophe pour retrouver sa position de stabilité qui est, ici, de sécurité par la protection. Pour cela, il doit entrer dans le fonctionnement de la vie familiale, accepter que cette dynamique à plusieurs le dépasse et s'impose à lui, apprendre à en reconnaître les règles, us et coutumes, et enfin gérer son propre comportement en fonction de cette dynamique groupale.
                                C'est seulement à ce prix qu'il accède à la sécurité qui est la raison d'être de tout groupe humain et de toute appartenance à un groupe. II s'agit d'une sécurité octroyée, passive, sur laquelle l'enfant peut compter du simple fait de son appartenance à ce groupe. L'enfant se sent protégé. Nous n'insisterons pas sur ce vécu bien qu'il soit aussi fondamental que les deux précédents, à savoir l'homéoesthésie et la fusion, et bien qu'il ne soit pas aussi magnifié par la psychothérapie, et la psychanalyse en particulier. C'est la raison pour laquelle j'ai mis beaucoup de temps à reconnaître l'importance de ce vécu de protection dans le groupe de somatanalyse. Il y avait toute l'aura du travail émotionnel et de la compréhension analytique. En fait, il y a surtout cette catastrophe groupale à affronter pour y trouver son bien le plus précieux. Tout comme l'enfant, le patient débutant doit d'abord arriver, ouvrir les yeux, tendre les oreilles, jouer de curiosité, pour percer le mode de fonctionnement du groupe, pour percevoir les règles dites et surtout non dites, pour ressentir la culture implicite. Comme l'enfant qui passe plus de temps à établir les règles du jeu qu'à jouer, le patient doit essayer de comprendre la dynamique relationnelle qui sous-tend un échange plus que son contenu. Pis encore, tout comme l'enfant doit expliciter son appartenance au groupe familial, le patient doit montrer patte blanche, faire croire à sa bienveillance, communiquer enfin quelle est sa place dans ce groupe.
                                L'emploi du « il doit » montre la contrainte certaine qui règne dans cette culture de groupe. Ici on ne plaisante plus. C'est l'assimilation ou l'exclusion. La sécurité ne peut pas régner à moins que ça. Par contre un exutoire se met en place, un mode de régulation, l'émotion.
                                C'est ainsi que j'aime à présenter actuellement l'un des aspects majeurs de l'émotion, comme la résultante du conflit qui naît de la rencontre des besoins individuels et des contraintes sociales. Il s'agit chaque fois d'une catastrophe ponctuelle qui doit se résoudre — par le vécu émotionnel -pour enlever la conflictualité de cette rencontre. Alors peut s'installer le vécu de protection qui est le nouvel état de stabilité structurelle et qui compense avantageusement les contraintes initiales.
                                Ici il nous faut aborder un nouveau point de théorie avec la généralisation du travail qui se fait lors de la phase de transition. L'exemple de l'entrée dans la dynamique familiale pour l'enfant ou dans la dynamique socio-sornatanalytique pour le patient nous montre qu'il s'agit d'une espèce d'apprentissage, d'une élaboration, de l'acquisition de réponses aux questions posées par la catastrophe. L'épreuve accouche de savoirs, de savoir-faire, d'habiletés, des fameux « skills » des anglo-saxons. Depuis le début de la somatologie, nous proposons le concept « d'attensionnel » pour désigner ce processus. Ici, nous voyons mieux de quoi il s'agit.
                                Chaque étape de développement génère un programme de gestion particulier à cette étape, avec un ensemble de « skills » spécifiques. Le vécu de stabilité se décompose en deux parties, en une partie « essensielle » liée aux messages et stimuli du moment et en une partie « attensionnelle » qui comprend les programmes de gestion spécifiques à l'étape. Ce sont ces programmes qui font « structure » et assurent la stabilité du moment alors que les messages, eux, sont instantanés et entraînent une certaine labilité de l'être. D'étape en étape, les programmes de gestion s'additionnent et se cumulent ce qui donne la nouvelle couleur du vécu de chaque étape.
                                Mais poursuivons cette exploration des positions de stabilité et franchissons une étape importante, d'autant plus importante qu'elle est généralement oubliée par la littérature psychothérapeutique. Il s'agit du passage de la première partie de la vie qui est largement réceptive et passive à la seconde partie qui se caractérise par l'activité et la prise de responsabilités. Freud a marqué ce passage par le meurtre du père et la constitution du groupe social là où les sociétés traditionnelles inscrivaient l'initiation. Il s'agit évidemment de l'accès à la vie adulte.
                                 
                                 
                                • La puissance et la dynamique de socialité

                                • A partir de cette nouvelle étape, la notion de passage devient plus complexe, son contenu est pluriel ou même flou. L'époque de survenue d'une étape peut varier énormément d'une personne à l'autre et même ne pas advenir du tout. Cette variabilité augmentera encore avec les deux derniers stades et explique la quasi absence des étapes du développement adulte dans les théories classiques. C'est ici que la topique des positions trouve tout son intérêt, ainsi que notre critère de différentiation fondé sur le relationnel, la reliance et les cadres de vie.
                                  La première des trois catastrophes adultes se constitue, comme toutes les autres, par le développement du sujet d'une part et par le changement du cadre d'autre part. Le jeune adulte évolue et l'on aime à remarquer cela dans son corps d'abord, dans sa sexualité surtout. Freud l'a exprimé par un mythe puissant, à savoir par le meurtre du père par les fils et l'accaparement des femmes par ces derniers. Il y a peu de temps encore l'entrée dans la vie adulte se manifestait effectivement par le départ du jeune et l'installation en couple. Aujourd'hui, dans nos pays occidentaux, cette cohabitation juvénile ne nécessite plus le renoncement au domicile parental. Par ailleurs, les forces physiques du fils commencent à dépasser celles du père, la beauté de la fille éclipse celle de la mère et le savoir des enfants fait de l'ombre aux anciens. La famille ne peut donc plus assurer une sécurité suffisante ; l'adolescent ne se sent plus suffisamment protégé, surtout quand une rivalité réelle avec l'un des parents s'installe. Le jeune adulte se sent capable d'assurer lui-même sa sécurité, de façon active. Ce nouveau vécu est celui de la puissance.
                                  Le cadre de vie intervient lui aussi dans l'avènement de cette nouvelle catastrophe. Les parents, la famille, le groupe social, exigent que le jeune adulte devienne un membre actif dans la communauté. Il doit assurer la défense du pays par le service militaire ; il doit assurer la subsistance commune par le travail productif (ou une accumulation de savoirs), payer les impôts pour les retraites des anciens, voter et se faire élire éventuellement, participer à la gestion du groupe par toutes responsabilités sociales. Cette pression de la communauté ne se fait plus sentir aussi violemment qu'autrefois. Ce n'est plus à quatorze ans qu'il faut descendre à la mine. La détermination chronologique de la catastrophe est plus subtile ce qui peut d'ailleurs devenir une cause nouvelle de pathologie, par méconnaissance, réelle ou feinte, du besoin d'assumer activement son rôle social.
                                  Mais, un jour, elle est bien là, cette catastrophe. Il faut insister sur cette notion d'épreuve, de contrainte, sur les « il faut » et « on doit », qui mettent le stress aux poudres. La perte du havre de paix — homéoesthésique, fusionnel et protecteur — se précise de plus en plus; il n'y a plus maman pour l'argent de poche, il n'y a plus papa pour aider à bricoler, il n'y a plus personne pour négocier avec le patron, il n'y a plus de copain pour vous refiler une copine.
                                  Il faut — oui, c'est encore il faut — accéder au saut de relaxation, à ce sursaut qui fait subitement passer de l'épreuve à sa réussite et de la préoccupation à la satisfaction. Tout d'un coup, on se retrouve dans un nouvel état d'harmonie et d'aise, même si le niveau d'énergie est plus élevé que dans les états antérieurs.
                                  On réussit le permis de conduire,
                                  on tombe sur la copine adorée,
                                  on perçoit son premier salaire qui permet d'envisager les premières vacances à deux,
                                  on emménage dans l'appartement personnel,
                                  on fait le premier enfant,
                                  on écrit son premier livre...
                                  Ici, le vécu dépend des événements les plus réels ; il nécessite des réalisations objectives. Nous quittons la sphère de la psychanalyse pour nous inspirer du comportementalisme. Nous cédons sur l'introspection pour investir la dynamique de groupe. En effet, la conviction de la puissance doit se fonder un tant soit peu sur l'exercice réel du pouvoir, sur les réalisations, avant de devenir cette assurance que les sages d'orient et d'occident nous enseignent comme une attitude, un regard, un silence, qui valent infiniment plus que l'acte lui-même.
                                  La puissance prend la suite de la protection en tant que garant de sécurité. Mais elle devient active. II faut l'assurer soi-même, la gérer selon ses besoins, la pousser en fonction de ses capacités. Nous touchons ici du doigt et ressentons directement dans le corps ce qui se passe : la détente et l'apaisement du protégé se transforme en force et assurance chez le puissant. Du lâcher-prise, on passe au prendre-prise. Mais le fond de stabilité structurelle reste le même, l'homéoesthésie se réinstalle même si le niveau d'énergie optimal monte de quelques degrés.
                                  Le groupe de somatanalyse offre, ici encore, son terrain d'observation. Il nous montrait le vécu de « protection » chez le débutant. Il nous le mènera, ce patient, jusqu'à la confrontation avec sa puissance. Après quelques ateliers, le somatanalysant devient un ancien et se voit promu au rang de membre actif et peut-être même de leader. On exige de lui qu'il promeuve cette sécurité dont le groupe a besoin, on attend de lui qu'il colmate un silence, mette le débutant sur ses rails d'apprenti, assure une certaine convivialité pour que chaque participant puisse vaquer à son analyse personnelle en toute protection. Le groupe lui confie ce rôle, l'élit démocratiquement comme ancien et/ou leader, accepte que ses thèmes deviennent les thèmes du groupe, puis, le moment d'après, lui demande de rentrer à nouveau dans le rang, de passer le crachoir et de se taire. L'organisation analytique, non-directive, du groupe de somatanalyse permet cette observation très fine des dynamiques démocratiques et tyranniques du groupe, des attitudes démocratiques et autocratiques d'un individu. L'analyse de cette dimension très précise de l'exercice du pouvoir prend de plus en plus de place dans mon rôle de thérapeute, renvoyant ainsi les participants à leurs devoirs civiques et citoyens. En effet il est au moins aussi utile de guérir une politico-phobie ou -manie qu'une peur des souris ou autre érotomanie.
                                  Cette illustration pratique nous permet une nouvelle incursion dans les généralités. Nous disions que les programmes de gestion ou « packages attensionnels », s'accumulaient d'étape en étape et se cumulaient. Ces deux derniers verbes renvoient aux deux concepts piagétiens  d'assimilation, (accumulation) et  d'accommodation (cumul). C'est le cumul qu'il faut bien percevoir dans cette dynamique de socialité : à présent, l'attensionnel comprend quatre processus de gestion différents, ceux qui interviennent! dans l'homéoesthésie, la fusion, la protection et la puissance. S'il en manque un, l'ensemble devient problématique sinon pathologique :
                                  -   s'il manque le lâcher-prise qui permet d'accéder à la protection, l'adulte reste constamment dans la tension du pouvoir ;
                                  -   s'il manque la capacité de fusionner, le même individu ne trouvera pas l'assurance et l'harmonie de sa puissance ;
                                  -   s'il manque la base homéoesthésique, notre compétiteur sera un activiste toujours en mouvement, et dans des mouvements non mesurés, démesurés.
                                  L'accommodation piagétienne devient donc quelque chose de très précis, à savoir l'intégration du dernier programme attensionnel aux programmes précédents. Il apparaît ainsi qu'à chaque étape l'ensemble devient plus complexe et donc aussi plus singulier. La différenciation précise des étapes adultes s'en complique aussi, d'où la négligence habituelle des stades de la vie adulte par les professionnels.
                                   
                                  • L'amour et la matrice affective

                                  • Toutes ces remarques deviennent encore plus pertinentes avec la cinquième étape, celle de la vie affective. En effet, comment isoler un temps spécifique de l'amour alors qu'il semble s'étaler sur toute la vie, à commencer par la petite enfance comme Freud y a tellement insisté. Certes il y a l'argument de ce moment précis où chaque adulte fait l'expérience d'un éveil amoureux même s'il n'est pas passionnel. A l'époque on l'appelait craintivement « démon de midi », je propose de le positiver totalement en « œdipe de midi ». Et s'il n'advient pas explicitement, il se manifeste comme manque et maladie.
                                    Notre modèle rend justice à ce stade et nous donne les clés pour le définir avec précision. L'amour adulte, celui de la matrice affective, s'inscrit évidemment dans l'expérience fusionnelle, ce qui en fait sa force, mais intègre tout autant les deux programmes attensionnels intermédiaires, les gestions de la protection et de la puissance. En d'autres mots, l'œdipe de midi se construit sur l’œdipe fusionnel du matin mais assimile aussi les exigences de sécurité, passive et active, ce qui lui confère un contenu tout nouveau.
                                    II s'agit d'affection amoureuse bien éloignée de la passion qui, elle, n'a cure des besoins sociaux de sécurité. II s'agit d'un attachement puisque tout objet bon et disponible est recherché, mais ce n'est pas une dépendance. La différence entre l'attachement et la dépendance tient aux mêmes critères que celle de l'amour et de la passion : pour la première la présence de la sécurité active et passive évite tout effondrement personnel lors de la disparition du partenaire, dans la seconde, l'absence de sécurité personnelle débouche sur l'annihilation de l'individu abandonné.
                                    Il s'agit d'un vécu de grande assurance, d'une conviction solide « d'être ». Frans Veldman, le créateur de l'haptonomie, parle de « sécurité de base ».
                                    Mais revenons à notre concept de passage et rappelons-nous que l'entrée dans la matrice affective est aussi une... catastrophe. L'adolescent attardé a enfin trouvé la protection grâce à ses innombrables diplômes. L'adulte jeune a longuement construit sa sécurité active, a trouvé du boulot, gagné de l'argent, investi à la banque, créé un réseau de relations. Il a aussi... emménagé avec une partenaire, constitué un couple, s'est éventuellement marié, a fait des enfants... Tout cela est encore sécuritaire et social, très paradoxalement. La passion n'aura duré que cent jours, comme l'état de grâce des nouveaux gouvernements et l'investissement conjugal sera principalement sexuel sinon matériel et mondain. Tout cela ne constitue pas encore la matrice affective, d'où les innombrables ruptures des cohabitations juvéniles et les 50 % de divorces des couples mariés malgré tous les essais de cohabitation juvénile. Cette cohabitation n'est trop souvent qu'un besoin de sécurité, qu'une imitation des usages sociaux qui débouchent sur la véritable... catastrophe que constitue la présence intime à l'autre.
                                    L'autre est une catastrophe, l'autre conjugal autant que l'autre social, ainsi que le soulignait Sartre : l'enfer, c'est les autres. Pour l'autre social, nous avons vu que l'inconvénient disparaît après le saut de relaxation dans la protection d'abord, dans la puissance ensuite. Pour l'autre conjugal, la nuisance de sa présence ne disparaît qu'après le saut dans l'amour.
                                    Il faut insister sur la notion de catastrophe qui montre toute sa pertinence, ici, dans le cadre où on l'attendait le moins, dans le cadre de l'amour. Le partenaire conjugal est une catastrophe, répétons-le. Il empêche la régression dans la simple homéoesthésie tant il est toujours là à vouloir quelque chose et ne laisse jamais « en paix ». Il empêche le retour à la fusion tant il refuse de jouer à la mère ou au père inconditionnel. Il perturbe le vécu de protection tant lui aussi en exige. Il démolit tout autant le sentiment de puissance, n'acceptant pas qu'il y ait une domination quelconque dans la relation affective.
                                    Cette catastrophe, qui n'existe pas seulement dans les comédies de boulevard, provoque la rupture du couple s'il n'y a pas de saut de relaxation dans la matrice affective. Il s'agit là d'un nouveau lieu de vie, d'une nouvelle position de stabilité structurelle, qui rend enfin le couple viable et vivable. J'ai décrit ailleurs ce qu'est l'affectif :
                                    -   un état d'être fondé sur l'être précisément et non pas sur le faire ou l'avoir,
                                    -   un être avec l'être aimé, qu'il soit là physiquement ou seulement mentalement,
                                    -   un être dans la présence, hors passé et hors avenir,
                                    -   un état d'être fragile de par cette seule présence ne donnant pas de sécurité extérieure, au sens où nous l'entendons généralement, mais de l’assurance intérieure,
                                    -   un état d'être sans droit ni devoir de l'un par rapport à l'autre.
                                    Ces caractéristiques qui pourraient sembler irréelles dans une présentation aussi absolue nous font penser à la notion d'inconscient freudien avec ses aspects d'intemporalité, de non contradiction, d'univocité. L'affectif constitue effectivement un large pan de l'inconscient freudien, tout simplement parce qu'il est tellement global, complexe et subtil, qu'il ne peut pas être réduit au tout petit nombre d'items que la conscience rationnelle peut afficher simultanément.
                                    Plus loin, nous verrons qu’il s’agit aussi de « l’intime du lien », l’un des trois « purs processus inconscients » plus proche de Jung :
                                         - pur processus, puisque amour,
                                         - pur de structure, donc sans sécurité extérieure mais avec assurance interne.
                                    A cela il faudrait évidemment ajouter les qualités très précises de l'affectif, de l'amour, mais nous laisserons aux poètes et autres cinéastes le soin de le faire, nous laisserons à chaque lecteur le plaisir d'en retrouver la saveur en soi-même. Mais peut-être cette évocation très agréable est-elle dérangée par une contradiction qui s'est glissée dans les dix dernières lignes. En effet, il y a contradiction entre l'affectif vu comme « fragile » et la matrice affective prétendue «structurellement stable». C'est dans cette apparente opposition que peut se faire notre démonstration.
                                    Si le vécu amoureux est effectivement fragile et vulnérable en soi, présent un jour et évaporé le lendemain, nécessitant son ancrage à la mairie, à l'église, dans la famille et les crédits bancaires, la matrice affective est tout autre dans sa définition de position de vie que nous lui donnons, en cinquième rang, relativement tard dans le développement de l'être humain. Elle a besoin de tout ce temps pour que se constituent les sentiments de protection et de puissance chez chacun des partenaires. La mairie et l'église, la famille et les comptes bancaires, sont des éléments utiles, de protection et de puissance. C'est seulement après leur acquisition que l'amour devient de « l'affectif», dans une matrice du même nom, protégée et puissante. L'affectif n'y est plus précaire et risqué. L'être aimant s'y trouve assuré et confiant, mais cette assurance et cette confiance lui viennent de sa propre acquisition, sociale, de ces sentiments, ainsi que de la présence de ces mêmes sentiments chez le partenaire. Ici se montre clairement la nécessité de l'accumulation des programmes de gestion attensionnels précédents. Si on se quitte, protection et puissance personnelle restent acquises.
                                    La pratique de la psycho-somatanalyse illustre merveilleusement ces faits. En poussant le fauteuil contre le divan pour ajouter à la communication verbale une communication visuelle et en posant la main sur le corps de l'analysant pour élargir les deux premiers à la communication tactile, le somatanalyste crée les conditions du vécu affectif. Mais il n'y aura matrice affective que si la maturation des étapes antérieures a eu lieu. S'il n'y a pas de sentiment de puissance, le patient craint la dépendance et se refuse à l'ouverture affective. S'il n'y a pas de sentiment de protection, il cherche des garanties en imposant ses propres règles de sécurité, en voulant changer le cadre de la thérapie par exemple. S'il n'y a pas d'expérience antérieure de fusion, la main sur le corps n'éveille pas de tendresse et n'évoque que l'emprise. S'il n'y a pas de programme de gestion homéoesthésique, cette intimité suscite des sensations labiles et intenses, sexuelles par exemple. La psycho-somatanalyse est donc un long travail sur toutes ces étapes du développement jusqu'à ce que se réalise cette matrice affective qui donne à vivre l'amour dans l'assurance et la confiance. Tout comme le transfert qui est le creuset de la thérapie, la matrice affective est la condition de l'analyse. Parfois elle s'installe sans problème laissant la place à l'analyse sociale ou créatrice, d'autres fois elle prend toute la place, constituant le problème essentiel.
                                    Dans ce dernier cas, il s'agit de névrose de transfert au sens freudien du terme, à savoir de projection d'un affect venu d'ailleurs. La matrice affective n'est pas de la névrose, elle n'est pas une construction projective ; elle n'advient donc qu'après la liquidation du transfert.
                                     
                                    • Les valeurs personnelles et l’univers créatif

                                    • Mais voici qu'une nouvelle catastrophe vient perturber la délicieuse stabilité affective et, ce coup-ci, on ne contestera pas la notion de catastrophe puisqu'il s'agit de la mort, en tout cas de l'approche de la mort. La sécurité assise sur le groupe social et l'amour fondé sur le partenaire affectif ne résisteront pas à l'interrogation suscitée par la mort. Face à elle, chacun se retrouve seul, chacun doit trouver sa réponse à lui, chacun doit créer son attitude personnelle. La dynamique sociale et l'intensité amoureuse ont pu faire oublier l'échéance puis, un jour, elle s'impose. C'est, classiquement, à l'âge mûr, sans qu'il soit nécessaire de donner un âge plus précis. C'est lors de l'individuation, comme l'appelle C.G. Jung. C'est à l'âge où Bouddha quitte son royaume pour la quête spirituelle.
                                      La mort fonctionne ici comme motif extrême de cette nouvelle mutation mais nous savons que cette dernière survient toute seule, progressivement, chez tout un chacun, même si ce n'est pas de façon dramatique. L'homme bricole un peu plus longtemps dans son atelier, la femme se plonge plus fréquemment dans ses livres à soi, chacun regarde séparément son émission télévisée favorite, on peut même partir seul en vacances si ce n'est à un atelier de somatanalyse, de développement personnel ou de méditation. Une certaine autonomie est revendiquée, une part d'argent à gérer à discrétion.
                                      Les programmes de gestion de la dynamique sociale et de la matrice affective sont acquis, eux qui ont fait diversion des besoins... personnels, singuliers, subtils et uniques. A présent, ces derniers resurgissent et viennent déranger le bel ordonnancement précédent, suscitant la nouvelle catastrophe. Fondamentalement, il y a retour du besoin... d'homéoesthésie, de l'équilibre personnel, qui se sont installés tout au début de la vie et que les partenaires affectifs et le groupe social avaient supplantés. Son retour n'est que plus impérieux. Mais c'est bien d'homéoesthésie qu'il s'agit, quelque provocateur que soit ce terme de par sa primitivité comme la bulle qui l'a vu naître, alors qu'on parle de créativité et de valeurs. N'empêche qu'elles servent à retrouver l'homéoesthésie comme le fait la pulsion de mort que Freud arrime à cet âge et qu'il définit comme retour à l'énergie basse. Cette idée entame la superbe humaine comme l'a fait celle de l'inconscient freudien, après les pavés de Copernic et de Darwin. Pourtant, il s'agit bien de créativité et de valeurs comme nous pouvons le décrire dans les quatre fonctions intrapersonnelles en cause ici : sensation, réflexion, intuition-imagination, action.
                                      Au niveau sensitif, l'adulte impose progressivement ses besoins très précis : le rythme de la journée avec lever et coucher de plus en plus individuels même si c'est à contre-temps des autres ; goûts alimentaires nouveaux, bio- macro- ou diététiques ; choix du lieu de vacances selon le climat, mer ou montagne, chaleur relaxante ou fraîcheur tonifiante, foule de haute saison ou solitude de basse saison... La recherche de stabilité structurelle est ici manifeste.
                                      Au niveau intellectuel, l'adulte du sixième (stade) se met enfin à chercher ses propres avis sur les problèmes alentour. Après s'être fait la main sur ses propres enfants, avec Spock, Pernoud et Dolto, il formule des idées pédagogiques à lui (qu'il n'appliquera quand même pas à ses petits enfants parce qu'il voudra surtout la paix et la tendresse avec eux !) En politique, il ose choisir son camp après les imitations et oppositions systématiques de sa jeunesse. Pour les grands problèmes sociaux, drogue, sida, justice, solidarité avec les défavorisés par exemple, il aboutit à des convictions propres, quitte à affronter ses partenaires les plus proches. Ces nouvelles valeurs sont aussi des réponses, des réponses... à soi, des réponses à l'instabilité du non-savoir.
                                      Au niveau de l'action, la créativité la plus classique est artistique. Combien de quadragénaires et quinquagénaires ne retrouvent-ils pas leur instrument de musique, leur pinceau ou ne s'essayent-ils pas à la terre glaise ou au marbre si ce n'est à l'écriture et au blog. Il s'agit de recréer les objets et les choses à son image, à sa façon, à son niveau de valeur et d'énergie.
                                      Mais c'est au niveau spirituel que la créativité s'exerce le plus massivement. Les questions y sont encore plus dérangeantes, celles de la vie et de la mort, du chaos et de l'ordre prétendument divin, du hasard et de l'intention d'un créateur. Les réponses deviennent enfin personnelles. Le nombre de personnes qui changent de religion augmente tous les jours ; celui des adeptes d'une spiritualité sans église, encore plus. Les sectes et le new-age recrutent massivement en proposant des expériences d'expansion de conscience, d'état de grâce et de sérénité garanties. Nous vérifions ici notre propos du retour à l'homéoesthésie. Les vécus de paix intérieure, d'ouverture du septième chakra, d'orgasme cosmique, sont des expériences proches de ce que Freud appelle «sentiment océanique » et qu'il assimile si facilement à la pulsion de mort.
                                      Il n'y a là aucune dévalorisation, juste du réalisme. Car le résultat de cette créativité solitaire débouche sur les réalités humaines les plus nobles : les valeurs, la science, l'esthétique, le spirituel. En même temps, nous nous rappelons que ces créations sont des catastrophes autant pour la société que pour le couple. Quand Galilée assène à son siècle que c'est la terre qui tourne autour du soleil, c'est aussi dérangeant que lorsque l'adulte constate qu'il doit s'allonger sur le divan de la psycho-somatanalyse pour raconter l'intimité que le partenaire conjugal ne peut plus entendre. C'est la catastrophe.
                                      Quant au saut de relaxation, il se fait dans... le bonheur. Ce concept rend le mieux compte de ce dernier lieu de stabilité structurelle à condition d'accepter la définition du bonheur que je propose depuis mon dernier livre : A chaque jour suffit son bonheur.
                                       
                                      Le bonheur, c'est quand,
                                      comme dit l’enfant,
                                      ce qui advient
                                      ça tombe bien.
                                       
                                      Même la mort peut alors tomber « bien », pour une multitude de raisons parmi lesquelles chacun choisira les siennes, créativement, solitairement, en accord avec soi, avec l'humanité et l'univers, avec Dieu peut-être. Mais, ne l'oublions pas, le bonheur s'étaye sur l'homéoesthésie, la fusion, la protection, la puissance et l'amour, cumulativement.
                                      Un jour, enfin, oui en fin, la mort réelle arrive. Serait-ce la catastrophe suprême ou la libération des catastrophes ? Serait-ce l'anéantissement de l'individu ou le saut dans la relaxation définitive? Nous n'avons pas à nous prononcer sur un éventuel au-delà qui reste du domaine de la créativité spirituelle qui incombe à chacun. Par contre nous avons à nous référer à la science qui nous donne actuellement sur le moment de la mort des indications très claires qui recoupent les grands enseignements traditionnels et qui se vérifient dans les pratiques d'expansion de conscience. Ces trois ensembles de faits sont suffisamment répétitifs, observables et transmissibles, pour constituer des preuves scientifiques et servir de base à une attitude à la fois rationnelle et spirituelle vis-à-vis de la mort : la mort est l’extase suprême.
                                       
                                      L’extase de la NDE
                                      Le premier bouquet de faits nous est offert par la médecine elle-même avec le soin méthodologique et la rigueur théorique qui la caractérisent. Il concerne les phénomènes de mort imminente, les états proches de la mort mieux connus sous leur appellation anglaise de NDE : Near Death Experience. Les statistiques les plus sérieuses nous disent que 15 à 20 % de la population ont connu ce type d'expérience soit lors d'une noyade interrompue, d'un accident grave, d'un choc extrême, d'une anesthésie générale, d'un coma passager et même d'un choc esthétique ou amoureux. L'observation extérieure limite ces événements à quelques secondes ou minutes et plus rarement à quelques quarts d'heure ou plus. L'électroencéphalogramme, lorsqu'il est branché par hasard, révèle un processus d'extinction de l'énergie électrique et d'évolution vers la platitude des ondes cérébrales. Quant au vécu subjectif, il est principalement visuel et imaginaire, d'une extrême richesse et créativité, mais s'inscrit étonnamment sur une trame relativement stable. Certains auteurs décrivent des étapes successives au nombre de cinq, mais nous retiendrons ici deux temps fondamentaux presque toujours présents, un temps d'obscurité suivi d'un temps de luminosité. Autant le premier peut être cauchemardesque, autant le second s'ouvre sur une exubérance sans limite. La sobriété avec laquelle nous relatons ces faits se veut toute médicale mais nous invite néanmoins à proposer l'association entre nos deux processus développementaux et les vécus de NDE, entre la catastrophe et l'obscurité angoissante et entre l'état de stabilité structurelle et la lumière éblouissante. Nous verrons ces descriptions plus longuement ci-après.
                                       
                                      L’extase des traditions
                                      Le second bouquet de faits nous est offert par la tradition spirituelle et nous arrive à travers des études anthropologiques elles aussi suffisamment scientifiques pour se proposer comme des réalités bien établies. Du livre des morts tibétain au livre des morts égyptien, nous avons d'innombrables traditions de toutes les civilisations mais l'illustration la plus probante nous vient de notre propre enseignement occidental et chrétien. De façon très sommaire, on peut évoquer la dichotomie entre l'enfer et le paradis, ce dernier étant précédé par le purgatoire. Comment ne pas retrouver ici les observations médicales de l'obscurité (purgatoire) qui peut devenir cauchemardesque (enfer) ou déboucher sur la lumière (paradis). La Divine Comédiede Dante nous promène magistralement à travers ces différents états et peut nous convaincre de ces associations.
                                       
                                      L’extase des pratiques en état de conscience modifié
                                      Mais il reste un dernier cadeau, un dernier bouquet, qui vient parachever la démonstration et la rendre familière. Il s'agit des pratiques des états de conscience. J'ai décrit ailleurs très minutieusement des vécus d'hyperventilation (Meyer, 1982). Nous livrons plus loin les vécus d'isolation sensorielle dans le tanking. On peut ajouter les expériences de transe giratoire (TTT), ou tout simplement celles de vécus émotionnels intenses en socio-somatanalyse (Meyer, 1986) ou... dans l'orgasme. Toutes ces pratiques, qui nous viennent des rituels religieux pour certaines, sont maintenant des pratiques somatothérapiques qui offrent toute la rigueur des méthodologies contrôlées et tout le sérieux des théorisations scientifiques telles qu'elles ont cours en médecine. Or ces pratiques nous font accéder régulièrement à des vécus analogues aux états de mort imminente et à des expériences proches des enseignements traditionnels. Elles nous promènent à travers le long tunnel noir qui débouche sur la blancheur libératoire. Un jour, pourtant, pour une de mes patientes, le bout du tunnel était occupé par... ma femme et la patiente qui faisait ce voyage devait rebrousser chemin dans l'obscurité ! Comme quoi le transfert s'insinue partout. Ces pratiques nous rendent ces expériences familières ; elles nous permettent de les apprivoiser pour les rendre positives. En effet, le tunnel est d'autant plus long, l'obscurité est d'autant plus noire et l'angoisse, d'autant plus forte, que le patient contrôle, résiste, s'oppose à l'événement nouveau (modifications de l'homéoesthésie par l'effet de l'hyperventilation ; passage à l'équilibre dynamique au lieu de l'équilibre statique en transe giratoire par exemple). L'accès à la lumière est d'autant plus rapide, apaisant ou carrément orgasmique, que le lâcher-prise se fait profondément, progressivement ou brusquement. Il s'effectue un véritable apprentissage de ces attitudes qui ressemble beaucoup aux enseignements traditionnels. La mort est l’extase suprême.
                                      L'insistance sur la scientificité de ces faits est intentionnelle et doit nous permettre d'approcher la mort avec les attitudes bénéfiques de la tradition et avec la raison de l'occident moderne. Il n'y a plus de rupture entre les deux façons d'envisager la vie et le monde. Il n'y a pas lieu non plus de vivre la mort plus mal aujourd'hui qu’hier. En effet, les pratiques éco-somatanalytiques nous montrent le chemin de la belle mort et la théorisation somatologique nous en fait comprendre les mécanismes. On peut, en effet, anticiper ici sur ce qui sera écrit à propos des passages « justes » d'une étape de vie à l'autre. L'ajustement sans trop de heurt se fait à deux conditions : le sujet concerné doit être « présent », ouvert aux changements qui surviennent ; l'environnement doit être «suffisamment cohérent » avec les capacités du sujet.
                                      Avec cette dernière étape, s'achève notre pérégrination à travers l'ontogenèse. Après ces descriptions très riches, même si elles sont souvent très résumées, nous nous rendons mieux compte de la pertinence de notre critère de distinction des étapes : les cadres et positions de vie, le groupe sécurisant, le couple affectif, l'isolement créatif. En effet, nos six étapes ne sont pas seulement des concepts opératoires et pragmatiques, elles sont des réalités objectives.
                                       
                                  • Chapitre 11 : Les applications du modèle ontogénétique

                                  • Ce modèle en six étapes qui englobe toute la vie humaine, de la conception à la mort, a été généré par un autre… modèle, à savoir le modèle structuro-fonctionnel, nous l’avons déjà vu. Il aura fallu l’étoffer ensuite d’un contenu bien vivant comme nous l’avons fait dans le chapitre précédent en interaction avec les observations psychologiques et anthropologiques. Nous l’avons même gratifié d’une métaphore mathématique.
                                    Mais il faut aussi le valider. Son utilité dans la clinique, attestée par des centaines de praticiens qui s’y réfèrent, est une première validation, pragmatique. Il en est d’autres de validations, au niveau théorique, comme base méta-théorique précisément. Peut-il effectivement servir de fondement méta- à d’autres théorisations plus partielles ? Nous nous proposons de relever le défi en évoquant trois applications, à savoir aux :
                                    -   concept de transfert de Freud,
                                    -   modèle ontopathologique,
                                    -   étapes de la théorisation freudienne.
                                     
                                    La démonstration de ces différentes applications sera plutôt légère. En effet, la force de notre argumentation ne réside pas tant dans la présentation exhaustive de chaque thème que dans la quantité même – trois – de ces thèmes et, mieux encore, dans la vertu spécifique de l’intégration qui jouit du pouvoir explicatif même de cette nouvelle entité. Tout comme la somme est plus que l’addition des parties, la métathéorie est au-delà des faits particuliers et, surtout, lui donne un nouveau statut. Ce pouvoir de l’entité complexe sur ses parties a suffisamment été exploité dans ce livre pour qu’il se soit imposé spontanément. Maintenant il fallait l’expliciter !
                                     
                                    • I. Le transfert et l’amour : de la psychanalyse freudienne à la psychanalyse pléni-intégrative

                                    •  
                                      L’un des plus grands mérites de Freud a été sa compréhension du processus affectif qui s’invite dans la psychothérapie – et surtout dans la psychanalyse – lorsqu’elles se prolongent dans le temps ou qu’elles s’avèrent intenses de par la personnalité du patient et… du thérapeute.
                                      Là où Anton Messmer a failli dans la gestion de l’immense efficacité – et succès mondain – de son « magnétisme animal », là où Joseph Breuer – le maître de Freud – a failli dans la gestion de la cure d’Anna O., Freud a réussi à déceler l’affectif, à désamorcer la bombe et même à en tirer profit. Freud aura quand même mis un quart de siècle à s’en dépêtrer et à rendre justice à toute la complexité de cet aspect fondamental de la relation thérapeutique/analytique. Au-delà du Freud-Bashing (terme péjoratif désignant le travail des historiens de la psychanalyse) auquel je m’associe parfois, il y a cette fantastique formalisation du transfert même si la dation même du mot évoque Ponce Pilate et son lavage de mains : circulez, y a rien à voir !
                                      Vingt cinq années à découvrir toutes les facettes du transfert ce n’est pas de trop pour un processus aussi complexe. Tout bon vocabulaire de la psychanalyse – celui de Laplanche et Pontalis notamment – nous évoque six facettes décrites successivement par Freud. En voici une présentation succincte.
                                      1)     La plupart des patients/analysants manifestent progressivement des émotions, sentiments, attachements plus ou moins affectifs dans le cadre thérapeutique/analytique : l’intuition de Freud y a décelé un déplacement – un transfert – d’une personne sur une autre, d’un proche sur le thérapeute ; mais la rouerie de Freud se retrouve aussi là ; en tout cas, ça soulage… l’analyste et lui permet de gérer la relation dans la longueur de temps.
                                      2)     Quand le patient commence à transférer, il est béat, heureux, centré sur son affect et oublie même de causer ; or la parole est nécessaire pour qu’il y ait analyse, c’est le matériau à travailler ; le transfert fait donc « résistance » ; aussi faut-il le limiter, en intensité et en durée, et même le liquider. Mais comment ? En le dénonçant comme transfert précisément, comme déplacement : rendez à César… (La notion de « liquider » est intéressante au moment où l’un de nos plus brillants philosophes, Zigmund Baumann, qualifie le mode actuel d’aimer de « liquide » ! Baumann, 2003).
                                      3)     Le transfert échappe à la verbalisation, à la remémoration, à la reconstruction et devient mise en acte, la seule autorisée en psychanalyse d’ailleurs ; elle se fait répétition.
                                      4)     Pis encore : ce n’est pas seulement un affect, une toquade du patient ; ça devient une névrose… de transfert qui remplace la névrose d’origine. Il est bien connu que l’état amoureux guérit la névrose. Le motif de la consultation est troqué contre cet amour – ou haine – névrotique. L’analyste doit donc soigner/analyser la névrose de transfert, la liquider, pour ne pas voir revenir la névrose de départ.
                                      5)     Et puis, intuition encore – et rouerie : c’est bien cet éveil affectif qui transforme et guérit le malade ; le transfert est le « creuset de la thérapie » : on le fait chauffer jusqu’à ce qu’il soit malléable et amendable, ductile sous les coups de l’interprétation.
                                      6)     Sur le tard, Freud a néanmoins reconnu qu’il s’agissait quand même d’amour, d’un sentiment vrai et authentique.
                                       
                                      Après avoir extrait ces six facettes de ma longue fréquentation de Freud, je les ai mises en perspective, en tableau. J’y ai associé les avatars de l’amour tels que vécus dans la vie privée : il y en a six aussi. Puis j’ai indiqué les modifications qu’apporte la psychanalyse pléni-intégrative. Ça a donné un de ces jolis tableaux, comme je les aime. Puis j’ai enseigné tout cela dans la « spécialisation psychanalytique » jusqu’à ce que je me rende compte que les six facettes du transfert et… de l’amour ne sont autres que les six états de stabilité structurelle que génère successivement l’amour au cours des six étapes de vie. CQFD.
                                       
                                       Dimension                         de               l’amour
                                      Lieu
                                       d’occurrence      
                                       
                                      Processus
                                      de
                                      base
                                       
                                      Sentiment
                                      personnel
                                       
                                      Relation
                                      d’objet
                                       
                                      Comportements
                                      et
                                      Cognitions
                                       
                                      Communication
                                       
                                      Créativité
                                       
                                      Vie privée
                                       
                                      Pur
                                      Processus
                                      (inconscient)
                                       
                                      Etat
                                      amoureux
                                       
                                      Amour conditionnel
                                       
                                      Conjugalité
                                       
                                      Intimité
                                       
                                      Amour
                                      inconditionnel
                                       
                                      Psychanalyse
                                      freudienne
                                       
                                       
                                      Amour Authentique
                                       
                                       
                                      Névrose
                                      de transfert
                                      acquise
                                       
                                      Transfert sur l’analyste
                                      - à limiter
                                       - à utiliser
                                         - à liquider
                                       
                                      Résistance
                                      à
                                         - l’analyse
                                       - la remémoration
                                         - la construction
                                       
                                      Répétition,
                                      mise
                                      en
                                      acte
                                       
                                      Creuset de la
                                      thérapie
                                       
                                      Psychanalyse
                                      pléni-intégrative
                                       
                                      L’intime
                                       du lien
                                      3ème p.p.i.
                                       
                                      Hypo-
                                      dys-
                                      hyper-
                                      fonctionnements
                                      de l’affectivité
                                      constitutive
                                       
                                      Cadre
                                      sécurisant
                                      et
                                      Objet favorisant le transfert
                                       
                                      Manifestations
                                      cognitives et comportementales
                                      à subvertir
                                       
                                      Re-viviscence
                                       de
                                      l’affectif
                                      plein et plénier
                                       
                                      Accès au
                                      pur processus
                                       constituant
                                       
                                       
                                       
                                       
                                      Etapes
                                      Ontogénétiques
                                       
                                       
                                      Bulle primitive
                                       
                                      Matrice
                                      fusionnelle
                                       
                                      Dynamique de
                                      socialisation
                                       
                                      Dynamique de
                                      socialité
                                       
                                      Matrice
                                      affective
                                       
                                      Univers
                                      créatif
                                      Tableau 31 : L’Affectif, l’Amour et le Transfert en psychanalyses freudienne et plénière.
                                       
                                      La vie est organisée de façon ordonnée, même la vie humaine… quand on se fie à son autopoïèse. Et cet ordre se manifeste tout d’un coup quand on s’y intéresse, comme ici. Vingt cinq années pour l’un, une trentaine pour moi-même… et le réel se révèle. Nous le verrons tout autant avec le thème suivant, encore plus complexe et pourtant très simple !
                                       
                                       
                                      • II. Etapes de vie, étapes de maladie : le modèle ontopathologique

                                      • Autant l’appeler « ontopathologie ». A l’époque, tout était psycho- (-iâtrie, -thérapie, -logie,       -pathologie). Aujourd’hui on s’en mord les doigts. A force de crier au loup… on s’enferme réellement dans cette seule dimension psycho- tout en sachant que tout est en tout, psycho-, socio- et somato-. Et l’on dépense une énergie folle à reconnecter psycho-, socio- et somato-. Autant ne pas les séparer… Alors essayons « ontopathologie ». Ça rendra la psychosomatique caduque.
                                        Est-ce que le charme de l’intégral va encore agir ? Est-ce que ce tout qui est plus que l’ensemble des parties va encore apporter sa nouveauté ?
                                        De toute façon, en ce qui concerne la pathologie, les professionnels sont étonnamment humbles et modestes actuellement. Les deux manuels de référence (CIM 10 et DSM IV) ne sont plus que des classifications et des descriptions. Les anciennes psychopathologies nationales n’étaient que des théories dont on reconnaît le vieillissement. Il n’y a plus que les psychanalystes pour s’accrocher aux conjectures freudiennes vieilles de cent ans.
                                        La profession sait qu’elle ne sait pas, et c’est tout à son honneur. Aussi toute proposition est-elle bienvenue, pour peu qu’elle se soumette aux tentatives de falsification des spécialistes. Alors essayons.
                                        L’intégration de la clinique et des théories psychopathologiques donnera lieu au deuxième tome de cet ouvrage. Mais nous ne pouvons pas ne pas en dévoiler l’esquisse dans ce premier volume puisque des bribes en ont déjà été lâchées, à propos des troubles de la personnalité notamment. Nous nous référons aux pathologies répertoriées dans les deux manuels (CIM et DSM) et nous les organisons en fonction de trois critères principaux.
                                         
                                        1)            La gravité 
                                        Nous retenons les trois degrés qu’évoquent les termes techniques :
                                        -          symptôme : gravité de premier degré ;
                                        -          caractérome (ou trait de personnalité troublé) : deuxième degré ;
                                        -          syndrome : maladie psychiatrique grave, de troisième degré de gravité.
                                         
                                        2)            La polarité structuro-fonctionnelle 
                                        Elle se construit sur un vecteur vertical situant le pôle purement structurel en haut et le rôle purement fonctionnel en bas ; la normalité se situe au milieu dans un créneau qui contient la pulsation existentielle entre deux limites afin de protéger l’unité de l’être, son unification ; lorsque cette pulsation déborde cette première limite elle bute sur
                                        -          une deuxième limite, symptomatique, en stress (vers le haut), en choc (vers le bas) ;
                                        -          une troisième limite, caractérotique, en clivage (excès de structure), en amalgame (excès de fonctionnalité) ;
                                        -          une quatrième limite, syndromique, en dissociation (en haut), en confusion ou dissolution (en bas).
                                        Cet axe de polarité structuro-fonctionnelle figure à gauche, en ordonnée. Nous ne justifierons pas ici le bien-fondé des emplacements des différentes pathologies selon le pôle et la gravité. Mais le choix proposé bénéficiera peut-être de sa vertu d’intégration et facilitera quelques flashs de compréhension. Tout dépend du transfert, encore : si vous êtes déjà braqué, tout sera faux ; si vous lâchez-prise, des intuitions se feront. Mais ce qui nous intéresse plus encore ici c’est le troisième critère d’ordonnancement.
                                         
                                        3)          Les étapes ontogénétiques
                                        Comme nous l’avons déjà vu sur les présentations partielles de ce modèle ontopathologique, nous différencions les grandes pathologies selon les six étapes de développement. Rappelons-nous que ces étapes se construisent sur le critère relationnel : seul, à deux, à trois ou plus, en groupe social, en couple affectif et de nouveau seul. Or la pathologie que nous prenons en charge en psychothérapie est un ensemble de troubles issus principalement de mauvaises expériences relationnelles. Autant dire que ce sont des troubles dus à des étapes relationnelles perturbées. Il y a deux critères qui permettent d’attribuer les principales maladies à des stades de développement précis :
                                        -   la manifestation des symptômes lors de l’étape concernée,
                                        -   la mise en place de la structure pathologique au cours d’une étape donnée même si les manifestations ne surviennent que plus tard.
                                         
                                        On se laissera inspirer directement par ce tableau pour les différentes classifications du tableau : même si ce n’est pas totalement exact, ça doit éclairer ou, du moins, interroger. Lorsque je propose cet enseignement aux futurs psychothérapeutes, ça prend deux jours et c’est certainement suggestif. Ils entrent dans le cœur même de chaque pathologie par sa seule polarité, par sa gravité, par son époque de survenue et ils n’ont plus besoin d’apprendre par cœur la longue liste des symptômes prônée par les manuels ou les théories psychopathologiques. Quant aux psychologues cliniciens qui ont longuement étudié la question sur les bancs de la fac, ils trouvent dans ce tableau une mise en ordre tout à fait bienvenue sans avoir à (trop) en redire.
                                         

                                        tableau 32
                                        Tableau 32 : le mondèle ontopathologique

                                        Les trois boucles sinusoïdes à amplitude croissante décrivent la pulsation existentielle dans ses trois états :
                                        -   pulsation plénière à l’intérieur des deux limites du champs unifié,
                                        -   labilité émotionnelle allant jusqu’à stress et choc,
                                        -   ambivalence débordant vers clivage et amalgame.
                                         
                                        L’écolose
                                        Rappelons-nous aussi que ce modèle ontopathologique fera la trame du deuxième tome de cette oeuvre. En attendant, il nous donne l’occasion d’élaborer une nouvelle pathologie qui n’existe dans aucun livre et que l’actualité me pousse à proposer. Les médecins, psychologues et futurs thérapeutes – parmi lesquels le souci écologique est très éveillé – m’encouragent à officialiser la chose. Il s’agit de « l’écolose » ou pathologies des actes et attitudes anti-écologiques ainsi que des réactions produites par les dégâts écologiques. Les écoloses se déclinent comme les socioses et prennent place à côté d’elles. En effet c’est l’adulte socialisé qui en porte la principale responsabilité. En voici la schématisation sur le modèle ontopathologique puis des illustrations.
                                         
                                        Les écoloses
                                         
                                         

                                        tableau 33

                                        Tableau 33 : les six états de l’écolose
                                         
                                        Ecopsychose : le déni quasi psychotique de la responsabilité humaine dans le changement climatique ; exemple : Georges W. Bush lors de son premier mandat ;
                                         
                                        Ecopathie : activité délibérée, importante, aux seules fins de profits personnels contre la nature et la planète ; exemple : les capitaines d’industrie et actionnaires hyperpollueurs ;
                                         
                                        Ecodélinquance : actes bénins et répétitifs préjudicialbes au climat (vous et moi !)
                                         
                                        Ecophobie : anxiété liée aux menaces du climat ; par exemple le tout récent « syndrome d’hypersensiblité chimique multiple » que des petits malins promeuvent pour récupérer les victimes anxieuses ;
                                         
                                        Ec’obsession compulsive : comme d’aller se terrer au fin fond des vallées vosgiennes pour échapper à la pollution et de refuser d’enfanter pour ne pas jeter de nouveaux êtres dans la tourmente climatique ;
                                         
                                        Eco-lancolie : il faut entendre « mélancolie », trouble de l’humeur grave provoquée et stimulée par la fournaise apocalyptique subie réellement ou fantasmée sinon délirée.
                                         
                                        Est-ce sérieux ? Oui, très ! Et les pointes d’humour qui émaillent ces illustrations sont plutôt noires. Ça ne fait pas rire, au contraire. Il me semble important de pathologiser aussi les manquements envers la planète comme envers la société. Il ne suffit plus de fixer une simple amende à l’écopathe, amende qui n’atteint pas le dixième du bénéfice que tire ce pervers de ses transgressions. Et moi, qui joue à la bourse des valeurs ?
                                        Récapitulons la liste de nos nouveaux malades : écotiques, écopathes, écolinquants, écophobiques, écot.o.c., écolancoliques !
                                         
                                        • III. Les étapes de l’ontogénèse et les six étapes de la théorisation freudienne

                                        • Notre propos découle d'une reprise de l'œuvre de Freud avec, comme grille de lecture, la topique des positions et les six étapes du développement humain. Or cette œuvre, ne l'oublions pas, s'étend sur plus de quarante années si l'on part des Etudes sur l'hystérie en 1895 et s'arrête à l’Abrégé de psychanalyse des développements continuels, des percées et des rebondissements suffisamment majeurs pour susciter à chaque fois des défections parmi les disciples. Chaque nouveauté condamnait une charretée d'élèves à perdre la tête à l'instar des régimes successifs de la Révolution Française qui se débarrassaient des précédents par le même moyen de locomotion. C'est ainsi qu'on peut lire l'œuvre de Freud comme un parcours qui est jalonné par les six étapes du développement de l'homme. Rappelons-nous ces étapes de l'œuvre freudienne :en 1938. Cette œuvre a connu
                                          -elle commence chez l'adulte hystérique, avec les Etudes sur l'hystérie, en 1895, donc avec l'étape cinq ou matrice affective ;
                                          -elle bascule dans le temps infantile de la même matrice, fusionnelle, en 1899, avec L'Interprétation des rêves et en 1905 avec les Trois essais sur la théorie de la sexualité : c'est le complexe d'Œdipe ;
                                          -de cette deuxième étape, elle passe à la troisième après avoir découvert la résolution de l'Œdipe et l'entrée dans la dynamique de socialisation ; c'est la découverte du principe de réalité en 1910;
                                          -puis, très logiquement encore, l'adolescent passe à la phase quatre, à la vie sociale active avec le meurtre du père tel qu'il est imaginé dans Totem et Tabou, 1912 ;
                                          -nouveau saut dans le passé, à la première étape, dans la bulle primitive, avec le concept de narcissisme : Pour introduire le narcissisme, 1914;
                                          -puis se fait un saut d'une bulle à l'autre, à l’univers créatrif, avec le concept de pulsion de mort : 1920, Au-delà du principe de plaisir; c'est la sixième étape.
                                          Après avoir exploré successivement chacune des six étapes développementales, Freud débouche très logiquement sur une synthèse structurale, synchronique, de l'être humain : c'est, en 1923, l'avènement de la deuxième topique, des ça-moi-surmoi.
                                           
                                          Chronologie
                                          Œuvre majeure
                                          Concept fondamental
                                          Etape du modèle développemental somatologique
                                          Jusqu’en 1897
                                          Etude sur l’hystérie
                                          étiologie sexuelle de la névrose actuelle
                                          Stade 5 : matrice affective
                                          1897 – 1905
                                          Interprétation des rêves
                                          étiologie libidinale de la psychonévrose, fusion oedipienne
                                          Stade 2 : matrice fusionnelle
                                          1905 – 1910
                                          Trois essais sur la sexualité infantile
                                          résolution du complexe d’oedipe et principe de réalité
                                          Stade 3 : dynamique de socialisation
                                          1912
                                          Totem et tabou
                                          meurtre du père naissance de la société
                                          Stade 4 : dynamique de socialité
                                          1914
                                          Pour introduire le narcissisme
                                          narcissisme primaire
                                          Stade 1 : bulle primitive
                                          1920
                                          Au-delà du principe de plaisir
                                          pulsion de mort
                                          Stade 6 : univers créatrif
                                          1923 – 1938
                                          Le Moi et le ça
                                          topique structurale
                                          topique des positions
                                          Tableau 34 : Les six étapes du cheminement freudien plus une, en regard du modèle développemental holanthropique
                                           
                                          Cette nouvelle lecture de l'œuvre freudienne est d'un grand intérêt. Elle ne valide pas seulement notre modèle développemental mais elle jette une lumière réconfortante sur l'œuvre de Freud elle-même. En effet, il faut se rappeler que plusieurs passages d'une étape à l'autre ont été vécus comme de véritables ruptures théoriques et ont fait chanceler tantôt Freud lui-même, tantôt ses élèves.
                                          La première grande rupture se situe en 1897 lorsque Freud passe de la théorie du traumatisme sexuel adulte à celle du fantasme séducteur infantile. Il est KO debout.
                                          La seconde rupture fait chavirer Adler et Jung à cause de l'insistance, exagérée pour eux, sur l'étiologie sexuelle, critiquée comme pansexualisme.
                                          Mais voici qu'avec l'introduction du narcissisme, Freud scie à nouveau la branche sur laquelle il s'était solidement assis. En opposant aux pulsions sexuelles une pulsion du moi, il semble donner raison à son pire ennemi, C.G. Jung.
                                          De narcissisme en pulsion de mort, Freud prépare une nouvelle frayeur, mais à ses meilleurs élèves cette fois-ci. De nombreux psychanalystes refusent le nouveau concept de pulsion de mort, plus particulièrement Reich qui quittera peu à peu le mouvement psychanalytique avant d'en être exclu.
                                          Enfin, après ce grand tour par les six phases du développement, l'arrêt sur la conception structurale du ça-moi-surmoi dérange encore, Ernest Jones en particulier.
                                          En fait toutes ces crises nous apparaissent vaines, aujourd'hui, avec notre lecture développementale. Chaque étape de la métapsychologie freudienne n'est que l'approfondissement d'une des étapes du développement humain. Que les contenus en soient différents et presque opposés tient au fait que chaque stade possède sa spécificité. Qu'il y ait eu crise à chaque fois relève de l'ambition démesurée de Freud qui voulait à chaque fois faire de sa nouvelle découverte une théorie générale de l'être humain. En réalité, il l'a réussie, cette théorie de l'être, sa méta-psychologie, mais seulement avec l'ensemble de son œuvre de quarante ans, après coup. Il nous reste à reprendre ces sept étapes plus en détail.
                                          Nous procéderons en intercalant un premier travail d'élaboration, celui de Peter Gay, non seulement parce que l'immense œuvre de Freud s'y trouve clairement résumée mais parce qu'il détecte la notion d'étape dans l'œuvre freudienne en lui accolant chaque fois la crise provoquée dans son école. Il aura suffi d'y ajouter le sens développemental de ces étapes pour arriver à une lecture qui n'a encore jamais été faite, ni par Gay ni par d'autres historiens. Il aura fallu l'approche ontogénétique pour compléter enfin le puzzle. Si le recours à l'intermédiaire de Gay enlève un peu de priorité à notre lecture développementale de l'œuvre de Freud, elle y apporte par contre une caution scientifique qui nous dédommage très largement de cette petite frustration.
                                           
                                           
                                          • La théorie de l’étiologie sexuelle et la matrice affective

                                          • En temps que médecin soucieux de gagner sa vie pour pouvoir enfin se marier — il lui aura fallu attendre quatre ans — Freud veut répondre aux besoins immédiats, guérir les symptômes et se faire une réputation de bon praticien. II s'attaque donc au symptôme que lui apporte le patient-type, un adulte. En fait, c'est plus particulièrement encore une femme, une femme du milieu bourgeois qui pouvait seul payer des honoraires importants pour des troubles, névrotiques, qu'on n'abordait pas habituellement à l'époque. Par ailleurs, Freud restait un scientifique et respectait la règle de la causalité linéaire : chaque symptôme devait avoir une cause précise, la plus simple possible et, aussi, la plus généralisable qui soit. C'est ainsi que, à la suite de Breuer, Charcot et Chrobak, il se focalise sur la sexualité quasiment toujours perturbée chez ses patientes et sur une causalité sexuelle. Cette cause était actuelle : troubles de la vie sexuelle des conjoints, coït interrompu, masturbation excessive, absence de sexualité, etc. Mais très progressivement, Freud en vint à suspecter les abus sexuels perpétrés par un adulte, surtout le père, sur l'enfant. C'est ainsi qu'il en vînt à développer sa première grande théorie de la séduction qu'il devait renier en 1897 comme nous l'avons vu.
                                            Alors faut-il voir là le temps de la matrice affective ? Oui, parce que Freud aborde le temps de l'adulte dans sa vie sexuelle, et affective plus largement, donc dans sa vie de couple. Ce sera l'apport le plus important à la question conjugale puisque, par la suite, et de par le cadre même de la psychanalyse, Freud privilégiera l'individu. Et s'il a introduit l'enfance comme temps fréquent de l'abus sexuel, cela n'enlève rien à notre proposition de voir Freud démarrer sa démarche théorique avec ce qui devrait être la matrice affective, car nous n'avons dans ses descriptions cliniques que les pathologies de la conjugalité. Un autre argument vient de la méthode thérapeutique utilisée dans cette première période, l’hypnose et la méthode cathartique ou résolution émotionnelle, qui œuvre dans le présent, par le corps sensuel, sexuel et tendrement ému. Avec ses manœuvres de toucher — sur le front -- et en l'absence du concept de transfert, Freud œuvre à la constitution d'une matrice relationnelle actuelle. Mais, principalement occupé par le symptôme, il ne perçoit pas toute la dimension affective de la situation.
                                            Eh bien, ce bel échafaudage, Freud l'abandonnera en 1897. Dans une lettre à Fliess, il confie : « Le grand secret qui au cours de ces derniers mois s'est lentement révélé à moi : je ne crois plus à ma neurotica » (Gay, p. 110). Cela ne veut pas dire que la théorie est fausse mais que notre maître est en train de soupçonner théorie plus intéressante encore. C'est ainsi qu'il revient sur cette première tranche de savoir en 1924, comme le note Gay. « Près de trente ans après s'être dégagé de ce qu'il confesse avoir été « une erreur [qu'il a] depuis reconnue et corrigée », il insiste sur la part de vérité que contiennent ses premiers travaux des années 1890. « Toutefois, il ne faut pas rejeter tout le texte en question [le chapitre Etiologie spécifique de l'hystérie in " Nouvelles remarques sur les neuropsychoses de défense »]. La séduction conserve toujours une certaine importance étiologique et je tiens encore aujourd'hui pour exactes certaines de mes opinions exprimées dans ce chapitre. » Et il note explicitement que deux de ses premiers cas, Katharina et une « Fraulein Rosalia H. », avaient été victimes d'attentats à la pudeur, et que l'agresseur était bel et bien leur père ». (op. cit., p. 112)
                                             
                                            • La théorie de l’Œdipe et la matrice fusionnelle

                                            • II n'est pas nécessaire d'insister beaucoup plus sur le complexe d'Œdipe dont le concept émerge de la dépression de 1897. Il est connu, reconnu, tellement évident actuellement qu'il perd son effet de choc quand on l'introduit dans une interprétation. Laissons la parole à Peter Gay.
                                              « De ses plongées dans la jungle foisonnante de son enfance, Freud devait rapporter quelques trophées de choix, dont le plus spectaculaire et le plus controversé de tous : le complexe d'Œdipe. Il avait déjà communiqué cette idée-force à Fliess, à l'automne 1897. Dans L'interprétation des rêves, il développe cette notion sans encore lui donner le nom sous lequel elle a envahi voire dominé— l'histoire de la psychanalyse. Il l'introduit, fort à propos, dans une partie qui traite de quelques rêves bien caractérisés, dont certains — ceux en particulier sur la mort d'êtres chers — exigeaient d'être élucidés   sérieusement ; ainsi des rivalités entre frères et sœurs, des tensions entre mère et fille ou père et fils, et des désirs de mort concernant des proches, toutes tendances tenues pour dénaturées et indignes. Sans doute portent-elles atteinte aux vertus conventionnelles les plus valorisées, note Freud sèchement, et pourtant elles n'en sont pas moins un secret pour personne. Le complexe d'Œdipe, tel qu'on le retrouve dans les mythes, la tragédie et le rêve, joue dans tous les conflits à huis clos de la vie quotidienne. Refoulé dans l'inconscient, il est d'autant plus lourd de conséquences. Il constitue, comme devait l'affirmer Freud plus tard, le « complexe nucléaire » de la névrose. Mais, insiste-t-il d'emblée, « la tendresse pour l'un [des parents], la haine pour l'autre » n'est pas le monopole des névrosés. Sous forme moins dramatique, c'est le lot de tout être humain.
                                              Tel que Freud le formule au début, le complexe d'Œdipe est relativement simple ; mais au cours des ans, il affine considérablement sa proposition. Et dans la mesure même où, très vite, on contesta violemment ses idées, sa prédilection pour le complexe d'Œdipe ne cessa de s'affirmer : il y voit la genèse des névroses, le moment critique dans le développement de l'enfant, l'indice de différenciation sexuelle dans le processus de maturation, et, dans Totem et Tabou, l'impulsion originaire de toute civilisation et l'avènement de la conscience » (op. cit., pp. 131-132).
                                              Que le temps œdipien soit le temps de la matrice fusionnelle, nul ne le contestera. La passion d'Œdipe pour sa mère dans la tragédie de Sophocle est la métaphore de la relation du petit enfant à sa mère, au moment où il dépasse le dérangement que l'intrusion de cette mère constitue en lâchant prise dans la fusion. Le fait que la deuxième grande élaboration théorique de Freud concerne le temps de la matrice fusionnelle ne doit rien au hasard. Elle découle très logiquement de l'élaboration précédente dans la mesure où la matrice affective, adulte, entraîne l'analysant très progressivement vers la matrice fusionnelle infantile sous-jacente pour peu que la situation permette cette régression. Or le nouveau cadre psychanalytique mis en place après 1897 fait plus que le permettre, il y invite. Nous voyons là l'illustration de plusieurs remarques faites au passage : l'importance fondamentale du cadre organisationnel sur le contenu et le déroulement de la cure, la finesse de l'observation clinique de Freud et sa rigueur méthodologique qui permet aux faits cliniques de l'emporter sur les présupposés théoriques. En fait, la phase fusionnelle de l'Œdipe porte déjà en elle sa résolution et le passage à la troisième étape de vie que Freud appelle période de latence. Nous ne nous appesantirons pas sur cette crise importante de la liquidation du complexe d'Œdipe sinon pour l'instituer comme modèle des crises transitionnelles, catastrophiques, entre deux étapes ontogénétiques. Mélanie Klein situera cette crise aux 6 mois et Ferenczi et Rank déplaceront cette crise fondatrice à la naissance, comme Stanislav Grof plus tard, avec exactement les mêmes ingrédients que ceux de la crise œdipienne. Pour notre part, nous introduisons les crises ultérieures et leur conférons autant d'importance même si leur position dans le temps devient de moins en moins précise.
                                               
                                              • La théorie du principe de réalité et la dynamique de socialisation

                                              • La découverte de la sexualité infantile n'a pas permis à Freud de faire fi d'une longue période apparemment non sexuée qu'il appellera période de latence. Voici comment la résume Peter Gay,
                                                « Cette période de latence qui s'étend de l'âge de cinq ans environ jusqu'à la puberté, cette phase du développement durant laquelle l'enfant fait d'importants progrès dans le domaine moral et intellectuel, repousse à l'arrière-plan tout sentiment sexuel. Qui plus est, une amnésie profonde recouvre les premières années de la vie d'un voile épais » ; et le témoignage, intéressé, de l'amnésique vient corroborer la conception couramment reçue selon laquelle la vie sexuelle commence à la puberté » (op. cit., p. 171).
                                                Très longtemps, Freud n'avait pas plus à dire de cette période qui se dérobait à son pansexualisme. Il avait assez à faire à intégrer l'irruption du complexe d'Œdipe et de la sexualité infantile. Ce n'est qu'en 1910 qu'il s'attèle enfin à ce qui va constituer la théorisation majeure de cette période, dite de latence, que nous connaissons, nous, comme dynamique de socialisation, avec une étude relativement courte : « Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques ». Voyons-en le contenu résumé par Peter Gay.
                                                « L'essai distingue clairement entre deux modes de fonctionnement psychiques : les processus primaires, qui émergent d'abord, sont caractérisés par leur inaptitude à tolérer toute modulation du désir ou tout délai d'assouvissement. Ils sont régis par le principe de plaisir. Les processus secondaires, qui mûrissent au cours de la croissance de l'enfant, favorisent le développement de l'humaine faculté de pensée — l'enfant devient capable de décision judicieuse, d'ajournements bénéfiques. Ce processus obéit au principe de réalité — du moins une partie du temps, (op. cit., p. 388)
                                                Tout enfant passe par cette expérience, riche de conséquences et que la vie lui impose : «Avec l'instauration du principe de réalité, un pas [est] franchi. » Lorsqu 'il a découvert que s'efforcer d'obtenir sur un mode hallucinatoire l'accomplissement de ses désirs ne lui fournit pas la satisfaction attendue, il en est réduit à se représenter l'état réel du monde extérieur et à rechercher une modification réelle ». Concrètement, cela signifie que l'enfant apprend à se souvenir, à concentrer son attention, à porter des jugements, faire des projets, calculer ; il ne s'agit rien moins que de la naissance de la pensée, qui est « une activité d'épreuve » : l'enfant met la réalité à l'épreuve. Rien de facile, encore moins d'automatique, dans le déroulement de ce processus secondaire : l'enfant n'échappe que progressivement à l'emprise de l'impérieux et insouciant principe de plaisir qui, par moment, réaffirme ses droits. De fait, conservateur par nature, l'enfant n'oublie rien des jouissances éprouvées et répugne vivement à y renoncer, même en vue de satisfactions ultérieures bien plus intenses et moins certaines. Les deux principes coexistent donc tant bien que mal, et souvent s'affrontent.... Il est essentiel qu'aux fins de promouvoir le principe de réalité, la culture négocie avec le principe de plaisir, et obtienne que le « moi-plaisir » cède, du moins en partie, au « moi-réalité ». Aussi bien la conscience c'est-à-dire les fonctions conscientes : attention, jugement, mémoire -— a-t-elle un rôle considérable à jouer dans l'activité psychique : c'est à elle qu'incombe la tâche d'assurer l'emprise de la réalité ».... Freud frayant implicitement le chemin d'une psychologie sociale d'orientation psychanalytique. Les forces qui incitent l'enfant à affronter très tôt le principe de réalité, lorsque sa faculté à utiliser sa raison est encore hésitante et intermittente, sont pour la plupart extérieures : les interventions de ceux qui disposent de l'autorité. L'absence temporaire de la mère, la punition administrée par le père, les inhibitions diverses imposées à l'enfant, d'où qu'elles viennent — de la nurse, d'un frère ou d'une sœur aînés, des camarades d'école — sont les grands « non » sociaux qui contrecarrent les désirs, canalisent les passions, ajournent les satisfactions. Après tout, même l'expérience si douloureusement intime qu'est le complexe d'Œdipe ne suit son cours normal que dans un contexte éminemment social » (op. cit., p. 389).
                                                Pourrait-il y avoir plus belle définition de la dynamique de socialisation ? Il suffit d'ajouter la note positive qui est celle de sécurisation passive, de protection, et qui donne à l'enfant le motif nécessaire pour gérer le principe de plaisir, l'ajourner, le moduler, parfois même y renoncer. Ce nouveau texte n'a pas provoqué de crise dans le monde de la psychanalyse bien que Freud soit déçu de la lecture qu'il en a faite à la Société psychanalytique de Vienne : « Avoir affaire à ces gens devient de plus en plus difficile » (op. cit., p. 387). Et pour cause, ce texte vient tout simplement remplir la case vide de la période de latence et, malgré la formulation ambitieuse des deux principes de plaisir et de réalité, il décrit fidèlement l'essentiel de la dynamique de socialisation. Nous percevons là l'éternel besoin de Freud de faire de chacune de ses observations une théorie magistrale et, de préférence, choquante et révolutionnaire, au delà du besoin d'allier la complexité et la simplicité.
                                                 
                                                • La théorie du meurtre du père et la dynamique de socialité

                                                • La période d'avant-guerre est décidément féconde pour Freud et l'on peut se demander ce qui se serait passé sans la terrible épreuve de la Première Guerre mondiale et des années difficiles qui ont suivi puisque la patrie du maître était vaincue. On peut émettre des regrets mais tout autant souffler de soulagement car notre théoricien commençait à s'emballer. En 1913, il publie Totem et Tabou qui est un « mythe scientifique ». Un anthropologue anglais écrira dans sa recension qu'il s'agit d'une « just-so story ». En effet, aujourd'hui, nous savons que les sources anthropologiques auxquelles Freud s'est référé ne sont pas fiables et que l'hypothèse qu'il émet est invérifiable et probablement inexacte. Freud lui-même reconnaissait déjà ces faits.
                                                   
                                                  Pourtant, avec son mythe totémique, Freud a effectivement créé de la cohérence et de la compréhension. Pour nous, il a mis en place la crise qui introduit à la quatrième étape de vie, crise majeure puisqu'elle fait basculer de la première moitié de vie — passive — à la seconde — active — de l'enfance à l'âge adulte. Mais comment et de quelle manière ! Pour Freud, il ne peut y avoir à nouveau que lucre et stupre, sperme et sang. Il ne pourra jamais décrire les choses avec la banalité de la vie elle-même. Voici comment Gay résume la situation primitive, autrefois, tout là-bas.
                                                  « Le père, jaloux et féroce, qui domine la horde et accapare toutes les femmes, chasse ses fils dès qu'ils atteignent la puberté. "Un jour, les frères chassés se sont réunis, ont tué et mangé le père, ce qui a mis fin à l'existence de la horde paternelle. Une fois réunis, ils sont devenus entreprenants et ont pu réaliser ce que chacun d'eux, pris individuellement, aurait été incapable de faire. " II est possible qu'un nouveau progrès de la civilisation, suggère Freud, l'invention d'une nouvelle arme par exemple, leur ait procuré un sentiment de supériorité sur leur tyran. Qu'ils aient mangé le cadavre du père tout-puissant qu'ils avaient tué, rien d'étonnant à cela, pense Freud, "étant donné qu'il s'agit de primitifs cannibales". "L'aïeul violent" était certainement le modèle envié et redouté de chacun des membres de cette association fraternelle. Or, par l'acte de l'absorption, ils "réalisaient leur identification avec lui, s'appropriaient chacun une partie de sa force ". Ses origines ainsi dévoilées, on doit considérer le repas totémique «qui est peut-être la première fête de l'humanité », comme "la reproduction et la fête commémorative de cet acte mémorable et criminel". Tel fut, selon Freud, l'acte fondateur de l'histoire de l'humanité » (op. cit., pp. 379-380),
                                                  On l'aura compris, Freud ne veut pas seulement nous décrire la révolte de l'adolescent contre ses parents ou la révolution des étudiants de mai 68 contre les anciens. Il pose l'acte fondateur de l'histoire de l'humanité, de la religion, de la morale et de la société. Rien de moins.
                                                  Et les élèves, à la lecture de ce mythe ? Les élèves rescapés de la grande purge psychanalytique qui vit l'exclusion des Stekel, Adler, Jung et de leurs collègues ? Certains élèves, tels Jones et Ferenczi, renvoyèrent le compliment à l'expéditeur en écrivant au maître « qu'il avait vécu, en imagination, les faits décrits dans ce texte »,
                                                  Et pourtant, Totem et Tabou marque le passage de la dynamique de socialisation avec son acceptation du principe de réalité à la dynamique de socialité avec l'accès des fils à la responsabilité sociale. Freud s'intéressera par ailleurs très peu à la vie de l'adulte dans la société. Il préfère élucider le vécu de culpabilité plus que celui de responsabilité. Il s'apitoye sur la neurasthénie des bourgeoises de Vienne plus que sur le stress des nouveaux capitaines d'industrie. Et quand il investit le fonctionnement social, c'est à travers l'armée, l'Eglise et... la horde primitive, y trouvant des réalités peu reluisantes. Freud n'a pas cherché de créneau lucratif dans la managéro-psychanalyse. Car l'exercice du pouvoir, celui de l'adulte et du père, n'est pour Freud que de guerre, d'inceste et de perversion sexuelle. Aussi cette incursion du côté de l'adulte qui aurait dû déboucher logiquement sur le couple, provoque-t-elle la même inversion vers le passé qu'en 1897. Là-bas, il rabattait l'affection adulte sur la fusion infantile, maintenant il retourne au narcissisme primaire et à la première étape de vie.
                                                   
                                                  • La théorie du narcissisme et la bulle primitive

                                                  • En 1914, un an après Totem et Tabou, Freud écrit Pour introduire le narcissisme, un texte court mais fondamental qui va amener une nouvelle catastrophe dans la horde psychanalytique. En voici la présentation magistrale faite par Peter Gay :
                                                    « Dans Totem et Tabou, Freud avait constaté que le stade narcissique n'est jamais dépassé et qu'il apparaît comme un phénomène d'une grande généralité. Dès lors, il s'applique à déchiffrer les implications de sa pensée encore fragmentaire. Originellement, le moi désigne une perversion : les personnes narcissiques sont des sujets pathologiques qui ne peuvent obtenir de satisfaction sexuelle qu'en faisant de leur propre corps un objet érotique. Mais, constate Freud, les pervers ne sont pas les seuls à jouir de cet égotisme érotique. Après tout, suggère-t-il, les schizophrènes retirent aussi leur libido du monde extérieur, sans l'éteindre pour autant, mais bien pour l'investir en eux-mêmes. Par ailleurs, les psychanalystes ont découvert d'amples témoignages de traits narcissiques chez les névrosés, les enfants, les primitifs. Dans Totem et Tabou, Freud avait déjà ajouté à cette liste qui allait toujours s'allongeant, les amoureux. La conclusion s'imposait : pris dans cette acception beaucoup plus large, le narcissisme "ne serait pas une perversion, mais le complément libidinal à l'égoïsme de la pulsion d'autoconservation dont une part est, à juste titre, attribuée à tout être vivant" » (op. cit., p. 391).
                                                    Freud avait déjà pressenti l'importance du narcissisme primaire et l'avait introduit dans son étude sur Léonard de Vinci tout comme dans la « grande psychanalyse » du Président Schreiber. Mais maintenant il systématise, institutionnalise, et constitue le vécu de stabilité structurelle qui fait le cœur de la bulle primitive.
                                                    Le saut conceptuel dans le narcissisme est aussi grand que le saut de la quatrième étape de vie à la première. Les élèves ne peuvent plus suivre. Ce que le maître concocte depuis des années ne peut pas emporter l'adhésion en une demi-heure de lecture. Le choc est rude comme le rapporte Peter Gay :
                                                    «II s'ensuit des conséquences qui bouleversent de fond en comble la théorie psychanalytique, car elles contredisent radicalement les formulations antérieures de Freud, selon lesquelles les pulsions du moi ne sont pas de nature sexuelle. Les critiques auraient alors raison, qui accusaient Freud de "tout réduire au sexe" et le représentaient comme un voyeur, porté "à ne voir dans le psychisme que la sexualité" ? A maintes reprises, Freud s'en était défendu avec véhémence. Jung aurait-il vu juste en définissant la libido comme une énergie psychique indifférenciée à l'œuvre dans toute activité mentale ? Freud ne se laissa pas émouvoir. Invoquant l'autorité de son expérience clinique, il soutint que les catégories de la libido du moi et de la libido d'objet, qu'il venait d'introduire, n'étaient que l’indispensable extension" de son schéma psychanalytique initial, et insista sur le fait qu'il n'y avait rien de très nouveau et certainement rien de vraiment troublant dans cette élaboration. Ses disciples n'étaient pas vraiment convaincus ; ils entrevoyaient les implications révolutionnaires de cette innovation bien plus clairement que l'auteur lui-même. "La raison qui m'a fait qualifier de perturbant l'essai de Freud sur le narcissisme, la voici, écrit Jones. C'est que ce travail a assené un coup bien désagréable à la théorie des instincts sur laquelle la psychanalyse s'est jusqu'à présent appuyée dans ses travaux. " Pour introduire le narcissisme" perturba effectivement Jones et ses amis » (op. cit., pp. 393-394).
                                                    Avec ce nouveau concept, Freud s'est effectivement intéressé à la première étape de vie mais le narcissisme primaire peut-il réellement se transmuer en « homéoesthésie » ? Je le pense, quant à moi, après un long temps de réflexion mais le lecteur peut-il s'en persuader en cinq minutes de lecture ?
                                                     
                                                    • La théorie de la pulsion de mort et l’univers créatif

                                                    • La guerre de 1914-1918 passa par là. Freud soutenait évidemment son pays, bien qu'il fût l'agresseur. Il le paya durement. En 1917, il publia Deuil et mélancolie à l'époque où il perdit non pas ses trois fils pourtant sur le front mais une de ses filles. En décrivant la mélancolie, il entre dans la sixième étape de vie, dans l’univers créatif où l'on revient du social et du conjugal pour se souvenir à nouveau de soi-même. Dans la mélancolie, malheureusement, cet univers est vide, narcisse n'a même plus d'image en face de lui.
                                                      En fait, l'incursion décisive dans la sixième et dernière étape se fait en 1920 avec un texte intitulé Au-delà du principe de plaisir dans lequel Freud postule une pulsion de mort. Aux bons soins de Peter Gay.
                                                      « Dans la compulsion de répétition, il voit une « manifestation » analogue « aux toutes premières activités de la vie psychique de l'enfant [qui] présentent à un haut degré [un] caractère pulsionnel », Le type de répétition que réclame l'enfant - qu'on lui redise l'histoire même qu'on lui a déjà racontée, et sans y changer un mot ni omettre un détail est, à l'évidence, source de plaisir, mais rejouer incessamment dans le cadre du transfert, des expériences terrifiantes ou des malheurs infantiles, c'est obéir à d'autres lois. Ce type de conduite compulsionnelle procède d'un besoin fondamental, distinct de l'accomplissement du désir et souvent en conflit avec lui. Ainsi Freud aboutit-il à l'idée que certaines pulsions sont conservatrices ; elles obéissent non pas aux incitations de l'inconnu, du nouveau, mais tendent tout au contraire vers le rétablissement d'un état antérieur : à faire retour à l'« anorganique ». Bref, « nous ne pouvons que dire : le but de toute vie est la mort ». La pulsion d'emprise, ou toute autre à laquelle Freud, au cours des ans, a pu donner le statut de pulsion primitive, s'efface dès lors au profit de cette dernière. Tout ce que l'on peut dire est que « l'organisme ne veut mourir qu'à sa manière ». Freud était parvenu à la conception théorique d'une pulsion de mort » (op. cit., p. 460).
                                                      Le principe de plaisir avait déjà été entamé par le principe opposé de réalité. Maintenant une seconde pulsion vient le contrarier, la pulsion de mort. D'abord il s'agissait de l'adolescent, maintenant il s'agit de l'adulte mûr. C'est la tendance à répéter des faits désagréables, à ressasser des souvenirs pénibles, qui intrigue Freud et le pousse à concevoir cette pulsion de mort. Mais il y a aussi une espèce d'extinction de l'énergie qui accompagne ces répétitions. C'est de l’homéoesthésie, c'est une égalité d'âme, qui sont plus importantes que le contenu, même douloureux.
                                                      La pulsion de mort fut un coup fatal pour de nombreux psychanalystes, pour Reich notamment et tout le courant post- et néo-reichien actuel, qui en ont fait une lecture au premier degré, ne voyant pas dans le texte lui-même qu'il s'agit d'une tendance à l'homéoesthésie, ici par la répétition compulsive, et d'une tendance à l'abaissement du niveau d'énergie, par le désinvestissement social et conjugal. Pour nous, la méprise apparaît encore plus grande avec notre lecture de cette sixième théorisation comme application à une nouvelle étape de vie, à la sixième plus précisément. A présent la boucle est bouclée et l'inspiration de Freud aurait pu fléchir. Mais non, il restait une dernière œuvre à accomplir, à savoir juxtaposer ces six théories partielles, complémentaires et non pas opposées, et les emboîter en un ensemble structuré. Eh bien, c'est en route comme nous l'annonce Peter Gay, dès 1920.
                                                      « A l'époque, les psychanalystes se plaignent — et ils se plaignent encore aujourd'hui — de voir Freud se soucier fort peu d'expliciter la portée véritable de ses remaniements théoriques. Il ne spécifie jamais en quoi il a modifié une formulation donnée, ce qu'il a abandonné et ce qu'il a conservé et laisse à son lecteur la tâche d'accorder des propositions en apparence inconciliables. Cependant, rien dans les retouches et corrections qu'il apporte à son Au-delà du principe de plaisir ne met en cause le schéma psychanalytique traditionnel qui distingue idées et désirs selon leur distance relative à la pensée consciente ; la triade familière, inconscient, préconscient et conscient, ne perd rien de sa valeur explicative. Pourtant, la nouvelle carte de la structure psychique que Freud dessine entre 1920 et 1923 introduit dans le champ de la réflexion psychanalytique des «provinces » du fonctionnement ou du dysfonctionnement mental insoupçonnés jusqu'alors, tel le sentiment de culpabilité. Et plus important encore, ces révisions de Freud livrent accès à une instance psychique que la pensée psychanalytique a pour l'heure négligée au point d'à peine la nommer avec précision, et moins encore la comprendre : le moi. Avec la psychologie du moi que Freud élabore après la guerre, il allait pouvoir serrer de plus près la réalisation de son ambition première : fonder une psychologie générale qui, au delà de son champ immédiat et restreint d'application — la névrose —, permettrait d'appréhender l'activité psychique normale. » (op. cit., p. 457).
                                                       
                                                      • La théorie structurale des ça, moi et surmoi et la topique des positions

                                                      • Les concepts des ça, moi et surmoi nous sont bien connus. Ils font partie de la culture générale et structurent l'individu comme autant de signifiants. Il est pourtant utile de replonger dans les conceptions freudiennes initiales avec la profondeur de vue de l'historien. Voici les sens du ça et du moi freudiens.
                                                        « Le moi émerge chez l'individu en cours de croissance en tant que segment du ça dont il se différencie graduellement : "le moi est la partie du ça qui a été modifiée sous l'influence directe du monde extérieur", soit, en termes presque simplistes : "Le moi représente ce qu'on peut nommer raison et bon sens, par opposition au ça qui a pour contenu les passions ". Durant les années qui lui restent à vivre, Freud n'établira pas de manière définitive quels pouvoirs assigner respectivement au moi et au ça. Mais il n'a jamais vraiment douté qu'en règle générale, le ça ait la haute main. Le moi, écrit-il dans Le moi et le Ça, développant une métaphore qui devait devenir célèbre, "ressemble ainsi, dans sa relation avec le ça, au cavalier qui doit réfréner la force supérieure du cheval, avec cette différence que le cavalier s'y emploie avec ses propres forces et le moi, lui, avec des forces d'emprunt" empruntées au ça. Et Freud file sa métaphore jusqu'au bout. "De même que le cavalier, s'il ne veut pas se séparer de son cheval, n 'a souvent rien d'autre à faire qu'à le conduire où il veut aller, de même le moi a coutume de transformer en action la volonté du ça, comme si c'était la sienne propre" » (op. cit., pp. 473-4).
                                                        L'image du cheval et du cavalier n'est pas gratuite et ne fait qu'introduire à la vision très corporelle du moi. Cette reconnaissance nous réconforte beaucoup, nous somatanalystes, et nous fait penser que, cent ans plus tard, Freud aurait aussi travaillé le corps !
                                                        « Le moi, insiste-t-il, est avant tout un moi corporel ; il n'est pas seulement un être de surface, mais il est lui-même la projection d'une surface ; le moi est finalement dérivé de sensations corporelles. Cependant, il acquiert non seulement une part considérable de son savoir mais sa forme intrinsèque de son commerce avec le monde extérieur : de choses vues, entendues, éprouvées, de plaisirs et de satisfactions vécus » (op. cit., pp. 474-475).
                                                        Quant au surmoi, nous l'approcherons à partir d'un texte des Nouvelles Conférences d'introduction à la psychanalyse, écrit dix ans plus tard.
                                                        « Les petits enfants ne naissent pas avec un surmoi, et les conditions de son émergence intéressent au plus haut point la psychanalyse. Le processus de formation du surmoi implique le développement de la capacité d'identification. Freud prévient le lecteur qu'il aborde une question ardue, "très intimement rattachée au destin du complexe d'Œdipe". Un destin qui, en terme de technique psychanalytique, consiste en la transformation des choix d'objets en identifications. Dans un premier temps, l'enfant prend ses parents comme objets d'amour pour, dans un second temps, renoncer à ces choix d'objets et, en dédommagement de cette perte, s'identifier à eux en incorporant leurs attitudes, leur système de valeurs, leurs prescriptions et leurs interdits. Bref, il a d'abord voulu avoir ses parents, pour finir ensuite par chercher à être comme eux. "Le surmoi de l'enfant, dit Freud, ne s'édifie pas, en fait, d'après le modèle des parents, mais d'après le surmoi parental " Ainsi le surmoi devient-il "porteurde tradition, de toute les valeurs culturelles et censeur du moi qu'il habite, et tout ensemble instance de vie et de mort » (op. cit., pp. 476-477).
                                                        La nouvelle topique des ça, moi et surmoi a été généralement bien accueillie par les élèves comme s'ils pressentaient sa place de synthèse et de structuration de l’ensemble freudien. Pour nous, cette seconde topique est la réplique parfaite de la topique des positions. Dans la mesure où Freud ne travaillait que dans le verbal, il n'avait accès qu'aux « représentants psychiques » des trois positions humaines. Quant à nous, actifs dans le groupe social, la matrice affective et la bulle de développement individuel, nous accédons à la réalité de ces positions. Aussi n'avons-nous aucune restriction à postuler que les ça, moi et surmoi sont les représentants psychiques des trois positions de vie réelles, respectivement, de la matrice affective, de l’univers créatif et du groupe social. Les différences apparemment importantes qui apparaissent entre les descriptions freudiennes et les nôtres tiennent à ce fait que, chez Freud, tout passe par la moulinette de l'élaboration intrapsychique des choses alors que, chez nous, les choses sont appréhendées en elles-mêmes. Chez Freud, il y a une certaine unité puisque les trois lieux sont conçus en une même personne ; chez nous, les trois positions de vie sont nettement séparées et s'imposent avec leurs modes de fonctionnement différenciés.
                                                        Mais, en fin de compte, les deux approches sont, elles aussi, complémentaires. Seul l'état des mœurs de chaque époque respective a obligé l'un à travailler avec les représentants psychiques et permis à l'autre de travailler dans le réel.
                                                        Voilà ces applications du modèle ontogénétique. Freud y prend une place de choix, comme il convient, avec son concept de transfert et sa métapsychologie. Là nous nous connectons au passé. Mais bien plus prometteur est l’avenir, à savoir l’application au modèle ontopathologique, avec la petite coquetterie du côté de l’écolose. Freud a pu s’imposer grâce aux propositions psychopathologiques, en particulier grâce aux quatre psychonévroses (hystérie, angoisse, phobie, obsession). Notre ambition est aussi grande puisque nous élargissons le travail à toute la psychopathologie, insistant sur ses derniers avatars, à savoir les troubles de la personnalité et les… écoloses !
                                                    • Chapitre 12 : Les purs processus inconscients et le modèle ontologique

                                                    • Nul ne pourrait prétendre à la méthode analytique (freudienne) s’il ne situait la place des processus inconscients dans le déroulement de son travail. Psychanalyste de formation, j’ai eu longtemps du mal à concevoir “ l’inconscient “ comme entité et même à départager les innombrables définitions des “ processus inconscients “ dont les plus importantes sont celle de Freud qu’on appelle parfois “ inconscient personnel “ et celle de Jung qu’il annonce comme “inconscient collectif “. Pourtant l’expérience personnelle et professionnelle m’a familiarisé avec ces deux aspects à travers les lapsus du discours, les actes manqués, les rêves freudiens et grands rêves jungiens, les fantasmatisations et le transfert, sans oublier l’enseignement des mythes en ethnologie.
                                                                  Mais ce sont les observations des “expériences plénières” centrées sur les cinq “pleines fonctions” (émotionnelle, affective, énergétique, consensuelle et véridique) qui m’ont fixé sur la réalité de dynamiques tellement processuelles que je les ai appelées “pures“, pures de toute structure. Ce qu’on appelle “ structure “ dans le langage professionnel, à savoir les cognitions, comportements et scénarios relationnels fixés (de socialité et de conjugalité), les traits de caractère et la trame permanente de la personnalité, disparaît ici pour laisser place à la pure expérience de processus en mouvement. Mais de quels processus s’agit-il au juste, freudiens, jungiens, reichiens, lacaniens ou même mystiques ? Ou tout simplement neuro-bio-physiologiques ?
                                                                  L’observation minutieuse des purs moments somatanalytiques et l’accompagnement de milliers de pneumanalyses (rebirth) m’ont amené à détecter des constantes tantôt freudiennes (libidinales), tantôt jungiennes (archétypales) et d’un troisième type, d’ineffable amour et de certitude absolue évoquant la mystique orientale. Mais j’étais encore bien loin des concepts classiques d’inconscient et, plutôt que de forcer le trait ou de dessiner une fausse fenêtre, j’ai laissé la case vide en attendant qu’elle se remplisse.
                                                       
                                                      • L’expérience de mort imminente : E.M.I.

                                                      • Puis, un jour, une nouvelle étape s’impose dans la connaissance des états de conscience avec ce qu’on appelle EMI, NDE en anglais, expérience de mort imminente, near death experience. En effet, après les descriptions étonnées et étonnantes de Raymond Moody ou de Kenneth Ring notamment, insistant plus sur le fantastique du contenu que sur la permanence des étapes formelles, on en arrive aux études scientifiques, méthodiques, comme celle d’un cardiologue hollandais qui comptabilise près de 15 % d’EMI parmi plus de trois cents comateux après infarctus du myocarde (Van Lommel). Moi-même j’ai interrogé mes patients qui ont passé par une anesthésie générale et j’arrive à une proportion très proche – mais sans la rigueur statistique. Cette E.M.I. nous la retrouvons décrite de façon très proche dans toutes les traditions de toutes les époques (dans le Bardo Thödol tibétain, le livre des morts égyptien, la mystique chrétienne, la divine comédie de Dante etc...). Cette E.M.I., nous la cultivons dans les pratiques respiratoires telle que le Rebirth et dans bien des somatothérapies centrées sur les états de conscience. Fritz Perls la décrit dans la Gestalt-thérapie. Cette E.M.I. est reconnue maintenant comme un processus bien précis qui fait traverser cinq étapes dans un ordre chronologique habituel après le trauma initial, même si le contenu semble disparate :
                                                         
                                                        • étape 1 : bien être
                                                        • étape 2 : excorporation
                                                        • étape 3 : tunnel noir et lumière
                                                        • étape 4 : vision, révélation et amour
                                                        • étape 5: point de non retour et.... retour.
                                                         
                                                                    Aussi est-il évident à présent que la dite EMI n’est autre qu’un processus neuro-bio-physiologique, à manifestation psychologique, qui se déroule selon ces cinq étapes auxquelles j’ajoute une sixième : le changement de vie. Cette sixième étape qui s’écoule sur des mois, ce changement de vie, démontre l’effet thérapeutique de l’éveil de ces processus. Le monde médical et scientifique reconnaît enfin la réalité de ces vécus qui n’ont plus rien d’ésotérique ni même de mystique. Il en arrive à évaluer l’occurrence de l’E.M.I. à un tiers de la population : une personne sur trois fait, un jour ou l’autre, une expérience dite de mort imminente. Quand j’en parle à un groupe de vingt élèves, il y a toujours trois ou quatre d’entre eux qui ont fait cette expérience.
                                                                    Mais n’oublions pas que, dans l’EMI, la cause est traumatique et violente ou chimique (anesthésie, drogue dure) et provoque donc des phénomènes en clivage tel que l’excorporation. Dans le travail analytique, par contre, la pratique est volontaire et progressive. Dans les pratiques somatothérapiques, somatanalytiques et méditatives, c’est un acting, l’hyperventilation notamment, qui lève la structure correspondante et libère le processus qui reste unifié et centré. J’ai bien observé ce mécanisme lors des milliers de séances de pneumanalyse (rebirth) que j’ai accompagnées au cours du quart de siècle écoulé. C’est ainsi qu’on peut systématiser les mêmes étapes que celles de l’E.M.I. raison pour laquelle nous appellerons ce deuxième mode d’obtention : expérience des processus inconscients.
                                                         
                                                        • L’Expérience des Processus Inconscients : E.P.I. en pneumanalyse

                                                        • Pour chaque étape, il y a d’abord la traversée d’une structure défensive spécifique puis l’accès au pur processus.
                                                           
                                                           
                                                          Etape 1
                                                                      pratique :      subversion de la structure de vigilance que requiert la vie sociale, par la mise en posture allongée et relâchée sur un matelas ;      
                                                           
                                                                      effet :              éveil du bien être.
                                                           
                                                           
                                                          Etape 2
                                                                          pratique :      subversion de la “structure corporelle”, du “ schéma corporel “ anatomique            et de l’homéostasie bio-physiologique par l’hyperventilation et  l’hyperoxygénation ;
                                                           
                                                                      effet :             éveil du pur processus énergétique, ou “expansion du corps énergétique “,                                                  il s’agit aussi de la libido freudienne, donc de l’inconscient personnel avec                                        retour de souvenirs réels et d’émotions.
                                                           
                                                           
                                                          Etape 3 
                                                          pratique :      subversion de la “ structure mentale “, de celle qui donne “ forme “ à toute production psychique (image, pensée, mélodie etc...), par l’invasion de la vague énergétique dans le cerveau et relâchement de la conscience ;
                                                          effet :             aspiration dans le tunnel noir, l’obscurité, l’informe, le gris ; sensation d’un mouvement très intense qui fait débouler en spirale à travers le tunnel vers...la lumière qui point au bout. L’absence de “ l’in - formation “ donne des ressentis d’une extrême intensité et d’une nouveauté surprenante. C’est dans ce tunnel que l’on peut paniquer et résister jusqu’à éprouver l’enfer. Vingt pour cent des E.M.I. sont des expériences angoissantes et infernales. Si l’on s’abandonne avec confiance à ce pur processus spirituel, on arrive à la pure lumière, à des taches de couleur extrêmement vives, à une vérité d’une évidence totale ; on entre dans un mouvement d’aspiration libérateur. C’est à ce niveau que se situe, pour les Tibétains, l’éveil définitif, le nirvana, qui intègre l’amour sans objet ni image. Eveil de clarté, volupté, agapé, épistémé.
                                                           
                                                           
                                                          Etape 4
                                                          pratique :      subversion de la “ structure personnelle “, à savoir de tout ce qui fait la définition de la personne avec son identité, son individualité, son apparence que nous connaissons, sa séparation d’avec les autres, d’avec son ego freudien méfiant, de sa persona jungienne artificielle ;
                                                           
                                                          effet :            - survenue de visions “ transpersonnelles “ et archétypales dans lesquelles des êtres mythiques côtoient des êtres vivants et des êtres morts à nouveau vivants dans des paysages paradisiaques; créativité visuelle débridée et exaltante, mais aussi révélation, audition de musiques célestes, olfaction de parfums sublimes...
                                                                                  - libération d’un sentiment d’amour intense, profond, inconditionnel, tel qu’on ne l’a jamais connu, envers les vivants et les morts (d’anciens êtres proches) et surtout des êtres archétypaux : maître, saint, dieu... 
                                                                                          - défilement de toute la vie (en une ou deux minutes) avec, parfois, jugement moral sur certains événements où l’on a été mauvais,
                                                          - le tout sur la base d’une volupté et d’une félicité stables et inconnues jusque là.
                                                           
                                                                      Ces derniers vécus sont ceux-là même que C.G. Jung conceptualise comme “ inconscient collectif “. Jung a accédé à ce quatrième palier après des années à régresser, déprimer ou, tout simplement, à subvertir les structures mentales et individuelles. Quant à Freud, il s’est arrêté au deuxième palier, énergétique, celui de la “ libido “, et encore cette énergie libérée se focalise-t-elle préférentiellement sur le sensuel et le sexuel. A ce deuxième stade freudien, il y a un accès facilité aux souvenirs réels et enfuis de la petite enfance, aux événements et processus refoulés, ce qui constitue l’essentiel de “ l’inconscient personnel “.
                                                           
                                                           
                                                          Etape 5
                                                          Point de non-retour : en E.M.I. comme en rebirth, quelque chose fait revenir à l’état de conscience habituel, que ce soit un être archétypal qui en fasse la demande, ou le médecin auprès du comateux qui appelle à se réveiller, ou le souvenir de ses obligations de père , mère, conjoint etc. Le corps revient à la vie, l’esprit traduit ce changement en un message symbolique tout comme, en rêve, il met en image les événements corporels de la nuit. Ce retour se fait le plus souvent à contre cœur.
                                                           
                                                           
                                                          Etape 6
                                                                    Changement de vie : cette expérience est si riche et si intense qu’elle reste profondément et durablement gravée dans les sens et dans la mémoire. On s’y réfère avec bonheur. Elle est très souvent le vécu le plus important de toute la vie, aussi entraîne-t-elle un changement d’état d’être et de vie. Pour rester dans l’amour qu’on a ressenti, on modifie son attitude envers les autres. On change son mode de vie pour rester en contact avec ce ressenti intérieur.
                                                           
                                                           
                                                           
                                                                      Ce sont les trois étapes centrales qui ont mis en ordre les observations que je fais depuis si longtemps :
                                                          -   l’étape corporelle, énergétique, qui correspond à l’inconscient freudien et que je généralise en “essence de l’énergie” (terme freudien d’ailleurs),
                                                          -   l’étape psychique, spirituelle, qui correspond à l’inconscient oriental ou inconscient absolu et qu’ils appellent “nature de l’esprit”,
                                                          -   l’étape relationnelle, transpersonnelle, qui donne les mêmes contenus que l’inconscient collectif de Jung et que j’appelle “l’intime du lien“, parce qu’on y côtoie également les êtres aimés vivants, morts et virtuels ainsi qu’un environnement magnifié.
                                                                      Voici cet essai de description de ces trois temps centraux et successifs et quasiment toujours décelables quelle que soit la richesse et le désordre apparent du contenu imaginal.
                                                                      Dans nos mises en commun des vécus de rebirth, nous commençons maintenant par déterminer le cheminement formel (la succession des subversions de structures et d’éveils de processus) parce que l’analyse des contenus change totalement selon l’étape. Lorsque le patient s’arrête à l’essence de l’énergie, nous sortons l’analyse freudienne, avec insistance sur le sexuel éventuellement. Lorsqu’il passe jusqu’à l’intime du lien, il n’y a plus aucune interprétation sexuelle, mais une pure plongée dans le symbolisme jungien. Cela évite bien des contresens. Si le patient reste coincé dans les structures (avec tétanie, puis hyperacuité sensorielle), nous nous focalisons sur les mécanismes de défense et les difficultés à s’abandonner. Mais est-ce bien l’inconscient ou, plus justement, le processus inconscient ? Accordons-nous une approche supplémentaire avant de nous prononcer, celle de la Présence Juste déjà évoquée ci-dessus, proche d’une méditation, qui nous permettra une troisième appellation : Présence aux Processus Inconscients P.P.I.
                                                           
                                                          • La Présence aux Processus Inconscients : P.P.I. en Présence Juste

                                                          • Le pur processus énergétique ou essence de l’énergie
                                                                        Je m’assieds en tailleur, la colonne droite, dans mon petit coin bien calme, lâche la tête et me tourne vers l’intérieur. Après une à deux minutes, un endroit du corps se met à se remplir d’une douce énergie, à pulser cette sensation plus loin, à la diffuser dans tout le corps. Au début ça s’éveille dans le périnée et monte sagement le long de la colonne comme l’enseigne l’Orient avec son image du serpent kundalini. Arrivé dans le crâne, le serpent y répand douceur et félicité et calme la pensée. Puis elle se déverse dans le reste du corps en redescendant très lentement.
                                                             
                                                            Le pur processus spirituel ou nature de l’esprit
                                                             
                                                                        C’est quand le mouvement énergétique submerge plus massivement le cerveau, au-delà de la douceur et de la félicité évoquées ci-dessus, que la structure mentale cède dans des manifestations très proches du tunnel noir, mais néanmoins atténuées : obnubilation de l’esprit, envahissement par une obscurité plus ou moins opaque, déferlement d’une vague d’endormissement qui nous emporterait vers le sommeil comme dans un brouillard noir si on allait se coucher. Quand on sait résister au sommeil et qu’on reste dans la posture, on sort lentement de l’éclipse et l’on découvre la clarté, la lumière, l’éclat du soleil. Le cerveau devient lui-même lumière, soleil et rayonnement. Il faut qu’elle sorte, cette lumière, qu’elle se répande, enrichisse alentour et entourage. Parfois ce sont de pures plages de couleur, vives et lumineuses. Puis ce flamboiement envahit le reste du corps en descendant lentement.
                                                                        Une grande volupté accompagne cette lumière et la présence reste juste ; on est là, présent, capable d’intégrer ce qui peut se passer d’imprévu. Il s’agit de rester dans cette présence plénière, riche et sobre à la fois, exaltante et simple tout autant. C’est “ pur “ processus, sans forme, sans structure, sans intention ni but, hors du temps sinon éternel. C’est, tout uniment.
                                                                        Selon le contexte de vie (période calme ou préoccupée), cet être de lumière et de jouissance se maintient plus ou moins longtemps. Si on s’écarte de ce pur état d’être, la structuration se réinstalle et c’est, paradoxalement, en passant à la production imaginaire (les images ayant des formes et les pensées s’inscrivant dans des concepts et des mots).
                                                             
                                                            Le pur processus affectif ou l’intime du lien
                                                             
                                                                        Alors s’imposent des images, des personnages, des paysages, des considérations éthiques, des intuitions plus ou moins essentielles. Pour les personnes qui ont une visualisation prédominante et une créativité débordante, il y a incursion dans le paradis de l’E.M.I. avec la luxuriance succinctement décrite ci-dessus.
                                                                        Mais c’est la dimension affective qui caractérise fondamentalement ce qui correspond ici au quatrième palier de l’E.M.I.. Quand la lumière descend dans le corps jusqu’au cœur, elle allume ce sentiment d’amour ineffable déjà évoqué en pneumanalyse ; l’intensité est moindre, certes. Ce troisième processus hors structure vient redonner les formes aux images, les visages aux personnages, le paradisiaque aux paysages. L’affectif, s’éveillant de plus en plus, fait advenir ses objets privilégiés: les êtres aimés, vivants et morts indifféremment, les êtres archétypaux, réels et virtuels indifféremment, les ambiances de rêve amoureux. Lorsqu’il y a évocation d’événements de vie, ces événements sont ressentis comme augmentant ou diminuant le sentiment d’amour et prennent ainsi une couleur morale. S’ils l’augmentent, ils étaient bons ; s’ils le diminuent, il y avait faute. Je vais aggraver mon cas - déjà bien suspect avec la prétention à l’inconscient - en affirmant, très simplement mais avec conviction, que nous sommes ici aux origines des processus les plus nobles de la civilisation : sentiments artistiques, éthiques, mystiques et religieux. Qu’il y ait sécrétion d’ocytocine, la toute nouvelle hormone de l’amour, comme il peut y avoir libération d’endorphine dans le pur processus énergétique et de mélatonine dans l’obscurité de l’esprit, ne change rien à l’affaire. Ce serait plutôt plus rassurant que d’en rester au “meurtre du père“, ce mythe freudien qui aurait présidé à la naissance de la civilisation !
                                                             
                                                            • Autres voies d’accès à la P.P.I.

                                                            •             Nous avons là trois approches différentes des processus inconscients, purs de structures. Ce sont des approches paroxystiques – EMI, pneumanalyse, Présence Juste – qui ont pu révéler ces processus de par leur intensité même. Aussi peuvent-elles tout autant semer le doute et la suspicion, faire penser à l’ésotérisme sinon au sectaire. Je n’en suis pas dupe. En réalité, je le répète, il s’agit de processus neuro-bio-physiologiques universels tellement ils se retrouvent dans les expériences les plus variées. Et ils sont ce que nous travaillons en psychanalyse et somatanalyse tout autant.
                                                                          En effet, les descriptions proposées ci-dessus, aussi sommaires soient-elles, se retrouvent dans tous les grands textes traditionnels de toutes les civilisations et époques. Serait-ce encore ésotérique ? Elles font la trame des expériences mystiques comme des sept demeures du château de l’âme de Thérèse d’Avila. Serait-ce rédhibitoire ? Elles font le bonheur des grands drogués, à leur début du moins. Serait-ce politiquement incorrect ?
                                                                          Plus proche de notre domaine professionnel, nous pouvons retrouver ces expériences et leur déroulement séquentiel dans la vie sexuelle, amoureuse, artistique et dans les pratiques énergétiques venues d’Orient (Yoga, Tai-chi, Zazen etc.…). Nos rêves passent tout autant par les trois paliers et la subversion des structures défensives de chacun d’entre eux. Les rêves freudiens, sensuels et sexuels, illustrent l’essence de l’énergie. Le long corridor obscur aux nombreuses portes successives est analogue au tunnel noir jusqu’à déboucher sur une chambre plus lumineuse. Puis ce sont les grands rêves jungiens avec archétypes et paysages paradisiaques qui s’épanouissent jusqu’à nous laisser au réveil une félicité qui transforme notre journée. L’intérêt de détecter le palier processuel du rêve réside dans la possibilité de recourir aux règles d’interprétation correspondantes : on sera freudien avec un rêve resté dans l’essence de l’énergie, on respectera le symbolisme jungien dès que le rêve aura atteint la nature de l’esprit et l’intime du lien.
                                                               
                                                              • La psychose aiguë l’irruption des processus inconscients : I.P.I.

                                                              • Mais c’est à un niveau plus précisément professionnel, à savoir psychopathologique, que les purs processus inconscients nous interpellent encore, à savoir dans les psychoses aiguës et bouffées délirantes. En effet, quoique les déroulements de ces épisodes soient décrits de façons assez différentes jusqu’à déboucher sur des nosographies apparemment contradictoires, on peut extraire des principales théories psychiatriques une trame commune qui est précisément celle… des processus en question.
                                                                            C’est ce que la lecture d’un texte de J. Moya et I. Olle sur « la naissance de la psychose, les voies de la formation du délire » nous permet d’observer. Les auteurs résument les grandes conceptions de ce syndrome et y distinguent plus précisément des étapes qui ne sont pas sans nous intéresser. Encore faut-il se rappeler qu’il s’agit ici de pathologie, douloureuse en soi, mais aussi voluptueuse au fond, du moins au début, bien que les psychiatres hésitent à parler du bon, du vrai et de l’aimer en pareil contexte. Pour nous, il faut distinguer, pour chaque étape, la dé-structuration puis l’éveil processuel, pour chacune des trois étapes centrales : de l’énergie, de l’esprit, du lien. Voici d’abord une mise en tableau de cinq des descriptions résumées par les deux auteurs qui se réfèrent aux théorisations les plus communes.
                                                                 
                                                                L’irruption
                                                                des
                                                                processus
                                                                inconscients
                                                                Psychiatrie
                                                                classique
                                                                Magnan
                                                                1835 - 1916
                                                                Conrad
                                                                1905 - 1961
                                                                G. Berrios et
                                                                F. Fuentenebro
                                                                J.C. Maleval
                                                                1998
                                                                1ère étape :
                                                                 
                                                                subversion de la structure corporelle
                                                                 
                                                                 
                                                                 
                                                                accès à l’essence
                                                                de
                                                                l’énergie
                                                                1)       perplexité
                                                                initiale
                                                                1)      période
                                                                d’incubation :
                                                                « grand malaise
                                                                cénesthésique
                                                                général :
                                                                nervosité,
                                                                excitabilité
                                                                1) trac
                                                                comme chez les acteurs
                                                                1) magma primordial, précognitif
                                                                1) période PO : le malade erre,
                                                                - le sujet se sent bien,
                                                                - cela le concerne,
                                                                -diffusion généralisée d’expériences hypochondriaques
                                                                 
                                                                -vécus corporels invasifs voluptueux ou angoissants,
                                                                -translocation corporelle
                                                                2ème étape
                                                                 
                                                                subversion de la structure mentale
                                                                 
                                                                 
                                                                accès à
                                                                la nature
                                                                de l’esprit
                                                                2) tentative d’élaboration du délire
                                                                2) période de persécution : hallucinations auditives, olfactives, visuelles puis délire
                                                                2) phase apophanique, paranoïde
                                                                le signifié a un caractère de révélation, donné avec évidence
                                                                2) états prédélirants
                                                                -irruption d’un affect anormal qui interrompt le processus
                                                                - trouble de la motricité, perplexité, incapacité de dominer une situation,
                                                                2) période P1 : délire paranoïde
                                                                -les sujets se débattent dans les ténèbres, ne comprennent rien
                                                                - tout est changement, tout est mouvement
                                                                3ème étape :
                                                                 
                                                                Subversion de la structure personnelle
                                                                 
                                                                accès à l’intime
                                                                du lien
                                                                3) consolidation du délire
                                                                par suture mégalomaniaque
                                                                3) période de grandeur : il est un grand personnage, les voix deviennent favorables, conduite cohérente
                                                                3) phase apocalyptique, paranoïaque, catatonie, systématisation du délire qui peut devenir compréhensible
                                                                3) construction réactionnelle de délires
                                                                «  empty speach acts »
                                                                3) période P2 : délire paranoïaque – stabilisation par réponses aux questions
                                                                – identifications mégalomaniaques
                                                                 
                                                                Tableau 35 : les trois étapes de la psychose aiguë et de l’IPI.
                                                                 
                                                                            Tous les concepts, toutes les descriptions de ce tableau sont repris au mot près du texte des auteurs. Pour ne paraphraser que succinctement, j’évoquerai que :
                                                                -       la première étape est très corporelle, y compris voluptueuse, donc énergétique ;
                                                                -       que la seconde est psychique et sans structure : pas de signifiant, de repère, de savoir, mais une production paranoïde qui va jusqu’à la certitude ;
                                                                -       la troisième se re-constitue autour de choses organisées, délire systématisé, vécu de grandeur, de beauté, d’archétype, jusqu’au pur amour (si les psychiatres se laissent aimer !).
                                                                            J’ai escamoté la quatrième étape, de chronicisation, qui n’entre plus dans notre étude de la psychose naissante, processuelle, réversible. Jusque là, tout est encore souple et fluide, et donc amendable, ce qui nous intéresse au plus haut point parce qu’une bonne expérience personnelle de ces trois processus inconscients permet de comprendre, de “s’accorder “ au patient qui fait le même parcours, bien que chaotiquement. Et si, de surcroît, on a à sa disposition des techniques corporelles, ou tout simplement la capacité de toucher, tenir, contenir, et si toute une équipe soignante peut le faire pendant les premiers jours de la bouffée, le pronostic de ces psychoses naissantes continuera à s’améliorer. Car tout se passe au-delà des mots, des logiques et des conditions. Ça peut-être beau et constituant, sinon c’est tragique et définitivement déstructuré. Tout dépend de la bonne compréhension de cette “irruption des processus inconscients” I.P.I.
                                                                            Et pour asseoir la pertinence de cette I.P.I, il m’est agréable d’appeler à la rescousse la psychiatrie officielle qui, dans la dernière livraison de la revue “Psychiatrie Française”, évoque la cure de Sakel d’autrefois, à savoir la provocation d’un coma artificiel par injection d’insuline. Voici ce qu’un patient en rapporte :
                                                                            “Lorsque j’étais dans ces comas provoqués, apparaissait mon grand-père paternel, vêtu d’un costume sombre, son visage resplendissant. Mais, avant de le découvrir, il fallait me laisser guider par une lueur m’indiquant un genre de chemin à emprunter.... Ce chemin ressemblait à un long couloir bleu turquoise. C’était étrange, il semblait ne pas être délimité sur les côtés... J’étais dans un monde totalement imaginaire, qui était d’une beauté incomparable, j’en éprouvais du plaisir, un bien-être que je n’ai jamais retrouvé dans un état conscient”. Et que répond le médecin prescripteur ? “Sur la cure de Sakel, certainement il y a des ressemblances entre l’état d’inconscience dans l’Expérience de Mort Imminente et le coma durant la cure de Sakel.” (Rumen p. 11 et 14).
                                                                            Cette longue description des “purs processus inconscients” ne sera pas nécessairement convaincante parce qu’elle est trop résumée d’une part et qu’elle nécessite une expérience vécue d’autre part. Mais le psychothérapeute expérimenté s’y retrouvera. Pour notre part, il ne nous reste qu’à évoquer que l’ensemble de ces conceptions ne nous est venu qu’après une vingtaine d’années de pratique et de réflexion, que l’association des purs processus et de l’inconscient a été bouleversante, et qu’il a encore fallu penser au mot “ constituant “ pour donner toute la valeur à ces processus. 
                                                                 
                                                                            Si déjà on prend le risque de dé-structurer, de purifier des structures rigides, encore faut-il relayer par autre chose : ces processus “ constituent “ le sujet par l’intérieur, de façon dynamique, authentique, en énergie, en esprit, en amour. Les analystes le savent. C’est l’avènement du sujet, c’est l’individuation. Il reste à rappeler que cet accès aux processus se fait par différents moyens, par des pratiques plurielles, dans des cadres thérapeutiques multiples, mais qu’il reste privilégié en analyse où la longue durée évite de plaquer des structures de remplacement (intellectuelles, relationnelles, new age, sectaires même) et laisse le temps au temps, le temps de la constitution personnelle. Mais s’agit-il bien des inconscients de Freud et de Jung. Interrogeons ces auteurs directement.
                                                                 
                                                                • L’inconscient personnel de Freud (Ics) ou l’essence de l’énergie

                                                                •             Commençons par Freud avec “les propriétés particulières du système Ics” (in Freud 1988 Métapsychologie, p. 225 à 233 passim). Nous nous permettons de compléter certaines citations par l’association des termes employés dans nos textes (et que nous mettons entre parenthèses).
                                                                  -   « Le noyau de l’Ics se compose de représentances de pulsions…de motions de souhait (motions, au pluriel, comme les trois purs processus)...
                                                                  -   « Il n’y a pas de négation, pas de doute, pas de degrés de la certitude (évidence absolue)…
                                                                  -   « Il règne une beaucoup plus grande mobilité des intensités d’investissement par le procès du déplacement… par celui de la condensation, indices de ce que nous appelons le processus primaire... (la circulation de l’énergie selon Reich)
                                                                  -   « Les processus du système Ics sont atemporels…
                                                                  -   « Les processus Ics connaissent tout aussi peu la prise en considération de la réalité (sans structure). Ils sont soumis au principe de plaisir (purement processuels)…
                                                                  -   « Remplacement de la réalité extérieure par la réalité psychique (au lieu de connexion de… à)…
                                                                  -   « Les processus inconscients ne nous sont connaissables que dans les conditions du rêver et des névroses (Freud méconnaît les pratiques centrées sur les états de conscience)…
                                                                  -   « Dans la vie d’âme deux états distincts de l’énergie d’investissement, un état toniquement lié et un librement mobile… Cette différenciation présente ce qui, à ce jour, nous fait pénétrer le plus profondément dans l’essence de l’énergie
                                                                  -   « L’Ics d’un être humain… peut réagir à l’Ics d’un autre (connexion directe)…
                                                                  -   « L’inconscient est… autonome et non-influençable...
                                                                  -   « Une rupture absolue entre les deux systèmes (Ics et Pcs) est par excellence la caractéristique de l’état de maladie (clivage)...
                                                                  -   « La modification de l’Ics de la part du Cs est un procès difficile et se déroulant lentement (constituance)…
                                                                  -   « L’inconscient devient… conforme au moi (pleine présence)…
                                                                  -   « S’il existe chez l’être humain des formations psychiques héritées, quelque chose d’analogue à l’instinct des animaux, c’est là ce qui constitue le noyau de l’Ics ».
                                                                   
                                                                              Interdisons-nous de commenter plus avant ces caractéristiques, qu’elles abondent dans notre sens ou qu’elles en diffèrent. C’est cela l’inconscient, c’est direct, affirmatif, sans doute. Rappelons-nous seulement que Freud s’est limité à l’inconscient énergétique parce qu’il a maintenu la structure mentale dans sa pratique psychanalytique. Avec la verbalisation et la conceptualisation obligatoires, il empêche d’aller au-delà, dans la lumière, les couleurs, l’amour, le sentiment océanique.
                                                                   
                                                                  • L’inconscient collectif de Jung ou l’intime du lien

                                                                  •             C’est ce qu’a fait Jung, par contre, qu’il faut lire dans le texte aussi, dans « Dialectique du Moi et de l’inconscient ».
                                                                    -   « La marque indiscutable des images collectives semble être leur aspect cosmique, c’est-à-dire une manière de lien interne qui associe les images du rêve et les fantasmes à des faits cosmiques, tel que l’infini spatial ou temporel, une vitesse, un mouvement ou une expansion considérable (voici l’aspiration du tunnel)… des modifications essentielles dans les proportions du corps…
                                                                    -   « On traverse le firmament comme une comète…
                                                                    -   « Une libération et un déchaînement de l’imagination involontaire…
                                                                    -   « Le conscient perd sa position dominante de puissance dirigeante (subversion de la structure mentale)… un processus inconscient et impersonnel assumant progressivement la direction…
                                                                    -   « Libération du transfert (amour de qualité nouvelle)…
                                                                    -   « Une telle perte de l’équilibre est dans son principe très comparable à un trouble psychotique… (comme évoqué ci-dessus)
                                                                    -   « L’énergie qui abandonne le conscient anime l’inconscient…
                                                                    -   « Le conscient défaillant sera remplacé par l’activité automatique et instructive de l’inconscient (constituance). (passim p. 88 à 92)
                                                                    -   « (L’inconscient) renferme et constitue lui-même la source de la libido dont émanent les éléments psychiques qui font notre vie « . (p. 103)
                                                                    -   « Les processus inconscients se situent dans une position de compensation par rapport au conscient ». (p. 122)
                                                                     
                                                                                Changement de tonalité. L’inconscient ne doit pas tout simplement devenir conscient, l’inconscient est un processus en soi qui a son utilité et qui « compense » le conscient. Pour nous, il « complète » l’être dont le conscient n’est qu’un aspect. Ensemble, ils plénarisent, font accéder à la plénitude.
                                                                                En fait, ce qui se décline ici en langage médical, scientifique et rationnel, ne peut pas l’être de la sorte, c’est un quiproquo, un contresens. Et cela se lit dans ces extraits. L’inconscient est précisément l’antidote de la raison ! Nous ne pouvons que placer les poteaux indicateurs pour donner le sens du cheminement, pour sécuriser la progression et familiariser avec les processus. Mais nous ne pouvons rien prouver. Leur éveil dans le consensus d’un groupe de rebirth ou sous la main du psycho-somatanalyste se “constitue” de par ces cadres positifs même. L’expérience de cet “inconscient heureux” devient alors accès aux ressources les plus fondamentales de l’être, œuvre de la constituance de soi. Voilà pour l’utilité de ce travail d’analyse, qu’il soit intensifié comme en pneumanalyse ou progressif comme en psycho-somatanalyse. Au moment où l’humanité se solidarise avec les victimes du tsunami, il faut se rappeler qu’un humain sur trois fait, un jour ou l’autre, une EMI, cet autre raz de marée, neuro-bio-physiologique. L’accès aux purs processus inconscients déconstruit les points de rencontre entre les plaques structurelles de l’être et fraye un passage souple à ces forces irrépressibles.
                                                                     
                                                                    • Pourquoi trois purs processus ?

                                                                    •             Il reste encore une dernière question : pourquoi trois processus inconscients : essence de l’énergie, nature de l’esprit et intime du lien ? Pourquoi pas un seul comme chez Freud et les Orientaux, pas seulement deux comme chez Jung ? Freud s’est barré l’au-delà de l’énergétique de par sa méthode même. Lacan, par contre, a beaucoup œuvré à la subversion de la structure mentale avec son travail de déconstruction des mots, des phrases et du sens. Jung a trop vite investi la restructuration des images dans la fantasmagorie transpersonnelle et trop aimé les symboles et archétypes à analyser. Quant à la pure lumière, pur amour, absolue vérité des Orientaux, ils englobent tout… et ne permettent pas trop de différencier!
                                                                      Une réponse partielle à cette question de la tridimensionnalité inconsciente nous vient de l’utilisation de ces processus dans la vie courante :
                                                                      -   dans la sexualité, nous accédons à l’essence de l’énergie,
                                                                      -   dans la spiritualité, nous accédons à la nature de l’esprit,
                                                                      -   dans la vie amoureuse, nous accédons à l’intime du lien.
                                                                                  Or nous savons bien que ces trois “qualités de vie”, (le bon, le vrai, l’aimer) se différencient et peuvent se décliner séparément même si leur réunion est encore plus agréable.
                                                                      Quant à nous, nous tentons de produire une phénoménologie scientifique et une nomenclature des vécus reliées au mode d’obtention de ces vécus :
                                                                      -    expérience de mort imminente, E.M.I., traumatique,
                                                                      -    expérience des processus inconscients, E.P.I., par des pratiques intensives comme la pneumanalyse,
                                                                      -    présence aux processus inconscients, P.P.I., en Présence Juste et méditation,
                                                                      -    irruption des processus inconscients, I.P.I, dans les psychoses.
                                                                                  Cet acquis nous permet de proposer enfin un modèle ontologique qui, entre autres, nous montre la différence entre le déroulement des processus inconscients jusqu’aux “qualités de vie” et l’accès direct -analytique- à ces “purs processus”. L’inscription des processus inconscients dans ce modèle apportera une réponse complémentaire à la question : pourquoi trois ? 
                                                                       
                                                                    • LE MODELE ONTOLOGIQUE

                                                                    • Avec les purs processus inconscients nous fondons l’être au cœur, c’est le point de départ et la référence incontournable. L’autre réalité absolue, ce sont les cadres de vie obligés: la société, le couple, (maternel puis affectif) et l’écosystème (qui commence dans l’utérus). Ces deux dimensions constituent la réalité objective, intérieure pour les premières, extérieure pour les seconds. J’insiste sur la qualité de l’inconscient comme réalité objective, puisque fondée en neuro-bio-physiologie.
                                                                                  Du côté de la subjectivité, nous avons deux dimensions correspondantes, l’une extérieure, l’autre intérieure. La dimension des structures stables (du “conscient” de Freud et Jung) doit être considérée comme une extériorité à cause de sa permanence ; elle comprend le tempérament et les traits de caractère habituels, quasi automatiques, qui se déclinent, selon les cadres de vie, en : socialité, conjugalité et personnalité (ce dernier concept est à prendre dans un sens restreint). Ces structures stables délimitent les champs et l’intensité des “qualités de vie” : le bon, le vrai, l’aimer. Et nous sommes de nouveau dans l’intériorité, dans les sensations, sentiments et significations, qui s’extériorisent par des comportements, des cognitions et des communications.
                                                                                  Voici comment ces quatre dimensions s’inscrivent dans l’être, Je, pour constituer sa complexité et sa globalité. Chaque dimension se subdivise en trois fonctions correspondant grossièrement à psycho-, socio- et somato-.
                                                                       
                                                                      schéma 34
                                                                      Schéma 34 : le modèle ontologique et la dynamique ontogénétique
                                                                       
                                                                       
                                                                       
                                                                                  La disposition de ce modèle est à la fois riche et évident. De plus il nous introduit très logiquement dans l’ontogénèse :
                                                                      en a) se retrouvent les purs processus présents dès les origines et toujours         inconsciemment à l’œuvre ;
                                                                      en   b) ils doivent s’inscrire dans les cadres de vie objectifs et extérieurs, en société, couple (et famille) et écosystème (englobant le corps), sous peine d’élimination ou de pathologie grave ;
                                                                      en   c) cette inscription génère peu à peu les structures stables, que sont le tempérament et les traits de personnalité ;
                                                                      en   d) ces structures stables délimitent les trois qualités de vie correspondantes: le bon, le vrai et l’aimer, comme inscriptions des trois purs processus en situation et en durée, en comportements, pensées automatiques et scénarios relationnels.
                                                                       
                                                                                  De a) à d), nous assistons à l’ontogenèse telle qu’elle s’effectue spontanément avant que l’être humain n’ait la capacité d’intervenir de par lui-même (voir les flèches extérieures). Il faut bien observer la genèse des “qualités de vie” qui résultent de l’inscription des purs processus dans les cadres de vie puis dans les structures stables, jusqu’à y être enfermées, délimitées, réduites. Ce qui se présente ici comme ontogénèse ne vient pas contredire les six étapes longuement développées dans le chapitre précédent. Il ne fait que le compléter dans la mesure où le cheminement des purs processus jusqu’aux qualités de vie concerne chaque étape de développement, la différence ne venant que du cadre de vie concerné, l’utérus pour l’énergie de vie du fœtus, l’école pour l’enfant de huit ans, par exemple, chaque cadre impliquant un processus privilégié et déterminant les structures conséquentes. Nous avons ici l’image synchronique alors que, là-bas, nous décrivions le déroulement diachronique.
                                                                       
                                                                      • Le modèle ontologique, la cure séquentielle et les pathologies de base

                                                                      • Ce développement peut caler, déraper, dévier en pathologie, à chacune des étapes. A ce moment, le travail thérapeutique/analytique prend le relais, impactant des lieux spécifiques à chaque séquence de la cure :
                                                                        -       la thérapie courte, symptomatique, investit les qualités de vie en d) (comportementalisme, cognitivisme, systémisme, somatothérapies notamment) ou tente de faire changer les cadres de vie ; (en b) sur le schéma) ;
                                                                        -       la thérapie de durée moyenne, structuro-fonctionnelle, se focalise sur un foyer partiel englobant une structure particulière (trait de caractère par exemple) et sa qualité de vie (le bon), essayant de modifier en bloc l’équilibre structuro-fonctionnel de ce foyer (personnalité et bon) ;
                                                                        -       l’analyse longue, processuo-constituante, psycho- et/ou somato- analytique, entreprend une véritable palingenèse (re-naissance) en prenant le risque de sacrifier les structures, réinvestissant les purs processus pour les constituer en nouvelles qualités de vie qui vont, à leur tour, habiter différemment les cadres de vie et construire une “constitution” dynamique au lieu des structures rigides.
                                                                        -       (voir flèches intérieures du schéma c → a → d → b).    
                                                                         

                                                                        schéma 35 
                                                                        Schéma 35 : le modèle ontologique et les lieux d’impact de la cure séquentielle
                                                                         
                                                                        Ce modèle permet aussi de situer sommairement les quatre grandes familles de pathologies psy :
                                                                        -   psychoses : non intégration des purs processus inconscients dans les cadres de vie,
                                                                        -   caractéroses ou troubles de la personnalité : mauvais effet des cadres de vie sur la personnalité,
                                                                        -   névroses : distorsion des vécus par les structures stables,
                                                                        -   normoses : non ressourcement des qualités de vie aux purs processus inconscients.
                                                                         
                                                                        • Le modèle ontologique et ses applications

                                                                        • Nous apercevons très vite la fécondité - et la beauté - de ce modèle ontologique. A peine nous a-t-il donné le sens de l’ontogenèse, qu’il nous permet de situer très précisément les lieux d’impact des trois séquences de la cure thérapeutique. Nous retrouvons là aussi la raison des butées à ces durées :
                                                                          -       en thérapie courte, on ne s’aventure pas dans l’affectif (l’intime du lien) ;
                                                                          -       en thérapie focale, on respecte la structure globale et n’engage qu’un travail partiel sur une structure précise et sa qualité de vie correspondante ;
                                                                          -       en analyse longue, on prend le risque de la déstructuration, pour accéder aux ressources de base et œuvrer à leur constituance.
                                                                                      Nous pouvons aller plus loin et fonder plus solidement le délicat travail sur les sentiments en somatanalyse.
                                                                           
                                                                          Transfert passion amour
                                                                          les trois étapes de l’affectif en psycho-somatanalyse
                                                                           
                                                                                      A propos de la psycho-somatanalyse, nous avons évoqué les trois grandes transformations du sentiment affectif au cours de la cure :
                                                                          -   transfert comme répétition du passé,
                                                                          -   passion comme actualisation sur l’analyste,
                                                                          -   amour inconditionnel, ne donnant ni droit ni devoir.
                                                                                      Le modèle ontologique vient fonder ces observations de la somatanalyse en situant ces trois vécus dans l’être même de l’analysant :
                                                                          le transfert au sens large ou attachement est “structure stable”, trait de caractère fixé et répétitif, suscité et parfois exacerbé par le cadre facilitateur de l’analyse (dont fait partie l’analyste) ;
                                                                          la passion ou névrose de transfert succède au transfert lorsque la structure est “liquidée” plus ou moins violemment ; il s’agit du processus affectif (l’intime du lien) qui est d’abord amalgamé à la pulsion et à la libido (l’essence de l’énergie) ainsi qu’à la sécurisation par l’objet (l’analyste) tellement l’I.R.P. (irruption des processus inconscients) est subite et étrange ;
                                                                          l’amour ou agape émerge peu à peu dans toute sa “pureté” en se désamalgamant de l’objet indu ; l’amour ne donne ni droit ni devoir (envers son objet), il est inconditionnel ; personne et rien ne peut enlever l’amour de mon cœur.
                                                                                      S’il faut l’explorer longuement, ce pur amour, c’est pour qu’il devienne “constituant”, assurant son équilibre de par sa dynamique même, et faisant advenir le sujet, je (voir schéma ).
                                                                           

                                                                           

                                                                          schéma 35
                                                                          Schéma 35 :les trois étapes de l’affectif en psycho-somatanalyse
                                                                           
                                                                          Conflit sécurité consensus don
                                                                          les quatre étapes de la dynamique de groupe en socio-somatanalyse
                                                                           
                                                                           
                                                                                      Nous pouvons retrouver la même inscription en science des quatre étapes de la dynamique de groupe puisque ces dernières renvoient aux quatre dimensions de l’être :
                                                                          -         le conflit est l’effet de la réalité des “cadres de vie” : chaque personne est différente et c’est cette différence qui suscite le conflit.... entre les membres du groupe et la tâche à accomplir ;
                                                                          -         la sécurisation est l’inscription des différences dans des rôles complémentaires comme autant de “structures stables”, rassurantes ;
                                                                          -         le consensus peut alors s’éveiller comme “qualité de vie” du bon et du vrai, à la fois sensitive et sensuelle (on sent ensemble), signifiante (on donne le même sens aux choses) et dynamique (on va dans le même sens) ;
                                                                          -         le don résulte du partage prolongé du bon et du vrai et se constitue de la troisième qualité de vie, l’aimer, qui n’est, ici dans un groupe, qu’un “sentiment affectif”, mais suffisamment fort pour recevoir et donner et, surtout, respecter la créativité d’un chacun.
                                                                          Nous pouvons proposer une schématisation de ces deux parcours à partir de la trame du modèle ontologique.
                                                                           

                                                                          schéma 36

                                                                          Schéma 36 : les quatre étapes de la dynamique de groupe 

                                                                           

                                                                                      Ces deux schémas nous rappellent le bien fondé de la distinction réelle (et de l’insistance didactique ici déployée) entre l’affectif du couple qui effracte jusqu’au pur processus et constitue directement le sujet, je, et l’affectif du groupe qui n’est que consensus et don, qui reste “qualité de vie” conditionnée par les exigences du groupe. Cette distinction souligne l’importance de disposer des deux cadres analytiques, individuel et groupal, pour travailler ces deux dimensions.
                                                                                      Les observations des dynamiques affectives et sociales en psycho-somatanalyse et en socio-somatanalyse s’étendent sur les trente dernières années, alors que le modèle ontologique est récent sous cette forme définitive. La rencontre de la clinique et de la théorie de façon aussi seyante est un heureux aboutissement qui fait validation de l’une et de l’autre. De plus l’élégance de l’ensemble ajoute une preuve supplémentaire de sa faisabilité.
                                                                           
                                                                          • Le modèle ontologique : un GPS pour la pneumanalyse

                                                                          • Le modèle ontologique propose les panneaux indicateurs du cheminement que suscite « l’hyperventilation en état de détente » de la pneumanalyse. On peut moderniser l’image et parler de GPS, en attendant Galileo. En effet, les quatre consignes (qui ne sont pas des obligations) induisent un processus bio-physiologique commun qui s’habille de contenus somatologiques et psychologiques personnels. Ce sont les étapes de base que précise le modèle ontologique, laissant à l’analyste le soin d’exploiter les sensations, visions et vécus propres. Depuis que je fournis aux pneumanalysants ce GPS, ils cheminent avec sécurité et célérité dans cette initiation, vers l’éveil des purs processus inconscients, sans être gêné par les panneaux indicateurs, tout simplement parce qu’ils tracent le véritable processus. Voici cette route… ontologique.
                                                                            schéma 36
                                                                            Schéma 36 : les étapes ontologiques de la pneumanalyse
                                                                             
                                                                            Voici la légende du schéma :
                                                                             
                                                                            I.        Subversion des traits de caractère et des scénarios relationnels.
                                                                            1)     Subversion de la socialité
                                                                            Il suffit d’être à l’Eepssa et de se prêter à la pneumanalyse pour avoir suffisamment échappé aux contraintes et pesanteurs sociales !
                                                                             
                                                                            2)     Subversion de la conjugalité 
                                                                            L’exercice se fait en duel, avec un thérapeute ; ça fait couple et le patient doit choisir, accepter son accompagnateur, lâcher-prise et s’abandonner à sa présence et à ses interventions éventuelles ; il doit s’extraire de ses structures de gestion de la relation à deux ;
                                                                             
                                                                            3)     Subversion de la structure personnelle 
                                                                            Il y a quatre « consignes » et le patient va les interpréter très personnellement :
                                                                            -          inspirer plus que d’ordinaire,
                                                                            -          expirer passivement,
                                                                            -          remplir les lobes supérieurs des poumons,
                                                                            -          ne pas bloquer la respiration.
                                                                                        Nous n’expliquerons pas le pourquoi de ces consignes qui nous apparaissent     dans une indétermination suffisante pour permettre toutes les mises en acte et adaptations nouvelles ; le patient subvertit ses structures habituelles de respiration, de docilité/rébellion, d’état d’être.
                                                                            II.      Accès aux purs processus inconscients
                                                                             
                                                                                        Cette respiration particulière doit se faire en état de détente pour franchir les trois étapes suivantes sinon elle provoque des résistances dont les signes sont tout aussi universels que les étapes elles-mêmes, car chaque processus inconscient est protégé par une structure particulière.
                                                                             
                                                                            4)     Traversée de la structure corporelle et éveil de « l’essence de l’énergie »
                                                                                        C’est l’hyperventilation qui subvertit la structure corporelle en modifiant les constantes internes (hyperoxygénation, hypocapnie, modification de l’équilibre acido-basique etc.) ; l’attitude externe (contrôle conscient, tension musculaire etc.) doit s’adapter par la détente pour rétablir l’équilibre global ; cela permet l’éveil énergétique que nous avons décrit à propos des p.p.i. (ouverture des centres énergétiques, circulation entre les centres, volupté, blocage sur anneau musculaire (reichien) fermé avec émotion et remémoration des causes du blocage, souvenirs anciens oubliés mais réels, visions d’images réalistes). C’est ce qui se passe sur le divan freudien et le matelas reichien. Il s’agit donc de l’inconscient personnel, réel, libidinal, historique, de l’inconscient freudo-reichien.
                                                                                        En cas de résistance de la structure corporelle, nous observons les signes classiques de la tétanie (picotements, tensions, paralysies partielles, main d’accoucheur, anxiété etc.). Dans les cas les plus sévères, il y a subitement « sortie du corps » (OBE) en clivage. Quant à la tétanie, elle cède tout d’un coup, dans un grand éclat de rire éventuellement !
                                                                                        Tétanie et sortie du corps marquent l’excès de contrôle. Du côté du choc et de l’amalgame, on notera ennui, lassitude jusqu’à endormissement.
                                                                             
                                                                            5)     Traversée de la structure mentale et accès à la nature de l’esprit.
                                                                                        La circulation énergétique envahit peu à peu le cerveau et subvertit la structure mentale. Le vécu intérieur s’annonce par le fameux tunnel noir avec aspiration de plus en plus vive vers son extrémité ; la manifestation extérieure, pour le thérapeute, est : réduction du volume et du rythme respiratoire jusqu’à l’apnée. Puis se manifestent les processus « purs » de structure :
                                                                             
                                                                            -          clarté : pure lumière et pures couleurs, sans les contours qui en font des images ;
                                                                            -          agapé : sentiment d’amour sans objet (partenaire) qui le structurerait ;
                                                                            -          epistémé : conviction d’évidence absolue ; je sais que je sais, je ne sais pas ce que je sais, mais je sais ; les structures conceptuelles, sémiotiques, syntaxiques ont disparu ;
                                                                            -          volupté : la volupté énergétique s’accroît encore ;
                                                                            -          liberté : ça se déroule tout seul et comme il se doit, dans l’auto-organisation et l’autopoïèse parce que la volonté et la maîtrise ont cédé.
                                                                                        Les orientaux situent le nirvana ici. C’est la fin des cycles de réincarnation, de structuration ! D’où la tentation d’appeler ce processus « inconscient oriental », ou méditatif ; nous l’appellerons «  inconscient absolu ».
                                                                                        En cas de résistance des structures mentales, le patient ressent une hyperacuité sensorielle : les cinq sens sont à cran : tout bruit, tout mouvement du thérapeute dérangent, agacent, irritent. Lorsqu’il y a eu sortie du corps, le patient (en clivage) accède directement à l’étape suivante sans traverser le tunnel noir ou ses équivalents.
                                                                                        Du côté de l’amalgame, on tombe dans la confusion, dans le tunnel noir et même dans l’effroi. Il en résulte une peur panique, de l’ordre de la peur de l’effondrement évoquée par Winnicott.
                                                                            6)     Traversée de la structure personnelle et accès à l’intime du lien
                                                                               Les orientaux méditent pour…rester dans la nature de l’esprit parce que le passage à l’étape suivante se fait… spontanément comme chez les occidentaux avides d’images. En effet les images reviennent mais informées par clarté, agapé, epistémé, volupté et liberté. Ces images sont belles, luxuriantes, paradisiaques. Elles sont symboliques, archétypales, d’où l’association à l’inconscient collectif de Jung. Des scénarios se construisent sur la trame des contes, fables et autres mythes. Ils sont quasi toujours moraux et éthiques.
                                                                               Pourquoi cette irruption de l’éthique et de l’esthétique ? Parce que l’éveil des clarté, agapé, epistémé et volupté produisent une telle intimité que l’extérieur devient beau et l’intérieur, moral. Mais on s’immerge totalement dans le symbolique et l’archétypal et en voici la manifestation fondamentale : on rencontre dans ces scénarios mythiques trois types de personnages :
                                                                            des êtres vivants que l’on aime ;
                                                                            des êtres morts qu’on a aimés ;
                                                                            des êtres « virtuels » qui font modèle : êtres religieux, archétypaux, divins…
                                                                             
                                                                               Nous ne différencions plus le vivant, le mort et le virtuel. La structure « personnelle » qui sépare ces trois états est subvertie.
                                                                             
                                                                                        Les personnes qui sont sorties du corps et fonctionnent en clivage, s’exposent aux fameux défilements de vie et voyages planétaires.
                                                                             
                                                                            7)     Le point de retour
                                                                                        Ça s’arrête spontanément, à moins que ce ne soit le thérapeute qui arrête la séance en réclamant ses… cinquante euros ! Le vécu de ces purs processus – toujours conscient, mémorisé et restituable – contribue à la « constituance » de l’être, du sujet : Je (8).
                                                                            La constituance de l’être, l’avènement du sujet
                                                                             
                                                                                        Ce terme de « constituance » nous renvoie au travail analytique (psychanalyse, somatanalyse, pneumanalyse) et à sa finalité. Dans cette séquence longue de la cure séquentielle nous travaillons à l’assouplissement des structures, à leur déconstruction, avec même une déstructuration transitoire. Les « structures stables » ne sont donc plus là comme des échafaudages externes, comme des étayages, comme une cuirasse musculo-caractérielle. A la place, s’éveillent les purs processus comme des forces dynamiques qui remplissent l’être par l’intérieur, le gonflent, le constituent. Mais, contrairement aux structures externes qui sont stables, ces processus (énergie, esprit, intimité) nécessitent une animation constante avec l’avantage d’être adaptés au présent, en présence juste, et d’être authentiques, issus du plus profond de l’être, en situation.
                                                                             
                                                                            La pneumanalyse et ses réactions pathologiques
                                                                             
                                                                                        Un processus aussi puissant que l’hyperventilation en position allongée provoque des mécanismes de défense tout aussi puissants. Le tableau suivant les énumère et les dispose aux trois temps des subversions structurelles selon l’attitude en stress (excès de structuralité) ou en choc (excès de fonctionnalité) du sujet.
                                                                             
                                                                             
                                                                             
                                                                            Attitude en stress
                                                                                        L’hyperventilation provoque une modification de l’homéostasie interne qui doit être équilibrée par le lâcher-prise externe. A défaut, s’installe une tétanie classique avec picotements, fourmillements, crispations jusqu’aux paralysies qui déclenchent angoisse et douleurs. Lorsque le patient est en clivage, il peut vivre une sortie du corps classique, à la fois voluptueuse et angoissante.
                                                                                        Plus loin, le refus de lâcher la structure mentale provoque une hyperacuité sensorielle avec perception désagréable des bruits, des mouvements du thérapeute, des lumières jusqu’à l’agacement, l’irritation avec retour à la conscience habituelle.
                                                                                        Enfin, à la troisième étape, la personnalité clivée, déjà sortie du corps, expérimentera les fameux défilés instantanés de vie, ou se déplacera à toute allure sur la planète et dans l’espace.
                                                                             
                                                                            Attitude en choc
                                                                                        Les personnalités en manque d’énergie qui, de plus, n’hyperventilent pas suffisamment, se retrouvent peu à peu dans l’ennui et la lassitude parce qu’il ne se passe rien. Elles peuvent aussi s’endormir, ce qui n’est pas à confondre avec la légère confusion qui signe la subversion de la structure mentale.
                                                                                        A l’approche de cette dernière, les personnes en choc peuvent développer effroi et effondrement, ou une confusion suffisamment paniquante pour qu’elle « réveille ».
                                                                                        Enfin, plus loin, s’installent stase, stagnation, position scotchée sur place à l’intérieur du tunnel, faisant ressentir des vécus infernaux (20% des expériences).
                                                                                        Tous ces symptômes, ici artificiellement provoqués, correspondent à des symptômes fonctionnels courants (tétanie, spasmophilie, peut-être fibromyalgie et fatigue chronique) et à des vécus existentiels fréquents (vide intérieur, burn out, stagnation) et permettent d’en comprendre le fonctionnement jusqu’à pouvoir en gérer la prévention.
                                                                             
                                                                             schéma 37
                                                                            Schéma 37 : subversion des structures internes, résistances en stress et en choc, et accès aux purs processus inconscients
                                                                             
                                                                                        La systématisation des trois étapes de subversion des structures et d’éveil des trois processus inconscients peut laisser songeur… comme ses contenus ! Elle correspond pourtant totalement aux exercices débouchant sur des états de conscience modifiés, des NDE, des expériences paroxystiques sexuelles, amoureuses, artistiques et mystiques, des psychanalyses et somatanalyses. Son intérêt est double : elle illustre encore une fois la pertinence du modèle ontologique et donne des éclaircissements fondamentaux pour toutes les pratiques énumérées ci-dessus. Quant à celui que cela laisse dubitatif, il ne lui reste plus qu’à lire les livres de plus en plus nombreux, y compris médicaux, qui évoquent la chose jusqu’à ce qu’une sécurité suffisante donne envie d’essayer !
                                                                                        Mais proposons encore une illustration plus détaillée de ces processus révélés par le tanking.
                                                                             
                                                                             
                                                                        • Chapitre 13 : L’illustration de la méthodologie et de l’épistémologie holanthropique : le caisson d’isolation sensorielle

                                                                        • Il y a un quart de siècle naissaient les fameux caissons d’isolation sensorielle et le tanking. J’en avais fait installer un dans mon cabinet et l’avais fréquenté pendant deux ans, deux fois par semaine. C’était une véritable psychanalyse transpersonnelle, jungienne, pléni-intégrative. J’en ai fait rapidement une description qui esquisse déjà les grands thèmes de la démarche intégrative :
                                                                           
                                                                          -          la méthodologie qui permet de partir de l’infrastructure organisationnelle pour situer les superstructures vivantielles ;
                                                                          -          l’épistémologie qui procède par niveaux d’abstraction successifs commençant par les processus pour analyser le contenu ;
                                                                          -          l’accès aux purs processus, encore bien ancré dans le freudo-lacanisme et le « somatologique » ;
                                                                          -          la compréhension de l’échec de cette pratique en tant que thérapie pour patient ou même analyse.
                                                                           
                                                                          A chacun d’y retrouver ses petits au-delà du côté spectaculaire qui n’avait pas échappé aux médias friands de sensationnel.
                                                                           
                                                                          • La Mère Morte Tanking : de la relaxation à l’autoanalyse

                                                                          • Le tank ou caisson d'isolation sensorielle a été créé par John Lily, un neurophysiologiste californien, dans des buts de recherche médicale et   d'exploration personnelle. Il a rapidement séduit les Californiens dont les nouvelles   frontières se sont déplacées du géographique et du technologique à l'existentiel. Des centres avec 10 et 15 caissons se sont multipliés puis ont fermé. Car il se pose un problème. A Strasbourg, où se fait la construction du caisson, le phénomène se répète. L'intérêt global pour l'expérience de déprivation sensorielle semble très large, mais la première immersion ne se fait pas très souvent et la prolongation de l'expérience intervient encore plus rarement. Il se pose donc un   problème que je formulerai comme ceci : l'effet de relaxation qui atteint une   intensité profonde ne se fait que si l'émergence de l'inconscient et de l'infonctionnant qui advient en même temps peut être intégrée, structurée. Ce   problème se pose dans toute psychothérapie approfondie mais ici on est seul, sans thérapeute.

                                                                            Le tanking permet d'aborder ce processus dans sa chair et se présente donc comme un lieu de recherche privilégié. Je propose ici une première approche, somatanalytique, après neuf mois de pratique régulière.

                                                                             

                                                                            • L'ambiance

                                                                            • Quelques impressions prises sur le vif donneront d'abord l'ambiance. Dès l'entrée dans le caisson, la porte refermée, tout est noir et silencieux. Pas une raie de lumière ne filtre et rien n'indique la sortie. Une panique m'a pris dès la première seconde, intensifiée par la difficulté à manipuler la trappe d'accès. La claustrophobie est là dès le départ, massivement. Après la première séance d'une heure, je sentais mon corps étonnamment vivant et présent, suffisamment riche pour capter mon attention et m'éviter les ruminations intellectuelles habituelles. Sur l'autoroute du retour, je roulais lentement, calmement. L'effet de relaxation se lisait sur le compteur de vitesse. A la troisième séance, comme le corps se détendait progressivement et que les sensations internes s'intensifiaient, une contracture se fixa subitement dans la nuque, de plus en plus aiguë et perturbante. Ni le mouvement ni la relaxation intentionnelle n'en arrivèrent à bout ; elle, par contre, effaça toutes les autres manifestations agréables. Cela m'évoqua de vieux souvenirs d'ennui avec le port de la tête. La situation allait devenir intolérable quand j'eus l'idée de faire circuler les sensations – l’énergie ? – par le cou au lieu de les faire buter sur cette crispation et, après quelques minutes, cette dernière disparut, laissant le champ libre aux flux et reflux des plus délicieux, des orteils au crâne, de la gauche à la droite, dans toute l'épaisseur du corps. Une autre fois, une turgescence des muqueuses nasales s'était tellement épaissie qu'elle boucha les narines et provoqua un mal être insoutenable qui fit interrompre la séance.
                                                                               
                                                                              A la cinquième séance, l'humour de la préparatrice des caissons faillit être fatal à mon enthousiasme. Elle était remplaçante et, faisant allusion à son embarras, me glissa : « J'ai préparé le tank, j'espère qu'il n'y aura pas de court-circuit ». Au milieu de la séance, alors que les sensations et images défilaient librement, cette phrase fit retour comme un éclair : « Mais s'il y a un court-circuit, je suis cuit, grillé, électrocuté ! Parce que le chauffage de l'eau se fait par résistance électrique à l'intérieur du bâti. Je n'ai même plus le temps de sortir ». Ces faits s'imposaient avec la vitesse de l'évidence. Il ne me restait donc plus qu'à me préparer à la mort, ce que je fis, comme j'en avais l'habitude pendant toute une période de ma vingtième année. Cette idée morbide et salvatrice me revint régulièrement pendant quatre à cinq séances, me plongeant dans une paix aussi profonde que l'alerte était chaude. (J'ai fait expertiser mon propre caisson quant à son installation électrique et il n'y a pas de danger objectif, pas plus que dans n'importe quelle salle de bain). Depuis ces débuts héroïques, je flotte régulièrement, deux fois par semaine, à l'heure de midi, déjeunant d'imaginaire et de sensualité. Quand je dois ressortir, je n'ai plus envie d'ouvrir les yeux et quand je me retrouve dans mon fauteuil d'analyste, l'écoute est vraiment flottante mais la présence pleine.
                                                                              Il se passe donc des choses, énormément de choses, au niveau du corps et du psychique. Mais comment analyser et théoriser ce qui, à son niveau le plus profond, ne se laisse même pas décrire et que je réunis ici sous les deux aspects de la relaxation et de l'autoanalyse ? Il n'est que d'employer la méthode la plus rigoureuse qui soit, celle là même que j'utilise chaque fois que j'approche une nouvelle pratique thérapeutique et qui consiste à partir du setting, de l'organisation matérielle et du protocole d'organisation, avec l'hypothèse que tout ce qui peut se passer dans la thérapie est déjà inclus dans ce setting. Tout le reste en découle logiquement. Ici, avec le caisson, le setting correspond à la matérialité de l'appareil. Il n'y a qu'à l'interroger et à en tirer les implications et développements, en recherchant dans la confrontation avec le vécu confirmation ou infirmation.
                                                                               
                                                                              • Le setting et ses effets immédiats

                                                                              • Le caisson a 2,30 mètres de long, 1,20 mètre de large, et 1 mètre de haut. On ne touche donc pas les bords en cours de séance. Il est parfaitement obscur et l'insonorisation est pratiquement complète si l'on immerge les oreilles. Le fond reçoit trente à quarante centimètres d'eau salée et permet une flottaison passive et parfaite, comme dans la Mer Morte. On peut s'endormir sans danger ! Après quelques minutes, on se sent littéralement bétonné dans le liquide, le seul mouvement restant résulte de l'effet de densité lié au flux de l'air dans les poumons. L'eau est chauffée à la température de la peau, autour de 34° 5. Voilà le setting ; tout est là, il suffit d'en tirer les conséquences.
                                                                                A un premier niveau d'observation, on constate trois réalités simples et univoques :
                                                                                -          la disparition des stimulations externes qui arrivent par la vue et par l'ouïe ; c'est à ce titre que l'on parle d'isolation et même de déprivation sensorielle ; ce fait est tellement massif et net qu'on en a fait le triste usage que l'on sait en RFA ;
                                                                                -          la disparition de l'effet de pesanteur habituel ; en fait, il y a seulement disposition différente des forces du fait de l'immersion dans l'eau et obtention d'une détente musculaire totale grâce à la flottaison passive ;
                                                                                -           la disparition   des   limites du   corps puisque la température de l'eau est celle de la peau et que l'eau ne fait pas obstacle ; il n'y a plus de contact distinctif et différentiel.
                                                                                Ces trois réalités physiques et univoques provoquent chez le sujet immergé un certain nombre de déplacements qu'on peut réunir sous trois rubriques : situationnelles, corporelles et psychiques. Mais déplacement de quoi ? Des lieux de stimulation et de fonctionnement, des lieux du vécu, des lieux des processus vitaux. On isole ainsi un deuxième niveau d'observation dont la description reste encore relativement simple et objective :
                                                                                -       au niveau situationnel, le déplacement se fait massivement des stimulations externes qui disparaissent, vers les stimulations internes, corporelles et psychiques, qui prennent toute la place ;
                                                                                -       au niveau corporel, le déplacement affecte les trois systèmes  principaux : le système musculo-tendineux émet de moins en moins de messages de par sa mise au repos, le système de la peau n'envoie plus les références objectives des limites corporelles ; le système viscéral continue à fonctionner (respiration, digestion, contraction cardiaque, circulation sanguine, péristaltisme de la musculature lisse en général, sexuelle en particulier), et voit ses effets subjectifs s'amplifier en raison du silence alentour ; le déplacement se fait progressivement des repères habituels du schéma corporel que sont la vue, l'ouïe, la peau et le système musculo-tendineux vers ces repères insolites que sont les fonctionnements viscéraux qui débouchent sur des schémas tout à fait fantasques ;
                                                                                -       au niveau psychique, le déplacement est plus difficile à décrire dans la mesure où il faut le faire avec des références théoriques. J’emploierai ici mes propres concepts de fonction dissociative et de fonction associative en situant le glissement de la première vers la seconde ; le processus psychique dissociatif n'est autre que le processus réflexif et rationnel dans la mesure où il focalise son attention sur un objet exclusif et se dissocie de tous les autres possibles ; le processus associatif, au contraire, accueille toutes les stimulations qui arrivent et les enrichit par association libre, comme sur le divan psychanalytique, c'est le processus de l'intuition, de l'insight, de la créativité ; l'expérience du tanking produit régulièrement ce déplacement de la réflexion à l'imagination, de la pensée organisée au défilement associatif parallèlement aux autres glissements, situationnels et corporels. Ces trois mouvements se font ensemble et se renforcent mutuellement.
                                                                                Les effets de ces déplacements provoquent des processus globaux et complexes qui se situent à un troisième niveau d'analyse. On peut les réduire aux deux mécanismes annoncés par le titre, à la relaxation et à l'autoanalyse. Comme notre raisonnement le postule, ces effets découlent logiquement et spontanément du setting, à savoir du tank, pour peu qu'on s'y prête effectivement.
                                                                                Nous disions que le tanking nous fait passer de la relaxation à l'autoanalyse. Puis nous ajoutions qu'il y avait relaxation si l'émergence des éléments inconscients et infonctionnants se structurait bien en une autoanalyse. Mais avant d'exposer ce problème, voyons d'abord séparément ces deux moments.
                                                                                 
                                                                                • La relaxation

                                                                                • Pour décrire la relaxation, il n'y a qu'à se référer au modèle le plus courant, au training autogène de Schulz et essayer une comparaison. Le training commence par la lourdeur des membres. Ici, il n'y a pas lourdeur mais légèreté, au point qu'on en arrive à ne plus sentir le corps, à visualiser une absence à sa place anatomique, à se prendre pour un nuage mince et étiré couvrant un large ciel. L'immersion dans l'eau provoque cette opposition de sensation qui correspond pourtant à la détente qui, à l'air, est lourdeur. Le training continue par la chaleur des membres puis du plexus solaire. Ici, la chaleur ne reste nullement un effet cutané et localisé mais s'amplifie peu à peu en vagues épaisses et profondes qui défilent dans tout le corps, lentement, calmement, balayant sur son passage toutes les contractures résiduelles, toutes les esquisses de spasmes, toutes les pensées obsédantes. Cette chaleur naît préférentiellement dans le hara, ce centre du corps situé par reconnaître ici l'un des aspects de cette fameuse « circulation de l'énergie » qui constitue le shibboleth des thérapies corporelles. La respiration du training est « calme et profonde », régulière et relativement contrôlée. Ici, elle devient subtile, s'élargit à tout le corps, inspire par les jambes, expire par la tête et met en mouvement chaque cellule. Le rythme, lui, se désarticule, se ralentit jusqu'à s'arrêter puis reprend un peu affolé. Le ralentissement correspond à un moment de plaisir émotionnel, l'accélération marque un temps de reprise attensionnelle. Le cœur ne bat pas seulement calme et fort mais ralentit ou bat la chamade, délicieusement, créant une nouvelle ponctuation du temps tout à fait déroutante. Quant au front, il n'est pas frais comme en Schultz. On ne garde pas la tête froide dans cet air aussi chaud que l'eau, à 34°5. On ne garde pas le contrôle des sensations, les provoquant par la phrase rituelle et à tour de rôle. On ne maîtrise pas le temps pour s'arrêter soi-même après trois à quatre minutes. Dans le tank, l'état de conscience se transforme, oscillant entre laquasi perte de conscience et l'attention la plus aiguë qui succède par sursaut à cet effacement difficile à intégrer. Tout comme disparaissent les repères corporels, s'évanouissent les repères psychiques, l'espace-temps, l'identité, les soucis du moment qui font continuité. D'après notre hypothèse, c'est l'effacement des repères corporels qui entraîne la dissolution de la conscience. Celle-ci ne se dissocie plus en un écran de perception distinct des stimuli qui s'y affichent mais se fond avec les sensations elles-mêmes. La conscience devient viscère, et c'est là que s'installe la relaxation maximale, celle-là même qui fait l'intérêt du tanking. Toutes ces manifestations illustrent suffisamment la profondeur de la relaxation atteinte, elle est bien plus grande que celle du Schultz mais cela dépend aussi de la durée. Le training doit s'arrêter après trois à quatre minutes, le tanking se prolonge une heure et plus. Cette durée permet d'ailleurs de retrouver un rythme relativement fixe et répétitif qui se constitue d'un double mouvement, d'enfoncement jusqu'aux purs processus inconscients puis de réémergence souvent rapide, rythme de vingt à trente minutes qui correspond probablement aux premières phases du cycle du sommeil. Ainsi la relaxation est tellement profonde qu'elle retrouve le cycle du sommeil qui existe bel et bien à l'état de veille mais reste enfoui profondément dans l'inconscient. Il n’y a pas endormissement dans le tanking, pas plus qu'en sophrologie. Si, par accident, on passe au stade de sommeil profond, le réveil est aussi brusque et désagréable quand il se fait en milieu de phase, que lorsqu'on est dérangé au milieu d’une sieste. La relaxation est donc certaine et profonde, elle manifeste ses effets durant le reste de la journée mais elle induit aussi un certain changement dans la façon d'être, changement qui se relie très clairement au travail d'analyse.les Japonais sous le nombril et diffuse en tous sens. On peut
                                                                                   
                                                                                  • L'autoanalyse

                                                                                  • Car ce qui se passe au-delà de la relaxation et qui occupe bientôt toute la scène, peut être considéré comme un travail d'autoanalyse. J'ajouterai même qu'il s'agit là d'une des seules formes d'autoanalyse, où tout « autre » est absent. On a parlé de l'autoanalyse de Freud, mais Freud correspondait avec Fliess. Eric Biedermann, l'un des constructeurs du tank, me disait qu'il pratiquait l'autoanalyse depuis des années au sens où l'entendent tant de gens qui refusent la psychanalyse. En réalité, il la mène par livres psy interposés et grâce à de longues discussions avec des amis. Mais ici l'autre est bien absent, la mère est morte et c'est bien cela qui dissuade tellement de gens pourtant intéressés à franchir la trappe du caisson. Car, à l'intérieur, on est seul, vraiment seul ; l'extérieur disparaît, s'évanouit, devient dérisoire. Le temps, l'espace, l'identité propre, les limites du corps s'effacent. On est à poil jusqu'au fond de l'âme. Que l'intuition de la mort survienne alors, se comprend parfaitement, même en l'absence de prétexte électrique.
                                                                                    Dans le tank, il y a analyse, à savoir émergence de/et accès à l'inconscient psychique et à l'infonctionnant corporel, comme en psychanalyse et en somatanalyse. Là, l'analyste est l'agent facilitateur qui permet l'ouverture, par le transfert principalement. Ici, la mère morte, c'est le caisson qui joue ce rôle, celui de facilitateur. Il est chaleureux, permissif et flottant. Sa machinerie lâche aussi par moments des borborygmes et des gouttelettes de condensation tombant du couvercle le font rappeler à notre bon souvenir. L'accès à l'inconscient se fait donc merveilleusement, nous le démontrerons dans un premier temps mais comment se remplit le second rôle du psychanalyste qui est de structuration ? Nous le verrons par la suite.
                                                                                     
                                                                                    • L'accès aux processus inconscients et infonctionnants

                                                                                    • Analyser doit s'entendre ici dans son sens étymologique de dé-lier, dé-faire, dé-composer les corps complexes en leurs éléments constitutifs comme en chimie. Cette déconstruction provoque d'abord bien des résistances et des défenses. Leur énumération que je propose en un premier temps doit tout autant éclairer et guider le tankeur que nourrir notre argumentation : s'il y a résistance, il y a analyse. On peut distinguer des résistances comportementales, somatologiques et psychologiques.
                                                                                       
                                                                                      Les mécanismes de défense
                                                                                      La résistance la plus simple se situe dans le refus d'y aller, quoiqu'on en ait envie. Combien d'amis se sont annoncés et n'ont jamais donné suite ! Les plus lucides avouent leur claustrophobie, d'autres ne savent pas pourquoi et ne veulent pas y retourner sous les prétextes les plus variés et les rationalisations les plus étranges. Ces résistances comportementales sont telles, le caisson est à ce point dissuasif qu'on n'observe pratiquement pas d'accidents, pas de décompensations, pas d'effets néfastes. La sélection est drastique, ce qui rassure mais pose en même temps la question de l'utilisation en thérapie : les gens qui pourraient en profiter iront-ils ?
                                                                                       
                                                                                      Les défenses somatologiques se constituent ensuite, dans le bain. Le sujet réagit de façon paradoxale aux effets physiologiques. Il a froid tellement il se crispe comme cette femme qui a grelotté pendant dix minutes puis est sortie, demandant qu'on monte la température à 37°. J'ai moi-même hérité de cette eau à 37° mais m'y suis senti étouffer. On peut constituer ces crampes, spasmes et tuméfactions dont j'ai déjà parlé. On peut faire une irritation des tympans s'ils sont fragiles sans penser à mettre des boules Quiès ! Toutes ces réactions dissuadent très rapidement si on ne sait pas les analyser, c'est-à-dire les comprendre, les intégrer et les résoudre.
                                                                                       
                                                                                      Les défenses psychologiques correspondent à tout l'éventail de la psychopathologie. Du côté de la névrose d'abord. L'angoisse s'amplifie, les phobies se trouvent un objet comme le circuit électrique, le maniement de la trappe ou ces gouttes qui tombent du plafond et provoquent des petits remous que les fantasmes transforment en serpents et crapauds ; les obsessions se fixent sur les imperfections de l'appareil, sur les bruits ou sur le moment où la petite musique annonce la fin de séance. Du côté de la psychose ensuite : des déconnections se font, esquissées par l'endormissement et son réveil traumatisant, des moments d'inconscience totale sans aucun contenu, des moments de profond ennui, mais aussi des réactions d'hypervigilance avec production quasi paranoïaque et hypercontrôle rigide. Tous ces mécanismes de défense indiquent bien qu'il pourrait se passer quelque chose en leur absence. Ce quelque chose n'est autre que l'émergence de processus profondément enfouis à la fois inconscients et infonctionnants. Envisageons-les à présent avec tout ce qu'ils ont d'indicible, d'au-delà du verbe. Nous essayerons pourtant de les théoriser en partie et de réfléchir à ce qu'ils apportent comme données nouvelles.
                                                                                       
                                                                                      Les processus psychiques
                                                                                      Commençons par les productions psychiques tout simplement parce qu'un   cadre d'accueil élaboré les attend, le cadre psychanalytique. Elles surviennent progressivement. Quand on entre dans le caisson, on commence par se mettre en situation, on accuse le coup, la coupure plutôt, ce formidable isolement   qu'on s'impose tout d'un coup sans toujours savoir pourquoi, par routine parfois. Puis on déjoue les résistances les plus grossières, l'envie de bouger, et surtout   le retour des soucis immédiats, ceux qui nous attendent juste après. Il est facile de   partir à penser. Tout cela évoque parfaitement le début du rebirth, de la relaxation et même de la séance de psychanalyse. Pour certaines personnes, les plus ouvertes, l'irruption des sensations et imaginations se fait toute seule, rapidement et massivement. Pour d'autres parmi lesquels je me range, un petit travail préalable s'impose, une mise en condition. Je commence par m'intéresser au corps : je relâche les tensions les plus perceptibles, je repère les sensations les plus fortes, les fais circuler au maximum, vers la tête principalement pour entamer ainsi la concentration encore trop forte, j'attaque aussi les limites corporelles trop nettes en pratiquant le   « circumsensus » de Frans Veldman qui est un prolongement du corps vers les six   parois du caisson puis au-delà. La conscience suit en se déplaçant du dissociatif vers l'associatif. Les images arrivent peu à peu. Au début, elles sont appelées plus ou moins volontairement par les sensations corporelles puis elles s'associent d'elles-mêmes. Si elles tardent, je recours aux phosphènes qui existent toujours ; il suffit de regarder devant soi comme si l'on regardait l'intérieur des paupières et l'on voit des formes lumineuses ressemblant à des taches de Rorschach ; lorsqu’on en fixe une, elle se transforme progressivement en image, l’image se met à bouger, à évoluer et à défiler bientôt comme un film, spontanément. Après quelque temps, l’intention devient superflue et les choses évoluent toutes seules : des images apparaissent plus ou moins liées à des souvenirs, des mots s’imposent parfois en plein milieu de ce défilement ou alors des idées, des concepts sous forme de réponse à des questions non formulées. L’état de conscience évolue parallèlement, avec disparition progressive de la dissociation jusqu’à arriver à des moments où le contenu prend toute la place, où l’on est ce contenu sans aucun recul jusqu’à ce que cette immédiateté trop étrange provoque à nouveau une réaction de différenciation. On remonte alors vers une conscience plus claire et précise qui permet de réfléchir à ce qui s’est passé avant de repartir dans une nouvelle plongée, en s’aidant des manœuvres énumérées plus haut si nécessaire. Voilà le fonctionnement de ce processus, l’aspect formel. Il fait abstraction du contenu et présente, à mon sens, l’intérêt majeur de ce vécu, nous y reviendrons.
                                                                                       
                                                                                      L’inconscient collectif, archétypal
                                                                                      Quant au contenu, il éclate dans autant de directions qu’il y a de tankeurs. Il commence avec les soucis du quotidien et continue par les affublements les plus habituels du vécu corporel : vision du corps comme nuage à cause de sa légèreté, expansion du corps aux dimensions d’un lac, d’une mer ou de l’océan quand il s’épanouit en circumsensus, images érotiques lorsqu’une charge de sensualité traîne encore là après un orgasme matinal… Les images sont aussi appelées par les rares faits matériels qui subsistent : dérive dans l’océan quand on se déplace un tant soit peu dans le caisson, grouillement de monstres marins à l’occasion de la chute d’une petite gouttelette d’eau de condensation. Et puis tout s’emballe dans des répertoires extraordinaires, connus et inconnus, habituels et neufs. Mais ce contenu est relativement peu émotiogène, peu dramatique, peu relationnel. Il y a des paysages, marins de préférence ou aériens, des images fantastiques genre conte de fée, des productions merveilleuses généralement paisibles. Cette grande paix est à souligner. Il m’est arrivé de couper des têtes avec un sabre de façon tout à fait détendue et jolie, sans émotion, contrairement à ce qui se passe dans certains rêves analogues et dramatiques. Les souvenirs le cèdent aux créations instantanées et quand il y en a, des souvenirs, ils perdent leur charge émotionnelle. Ce défilement paisible et harmonieux constitue un fait de première importance et il faut le mettre en relation avec les occurrences identiques bien plus émotionnelles qui se font en thérapie, en psych- et somatanalyse par exemple.
                                                                                      Alors, y a-t-il émergence d'inconscient, accès à l'inconscient ? Je le pense quant à moi, bien que le contenu en soit bien moins spécifique et bien moins personnalisé qu'en thérapie. Cela s'explique facilement si l'on accepte l'idée que la charge émotionnelle vient d'abord de la relation thérapeutique elle-même, de l'implication transférentielle et qu'à partir de là elle associe les souvenirs et problèmes correspondants. Ici, dans le tank, il n'y a pas de charge émotionnelle du fait de l'absence de relation et celle que l'on y amène d'avant s'épuise peu à peu comme cette plénitude sensuelle qu'on y emmène qui s'amplifie dans un premier temps puis disparaît aussi peu à peu. Tout s'apaise, tout s'harmonise au fur et à mesure que le corps se relaxe. L'inconscient ne fait que suivre le mouvement, mais est-ce encore l'inconscient, freudien ou lacanien ? (Vingt ans après, je dirais que l’éveil de « l’intime du lien », archétypal, jungien).
                                                                                      Il me semble que oui, encore une fois, à condition qu'on accepte ce qui apparaît ici de différent dans cet autre setting. En fait, l'accès à l'inconscient est beaucoup plus un processus qu'un contenu spécifique. Il correspond à cette descente dans un fonctionnement de moins en moins contrôlé et maîtrisé, de moins en moins dissocié et structuré. Il aboutit à ce fonctionnement pur où l'on est image, fantasme, mot et idée sans distinction et où l'on se sent si bien, tellement apaisé et aussi délicieusement sexualisé. On est ce fonctionnement même, n'en déplaise à celui qui s'en sentirait diminué, fonctionnalisé. La recherche scientifique nous apprend que le cerveau émet continuellement une impulsion électrique de base et que les stimuli externes ne font que la moduler en plus ou moins. On pourrait penser qu'on arrive ici à ce fonctionnement de base et que plus rien ne vient le moduler ou perturber, plus aucun stimulus externe, les images internes elles-mêmes ne le faisant pas plus puisqu'elles n'ont pas de charge émotionnelle, pas de valeur informationnelle par conséquent. Serait-ce là la sérénité du yogi, le nirvana? La question reste ouverte.
                                                                                       
                                                                                      L’inconscient corporel, énergétique
                                                                                      Car un autre matériel d'observation doit encore être versé au dossier, à savoir tout ce qui se passe au niveau du corps pour autant qu'on puisse encore distinguer ce nouveau registre dans ces moments d'unification tellement intenses que plus rien ne se différencie précisément. Il s'agit des processus infonctionnants qui émergent peu à peu, qui se mettent à fonctionner parce qu'on le leur permet. Ils correspondent exactement aux processus inconscients qui arrivent à la conscience lorsque celle-ci ne les en éloigne plus et les deux mécanismes sont analogues en vertu du principe d'équivalence que j'ai postulé par ailleurs.
                                                                                      Dans le tank, les mécanismes corporels dominants perdent de leur importance telles les tensions musculo-tendineuses, les perceptions de la peau et    les informations sensorielles. Les autres prennent plus de place, en particulier les mécanismes viscéraux, ceux qu'on ne ressent jamais sauf lorsqu'ils s'amplifient jusqu'au spasme, jusqu'à la crampe et la douleur. La respiration, par exemple, n'est plus seulement étirement et relâchement du thorax mais phénomène beaucoup plus   subtil qui déborde largement la poitrine pour occuper tout le corps. Les mouvements respiratoires se propagent aux orteils et s'insinuent sous le crâne. Il n'y a rien de fantastique ici mais seulement perception fine de ce que l'expansion pulmonaire provoque comme déplacements d'autres organes et comme ralentissement-aspiration du flux sanguin. Ces mouvements subtils et réels se fantasmatisent peu à peu dans les formes les plus diverses comme ces vagues que l'on suggère en yoga ou comme un déplacement sur le cercle du yin et du yang   comme cela m'est arrivé, par exemple. Le système musculo-tendineux lui-même envoie des messages absolument différents après avoir été mis en repos de pesanteur et remis au travail différemment. Un minime écartement des jambes donne l'impression d'une fente immense qui s'ouvre par le bas et se propage vers le ventre, le thorax, la tête jusqu'à séparer le corps en deux. La plus   minime stimulation sexuelle crée des bouffées de plaisir qui déferlent dans le corps comme des vagues de fond énormes. Jusqu'à présent, on n'énumère que des sensations amplifiées. Mais avec le temps, des sensations de plus en plus spontanées et tout à fait neuves se font jour et provoquent le plus grand étonnement. Ainsi ai-je senti mon corps précipiter tout d'un coup, se transformer en   flocons blanchâtres qui se séparaient les uns des autres et tombaient lentement au fond du caisson. Cette impression était absolument délicieuse du reste, sans aucune angoisse. Il doit s'agir là de ce qui se passe quand le schéma corporel se transforme, déborde ses limites habituelles. Et c'est délicieux, ces déformations subjectives. Il faut enfin évoquer l'émergence d'autres états de conscience, de ceux qu'on ne s'accorde pas ordinairement, ou alors dans la vie sexuelle. L'observation la plus manifeste se situe au moment où l'une de ces vagues de chaleur, de sensualité ou de respiration déferle dans le crâne et submerge la conscience elle-même qui ne peut alors que se relâcher pour l'accueillir ; si elle reste trop aiguë, si elle veut contrôler cette vague, elle la stoppe automatiquement et isole un territoire corporel interdit, dissocié, observateur de l'autre ; alors il n'y a pas unité mais dualité. (On retrouve ici les étapes et les pathologies de la pneumanalyse).
                                                                                      Ces processus corporels alternent avec les mécanismes de défense déjà évoqués, ils entrent souvent en rivalité avec les manifestations psychiques, aussi longtemps du moins que la conscience est trop étroite pour accueillir les deux ordres de faits. Mais quand elle s'élargit, diffuse, devient purement réceptive, elle reçoit à la fois les images et les sensations en une expansion impressionnante ; ainsi l'irruption de l'imaginaire et la projection du corps produisent une harmonisation qui correspond au prolongement du circumsensus ; le paysage marin qui apparaît s'ancre dans le ventre et le sensualise tendrement, la vision par le troisième œil s'enracine dans des sensations périnéennes et traverse tout le tronc comme la kundalini. A ce moment, il n'y a plus ni observateur ni observé, mais un tout fantastique, mais fragile aussi, qui ne dure pas longtemps – chez moi du moins en ce moment. Alors il faut relancer le mécanisme, se recentrer en son hara, se prolonger en circumsensus... Il faut manœuvrer pour retrouver le déroulement spontané.
                                                                                       
                                                                                      Plénarisation jusqu’à plénitude
                                                                                      Nous sommes ici aux limites mêmes du descriptible. Ce qui se passe au niveau du corps déborde les possibilités de la verbalisation. Nous entrons de plain pied dans le qualitatif, dans le somatologique et l'une des seules possibilités de maintenir un minimum de structuration consiste à laisser filer le contenu pour ne se rattacher qu'à la dimension qualitative plus globale, comme par exemple :
                                                                                      - au moment de diffusion-concentration : l'impression de floculation du corps correspond au processus de diffusion au-delà de toutes limites alors que le retour sur soi se fait souvent par concentration sur un lieu du corps particulier, sur une contracture ou un mouvement isolé ; la diffusion amène une douce quiétude tandis que la concentration ramène   une intensité souvent dérangeante ;
                                                                                      -     à l'alternative plaisir-déplaisir tout juste évoquée : le ralentissement respiratoire donne accès à un plaisir plein, profond, élargi, avec une conscience diffuse qui peut aller jusqu'à l'absence de conscience et l'arrêt respiratoire momentané ; mais quand la reprise s'impose, cela se fait souvent douloureusement ;
                                                                                      -     au déplacement du centre inducteur : tantôt c'est le fonctionnement   corporel qui induit les associations psychiques, tantôt c'est l’imaginaire qui module le fonctionnement corporel ; tantôt c'est le ralentissement respiratoire qui transforme les images en quelque chose de paisible et de serein, tantôt ce sont les images qui changent le rythme respiratoire ; cette observation est courante en rebirth et permet d'ailleurs de distinguer deux types de personnes selon la prévalence de l'un des centres inducteurs, psychique ou somatique ;
                                                                                      -     à l'alternance émotio-attensionnelle : nous avons vu que le ralentissement respiratoire entraîne un plaisir de type émotionnel, réceptif, diffus, unifié, tendant à devenir pur processus ; puis vient la reprise avec conscientisation plus dissociée, rappel de ce qui s'est passé, étonnement mais aussi tentative de compréhension en un moment réflexif, attensionnel ; le plaisir devient alors satisfaction en cas de réussite ; de l'émotionnel on passe à l'attensionnel en attendant de repartir dans le pur processus.
                                                                                      Voilà quelques exemples de ce « corps qualitatif », de cette dimension somatologique qui s'abstrait du contenu unique et indicible pour ne pas en perturber la production et qui ne s'attache qu'aux qualités corporelles elles-mêmes, aux mouvements de diffusion-concentration, plaisir-désagrément, émotion-attention, à l'alternance du centre inducteur psychique-somatique, par exemple. Nous profitons ici de cette approche du tanking pour asseoir ce concept nouveau, cette grille de lecture nouvelle. Mais aussitôt il nous faut revenir à notre argumentation :
                                                                                       
                                                                                      -   qu'est-ce que cet accès à l'inconscient ?
                                                                                      -   qu'est-ce que cette émergence d'infonctionnant ?
                                                                                      -   y a-t-il vraiment travail d'analyse?
                                                                                       
                                                                                      • La structuration des processus inconscients et infonctionnants

                                                                                      • Envisageons très simplement ce qui se décrit jusqu'à présent : un adulte entre dans un caisson pour se détendre et trouver apaisement ; il devrait donc se trouver tendu et en lutte, c'est ce que la vie moderne suffit à expliquer. Au fur et à mesure que le tanking installe la relaxation, il se fait un retour de productions psychiques dissuasives et de fonctionnements corporels désagréables qui entravent cette relaxation. II y a retour de matériel refoulé,   nous sommes en pleine psychanalyse ; il y a redémarrage de fonctionnements réprimés, nous sommes en somatanalyse. L'adulte qui entre dans le tank pour se détendre est aussi un personnage qui développe des structures tenaces, qui   refoule mentalement ses souvenirs traumatisants et réprime corporellement ses fonctionnements inadéquats. Nous sommes ici autant chez Freud et Lacan que chez Ferenczi et Reich. Pour qu'il y ait relaxation, il faut d'abord un travail d'analyse, l'élimination de ces obstacles psychiques et corporels. Pour   abandonner les structures défensives nécessairement déplaisantes, il faut enlever la charge traumatique au refoulé et au réprimé.
                                                                                        Comment cela se fait-il en psych- et somat- analyse ? Grâce au transfert, essentiellement. L'ouverture au thérapeute induit une ouverture équivalente aux souvenirs et aux fonctions archaïques, la relation sécurisante et affective au thérapeute permet de reconstruire ces souvenirs et ces fonctions de façon positive, non dangereuse, n'engendrant pas de réaction défensive.
                                                                                        Mais ici, la mère est morte, le thérapeute est absent. Comment se fait alors le désamorçage des charges traumatiques du refoulé et du réprimé ? Comment la phobie du noir et de la mort, comment les spasmes et les absences de conscience peuvent-ils être assumés sans perturber automatiquement la détente et l'apaisement ? Comment se structurent ces nouveaux processus de façon non défensive ? C'est ce que le tanking nous oblige à comprendre et c'est ce qu'il nous permet aussi, enrichissant ainsi notre compréhension du processus thérapeutique lui-même. Cette longue approche descriptive et raisonnée laisse entrevoir la réponse, nous la proposons ici globalement, sous forme de thèse, sans essayer de la fonder plus avant :
                                                                                        Le travail d'analyse et de structuration se fait somatologiquement, dans le corps qualitatif, grâce à sa détente et à sa relaxation, grâce à l'ouverture à tous les fonctionnements nouveaux, grâce à l'écoulement libre de tous les processus. A ce moment, le corps est incapable de se défendre, de refouler, de réprimer. Il assume, intègre et structure. Il fait sien, familiarise et mémorise du simple fait que rien ne s'y oppose. (C’est ce que nous appelons actuellement expérience plénière et pleine présence, fondements même du thérapeutique processus).
                                                                                         
                                                                                        • Le processus thérapeutique

                                                                                        • Il y a là un grand principe : il suffit de laisser couler, de laisser faire ; il faut entrer en association libre ; il faut accéder au niveau où « ça parle », où « ça se fait ». Ce principe est universel puisqu'il réunit les traditions occidentales et orientales, sociales et individuelles, spirituelles et matérialistes. En effet, dans le caisson, ça fonctionne aussi librement que ça parle sur le divan ; en Occident, on s'abandonne autant à la grâce qu'on recherche le nirvana en Orient ; et cette ouverture spirituelle aux effets de la transcendance relève de la même spontanéité que le libéralisme économique sur le plan matériel.
                                                                                          C'est parce qu'on flotte librement dans cette mer morte parce qu'on entre spontanément dans l'image et la sensation, que cela se structure. Il n'y a pas à se demander pourquoi, il n'y a qu'à constater que rien ne s'y oppose. Car la structuration d'un fonctionnement spontané se fait d'elle-même tant que sa dangerosité ne l'empêche pas.
                                                                                          Mais il reste une ambiguïté ici pour le tanking : d'une part, on accuse le retour du refoulé d'empêcher la relaxation, d'autre part, on requiert cette relaxation pour désamorcer ce retour. Effectivement, si ce retour est trop intense, trop douloureux, il empêche la relaxation et dissuade du tanking, nous l'avons vu. Mais, généralement, l'effet matériel et physique du tanking induit une détente progressive qui désamorce effectivement les obstacles habituels, surtout si l'on peut ajouter à ces effets matériels le maniement volontaire de la relaxation et de l'analyse, de la psych- et somat-analyse.
                                                                                          La structuration se fait donc essentiellement dans le corps, dans la mesure où il ne s'oppose pas à ce qui se passe, où il ne se crispe pas, ne se spasme pas, ne déconnecte pas du psychique ou de la vigilance. Il s'agit d'un mécanisme somatologique, du corps qualitatif, indépendant du contenu qui, lui, continue à s'écouler. Mais, du fait de la solitude, cette structuration se réalise beaucoup moins dans la dimension relationnelle ; l'autre est absent, l'émotion s'atténue, l'image devient impersonnelle, la sensation diffuse. Cet aspect du tanking est important et doit être souligné encore. Il en fait son attrait et sa limite, rejoignant par là une dimension morale qu'il ne nous appartient pas d'aborder ici. Ce qui importe, c'est d'avoir constaté les effets de relaxation et d’autoanalyse et, surtout, d'en avoir approché les mécanismes, d'avoir compris. Ainsi, tout comme on peut raisonnablement dépasser la peur du court-circuit parce que l'appareil a été expertisé, on peut aussi déjouer la peur de la folie parce qu'on sait ce qui se passe dans ce caisson. Il ne nous reste plus qu'à conclure en développant les vertus certaines du tanking, qui se situent dans les trois directions de la recherche psychothérapeutique, de la relaxation et de l’autoanalyse.
                                                                                           
                                                                                        • Conclusion : de la recherche psychothérapique à la poésie

                                                                                        • Faut-il que la recherche psychothérapique comme réflexion raisonnante vienne contrebalancer, justifier et excuser cette jouissance parfaitement asociale qu'est le tanking ? Faut-il que cette allégeance à la science vienne atténuer la provocation qu'est ce plaisir tout à fait solitaire et amoral ? Ou alors n'y a-t-il que la nécessité de structurer dans les dimensions intellectuelles et sociales ce qui reste néanmoins encore trop processuel ? Toujours est-il que le tanking ouvre une faille appréciable dans l'opacité des mécanismes thérapeutiques et il n'y a aucune raison de ne pas ajouter la satisfaction de cette théorisation au plaisir de l'expérience elle-même. Pour une fois qu'il est agréable de se jeter à l'eau !
                                                                                          La recherche thérapeutique s'enrichit ici des trois apports principaux qui ont été abordés ci-dessus et qu'il reste à systématiser :
                                                                                          -    l'autonomie du travail (éventuellement) thérapeutique,
                                                                                          -    l'approche de la méthode par son setting,
                                                                                          -    l'éclaircissement quant au principe thérapeutique.
                                                                                           
                                                                                          L’autonomie du travail thérapeutique
                                                                                          S'il y a thérapie et/ou analyse, cela se fait seul et cette autonomie est l'une des plus parfaites que je connaisse. Toutes les thérapies classiques ou nouvelles s'inscrivent en une relation duelle ou groupale, on ne le souligne pas assez. En fait, la personne humaine vit un triple positionnement, en groupe, à deux ou seule. Ses problèmes se lient à ces trois situations, ses blocages aussi et les conditions de changement/guérison. En somatanalyse, cela apparaît clairement puisque le setting propose ces trois positionnements : le grand groupe, le couple et l'isolement. L'expérience somatanalytique montre toute l'importance du   passage par ces trois positionnements autant pour la perception des problèmes spécifiques à chacun d'eux que pour leur perlaboration. Or, avec le tanking, s'offre enfin un lieu de thérapie autonome et autogéré. Pour certaines personnes, il représente le seul lieu d'accueil thérapeutique, dans un premier temps du moins, en attendant que ce qui s'y perlabore ouvre le chemin au couple et/ou au groupe. Dans un sens inverse, les intoxiqués de la relation, conjugale et/ou groupale, peuvent travailler le positionnement solitaire dans le caisson. Une étude intéressante reste à faire sur le choix de la situation thérapeutique, en groupe, à deux ou seul, selon qu'il se fait par le patient ou se conseille par le thérapeute.
                                                                                           
                                                                                          La recherche sur l’organisation des thérapies
                                                                                          Le second apport du tanking concerne la méthodologie de la recherche   psychothérapique avec ce principe qui consiste à partir du setting pour comprendre une pratique donnée. Avec le tanking, ce principe s'impose indéniablement puisqu'il n'y a que l'appareil qui puisse nous amener, par niveaux d'observations successifs, à fonder ce qui s'y passe. Ce principe gagne ici  quelque crédibilité de plus et doit s'étendre peu à peu à toute recherche sur les   thérapies, surtout si elle se veut comparative comme je le propose en cette époque où les méthodes et pratiques se comptent par centaines.
                                                                                          Le processus thérapeutique commun
                                                                                                    Enfin le tanking nous introduit plus avant dans l'éclaircissement du principe thérapeutique et là nous pénétrons au cœur même de la recherche, au niveau qui peut promouvoir l'unité des innombrables méthodes et lever les exclusives aussi dogmatiques que paranoïaques. Nous avons proposé ici une présentation circonstanciée de ce principe avec « l'écoulement libre » et des associations et des sensations. Certes, le setting particulier du tanking limite la situation au vécu psycho-somatique à l'exclusion de toute insertion sociale. Ce qui s'y passe reste donc subjectif, interne et ne rend pas compte de la troisième dimension, sociologique. Nous pouvons néanmoins retrouver ici l'essence même du principe thérapeutique, à savoir l'unification du sujet, son unification interne, psycho-somatique et son harmonisation avec la situation externe, relationnelle en particulier. Dans le caisson, nous constations la levée progressive des obstacles qui empêchent le libre fonctionnement psychique et somatique puis, concomitamment, l'harmonisation des fonctions mentales et physiques comme nous l'avons décrit ci-dessus. Il advient alors ce moment cathartique que Freud situe aux origines de la thérapie moderne et de la psychanalyse, mais en douceur, dans le calme, sans violence. Car la catharsis ne se définit pas par l'intensité comme on le croit naïvement mais par cette unification psycho- socio- et somato-logique qui réalise ce que j'appelle ailleurs le « moment primaire ». En éliminant l'obstacle le plus fréquent à cette harmonisation, l'obstacle relationnel, le tanking peut plus facilement promouvoir cette catharsis, ce moment primaire, et en proposer un lieu de recherche privilégié.
                                                                                          Ces considérations théoriques ne doivent pas servir d'objet aux éventuelles ruminations obsessionnelles du tankeur. Au contraire, elles ne veulent que le sécuriser et l'encourager à aller plus avant dans cette relaxation et cette autoanalyse qui font l'attrait de l'expérience. Car relaxation il y a et même bien plus, nous l'avons déjà décrit. Que recherche-t-on, en fait, en consacrant ainsi près de deux heures à cette enceinte, chaude, humide, maternante mais solitaire, en s'astreignant à la douche, avant et après, à l'immersion des cheveux et à la coupure totale avec le monde extérieur ? La détente musculaire, la diminution du stress, l'arrêt de la compulsion mentale ? Certes. La fuite de l'extérieur, l'oubli des soucis quotidiens, la levée d'une identité trop étroite ? Egalement. On en ressort avec un corps massif, pesant, présent. On y découvre des gestes doux, légers, gracieux. On se laisse inonder par la subtilité des sensations internes, leur sensualité, leur fantasmagorie et leur poésie qui se jouent des réalités anatomo- bio- physiologiques. Du Moi, on passe au Soi. On abandonne le personnage bien adapté, bien contrôlé, bien inséré et apprécié par les autres pour flirter avec celui qui souffre de cette adaptation, avec celui qui se joue des limites corporelles, des identités, du temps et de l'espace. On passe du côté du ça, là où ça tangue, où ça fuse, où ça coule comme le sang dans les veines, où ça s'écoule jusqu'aux confins de l'univers, par mer, air et terre. Là où ça se projette en images, mots, formes et couleurs.
                                                                                          Là on se sent bien, c'est chaleureux, c'est partout et chez soi ; ça, c'est soi et c'est agréable, doux, tendre, sensuel...
                                                                                          Evidemment, ça passe aussi par des moments pénibles. Les espaces nouveaux sont gardés par les monstres d'angoisse et les labyrinthes d'obsession. Le terrain du bien-être est miné d'ennui et de dissociation. Sa surface est tourmentée de spasmes, crampes et fourmillements.
                                                                                          Il y a analyse au sens classique, psych- et somat-analyse, retour de refoulé, libération d'infonctionnant, compréhension de l'un et de l'autre. L'eau du tank se transforme en divan et en matelas, le caisson s'élargit en cabinet et en salle, le ça devient moi, l'imaginaire se symbolise et les sensations se qualifient. Ça se structure et s'empaquète pour usage conforme et de droit.
                                                                                          Mais il y a aussi et surtout analyse dans un sens tout à fait nouveau avec élimination progressive des structures habituelles, du discours, du schéma corporel, de la morale et des bonnes manières, puis accès aux processus les plus purs, les plus fous, les plus beaux. Et là s'ancre une jouissance certaine, dans cet écoulement libre de vie, d'énergie, de sens et de sensualité, une jouissance sans identité et sans schéma mais pleine de qualité. Elle est totalement asociale, cette jouissance. Il ne faut pas l'appeler « régressive », ça la mutilerait. Non, elle est tout simplement asociale et amorale. Il ne faut pas non plus la traiter de narcissique même si elle retrouvait par là l'air du temps. Non, elle est individuelle et individuante. En soi, il n'y a pas de mal à rechercher ce plaisir, cette satisfaction, ce bonheur. Ça rend plutôt paisible et tolérant, ça fait tomber les fusils des mains.
                                                                                          Evidemment, au sortir de ce pays enchanteur, on retrouve la lumière, le bruit, les objets et les voisins. Il faut payer la séance et travailler à cet effet. La structuration sociale s'impose d'elle-même ; il ne reste qu'à s'y glisser aussi gracieusement que dans l'eau, aussi cathartiquement, aussi primairement.
                                                                                          Voilà cette présentation du tanking faite il y a un quart de siècle. Elle est de toute actualité puisqu’elle aborde les trois « purs processus inconscients » : l’essence de l’énergie, la nature de l’esprit, l’intime du lien. Les vécus et transcriptions leur correspondent fidèlement ; la conceptualisation n’était pas encore au point. Ça en fait le charme et l’intérêt.
                                                                                           
                                                                                           
                                                                                        • Chapitre 14 : Le principe complexification / plénarité et le modèle ontothérapeutique

                                                                                          • La dimension thérapeutique

                                                                                          • "Je ne suis rien,
                                                                                            Je ne vaux rien,
                                                                                            Je rate tout, personne ne m'aime..."
                                                                                             
                                                                                            Ce type de déclaration peut mener tout droit à l'hôpital psychiatrique ou susciter une longue prescription de tranquillisants, de somnifères et d'antidépresseurs. Le psychothérapeute, lui, peut choisir de travailler sans filet et les mains nues; mais selon l'école à laquelle il appartient, il réagit différemment.
                                                                                            -   JANOV ferait répéter cette plainte, de plus en plus fort, jusqu'au cri et jusqu'aux larmes, en faisant remplacer le "personne" par "maman" ou "papa". Il expliquerait qu'on arrive là à la souffrance primale, à cette expérience décisive où l'enfant de 5-6 ans comprend très clairement qu'on ne l'aime pas comme il a besoin qu'on l'aime...
                                                                                            -   CASRIEL retournerait peu à peu ce vécu en une affirmation du type: "Je suis comme je suis; ce que je fais est beau, et si ça ne te plaît pas, tant pis pour toi; je suis "aimable" et si toi, tu ne peux pas m'aimer, j'en trouverai un autre". Affirmé, répété et écouté dans un groupe chaleureux, ce genre d'affirmation revigore et transforme. Et si l'on peut faire le tour du groupe et prendre chaque participant dans ses bras après cela, l'humeur peut effectivement changer et s'accorder à cette nouvelle conviction...
                                                                                            -   Sur le divan lacanien, un tel discours est religieusement écouté et entendu. Il peut être répété autant de fois qu'il faut, car l'oreille ne se lasse jamais sur son fauteuil. Si la voix de derrière soi laisse tomber que "rien" vient de "res" et signifie "quelque chose", l'analysant peut prendre cela comme une discrète reconnaissance. Et si on associe sur le thème du "manque", il peut accéder à une dimension fondamentale de son être...
                                                                                            Moi-même, j'ai été appelé au chevet d'une de mes analysantes qui venait d'accoucher d'un enfant malformé dont la vie est compromise à bref délai. Son sentiment ressemble à ce "je rate tout". Son visage est triste, mais elle lutte contre son émotion, tout comme elle le faisait au groupe de somatanalyse. Elle craint des malaises et même des pertes de connaissance si elle se laisse aller trop profondément à ressentir, à régresser.
                                                                                            Je lui propose néanmoins de ne pas se bloquer et de vivre celle tristesse, d'en faire une occasion de se centrer en elle et de rencontrer ses proches au niveau affectif que favorise cette épreuve commune... Les malaises et lipothymies ne proviennent d'ailleurs pas de l'émotion elle- même mais du refus de l'émotion.
                                                                                            Ces quatre attitudes sont bien différentes, presque contradictoires. Pourtant elles se veulent toutes thérapeutiques et nous obligent donc à poser la question: qu'est-ce que cette dimension thérapeutique dont se réclame évidemment la somatanalyse? Dans un premier temps, on pourrait chercher une réponse du côté des pathologies que l'on aborde et du côté de la guérison. Mais là aussi l'éventail des troubles pris en considération s'élargit tellement qu'on ne sait même plus très précisément s'il s'agit encore de thérapie ou d'autre chose.
                                                                                            La notion de thérapie est évidente lorsqu'elle s'attaque au symptôme ainsi que le faisait FREUD à ses débuts (et toute sa vie d’ailleurs comme le montre André Haynal 2007), quand il traquait le symptôme hystérique. Elle l'est encore lorsqu 'on demande à la psychothérapie de guérir une dépression, une lombalgie, une hypersécrétion gastrique ou une assuétude aux tranquillisants. On admet aussi que la notion de thérapie s'élargisse au "terrain", au caractère, à la personnalité pathologique. FREUD a rapidement dépassé le symptôme pour s'intéresser à la personnalité hystérique. REICH a créé les moyens d'en faire autant pour la personnalité schizoïde et caractérielle. Les plus audacieux parmi les thérapeutes s'essayent au traitement du terrain psychotique. Mais le développement et la démocratisation des nouvelles thérapies élargit la demande à la troisième dimension: au mal-être, aux difficultés affectives et relationnelles, aux troubles sexuels, au mal-dans-sa-peau... S'agit-il encore de thérapie à ce niveau? Oui, si on se réfère à la nouvelle définition de la santé que donne l'OMS pour qui elle n'est plus seulement absence de maladie mais "état de bien-être".
                                                                                            Comme on le constate, l'abord des indications ne donne pas d'éclaircissement très évident sur l'essence de la thérapie; la notion de guérison non plus, puisqu'elle prend les aspects les plus divers; on peut faire disparaître un symptôme hystérique certes, mais en risquant de le voir réapparaître ailleurs; on ne change pas radicalement un terrain, qu'il soit psychotique ou névrotique; enfin le mal-dans-sa-peau est un fait existentiel plus encore que pathologique et LACAN insiste suffisamment sur le "manque" structurel pour qu'on se fasse à cette idée. Il doit pourtant exister des éléments communs à ces différentes attitudes thérapeutiques; il devrait même y avoir un principe unique. La fréquentation des méthodes les plus diverses et des thérapeutes les plus différents m'en a profondément convaincu. Aussi, comme je dirigeais un séminaire d'enseignement sur les méthodes psychothérapiques, je me suis exercé à un regard comparatif, à une recherche de "psychothérapie comparée" plutôt que de présenter un catalogue de techniques juxtaposées, On pratique cette approche en littérature. On l'introduit dans les sciences humaines avec la méthode structuraliste. Pourquoi ne pas l'employer pour les psychothérapies, maintenant qu'elles prolifèrent comme autant de variations sur un thème, sinon connu, du moins pratiqué? L'un de ces enseignements a porté sur la dimension thérapeutique précisément et j'en reprends ici une partie: celle qui aboutit à l'émergence du fait thérapeutique, d'un de ses aspects en tout cas, que j'appelle "moment primaire". Nous le définirons d'abord pour lui-même puis il nous servira à fonder et à expliciter la dimension thérapeutique de la somatanalyse.
                                                                                             
                                                                                            • Le moment primaire : mise en évidence

                                                                                            • II s'agit de réaliser une fiche technique descriptive de chaque méthode psychothérapique et d'en faire ensuite une superposition qui permet de lire en transparence les éléments qui varient et ceux qui ne varient pas. Les éléments invariants pourraient alors constituer ces ou ce principe que nous cherchons. Malheureusement il faut limiter ici et le nombre de thérapies abordées et l'envergure de la description donnée. J'ai retenu six méthodes différentes empruntées à trois auteurs: FREUD, FERENCZI et CASRIEL. Le choix de ces auteurs s'est fait pour une raison précise: ils ont tous les trois développé successivement deux méthodes apparemment contradictoires mais, à mon sens, très cohérentes, faisant preuve d'une compréhension essentielle du fait psychothérapique. De plus, ces trois auteurs se placent aux deux extrêmes et au milieu de l'histoire de la psychothérapie moderne;
                                                                                              -   FREUD a passé de la méthode cathartique à la psychanalyse de 1885 à 1905 environ,
                                                                                              -   FERENCZI, de la "thérapie active" à la "relaxation", de 1918 à 1930 environ,
                                                                                              -   CASRIEL, du cri au bonding, de 1965 à 1975.
                                                                                              Ainsi sont énumérées les six méthodes ou techniques que nous étudierons. Il est remarquable que chaque auteur passe en quelque sorte d'une technique "dure" à une technique "douce" et, d'un autre point de vue, d'une technique de "moments" psychothérapiques à une technique "d'état" psychothérapique. Il y a là un autre motif qui préside au choix de ces auteurs.
                                                                                              Pour la description de chacune de ces méthodes - sauf pour la sixième - j'ai choisi un texte de l'auteur lui-même, court et simple, qui aborde l'essence même de la méthode et permet de réaliser simplement cette fiche technique. Le recours aux textes originaux compense, en partie du moins, l'extrême dépouillement de ces descriptions ici proposées.
                                                                                               
                                                                                              • Sigmund FREUD

                                                                                              • FREUD n'est pas à présenter! C'est sûrement lui qui marque le plus profondément les psychothérapeutes actuels, même ceux qui s'en défendent. Et pourtant il a emprunté à un autre, à Joseph BREUER, sa première méthode de travail, celle qui reste fondamentale: la méthode cathartique.
                                                                                                 
                                                                                                a)     Méthode cathartique
                                                                                                 
                                                                                                Voici ce qu'en disent BREUER et FREUD dans les "Etudes sur l'hystérie":
                                                                                                "Chacun des symptômes hystériques disparaissait immédiatement et sans retour quand on réussissait à mettre en pleine lumière le souvenir de l'incident déclenchant, à éveiller l'affect lié à ce dernier et quand, ensuite, le malade décrivait ce qui lui était arrivé de façon fort détaillée et en donnant à son émotion une expression verbale" (Breuer p. 24).
                                                                                                Le moment cathartique est le moment de guérison du symptôme hystérique. Trois éléments concourent à cet effet:
                                                                                                -    le souvenir de l'incident déclenchant,
                                                                                                -    l'affect lié à ce dernier,
                                                                                                -    l'expression verbale du souvenir et de l'affect.
                                                                                                La présence de ces trois éléments constitue la première condition de survenue. Il en existe une seconde aussi importante, à savoir la simultanéité d'occurrence de ces trois éléments: le souvenir s'étoffe d'émotion et l'émotion s'exprime en paroles, simultanément.
                                                                                                La préparation de ce moment cathartique peut se faire progressivement, dans la recherche des souvenirs, par l'analyse, mais, au moment donné, tout s'enclenche et s'unifie:
                                                                                                 
                                                                                                En inscrivant ce moment dans un cercle, on arrive à visualiser l'unité de ce qui se passe avec le triple fonctionnement mnémonique, émotionnel et expressif. Les flèches qui relient ces trois fonctionnements soulignent la simultanéité et l'interaction de ces processus. (Voir schéma n° 2)
                                                                                                 
                                                                                                b)     Méthode psychanalytique
                                                                                                 
                                                                                                Voici un texte tiré de "Ma vie et la psychanalyse", où FREUD décrit très simplement le passage à la technique psychanalytique qu'il a développée peu à peu et qui reste le fondement de la psychanalyse actuelle:
                                                                                                "On l'incitait (le patient) maintenant à s'abandonner à ses "associations libres", c'est-à-dire à communiquer tout ce qui lui venait à l'esprit lorsqu'il s'abstenait de prendre pour but une représentation consciente quelconque. Mais il devait prendre l'engagement de vraiment communiquer tout ce que sa perception intérieure lui livrait et de ne pas céder aux objections critiques...
                                                                                                "Mais il faut considérer que l'association libre n'est en réalité pas libre. Le patient demeure sous l'influence de la situation analytique... Dans tout traitement analytique s'établit, sans que le médecin fasse rien pour cela, une intense affection du patient à la personne de l'analyste" (p. 50 à 53).
                                                                                                A partir de ce texte on peut proposer un schéma (n° 3) construit sur le même modèle que le précédent et où se visualisent les éléments essentiels du texte.
                                                                                                                           
                                                                                                     

                                                                                                 

                                                                                                 

                                                                                                schéma 38
                                                                                                Schéma 38 : le moment cathartique    

                                                                                                schéma 39
                                                                                                Schéma 39 : la situation psychanalytique

                                                                                                                      

                                                                                                Trois fonctions essentielles apparaissent ici encore:
                                                                                                -l'affection portée à l'analyste,
                                                                                                -les associations liées à cette relation
                                                                                                -et l'expression verbale de ces associations et donc de l'affection.
                                                                                                 
                                                                                                L'inclusion dans le cercle souligne l'interaction de ces processus et leur simultanéité. L'intérieur du cercle désignant l'intériorité de l'analysant, on peut situer un extérieur en dehors du cercle. Ici, c'est l'analyste qui représente à lui seul cet extérieur d'où viennent les sollicitations affectives. Ce processus psychanalytique n'a lieu qu'en évitant un autre fonctionnement psychique, différent de la fonction associative, qu'on retiendra, en attendant, comme fonction critique et fonction intentionnelle ("prendre pour but"). D'une méthode à l'autre, apparaît clairement le passage du moment psychothérapique à l'état psychothérapique: la catharsis est un moment limité dans le temps; l'association libre est un état qui doit durer toute la séance et se répéter de séance en séance.
                                                                                                 
                                                                                                • Sandor FERENCZI

                                                                                                • FERENCZI s'est attelé aux problèmes techniques lorsque la méthode psychanalytique a commencé à manifester ses limites. II a développé là un merveilleux sens de la thérapie qui mérite d'être scruté de plus près, nous l’avons vu ci-dessous.
                                                                                                   
                                                                                                  a)     La thérapie active.
                                                                                                   
                                                                                                  Dans un premier temps, FERENCZI introduit tout simplement des "mises en acte" aux moments privilégiés que sont les résistances et les blocages; il demande d'agir les souvenirs et fantasmes qui émergent, mais qui n'arrivent pas à faire bouger les résistances et les blocages malgré leur analyse et leur compréhension. Voici un passage de l'analyse d'une jeune pianiste talentueuse qui présentait des troubles d'exécution en public.
                                                                                                  "Nous devons l'amélioration la plus importante à la découverte de l'onanisme inconscient de la patiente, mis en évidence à l'aide de "l'activité". Au piano, elle éprouvait - à chaque geste un peu violent ou passionné - une sensation voluptueuse au niveau des organes génitaux qui étaient excités par le mouvement. Elle fut obligée de s'avouer ses sensations flagrantes après avoir reçu l'ordre d'adopter un comportement très passionné au piano ainsi qu'elle l'avait vu faire à de nombreux artistes" (Ferenczi Œuvres III p. 122 et 123).
                                                                                                  Schématisons ce qui se passe au moment où la pianiste exécute l'acte demandé par l'analyste:
                                                                                                  -   elle exprime des gestes passionnés,
                                                                                                  -   éveille des sensations voluptueuses
                                                                                                  -   et reconnaît le lien entre les uns et les autres,
                                                                                                  -   le tout, simultanément et avec intensité.
                                                                                                  En d'autres mots, le moment fort est ici la coexistence:
                                                                                                  -   d'une expression: les gestes passionnés;
                                                                                                  -   d'une impression: les sensations voluptueuses ;
                                                                                                  -   d'une compréhension: leur reconnaissance sous forme d'aveu.
                                                                                                    
                                                                                                   
                                                                                                  schéma 40
                                                                                                  Schéma 40 : le moment thérapeutique dans la thérapie active.
                                                                                                   
                                                                                                   
                                                                                                  Dans cette "thérapie active", le déclenchement se fait sur injonction, sur proposition d'un travail corporel, qui est bloqué dans l'attitude névrotique de la pianiste. La répétition de telles mises en acte a amené la guérison de cette patiente.
                                                                                                   
                                                                                                  b)     La relaxation ou néo-catharsis.
                                                                                                   
                                                                                                  Dans un deuxième temps, FERENCZI abandonne l'intervention active. Il propose maintenant un contact physique avec le patient. Voici ce qu'il en écrit dans les notes informelles de ses dernières années:
                                                                                                  "Certains (patients) s'assurent de notre bienveillance de manière vraiment infantile en prenant notre main, en la tenant même pendant tout le temps de l'immersion (Versenkungszeit). Ce qu'on appelle transe (Trance), est donc, pour ainsi dire, un état de sommeil avec maintien de la capacité de communication avec une personne sur qui on peut compter. Une légère variation dans la force de la poignée de main devient là le moyen d'expression de l’émotion... Quand le rapport avec le patient a plus ou moins duré de cette manière, dans une conversation en demi- sommeil pour ainsi dire... le patient peut brusquement être submergé par un véritable cauchemar hallucinatoire où il agit en mots et gestes un vécu (Erlebnis) interne ou externe" (Ferenczi Clinique p. 235-236).
                                                                                                  Ce texte apparemment touffu nous permet ici encore une schématisation du processus thérapeutique ;
                                                                                                   
                                                                                                   
                                                                                                  schéma 41
                                                                                                  Schéma 41 : l'état néo-cathartique
                                                                                                   
                                                                                                  Là aussi, l'expérience du patient se déroule simultanément, sur les trois modes fondamentaux :
                                                                                                  -   relationnel: sécurisation par la main de l'analyste;
                                                                                                  -   psychique: images hallucinatoires;
                                                                                                  -   moteur: mots et gestes.
                                                                                                  Cette expérience se déroule en situation, en insertion dans l'environnement, avec l'analyste qui communique par l'intermédiaire de la main. Mais, au niveau psychique, il existe une coupure d'avec l'état d'éveil. FERENCZI appelle cela: immersion, demi-sommeil, sommeil avec conversation... Il faut souligner que la description de ce qui se passe à ce niveau psychique est malaisée.
                                                                                                  Avec ces méthodes, FERENCZI s'est engagé dans une impasse, du moins à l'intérieur du courant psychanalytique. Il ne faut donc pas être surpris si nous retrouvons ses propositions techniques dans des cadres méthodologiques très différents. Mais il n'y a pas de rupture entre FREUD, FERENCZI et les auteurs que nous abordons maintenant, JANOV et CASRIEL; tout comme il n'y a pas de rupture essentielle entre la parole, le cri et le contact.
                                                                                                   
                                                                                                  • Daniel CASRIEL

                                                                                                  • J'ai choisi Daniel CASRIEL bien qu'il soit encore mal connu en France – à moins que la traduction de son ouvrage ait paru entre-temps. Psychiatre et psychanalyste, CASRIEL a découvert l'effet thérapeutique du cri dans une communauté de drogués à l'époque où JANOV développait le cri primal, indépendamment. Il a d'abord développé une technique de groupe centrée sur le cri. Une dizaine d'années plus tard, vers 1975, il s'intéressait beaucoup plus exclusivement au contact physique appelé "bonding". Il y a là, à mon avis, une évolution superposable à celle de FERENCZI et de FREUD, de la technique dure à la technique douce, du moment à l'état thérapeutique. Le cri et le contact physique sont par ailleurs les deux innovations majeures de ces dernières années.
                                                                                                    Pour l'analyse de ces deux techniques, je ne me référerai pas à CASRIEL lui-même, car je le connais mieux par la pratique que par ses théories, mais à JANOV d'abord qui a excellemment décrit le cri; puis suivra une analyse du bonding que j'ai faite moi-même. C'est l'absence de texte assez explicite de CASRIEL qui m'y pousse: mais c'est sa démarche à lui qui donne son vrai sens au choix de ces deux techniques.
                                                                                                     
                                                                                                     
                                                                                                    a)     Le cri primal
                                                                                                     
                                                                                                    Voici un des nombreux textes où JANOV décrit le cri primal :
                                                                                                    "Le véritable cri primal ne peut être méconnu. C'est un cri profond et involontaire qui ressemble à un râle. Lorsque le thérapeute détruit brusquement une partie de ses défenses et que le patient se trouve tout à coup nu devant sa souffrance, il crie parce qu'il est entièrement exposé à sa vérité... "
                                                                                                                           
                                                                                                     schéma 42
                                                                                                    Schéma 42 : le moment primal
                                                                                                     
                                                                                                     
                                                                                                    "Ce qui s'exprime quand le sujet crie c'est un sentiment unique qui est peut-être la base de milliers d'expériences antérieures: "Papa, ne me fais plus mal!"  ou "Maman, j'ai peur" (Janov p. 99).
                                                                                                    "Ce que vient de vivre le patient est un primal. Une expérience totale du sentiment et de la pensée, venue du passé... Le malade est presque inconscient de l'endroit où il se trouve à ce moment... Lorsque (le primal) survient il semble briser la barrière pensée-sentiment" (Janov p. 93-94).
                                                                                                    En extrayant de ce texte les éléments qui nous intéressent nous pouvons aussi schématiser le primal. Nous retrouvons les niveaux de fonctionnement qui nous deviennent familiers :
                                                                                                    -   l'expression: par le cri;
                                                                                                    -   l'impression: la souffrance, la peur;
                                                                                                    -   la compréhension: comme accès à la vérité de ces émotions.
                                                                                                    Mais nous voyons surtout exprimée avec force l'unité de fonctionnement de ces trois niveaux: "lorsque le primal survient il semble briser la barrière pensée-sentiment". Ce moment primal est activement provoqué par le thérapeute, comme l'aurait fait FERENCZI dans sa thérapie active. Quant à ce qui se passe au niveau du psychisme cela relève de la même difficulté de définition: JANOV parle de vérité, pensée et d'état involontaire pour les opposer à conscience.
                                                                                                     
                                                                                                    b)     Le bonding
                                                                                                     
                                                                                                    Le bonding - ou corps-accord - est la systématisation du contact physique dont nous avons eu l'amorce chez FERENCZI: il s'agit d'un enlacement, pendant une durée prolongée. Pour comprendre ce qui s'y passe, il faut en proposer une approche au niveau somatologique:
                                                                                                    -   le contact déclenche une sensation agréable ou désagréable ; restons ici à la première éventualité: la sensation agréable correspond à une tension légère de la musculature lisse qui diffuse dans tout le corps; d'essence sensuelle, elle est ressentie comme tendresse de par sa diffusion même;
                                                                                                    -   cette diffusion des sensations à tout le corps est le fait du psychisme: il
                                                                                                    se met dans un état de "sensation libre" qui propose au corps ce que
                                                                                                    l'association libre permet aux productions psychiques ; c'est donc le
                                                                                                    psychisme qui donne le label de qualité aux impressions et expressions,
                                                                                                    c'est lui qui y reconnaît de la tendresse.
                                                                                                    Il faut bien le souligner, la qualité de tendresse qui définit le corps-accord provient de la prise de conscience, même si ce fait psychique n'est que l'accompagnement des sensations, le "cum sciencia", la conscience. Ces trois fonctions de contact, de tension et de tendresse s'inscrivent dans notre cercle et circonscrivent un vécu d'autant plus pur qu’elles s'harmonisent entre elles et s'entretiennent réciproquement et simultanément.
                                                                                                     
                                                                                                     
                                                                                                    schéma 43
                                                                                                    Schéma 43 : l'état de corps-accord
                                                                                                     
                                                                                                     
                                                                                                    La présentation de ces six méthodes psychothérapiques s'achève là. Il s'agit maintenant d'en faire ressortir les invariants pour y déceler l'objet de notre recherche, à savoir le principe thérapeutique. En fait, cette présentation simplifiée de méthodes, complexes par ailleurs, a le mérite de faire ressortir ces invariants d'eux-mêmes grâce aux schémas.
                                                                                                    L'invariant est ici ce que j'appelle le "moment primaire", à savoir la simultanéité d'une impression, de son expression et de leur compréhension.
                                                                                                     
                                                                                                     
                                                                                                     
                                                                                                     schéma 44
                                                                                                    Schéma 44 : la dimension subjective du moment primaire
                                                                                                     
                                                                                                    Avec ses trois niveaux de fonctionnement - impression, expression, compréhension – (somato-, socio-, psycho-) se définit la part subjective du moment primaire, à savoir ce qui se passe pour le sujet pris isolément. Mais le sujet n'est pas replié sur lui-même ; au contraire, il est en continuité avec l'extérieur, avec les objets:
                                                                                                    -   avec l'environnement - ici limité à l'analyste ou au partenaire du bonding – qui provoque l'impression, l'émotion ;
                                                                                                    -   avec le corps qui dicte la façon dont il peut s'exprimer ;
                                                                                                    -   avec le "psychique" qui stocke les souvenirs, les idées, les fantasmes et autres moyens de reconnaissance et de sens.

                                                                                                     

                                                                                                    schéma 45
                                                                                                    Schéma 45 :le moment primaire

                                                                                                    Ainsi peut se compléter ce moment primaire qui comprend obligatoirement les référents objectifs.
                                                                                                     
                                                                                                     
                                                                                                     
                                                                                                    Avec ce "moment primaire", se définit le principe thérapeutique que nous recherchons. Il se propose comme tel bien qu'il soit difficile d'apporter des preuves à proprement parler. Même la référence aux thérapeutes invoqués ci-dessus ne constitue pas une démonstration infaillible. La façon de le présenter ici n'est sûrement pas la seule non plus. On pourra donc le discuter au niveau du savoir. Mais on en discutera beaucoup plus encore au niveau des implications personnelles car ce moment primaire engage, il engage une pratique, il engage même la façon d'être. Il ne se laisse pas réduire à un savoir, car le savoir introduit une dissociation dans le vécu subjectif. Il ne se laisse pas réduire non plus à un pouvoir, car ce dernier provoque une coupure d'avec l'extérieur, ce qui va parfaitement à rencontre de l'aspect "primaire" ici souligné.
                                                                                                     
                                                                                                     
                                                                                                    • Le moment primaire : caractéristiques

                                                                                                    •  Dans le moment primaire le principe thérapeutique se caractérise donc comme:
                                                                                                      -   moment, un moment de présence plus ou moins long mais limité dans le temps ;
                                                                                                      -   façon d'être, un être unifié dans l'émotion, l'expression et sa compréhension psycho-, socio- et somato- ;
                                                                                                      -   insertion dans une situation: dans un environnement, dans les réalités psychique et corporelle.
                                                                                                      En ce qui concerne le "moment", on pourrait ne retenir que la notion de durée limitée, de partie d'un tout. En fait, il s'agit de "présence", de quelque chose qui est actuellement et dont on n'a pas à envisager l'après. Les amoureux connaissent bien ce vécu d'éternité que donne un présent plein. En fait, le moment thérapeutique est le plus souvent limité dans le temps. Deux hypo-chondriaques sévères sont venus au groupe; ils ont crié avec une intensité étonnante et ont pu effacer complètement cette chape de brouillard, de confusion et d'angoisse qui les écrase continuellement mais pour un quart d'heure seulement, lors du premier cri... Objectivement, le moment efficace est souvent plus court encore, en tout cas le moment de grande intensité où se fait l'illumination de l'intuition décisive ou l'exaltation de l'émotion libératrice. Mais, subjectivement, plus on vit ce moment présent, plus on oublie la durée et plus il dure. Ce moment est le point de rencontre d'éléments multiples; il est, en particulier, le point de jonction du passé et de l'avenir. Nous retrouvons là un des thèmes central de la psychothérapie moderne, l'ici et maintenant, mais aussi l'un des enseignements des sagesses orientales et des religions. Ces dernières ne sont-elles pas aussi des thérapies ? N'est- ce pas pour cela que les thérapeutes du corps se laissent attirer par l'Orient et que LACAN a ressuscité le grand Autre ?
                                                                                                      Dans le moment présent, on ne peut qu'être. Mais qu'est-ce qu'être ? L'analyse tentée ici a le mérite de décomposer cet être et de nous le faire mieux comprendre: il s'agit d'un moment d'unité, d'unification, de fonctionnement simultané et harmonisé aux trois niveaux de l'impression, de l'expression et de la compréhension. La définition de ces niveaux est faite de telle sorte que leur ensemble constitue un tout, le tout du vécu subjectif. A ce moment là, rien d'autre ne reste en suspens. C'est la raison même pour laquelle ce moment est thérapeutique.
                                                                                                      Deux aspects principaux sont à souligner: la simultanéité d'une part et l'ensemble des fonctions à unifier d'autre part. Les modèles thérapeutiques invoqués ci-dessus insistent tous sur ce moment particulier où se fait l'unification de l'être. Nous verrons plus loin que la psychopathologie peut précisément se comprendre à partir de l'absence de cette unité, à partir de coupures entre les différentes fonctions. L'étymologie du mot schizophrénie renvoie bien à cette notion de faille. La simultanéité constitue en fait l'élément majeur de l'hypothèse thérapeutique proposée ici. Mais qu'on ne pense pas que cette unification soit nécessairement un phénomène exceptionnel. Dans le cri, dans l'intuition subite sur le divan, elle est exceptionnelle en effet. Dans la vie courante, elle se fait beaucoup plus simplement, quand on est "là", dans la présence.
                                                                                                      Quant aux trois fonctions présentées comme constituantes de ce tout, elles méritent une explication parce qu'il ne s'agit pas de fonctions apparemment cohérentes entre elles. Le choix des termes - impression, expression et compréhension - ne se fait d'ailleurs pas tant pour eux- mêmes que pour la globalité qu'ils désignent, que pour cette "totalité d'être" justement. Ces termes rejoignent d'autres ensembles comme: sentir, agir et penser ou émotion, action et signification... Les trois fonctions citées semblent incohérentes par rapport aux référents externes; l'environnement, le corps et le psychique. Car l'environnement est externe et les deux autres, le corps et le psychique, internes. Mais dans le moment d'être, ces trois référents se comportent de la même façon: ils ont la même fonction, que ce soit:
                                                                                                      -   un partenaire parmi tous les participants du groupe,
                                                                                                      -   un souvenir parmi les milliers d'autres de mémorisés,
                                                                                                      -   une attitude corporelle d'entre des centaines…
                                                                                                      Inversement, l'absence de l'un de ces référents, son refoulement ou son blocage, provoquent la même attitude dissociée. Que l'on nie un partenaire, que l'on refoule un souvenir ou que l'on inhibe des sensations, cela provoque le même résultat, à savoir une coupure dans sa façon d'être. L'analyse du moment primaire nous pousse donc et nous oblige à considérer l'équivalence fonctionnelle:
                                                                                                      -   des trois fonctions: d'impression, d'expression et de compréhension,
                                                                                                      -   et des trois référents: l'environnement, le corps et la réalité psychique.
                                                                                                      Depuis REICH, on accepte le parallélisme psycho-somatique. Ici, on est amené à élargir les équivalences à l'ensemble psycho-, socio- et somato-logique. Les contenus sont certes différents mais l'importance fonctionnelle est la même. La somatanalyse d’abord, la démarche intégrative ensuite entrent résolument dans cette nouvelle dimension puisque leur pratique inclut le groupe, le corps et l'élaboration intrapsychique. Quant à sa théorisation, elle s'y réfère tout autant puisque, nous le verrons plus loin, ce traitement du social et de l'environnemental à égalité avec le corps et la psyché permet de proposer deux généralisations avec les notions:
                                                                                                      -   d'équivalence fonctionnelle des contenus psycho-, socio- et somato-logiques
                                                                                                      -   et de globalité psycho-, socio-, somato- logique du changement.
                                                                                                      Il faut aussi envisager le terme à la fois provocateur et modeste de "primaire". Quoique faisant allusion au concept freudien de processus primaire, le moment du même nom ne se limite pas à ce seul aspect. Je n'ai d'ailleurs pas l'intention d'entrer dans une discussion serrée sur ces notions complexes de processus primaire et secondaire. Je propose une approche plus globale sur l'observation du travail au corps. En fait, une opposition s'y fait jour aussi mais en sens inverse de l'opposition freudienne! Douglas HARDING intitule un livre: "Vivre sans tête". Rappelons-nous aussi Gérard, un patient, qui veut "perdre la boule" et référons-nous à toutes ces expressions à la mode qui, sous prétexte "d'habiter le corps" et de "descendre dans les tripes", s'en prennent à la tête! Nous voilà bien dans le sujet. Une approche simplifiée de la terminologie freudienne permet de rapprocher le processus primaire du corps et le processus secondaire de la tête. Nous évoluons ici en plein dans la coupure psycho-somatique, dans les oppositions verbal - non verbal, symbolique - réel, tête - tripes, toutes oppositions qui se débattent avec le dualisme classique et ne le traitent guère mieux que d'autres cultures parfois taxées de manichéennes.
                                                                                                      Mais le moment primaire englobe l'un et l'autre, la tête et les tripes, le terme de "primaire" est donc provocateur et modeste. Provocateur d'abord, parce qu'il reprend une notion mal portée; dans le langage courant, le primaire, c’est une brute; en psychanalyse, le primaire est plus mal loti que le secondaire! Il y a donc provocation en affirmant qu'il faut céder de cette superbe que donne l'exclusive du rationnel, du reflexif, du verbal. Modeste ensuite parce qu'il subordonne le processus secondaire au moment primaire où l'émotionnel et le corporel semblent dominer; je dis bien "semblent" car si cette impression existe bien souvent, il ne s'agit que d'une impression car le moment primaire est un moment d'équilibre des trois instances: le relationnel, le corporel et le psychique.
                                                                                                      -   dans la présence, dans l'ici et maintenant,
                                                                                                      -   dans un certain équilibre psycho-, socio- et somato-logique, sans exclusive de l'une ou l'autre réalité,
                                                                                                      -   dans la plénitude ; LACAN semble avoir imposé l'universalité du "manque" ; je prétends, quant à moi, après bien d'autres, qu'on peut vivre des moments pleins sans aucune sensation ou   pensée de manque; des moments, plus ou moins longs il est vrai,
                                                                                                      -   en situation enfin, en contact avec l'environnement et les autres, en continuité avec le psychique (avec ses souvenirs, fantasmes et rationalités...), dans le corps.
                                                                                                      S'agissant d'un moment, cela ne signifie pas qu'il y ait opposition à la durée, au contraire. Le moment est le point de rencontre du passé et de l'avenir; il est plein de tout le passé et porte en lui tout l'avenir, réellement, mais toujours avec cette modestie qu'entraîne l'attitude primaire, du fait qu'il n'y a pas conscience aiguë, exclusive et triomphante d'un élément précis, d'une tranche du passé, d'un projet bien programmé. Le passé et l'avenir sont d'autant plus présents qu'on n'y pense pas, qu'on n'adhère qu'au présent.
                                                                                                      Le passé est là, de toute façon:
                                                                                                      -   dans l'environnement et l'entourage; la situation dans laquelle on se trouve n'est que la résultante de tout un passé;
                                                                                                      -   dans l'accès à une réalité psychique qui n'est que l'accumulation d'un long travail de mémorisation et d'apprentissage;
                                                                                                      -   dans le corps dont le fonctionnement et l'attitude résultent des expériences de toute la vie.
                                                                                                      S'il est relativement aisé de concevoir que le présent englobe le passé, il est plus difficile d'y voir l'émergence de l'avenir. C'est la notion de créativité qui peut nous faciliter cette compréhension. Car le moment primaire est un moment de créativité qui s'engouffre dans l'avenir de par cette créativité même.
                                                                                                      Nous avons vu à propos de la Konzentrative Bewegungstherapie comment l'attention concentrative sur le corps est créative: les sensations qui en émergent sont neuves et originales; elles stimulent l'attention qu'on leur porte. Il en est de même des insights et compréhensions qui viennent s'associer aux vécus émotionnels: en faisant de ces vécus des moments pleins, ils contribuent à créer une attitude dynamique, attentive, ouverte sur l'extérieur, toutes qualités qui permettent d'entrer positivement dans l'avenir, de le laisser venir plus précisément. Il ne s'agit donc pas de donner un mode d'emploi pour le futur -toujours imprévisible - mais de créer l'attitude la plus apte à l'affronter. En fait, le mode d'emploi existe avec tout l'acquis du passé, mais son application dépend de l'attitude présente. Le moment déjà réussi donne la certitude de réussir aussi les moments à venir. Celui qui vit le présent créativement possède les aptitudes à vivre chaque moment de l'avenir au mieux. Mais ici encore interviennent cette provocation et cette modestie de la conception primaire:
                                                                                                      -   il n'y a de garantie pour l'avenir que dans un vécu créatif du présent,
                                                                                                      -   pour voir l'avenir, il faut fixer le présent!
                                                                                                      Voilà ces caractéristiques du moment primaire que nous pouvons résumer encore une fois comme:
                                                                                                      -   la simultanéité de fonctionnement
                                                                                                      -   des trois fonctions psycho-, socio- et somato- logiques, de l'impression, de l'expression et de la compréhension,
                                                                                                      -   comme moment plein, à la fois associatif et réflexif,
                                                                                                      -   comme présence et point de rencontre du passé et de l'avenir,
                                                                                                      -   comme attitude "primaire" qui ne privilégie ni la fonction rationnelle, ni l'autre, émotionnelle, mais les associe toutes les deux.
                                                                                                      Ce texte vieux d’un peu plus d’un quart de siècle, extrait de Le Corps aussi (Meyer, 1982) nous dit déjà l’essentiel du processus thérapeutique de base. Il se réfère à la psychanalyse et aux inspirateurs de la somatanalyse. Il est simple et direct et même un peu naïf, avec cette appellation de « moment primaire ». Mais l’essentiel y est effectivement, ce qui fait une agréable introduction à notre thème de l’ontothérapeutique. Ce terme très récent marque l’importance que nous donnons à présent à cette théorisation du processus thérapeutique qui ne se limite pas seulement à une méthode – la somatanalyse – ni même aux seules somatothérapies ou psychothérapies, mais à tout processus thérapeutique, y compris psychosomatique et même médical…
                                                                                                      En reconnectant psycho-, socio- et somato- dans une pleine présence, la guérison advient et l’autoorganisation juste se relance.
                                                                                                      Le quart de siècle écoulé nous a permis de développer cette première approche essentiellement clinique avec des approches complémentaires méthodiquement constituées, scientifiquement élaborées et appuyées sur des théories tant mathématiques (René Thom) que neuroscientifiques (Gérald Edelman). Nous avons surtout affiné notre dénomination qui devient «l’expérience plénière » avec ses étapes préparatoires et ses processus partiels. Malgré tous ces enrichissements, ce temps de guérison fondamental reste une expérience complexe qu’il faut approcher expérientiellement, cliniquement, comme son nom l’indique.
                                                                                                       
                                                                                                                  Mais, vingt cinq années plus tard, il nous reste à nous mettre à jour, up to date, avec ce qui caractérise ces vingt dernières années, à savoir les thérapies courtes – ou « brèves » pour les psychanalystes. Car, ne l’oublions pas, la méthode cathartique de Breuer et FREUD était brève. Le cas Dora, en 1900, s’est joué en trois mois. Certes Ferenczi a récupéré ces psychanalyses qui n’ont pas marché et les a prolongées. Casriel est relativement bref. Mais c’est en court et en ultra court qu’on veut réussir aujourd’hui puisque la moitié des patients ne veut que cela. Le démarrage d’un cabinet se fait avec ces prestations courtes, sans oublier la Sécurité Sociale qui contraint de ce côté-là aussi.
                                                                                                                  Ces nouvelles thérapies, courtes, proposent des innovations appréciables, en particulier dans la définition plus pointue des indications et dans la mise en protocole de techniques éprouvées par ailleurs. Nous avons ici la possibilité de continuer notre présentation de la polarité intensité/douceur comme pour les trois paires de méthodes décrites ci-dessus, avec l’EMDR de Shapiro et l’haptothérapie de Veldman. Pourquoi ce choix de deux méthodes qui n’ont pas de lien entre elles ? A cause de ma propre réception. Ce sont les deux démarches qui m’ont le plus marqué de par la simplicité et la richesse de la méthode et de par la qualité de la recherche scientifique qui accompagne leur explication. A part cela, la technique centrale est bien ancienne : le balayage oculaire de l’EMDR remonte à Reich – au moins – et le contact haptonomique nous rappelle la néo-catharsis de Ferenczi. Commençons par l’haptothérapie de Veldman au titre de l’ancienneté.
                                                                                                       
                                                                                                      • L’haptothérapie de Frans Veldman

                                                                                                      • J’ai eu le grand honneur et autant de bonheur d’être formé – partiellement – par Veldman père, dans mon propre centre de Lipsheim, où j’avais organisé un atelier pour lui. Voici comment je présentais la méthode haptothérapique dans sa forme de thérapie courte – d’une dizaine de séances – telle que promue à l’époque.
                                                                                                        « Frans Veldman, Hollandais installé en France, développe depuis des dizaines d'années une recherche et une formation sur le toucher et le contact, dans des registres aussi divers que le dialogue avec le fœtus par le contact du ventre maternel, le portage du nouveau-né et les manipulations des malades hospitalisés. L'haptothérapie, elle, constitue une thérapie pour l'adulte, avec une dizaine de séances, se construisant autour du "prolongement" du corps du patient dans les mains, bras et corps du thérapeute. Cette extension à l'autre produit une transformation fondamentale du sentir et du réagir et permet le développement de tout un programme thérapeutique. Frans Veldman théorise ces phénomènes difficiles à conceptualiser. Il comble ainsi une lacune particulièrement sensible dans ces pratiques fondées sur la réceptivité et la sensualité, l'affectivité et le transpersonnel, il apporte une scientificité là où on n'a pas l'habitude de la rencontrer, tout en sachant qu'il restera toujours une grande part d'indicible dans cette dimension du corps.
                                                                                                        Pour la démonstration de l'haptothérapie, Veldman couche son patient sur une table médicale, en slip, et lui explique qu'il teste d'abord ses mécanismes de défense. Il appuie brutalement sur le dos et provoque obligatoirement un raidissement de la musculature dorsale qui s'oppose à cet enfoncement. Provoquant son patient, il le met au défi d'éviter cette réaction de défense et il gagne à tous les coups car on ne peut effectivement pas s'empêcher de réagir. Pour affiner ce test, il empoigne alors son patient des deux mains aux "poignées d'amour", à cette jonction molle entre les dernières côtes et l'os iliaque, enfonçant les muscles obliques avec ses doigts et provoquant un chatouillement puis une douleur. Le patient réagit immanquablement, résiste ou se défend selon l'une des trois possibilités que la langue anglaise présente joliment comme fight, fright or flight, combat, retrait ou fuite. En effet, devant cette agression, on peut attaquer en agrippant les mains de l'intrus, on peut se raidir pour sentir le moins de douleur possible ou alors fuir, quitter la table par l'autre côté... L'intérêt de ce test est souligné par Veldman qui explique qu'un individu replié sur lui-même est dans l'attente et sur la défensive, ce qui entraîne une certaine tension musculaire qui rend tout contact douloureux et provoque des réactions de défense quasi réflexes.
                                                                                                        Après ce test, Veldman s'approche "haptonomiquement", amicalement et déjà prolongé lui-même en l'autre. Il pose une main sur le bas du dos, dans le creux des lombes et propose au patient de sentir cette main, d'entrer dedans, non pas en image mais à partir du dos, de continuer dans l'épaisseur de cette main, de prolonger jusqu'au poignet, au coude puis a l'épaule. Ce prolongement est relativement facile à effectuer pour peu qu'on ressente son corps et puisse se concentrer sur lui. Il ne nécessite pas de changement de l'état de conscience, pas de fermeture des yeux, pas d'abandon autohypnotique. On peut l'effectuer en toute lucidité. Lorsque ce prolongement se fait suffisamment, jusqu'aux épaules par exemple, à travers les deux mains et les deux bras, il se passe une transformation étonnante et fondamentale dans le corps du patient. La tension musculaire disparaît et un œil averti voit l'effacement progressif des contractures dorsales et fessières. La courbure lombaire s'efface. La peau se détend et rosit. Quant à la respiration, elle s'harmonise entre le haut et le bas, se régularise dans son rythme et ralentit. A ce moment, Veldman reprend les stimulations du test initial, il appuie puissamment sur le dos, il agrippe les flancs mais, et c'est la surprise, le patient ne se défend plus. Son dos répond souplement au poids supplémentaire du poignet, les obliques se laissent enfoncer sans se raidir. En fait, il n'y a ni douleur ni agression. Quelque chose s'est transformé dans l'économie globale du sujet, il n'est plus en attente ni sur la défensive, il se sent bien dans son corps, sûr de soi et confiant en l'autre. On peut accentuer la pression dans les flancs, enfoncer les doigts encore plus, rien n'y fait tant que le prolongement reste effectif. A ce moment, Veldman retire tout contact et enjoint au patient de re-rentrer en lui-même, d'annihiler le prolongement, de ne compter que sur lui-même. On peut voir alors les effets exactement inverses: les muscles se tendent à nouveau et saillent, les fesses se serrent, les jambes se raidissent, le creux lombaire s'accentue, la peau pâlit, la respiration se déplace vers le haut et le patient peut jeter à nouveau des œillades inquiètes vers le thérapeute pour savoir quand il agressera... Quand ce dernier s'y met effectivement comme au début, les mécanismes de défense, fight, fright or flight, sont au rendez-vous.
                                                                                                        L'haptothérapie se fonde essentiellement sur ce "prolongement" du corps dans les bras et le corps de l'autre et sur les changements corporels et relationnels qui l'accompagnent. On peut poser ses mains sur n'importe quelle partie du corps pour amener au prolongement. Quand la thérapie se limite à une dizaine de séances, elle recherche ces différents états de détente, d'harmonisation somatologique, de sécurisation et d'affirmation de soi, de confiance en l'autre. De nombreux symptômes fonctionnels disparaissent, l'angoisse diminue et le bien-être augmente- Veldman conceptualise très précisément ce quise passe dans cette rencontre fondée sur le contact et le prolongement:
                                                                                                        -   l'attitude du patient en attente, dans l'expectative et sur la défensive, s'appelle: "insensus",
                                                                                                        -   l'état de prolongement: "assensus".
                                                                                                        A ce premier niveau, s'ajoutent deux états supérieurs, plus subtils:
                                                                                                        -   le "persensus": lorsque le patient se prolonge non seulement dans le corps mais dans la personnalité du thérapeute, affectivement;
                                                                                                        -   le "transsensus": lorsque s'intègrent les valeurs spirituelles, transcendantes.
                                                                                                        Quand on est seul, le prolongement peut se faire dans l'espace environnant, dans une chambre par exemple, aux murs, plafond et plancher, il s'agit alors du "circumsensus". L'intérêt de ces définitions réside dans la conceptualisation claire et logique d'états d'être complexes et difficiles à décrire. Elle se fait à partir du vécu, au niveau du corps qualitatif. Dans cette dimension, la délimitation est possible: l'haptothérapeute distingue l'insensus de l'assensus, le persensus du transsensus et peut le transmettre au patient.
                                                                                                        Le "prolongement" s'oppose au "recentrement" en tant que mouvements somatologiques et met dans un état d'être différent. Par contre, il existe un dénominateur commun à ces deux mouvements autour de l'unité, de l'unification, de l'harmonisation du sujet: le corps est ouvert, sans blocage ni rigidité; les sensations et l'énergie circulent librement. On retrouve les effets de la méthode Alexander: "laissez votre cou se détendre, votre tête se dégager légèrement vers l'avant puis vers le haut afin d'élargir et d'allonger votre dos". L'accès au prolongement tout comme l'accès au recentrement constituent un moment fondamental analogue au "moment primaire", cathartique et thérapeutique. Veldman l'exprime en ajoutant qu'il y a désexualisation, disparition de toute possessivité. Comme dans le recentrement, l'unification élimine toute pensée compulsive, toute compulsion génitale. » (Meyer 1986 pp. 56-59).
                                                                                                                    Voilà cette technique du toucher haptonomique. Il faut savoir que Veldman ne décrit pas sa « botte secrète » dans ses textes, contrairement à Shapiro qui nous a livré un « manuel » extraordinairement opérationnel. Veldman oublie quasiment son « toucher » - que j’avais malencontreusement affublé de « somatologique » - pour ne théoriser qu’une « science de l’affectivité ». Mais, quant à nous, restons dans ce protocole de thérapie courte centrée sur le toucher du corps. Aussi pouvons-nous reprendre le schéma de la néo-catharsis en remplaçant les mots par ceux de Veldman. 
                                                                                                         
                                                                                                        schéma 46 
                                                                                                        Schéma 46 : l’haptothérapie
                                                                                                         
                                                                                                                   
                                                                                                                    Pour Veldman, les trois fonctions somato- psycho- et socio- répondent de la façon suivante à son toucher :        
                                                                                                        -   somato : le ressenti devient prolongement avec détente et bien-être,
                                                                                                        -   psycho : l’intuition est de confiance, même après l’agression initiale,
                                                                                                        -   socio : le sentiment relationnel est la « philia », terme que Veldman privilégie à présent pour définir la qualité du sentiment relationnel, non sexuel.
                                                                                                        Puis s’installe un état d’être global qui n’est autre que « l’affectivité ». Nous devons nous demander quel est le statut de cet affectif éveillé par l’hapto-. Est-il de l’ordre des « qualités de vie » ou des « purs processus inconscients » tels qu’ils sont définis dans notre modèle ontologique ? Eh bien, puisqu’on est en thérapie courte, directive, centrée sur le symptôme, dans l’intersubjectivité, il ne s’agit que des qualités de vie, du bon, du vrai, de l’aimer, mais pas de l’ordre des essence de l’énergie, nature de l’esprit et intime du lien. Est-ce-que l’haptoanalyse –séquence d’une cinquantaine de séances – y accéderait ? C’est une question intéressante et délicate : accède-t-on aux purs processus inconscients quand on reste relativement directif ? En effet, en haptoanalyse on installe toujours encore le protocole de base, avec le toucher en prolongement auquel on « invite » l’analysant.
                                                                                                        Ce qui nous intéresse plus directement ici est ce protocole qui va solliciter les trois dimensions de l’être et les connecter en… expérience plénière. Nous verrons plus loin que Veldman appelle ce moment de plénarité « still point ».
                                                                                                         
                                                                                                        • L’EMDR de Francine SHAPIRO

                                                                                                        • Avançons, dans le temps, pour retrouver l’EMDR. Sa conceptrice, Francine Shapiro, vient de nous livrer un « Manuel » en bonne et due forme. Il est tellement explicite – avec le nombre de balayages par set (24) la distance des yeux (30 à 35 cm) et l’amplitude du mouvement (elliptique de 7 cm) pour qu’on ait envie d’essayer illico lorsque l’auteur nous répète à loisir qu’il faut aller se former et se faire superviser chez…ceux qui m’ont menacé de leurs avocats. Ce manuel n’apporte pas grand-chose de nouveau par rapport à « Les yeux pour guérir » si ce n’est une minutie descriptive appréciable. Nous pourrons donc en tirer un enseignement plus précis sur le mécanisme d’action de la technique, en attendant de réfléchir plus longuement sur l’essai des théorisations de cette action. Par contre, ce nouveau livre est bien plus nuancé que le premier, calmant ses disciples quant à l’ultra-rapidité du procédé, limitant les indications et les centrant sur le syndrome de stress post traumatique, reconnaissant que l’EMDR « intègre » une bonne douzaine de procédés pris à d’autres écoles. Nous en reparlerons plus tard.
                                                                                                                      Ici je voudrais citer l’auteur sur le thème de « l’abréaction ». C’est ainsi qu’elle appelle l’émotion un peu vive qui surgit avec la « double visualisation » (de la scène traumatogène et des doigts du thérapeute). Elle nous donne des indications que ne renierait aucun « thérapeute émotionnel » si ce n’est sa tendance certaine à atténuer cette vivacité « abréactive ». On pourrait tout aussi bien dire cathartique – comme chez Breuer et Freud – ou somatanalytique comme le montrera un court texte que j’ajouterai par après. Voici des extraits tirés du chapitre sur « l’abréaction » (Shapiro 2007 passim pp. 210 à 225).
                                                                                                           
                                                                                                          ABREACTION
                                                                                                          « Une abréaction est considérée comme une partie potentielle normale du traitement émotionnel et cognitif intégratif de toute cible donnée…
                                                                                                          « Le centre d’intérêt de la séance d’EMDR est le ciblage et l’accès à l’information dysfonctionnelle stockée…
                                                                                                          « Quand leur éprouvé est fortement perturbant, on dit qu’une abréaction s’est produite…
                                                                                                          Quand la thérapie EMDR est correctement employée, elle ne ramène pas de flash back complets, parce que le patient est entraîné à avoir une attention double c'est-à-dire une conscience du passé et un sentiment de sécurité dans le présent.
                                                                                                           
                                                                                                          Directives pour faciliter l’abréaction.
                                                                                                          « L’EMDR ne cause pas de détresse au patient ; elle l’en libère simplement.
                                                                                                          « Une abréaction a un début, un milieu et une fin.
                                                                                                          « Dans la plupart des circonstances, l’abréaction se produit dès que le traitement de l’information commence.
                                                                                                          « Le clinicien devrait maintenir une relation de compassion détachée dans sa relation avec le patient.
                                                                                                          « Pour augmenter le sentiment de sécurité chez le patient, suivez la « règle d’or » de « faire aux autres… »…
                                                                                                          « Avant le traitement, les patients devraient se rappeler qu’ils sont en sécurité dans le présent.
                                                                                                          « Il est essentiel d’informer les patients que même s’ils commencent à pleurer il est utile de garder les yeux ouverts et de continuer les mouvements oculaires de sorte que le traitement puisse se poursuivre.
                                                                                                          « Il est très important que le clinicien sache lire les signes non verbaux du patient pour déterminer si l’information perturbante a atteint un nouveau palier et si le set peut être arrêté. Idéalement, le but de chaque série est d’amener le patient d’un plateau d’information à un nouveau palier ayant une plus grande solidité thérapeutique.
                                                                                                          « Il faut que le clinicien continue la série pendant 5 à 10 secondes après avoir remarqué le changement d’expression du visage afin de permettre à l’information de s’intégrer.
                                                                                                          « Les signes non verbaux devraient aussi être utilisés pour savoir si on doit arrêter le set avant d’atteindre un nouveau palier.
                                                                                                          « Pendant l’abréaction, les cliniciens devraient traiter un sentiment de dissociation comme il le ferait pour toute autre couche d’émotion qui se présenterait afin d’être métabolisée. De nombreux patients se sont dissociés au moment du trauma originel et rapportent avoir vu l’évènement comme s’ils étaient « au plafond ». Quand cela se produit pendant le traitement EMDR, le clinicien doit être capable de discerner la véritable nature de la dissociation apparente, d’une des possibilités suivantes :
                                                                                                          a.      le vieux sentiment de dissociation en provenance du souvenir cible et qui peut être métabolisé par les séries,
                                                                                                          b.      une nouvelle dissociation qui est en train d’être déclenchée car le patient a été poussé trop loin,
                                                                                                          c.      une dissociation qui est le produit d’un désordre dissociatif non diagnostiqué.
                                                                                                          « Le clinicien doit l’aider à rester dans le présent pendant que le traitement continue. Ceci peut être réalisé en :
                                                                                                          a.      disant des choses comme « Restez avec moi » ou «  Vous êtes en sécurité maintenant » ;
                                                                                                          b.      utilisant la cadence de sons, tels que « Oui, oui », à l’unisson avec les mouvements des doigts pour faciliter des mouvements oculaires puissants ;
                                                                                                          c.      demandant au patient de taper sur les bras de la chaise de concert avec ses mouvements oculaires ;
                                                                                                          d.      demandant au patient de raconter ce qui se produit pendant que le souvenir se retraite tout en faisant des mouvements oculaires.
                                                                                                          « Les cliniciens peuvent essayer de diminuer la perturbation du patient en l’invitant à opérer certaines manipulations visuelles de la mémoire cible. Des stratégies de distanciation émotionnelle que les cliniciens peuvent utiliser consistent par exemple à :
                                                                                                          a.     changer le souvenir en une photo calme,
                                                                                                          b.     changer le souvenir en une casette vidéo en noir et blanc,
                                                                                                          c.      imaginer la victime enfant tenant la main de son moi adulte,
                                                                                                          d.     placer un mur de verre protecteur entre soi et l’agresseur qui est placé à une grande distance.
                                                                                                          « Afin de rassurer le patient durant le processus perturbant, il est approprié que le clinicien laisse une main disponible pour que le patient la saisisse si un sentiment supplémentaire de connexion ou de stabilité est nécessaire. Cependant, il est fortement conseillé que le clinicien ne bouge pas pour prendre la main du patient ou le toucher de quelque manière que ce soit pendant une abréaction, puisque de tels actes peuvent alimenter le sentiment de viol causé par l’agresseur ou pour le trauma lui-même.
                                                                                                           
                                                                                                           
                                                                                                          Stratégies pour un processus bloqué.
                                                                                                          Se concentrer sur les sensations corporelles.
                                                                                                          « Certains types de tensions corporelles peuvent indiquer le besoin d’exprimer des mots non-dits, c’est-à-dire, des cris ou des paroles que le patient a retenus pendant le trauma ou dans l’enfance pendant qu’on abusait de lui.
                                                                                                          « C’est particulièrement utile quand le patient rapporte une tension dans la mâchoire ou la gorge, puisque ses appels à l’aide ou ses cris de colère ont été souvent étouffés par peur des représailles.
                                                                                                          Les patients peuvent exprimer ces paroles non prononcées à voix haute ou pour eux-mêmes soit pendant, soit entre les séries. Si le patient les verbalise entre les séries, il doit mentalement les répéter pendant le nouveau set.
                                                                                                           
                                                                                                           
                                                                                                          Utilisation du mouvement.
                                                                                                          On doit l’encourager à exprimer le mouvement associé, comme celui de frapper.
                                                                                                          Pression au point de sensation ».
                                                                                                           
                                                                                                          Reconnaissons à nouveau la démarche intégrative de Shapiro. Proposons lui donc un schéma complet avec stimulation dans les trois dimensions, psycho-, socio- et somato-, qui provoquent des effets triples jusqu’à la pleine connexion thérapeutique.
                                                                                                           
                                                                                                           
                                                                                                           
                                                                                                          schéma 47
                                                                                                          Schéma 47 : l’abréaction dans l’EMDR
                                                                                                           
                                                                                                                      Francine Shapiro met un grand poids – théorique – sur son protocole de « sets » très courts (24 balayages en 30 à 60 secondes) qui interrompent le vécu émotionnel. Elle y décèle l’une de ses qualités primordiales. Mais, ici, dans ce chapitre sur l’abréaction, nous entendons que cette émotion doit tout simplement être vécue entièrement, avec « un début, un milieu et une fin », et qu’elle « se produit dès que le traitement de l’information commence » (p. 212 et 213). On pourrait en déduire que le « traitement de l’information » est premier et que l’émotion, seconde. Nous en reparlerons après la présentation complète de « l’expérience plénière ». Mais il me plaît de citer rapidement une description que j’ai faite bien avant la naissance de l’EMDR et qui traite tout autant d’émotion, d’abréaction et de catharsis… d’expérience plénière en somme. Il s’agit d’un week-end de socio-somatanalyse pendant laquelle j’accompagne individuellement Alice dans son travail émotionnel sur un matelas.
                                                                                                           
                                                                                                          L’abréaction en psycho-somatanalyse
                                                                                                                      «  Durant la troisième séance du week-end, Alice (au pays des merveilles ?) est allongée dans la plage centrale, près du groupe, depuis plus d'une heure. Elle a essayé de travailler seule dans un espace excentrique mais sans démarrer. Je la sens tendue, je vois un regard fixe, tourné vers l'intérieur. Je m'assieds près d'elle, lui pose la main sur le thorax pour accompagner la respiration et lui propose de laisser venir. "J'ai peur de ce qui va venir, j'ai peur de laisser aller", dit-elle. Alice a fait de nombreux primals, les premiers facilement et les autres de plus en plus difficilement parce qu'elle sait ce qui l'attend. "J'ai peur", lui dis-je en écho, reprenant son intonation. "J'ai peur", continue-t-elle et le répétant de plus en plus fort. La voix, d'abord monocorde, s'enrichit d'harmoniques, devient presque éraillée. De plus en plus d'air véhicule les mots, le cri devient tantôt colérique et agressif, tantôt douloureux; c'est dans ce deuxième cas qu'il s'enraye parfois. Tout le corps participe à cette expression, de préférence par de grands mouvements de la moitié inférieure du tronc articulé à la taille, mais aussi par des rouleaux vers la droite ou la gauche. Quant aux membres, ils semblent comme désarticulés, désordonnés, au bout du tronc. Mais ces coups violents du bassin font mal en sollicitant beaucoup trop la colonne vertébrale. Ce sont alors des "aie, aïe, j'ai mal" qui calment le mouvement et font tout retomber. Je reste là et veille tout simplement, de ma main sur le thorax, à ce que le flux respiratoire ne s'arrête pas et ne bloque pas le flux associatif concomitant.
                                                                                                          "C'est alors que la douleur lombaire fait embrayer sur une douleur morale liée à l'évocation de la mère: "maman, maman" dit-elle sur son ton plaintif, douloureux, noyé de larmes. Tout d'un coup le visage s'éclaire, sourit, minaude; Alice badine avec sa mère, se sent bien avec elle, ressent de la chaleur dans son corps, comme si cette mère était là. La respiration est calme, souple, légère. Et puis, surprise, apparaît le grand frère dans une même qualité affective. Alice en est la première surprise; "qu'est-ce qu'il fait là ? C'est vrai que je l'aimais bien et maintenant on ne se voit plus". Elle l'appelle par le prénom! Le ton est toujours enjoué, léger, et adhère entièrement àce moment: "Roland, Roland, pourquoi n'es-tu pas là ? " La voix devient plus douloureuse, plus forte; "pourquoi n'es-tu pas là? Roland, Roland. j'ai mal, j'ai mal". Le corps se remet à pulser avec de plus en plus d'intensité, le bassin, les jambes, les bras. La respiration est ample et rapide." Oh, c'est noir, c'est noir, j'ai peur". De ma main, j'accompagne légèrement le mouvement respiratoire pour qu'il ne s'arrête pas sur cette panique. "C'est tout noir, c'est noir comme dans un tunnel..." Alice essaye de se faire petite, de se pelotonner, se pousse avec les bras, se cache le visage. Peu à peu le noir se fait moins opaque, un peu de clarté apparaît: "une lumière, je vois une lumière, c'est tout au bout du tunnel". Le corps se détend, s'ouvre. La respiration devient plus calme mais reste ample. Le visage s'éclaire lui aussi. "Ah la la ! C'est drôle, c'était terrible". Complètement épuisée, elle se cache, se relaxe, marmonne des bribes, se sent bien mais reste étonnée. Roland lui revient, elle ne s'attendait vraiment pas à celui-là. Et elle me raconte, encore haletante, quelles étaient leurs relations. Je lui tiens la main et je la sens chaude, vivante, quoique lourde et pesante. Alice reste ainsi un long temps à ressentir son corps ouvert, l'esprit clair et dégagé, à revoir les images apparues durant ce primal". (Meyer 1986 p. 129-131)
                                                                                                                      Ce travail émotionnel ponctue une socio-somatanalyse de durée moyenne. Alice n’était pas en thérapie individuelle avec moi. Ici nous n’avons pas seulement un formidable travail émotionnel mais aussi accès au purs processus inconscients avec passage dans le tunnel noir (qui est subversion de la structure mentale) et éveil de la clarté. Si cela ne se passe pas (ne passe pas) en hapto- ou en EMDR, c’est que les protocoles de thérapie courte l’empêchent grâce à la directivité qui impose :
                                                                                                          -   de « prolonger » en hapto-,
                                                                                                          -    de couper l’émotion en arrêtant les « sets » de l’EMDR après trente à soixante secondes.
                                                                                                           
                                                                                                          Nous avons néanmoins un travail thérapeutique en tous points analogue aux actings reichiens et au balayage oculaire de Shapiro. Cet acting somatanalytique, vieux de plus de trente ans, constitue un cinquième protocole de mouvement alternatif cher à Shapiro et qui, selon nos propres apports explicatifs, provoque la reconnexion de circuits neuronaux et psychologiques. Rappelons-nous ces cinq et même six protocoles :
                                                                                                          -   le balayage oculaire de Reich et Shapiro,
                                                                                                          -   le tapotement alternatif des deux mains,
                                                                                                          -   le toucher alternatif des deux côtés du corps,
                                                                                                          -   l’émission de sons alternativement aux deux oreilles,
                                                                                                          -   la percussion alternative des deux pieds,
                                                                                                          -   le travail émotionnel somatanalytique avec battement des membres et tête.
                                                                                                           
                                                                                                          Pour ce dernier, relisons le travail d’Alice. Elle bat des bras et des jambes alternativement, secouant la tête de façon synchrone et, fixant le visage du thérapeute, elle fait bouger les yeux dans leurs cavernes. Et les reconnexions se font, très logiquement, de la mère d’abord puis du frère, tous souvenirs remisés sinon clivés.
                                                                                                           
                                                                                                          Voilà donc six méthodes importantes qui nous ont dévoilé le « processus primaire » et deux autres qui nous font basculer vers « l’expérience plénière ». Alors allons-y, mais en faisant encore le détour par le modèle complexification/plénarité.
                                                                                                           
                                                                                                          • LE MODELE COMPLEXIFICATION / PLENARITE

                                                                                                          • Le paradigme holanthropique considère l’ontogenèse comme un développement personnel qui apporte continuellement de nouveaux éléments : corporels, psychiques et relationnels. On pourrait se contenter de les additionner, accumuler, multiplier avec avidité (socialement et matériellement surtout) jusqu’à la complication et l’indigestion. Or l’être humain est ainsi fait qu’il ne peut gérer simultanément qu’un petit nombre d’items, confer la loi de Miller qui dit que la mémoire de travail ne retient que 7 ± 2 items à la fois, et la théorie d’Edelman (que nous verrons plus loin) qui postule qu’on ne peut conscientiser qu’un nombre plus petit encore d’items à la fois.
                                                                                                            C’est la réalité de la complexification.
                                                                                                             
                                                                                                                        Mais chaque nouvel élément qui s’intègre provoque un réajustement de l’ensemble pour y trouver sa place. Aussi cet ensemble est encore plus complexe, constitué de dizaines et de centaines d’items, de telle sorte que ce processus ne peut se faire que globalement, quasi spontanément, dans le lâcher prise que réalise… l’expérience plénière, concept que nous verrons plus loin.
                                                                                                            C’est le principe complexication / plénarité.
                                                                                                             
                                                                                                                        Deux validations viennent confirmer ce principe fondamental, l’une de Virginia Satir, créatrice d’un modèle évolutif en thérapie familiale, l’autre de René Thom, mathématicien.  
                                                                                                            “ Nous n’avons pas à nous débarrasser de quoi que ce soit. L’idée est d’ajouter une nouvelle conscience, des connaissances, des manifestations et de l’expérience pour faire que quelque chose de nouveau arrive. Chaque attitude contient déjà la graine de l’intégrité et de la congruence” (Satir cité par Joan E. Winter in Elkaïm p. 414).
                                                                                                                        Satir explique ici l’effet de réajustement et d’intégration de l’acte thérapeutique qui atrophie l’élément inadéquat et donne de la place au nouvel élément. Il n’est donc pas nécessaire de “ donner la castration “ comme l’énonçait Françoise Dolto. “L’intégrité et la congruence” redisposent l’ensemble spontanément, sans éliminer.
                                                                                                                        Par ailleurs un modèle mathématique nous offre une analogie intéressante, la « théorie des catastrophes » de René Thom, qui cherche à modéliser les phénomènes complexes (comme les climats), et qui a déjà été appelé à la rescousse de la psychanalyse par Michèle Porte. Cette théorie repose elle-même sur une image très simple, sur les poulies et la came des anciens moulins. Voici comment j’avais moi-même utilisé ces références pour décrire le passage de la matrice fusionnelle (avec la mère) à la socialisation (grâce au père) ou, en d’autres mots, la complexification du stade oedipien.
                                                                                                                        “Et puis il y a les autres partenaires : le père, les frères et sœurs, la grande famille, les invités, les rencontres lors des promenades. Au début, ils n’étaient que des empêcheurs de fusionner en rond. Peu à peu, ils offrent une présence qui, si elle ne vaut pas la fusion maternelle, palie néanmoins à l’absence de cette mère. D’abord ils constituent cette catastrophe qui expulse de la position de stabilité fusionnelle mais, à la longue, ils offrent quelque chose de nouveau qui semble tout aussi intéressant : la sécurité par la protection.
                                                                                                                        “A l’occasion de ce nouveau cycle, référons-nous à René Thom et à son modèle mathématique. Pour ce scientifique, la position de stabilité structurelle se représente comme un jeu de poulie dont le cadre de vie est la roue motrice et le sujet, une seconde roue entrainée par la première.
                                                                                                             

                                                                                                            schéma 48
                                                                                                            Schéma 48 :la position de stabilité structurelle
                                                                                                             
                                                                                                                        “Ici, le sujet a bien une vie propre, une dynamique qui le fait tourner sur lui-même, mais il n’y a pas de mouvement par rapport à sa position. Il reste sur place, il est stable, structuré par le cadre de vie qui est lui-même stable. C’est ainsi que se présente le cœur de chaque étape de développement : l’homéoésthésie dans l’écosystème, la fusion avec la mère, la protection dans la dynamique familiale.
                                                                                                                        “Mais, lors des catastrophes transitionnelles, les cadres changent, les cadres conjointement avec le sujet. La vie évolue, se complexifie, et expulse de la stabilité antérieure. C’est la catastrophe. René Thom propose ici le modèle de la came.

                                                                                                                                          

                                                                                                            schéma 49
                                                                                                            Schéma 49 :  la came ou cycle marqué
                                                                                                                       
                                                                                                                        “Empruntons à Michel Porte la présentation de la came et son application aux concepts psychanalytiques.
                                                                                                                        “Sur la partie non marquée du cycle a lieu une variation continue de la distance au centre de rotation - écart spatial - et de l’énergie - (on peut imaginer un tel arbre à cames, entraîné par une roue de moulin dans un courant, et entraînant lui-même des marteaux à foulon, ainsi que l’usage le plus anciennement connu de ce dispositif en offre l’exemple). Sur la partie marquée du cycle, au passage du saut de relaxation, la distance au centre et la teneur en énergie baissent brutalement (la tête du marteau dégringole sur le drap). Le saut de relaxation est une transformation irréversible. Intuitivement nombre de cycles vitaux paraissent relever d’un schéma de ce genre : cycles alimentaire, du sommeil, respiratoire...“ (Porte p. 60)
                                                                                                                        Pour nous, le passage œdipien est une complexification (on entre dans la socialisation grâce au père) et non une castration (on n’élimine pas la mère). Et cela se fait dans une expérience plénière, dans un saut plénier pour paraphraser le saut de relaxation de la came. Le grain devient farine mais l’essentiel du grain est là, autrement, ajusté à son devenir. On n’enlève rien (surtout quand on est Bio-), on enrichit.
                                                                                                                        Expliquons plus précisément le schéma suivant qui éclaire encore mieux le principe complexication/plénarité :
                                                                                                            -       il n’y a plus deux poulies mais une seule qui représente le sujet en son développement interne et internalisé ;
                                                                                                            -       la partie marquée de la came (uniformément ronde) représente l’état de stabilité structurale qui ménage une certaine permanence après l’intégration d’un nouvel élément ;
                                                                                                            -          puis de nouveaux développements se font qui, dans un premier temps, s’additionnent, s’accumulent séparément et encombrent la partie non marquée de la came (rayon qui s’allonge) ; l’énergie de l’être doit s’appliquer à solidariser ces éléments extérieurs avec l’ensemble, comme un tendeur sur un porte-bagage, et de plus en plus d’énergie est accaparée ;
                                                                                                            -          aussi longtemps que la volonté d’accumuler quantitativement s’exerce, on y épuise l’énergie ; le développement se bloque par saturation et risque même le   morcellement ; quand on lâche enfin prise dans le saut de relaxation, par l’expérience plénière, tout s’intègre, s’enrichit, se stabilise, sans perdre ni castrer, en réaménageant l’ensemble. L’énergie de cohésion se libère de nouveau pour investir les nouveaux processus de complexification.
                                                                                                                           
                                                                                                            schéma 50
                                                                                                            Schéma 50 : modélisation du principe complexification/plénarité         
                                                                                                                                   
                                                                                                            Moment primaire,
                                                                                                            Saut de relaxation,
                                                                                                            Saut de plénarisation.
                                                                                                             

                                                                                                            • L’émotion comme processus de complexification/plénarité

                                                                                                            • Nous avons beaucoup évoqué l’émotion qui est au départ de la psychanalyse (catharsis) et de la somatanalyse (moment primaire). Elle nous revient par Damasio (l’émotion est nécessaire même à la prise de décision) et Shapiro (abréaction). L’émotion est un moment assez court, centripète, en stress, opposé à l’affectif qui est centrifuge, en lâcher prise et en cycle long. Nous verrons plus loin son rôle d’accès à « l’expérience plénière », mais dès maintenant nous pouvons nous référer au cycle émotionnel pour éclairer une nouvelle facette du processus complexification/plénarité.
                                                                                                                          Pour cela, nous démarrons avec la présentation princeps que nous devons à Wilhelm Reich dans « La fonction de l’orgasme » (p.86). Reich y décrit le déroulement de l’acte sexuel avec orgasme.
                                                                                                               
                                                                                                               
                                                                                                               
                                                                                                                          Pour notre formation de sexologie/sexothérapie, j’ai superposé les troubles de la vie sexuelle répertoriés par les manuels athéoriques (CIM et DSM) à cette courbe. Cette intégration donne une vue d’ensemble de ces pathologies et décrit le processus de base de chacune d’elles à partir de la place occupée sur la courbe. 
                                                                                                               
                                                                                                               

                                                                                                              schéma 51

                                                                                                              Schéma 51 : Le processus sexuel (de 1 à 8) et ses pathologies (de a à k)
                                                                                                               
                                                                                                               
                                                                                                              Ce diagramme n’est pas seulement celui de l’exaltation sexuelle, mais celui de toute émotion. Il fait transition entre la « complexification/plénarité » comme processus normal et « l’expérience plénière » comme processus thérapeutique.
                                                                                                               
                                                                                                              • L’EXPERIENCE PLENIERE COMME PROCESSUS THERAPEUTIQUE DE BASE

                                                                                                              •             Tout est pluriel, la pratique en particulier, même si elle s’intègre en une unique globalité. Tout est complexe, le paradigme hol-anthropique en particulier, même si ses modèles s’agencent en une étonnante simplicité. Tout est différencié comme l’est la vie, humaine notamment, même si la vie est spontanément reconnue par le nouveau-né dès le premier jour. C’est cela qui fait l’angoisse du psychothérapeute en formation jusqu’au moment où advient “l’expérience fondatrice” qui reconstitue le puzzle.
                                                                                                                            Mais il y a néanmoins un processus qui fait unité, unification, sinon unanimité, un processus qui est commun et fondateur, c’est le processus thérapeutique/analytique lui-même. Les innombrables concepts d’école alignés ci-devant dans l’état des lieux, se ramènent à un concept qui les informe tous. Certes, à la fin de la présentation de la pratique pluriglobale, nous avons évoqué des procédés thérapeutiques différenciés :
                                                                                                                -     dés-amalgamage pour la désensibilisation progressive,
                                                                                                                -     re-connexion pour l’affirmation de soi et l’EMDR,
                                                                                                                -     dé-blocage pour l’injonction stratégique notamment.
                                                                                                                            Ces trois processus thérapeutiques sont partiels et découlent de procédés, protocoles, techniques et méthodes multiples. Ils généralisent déjà leurs effets en trois déroulements de base.
                                                                                                                            Bien qu’ils soient divers en tant que procédés partiels, ils ressortissent d’une dynamique commune, “l’expérience plénière”. De tout notre abord hol-anthropique, cette dernière proposition est certainement la plus importante. Il nous faut donc redoubler de perspicacité pour présenter ce point incontournable de toute intégration théorique. Pour cela, nous procéderons par étapes :
                                                                                                                -     les stades préparatoires,
                                                                                                                -     l’expérience plénière proprement dite,
                                                                                                                -     les concordances avec d’autres conceptions,        
                                                                                                                -     la modélisation de l’expérience plénière,
                                                                                                                -     l’apport de la “théorie générale du cerveau” de Gérald Edelman,
                                                                                                                -     une mise en perspective de ce moment-clé dans la cure séquentielle.
                                                                                                                 
                                                                                                                 
                                                                                                                Les stades préparatoires :
                                                                                                                - travail dans les fonctions différenciées,
                                                                                                                - connexion par les cinq fonctions plénarisantes
                                                                                                                 

                                                                                                                Nous venons de ré-évoquer les procédés de désamalgamage, de reconnexion et de dé-blocage ainsi que leur occurrence dans les nombreuses techniques corporelles, artistiques et autres thérapies courtes. Il se passe quelque chose comme une réparation des structures stables et/ou des cadres de vie, que nous appellerons « restituance ». Il ne s’agit pas d’une restitution ad integrum, comme avant, mais c’est approchant. Cela peut se passer en douceur, sans éveiller ni attachement ni transfert. Et pourtant il y a déjà un moment plénier – à bas bruit – quand cela se restitue.

                                                                                                                 

                                                                                                                • Le travail dans les fonctions différenciées

                                                                                                                • Essayons de systématiser cette première étape au risque du réductionnisme inhérent à cette généralisation. Entre confusion et ordonnancement, nous préférons le second, dans notre souci didactique.
                                                                                                                              L’être humain est constitué de (près de) deux douzaines de fonctions indispensables, potentielles dès la conception, à développer au cours de la vie (posture, mouvement, marche durant la première année par exemple ; génitalité à l’adolescence). Pour les fonctions de base, il s’agit d’apprentissages confiés aux parents, éducateurs et groupes sociaux. Pour les fonctions plus élaborées (comme la sexualité, la vie citoyenne par exemple) il s’ajoute une part subjective et relationnelle qui peut faire pathologie, en stress, choc ou bloc. Mais pour toutes, s’enclenche le processus de complexification/plénarité. Pour toutes, ça se joue entre maîtrise et jouissance, prendre-prise et lâcher-prise, séparation et connexion.
                                                                                                                              Notre proposition, qui se veut encore didactique, postule qu’un premier degré de pathologie, à savoir le niveau du symptôme, n’investisse qu’une (ou un petit nombre de) fonction. La thérapie, courte, « restituera » cette fonction, la reconnectera dans le processus complexification/plénarité par des procédés pointus et débouchera sur la plénarité fonctionnelle : ça fonctionne à nouveau, pleinement. ça peut même transporter dans la plénitude : quel bonheur que de sortir d’une déprime, que de dépasser une éjaculation précoce ou un vaginisme, que d’oublier les cauchemars post-traumatiques récents.
                                                                                                                              La deuxième proposition postule que l’expérience plénière se produit directement lors de la résolution du problème fonctionnel différencié, faisant l’impasse des cinq fonctions plénarisantes.
                                                                                                                              La démonstration de ce postulat se fait en deux temps, opérationnel et protocolaire. Ces mots étranges recouvrent des réalités simples, et d’abord que les thérapies courtes les plus récentes, intégratives, réunissent des techniques et procédés qui répondent de façon ciblée à ces problèmes fonctionnels différenciés. Je propose trois exemples empruntés à d’autres méthodes déjà évoquées, celles de Lazarus, de Hendrick et de Shapiro :
                                                                                                                  -   pour Arnold A. Lazarus, on se reportera aux présentations de sa thérapie multimodale, éclectisme méthodique (cf p.    et      ) qui juxtapose des dizaines de techniques ;
                                                                                                                  -   pour Stéphan Hendrick, on se souviendra de l’énumération que j’ai faite ci-devant (cf p.   ) ;
                                                                                                                  -   Enfin, pour Francine Shapiro, j’ai déjà évoqué une longue liste d’emprunts dont la plupart travaillent effectivement dans une fonction différenciée ; voici cette liste, dans le désordre :
                                                                                                                   
                                                                                                                  • Désensibilisation (Wolpe)
                                                                                                                  • Exposition imaginaire (comportementalisme)
                                                                                                                  • Procédures pour le sentiment de maîtrise (Bandura)
                                                                                                                  • Sentiment de trouver du sens (Gendlin)
                                                                                                                  • Recadrage cognitif (Beck, Ellis, Young)
                                                                                                                  • Modèle de dissociation BASK ( behaviour, affect, sensation, knowledge)
                                                                                                                  • Associations libres (psychanalytiques)
                                                                                                                  • État de pleine attention (Kabat-Zinn, Teasdale)
                                                                                                                  • Gestion du stress
                                                                                                                   
                                                                                                                  Le deuxième temps de notre démonstration se base sur les protocoles des thérapies courtes qui évitent soigneusement l’attachement, les résistances, le transfert et les purs processus inconscients, et pour cause. En effet, ces dernières « super fonctions » sont des agglomérés de fonctions différenciées, des processus complexes qui engagent le patient dans des vécus plus profonds et nécessitent un temps d’élaboration de durée moyenne (la deuxième tranche de la cure séquentielle). Toutes ces observations renforcent progressivement la pertinence de notre cure à trois temps. Elles nous introduisent aussi très logiquement dans la deuxième étape des stades préparatoires à l’expérience plénière.
                                                                                                                   
                                                                                                                  • La connexion par les cinq fonctions plénarisantes

                                                                                                                  • Nous ne sommes plus dans les quinze, vingt, trente fonctions et procédés différenciés qui ciblent le point précis de la panne et de la restituance. A présent, nous suscitons et éveillons des dimensions plus globales dont le processus est connectant (et non différenciant) jusqu’à devenir plénarisant, préparant le processus central, plénier. Durant les longues années d’exploration des multiples pratiques, j’ai rencontré ces méta-fonctions l’une après l’autre, pour en reconnaître cinq finalement :
                                                                                                                    - l’émotionnel (relation à l’entourage),
                                                                                                                    - le consensuel (relation au social),
                                                                                                                    - l’affectif (relation dans le couple intime),
                                                                                                                    - l’énergétique (relation au corps),
                                                                                                                    - le véridique (relation à l’esprit).
                                                                                                                     
                                                                                                                                L’originalité de la psychothérapie plénière consiste dans la réunion de ces cinq dimensions fondamentales du travail thérapeutique. Ce n’est pas le cas ailleurs. En effet, l’histoire de la psychanalyse nous montre l’éclatement de ces occurrences en autant d’écoles différentes, même si cette présentation sommaire est quelque peu réductrice :
                                                                                                                    -     Freud a centré son œuvre sur le pulsionnel et le sexuel (l’émotionnel),
                                                                                                                    -     Adler, sur le groupal (le consensuel),
                                                                                                                    -     Ferenczi, sur la relation archaïque (l’affectif),
                                                                                                                    -     Reich, sur le corporel (l’énergétique),
                                                                                                                    -     Jung, sur le véridique, côté spirituel,
                                                                                                                    -     et Lacan, sur le véridique, côté symbolique.
                                                                                                                                Nous avons déjà esquissé la quintessence de trois de ces pleines fonctions et leur place, à propos de la présentation des deux formes de la somatanalyse :
                                                                                                                    - l’émotionnel, à propos de la socio-somatanalyse,
                                                                                                                    - l’affectif, à propos de la psycho-somatanalyse,
                                                                                                                    - l’énergétique, dans l’une et l’autre et la Présence Juste.
                                                                                                                                Il nous reste à compléter la fonction de “vérité” et de “consensus”.
                                                                                                                     
                                                                                                                    • L’expérience du vrai

                                                                                                                    •             La pleine expérience du vrai apparaît probablement comme celle qui est la plus obscure encore ; mais la vérité ne peut pas rester longtemps sans manifester son évidence ! Ici, il ne s’agit ni de l’exactitude scientifique (comme le serait une analyse de rêve par Freud avec argumentation métapsychologique à l’appui) ni de la croyance spirituelle (comme facteur de certitude pour son heureux élu) car l’une et l’autre interviennent tout autant comme éléments de fermeture, d’appropriation, de repli repu, d’arrêt de la recherche et de l’éveil. Freud nous en avertit avec son concept de “souvenir écran” qui empêche -et évite- d’aller chercher plus profond. On peut donc parler tout autant de “savoir écran” et de “croyance écran”.
                                                                                                                                  C’est Jacques Lacan qui a insisté sur la dimension de vérité qui est personnelle (c’est vrai pour le seul sujet), ponctuelle (demain il y aura probablement un développement plus vrai encore de cette évidence) et cathartique (ça fait choc, provoque un lâcher-prise et reconnecte les principales fonctions clivées par l’incertitude, grâce au “boum boum de l’interprétation juste”).
                                                                                                                                  Il y a trois types de vérité à effet reconnectant :
                                                                                                                      -     la vérité intellectuelle
                                                                                                                      -     la vérité spirituelle
                                                                                                                      -     la vérité esthétique : c’est beau pour le sujet en question.
                                                                                                                       
                                                                                                                      • L’expérience du “consensuel”

                                                                                                                      •             Ci-dessus j’insistais sur la dureté du groupe social. Mais il y a aussi l’inverse, la sécurité chaleureuse, le sentiment d’être partie prenante de cette communauté, la sereine évidence qu’on a sa place parmi les autres et de la valeur. J’ai appelé ce vécu le “consensuel”. Ce mot polysémique ne renvoie pas seulement au consensus mais rappelle que c’est éminemment “sensuel”, affectif et partagé (con →cum → avec).
                                                                                                                                    La psychothérapie française a du mal à accepter ce point de vue, marquée qu’elle est par Didier Anzieu et son concept “d’illusion groupale”. Eh bien non, la communauté sociale n’est pas une illusion. Le consensuel existe et nous l’avons rencontré. La séquence de la socio- qui privilégie cette expérience est celle du groupe rapproché. Quand les émotions les plus intenses se sont exprimées et épuisées, quand les analysants les plus chargés émotionnellement sont partis sur les matelas ou les zafous, il reste 7, 6, 5 personnes, il reste un “groupion”. Ces personnes se rapprochent encore, passent les bras sur les épaules ou s’accrochent par la taille pour resserrer le lien, s’accoler par les flancs. Les sons émis deviennent de plus en plus doux, s’accordent, s’ajustent jusqu’à produire des harmonies surprenantes; ce cercle solidement arrimé entre dans un balancement lent qui permet à l’analysant de s’abandonner physiquement au mouvement commun, en relâchant ses membres inférieurs par exemple et en se sentant maintenu par les autres. Tout comme l’harmonie sonore, cette harmonie des corps amène subitement à la pleine expérience, profonde et douce, du “consensuel”. Comme toute expérience plénière, elle s’impose d’évidence, on la reconnaît immédiatement, comme le premier orgasme, comme le coup de foudre affectif. Cette expérience du consensuel permet de réattribuer au groupe social son rôle positif, après la sécurisation et la protection, au-delà de toutes les rebellions personnelles, circonstanciées, qui entretiennent la peur et le rejet du groupe. La répétition de cette expérience vient atténuer puis éliminer ces peurs et rejets. Et elle donne envie de passer au don qui est plénitude. Car, sans ce passage au don, le groupe sombrerait effectivement dans « l’illusion groupale ».
                                                                                                                         
                                                                                                                        • Caractéristiques principales de la fonction plénarisante

                                                                                                                        • -     l’attitude de lâcher-prise, d’acceptation, d’abandon à la relation et à l’unification ; même l’émotion, qui est d’abord concentration d’énergie, se termine par la résolution énergétique si on lui lâche la bride ;
                                                                                                                          -     l’énergie y est libre, elle circule, elle diffuse, pour se transformer en énergie douce, puis subtile, seule à même de connecter des fonctions de plus en plus nombreuses en une unité plurielle ; la conscience elle aussi se libère et se prête à tous les “états de conscience” ; l’amour se délie de ses fixations objectales ;
                                                                                                                          -     la conscience se globalise, englobe des données de plus en plus nombreuses, va jusqu’aux 7 ± 2 éléments que peut contenir simultanément le “conscient” par analogie avec la loi de Miller, et va encore plus loin quand elle passe du conscient au transconscient ;
                                                                                                                          -     la commande : on aime à dire qu’elle serait “autonome” comme le système nerveux du même nom, en opposition au système volontaire ; eh bien non : elle est tout aussi volontaire, mais subtilement ; c’est un changement d’état d’être qu’on ne subit pas mais qu’on laisse advenir dans une commande... complexe ;
                                                                                                                          -     le processus opérant : c’est l’unification fonctionnelle, la connexion psycho- somatique et intéro-externe ; jusqu’à cette saturation de la conscience où se fait le déclic... plénier, de plénarité en plénitude ;
                                                                                                                          -     le mode d’acquisition n’est pas l’apprentissage qu’impose l’éducation pour les fonctions différenciées, mais “l’initiation”, concept pris au sens large, qui implique un référent qui montre par l’exemple et qui repère in vivo, live, le bon ou mauvais fonctionnement chez l’élève.
                                                                                                                           
                                                                                                                                      On reconnaîtra ici la grande proximité de ces caractéristiques avec celles de l’inconscient telles qu’évoquées par Freud et Jung.
                                                                                                                                      La focalisation sur les pleines fonctions donne une ambiance toute nouvelle à la cure plénière. On y dépasse le travail somatothérapique technique, sur la respiration ou le mouvement par exemple, on y transcende l’opposition du verbal et du corporel, on déconstruit les procédés de désamalgamage ou reconnexion, on traverse la peur du transfert pour accéder à des vécus pleins et profonds, de joie, volupté et amour. L’avènement de la plénitude est thérapie, changement, expansion de l’être.
                                                                                                                           
                                                                                                                           
                                                                                                                           
                                                                                                                        • L’expérience plénière

                                                                                                                        •             Ces cinq pleines fonctions sont familières à ceux qui pratiquent les méthodes correspondantes. Elles sont cinq parce que centrées sur une dimension particulière : émotion, amour, vérité etc... Mais au moment où explose/implose, s’unifie/se démultiplie le tout, le processus devient unique, basal, fondamental. Je propose de l’appeler “ expérience plénière “. C’est un vécu complexe, d’une richesse telle qu’il ne se laisse pas décomposer, réduire, inscrire. On ne peut que l’expérimenter. J’en propose une description particulière sous la forme de l’expérience fondatrice.
                                                                                                                           
                                                                                                                           
                                                                                                                          • L’expérience fondatrice

                                                                                                                          • L’expérience fondatrice est ce moment -béni et chéri - où le puzzle des pratiques plurielles et théories multiples se met en place pendant la formation et constitue le thérapeute/analyste à ne “s’autoriser que de lui même”.
                                                                                                                                        Il s’agit d’une de ces expériences plénières ou tout se connecte, s’emboîte, se révèle. Le terrain est préparé, ça ne se construit pas sur du rien : acquisition des outils, entraînement au lâcher prise, frayage des connexions... puis un jour, au moment béni, kairos, quelque chose se traduit, l’exact inverse des efforcements précédents : ça vient tout seul, ça s’impose, ça explose, c’est grandiose.
                                                                                                                                        Mais comment dire sans mentir ?
                                                                                                                                        Comment décrire sans faiblir ? Sans céder sur le désir ?
                                                                                                                                        C’est la plénitude, c’est plein, mais de quoi ?
                                                                                                                                        C’est la béatitude, c’est bien, et puis quoi ?
                                                                                                                                        Certes, l’intensité du vécu prend le pas sur le construit, fait chavirer l’établi, fait oublier l’acquis. En réalité, il se passe -passe ?- quelque chose d’étrange qui évoque effectivement le tour de passe-passe : les sempiternels settings, cadres d’organisation, structures, limites, les ritournelles théoriques, didactiques et... holanthropiques, s’effacent tout d’un coup ; plus de forme contrainte, plus de règle enfreinte, ça va de soi. Ça se maintient stabilisé, informé, comme ce fut enseigné. Il y a seulement passage, conversion, transmutation. Quelque chose reste, au fond, même quand on y va, à fond. La structure devient infrastructure. Elle donne forme tout en se faisant oublier, elle vise juste même quand elle semble fruste. Il advient autre chose, on accède ailleurs, à quelque chose qui s’appellerait “l’ordre intrinsèque“.
                                                                                                                                        La vie est ordre, ordonnée, organisée ; elle s’oriente vers cette complexité qui marche, vers cette pluralité qui s’agence en cadence, vers cette multiplicité qui s’harmonise sans surprise. Cet ordre -intrinsèque- était juste à pister, trouver, retrouver ; c’est fait, c’est là, au fond, à fond, en fondement. C’est une première partie de l’expérience fondatrice.
                                                                                                                                        Quant au vécu, à l’événement dont l’intensité fait bouleversement, il est “unité essentielle”. Car “l’un” est la spécificité même de l’être, réunissant le premier quark au dernier charme, le besoin de base au frisson d’extase. Il ne s’agit plus ici de connecter une fonction après l’autre, l’écoute musicale, le mouvement, la sensation, l’image, le souvenir, pour forcer la porte de l’émotion. Non, ici, tout se relie dans le moment, comptant, et pour longtemps.
                                                                                                                             
                                                                                                                             
                                                                                                                            • De quelques concepts analogues : Csikszentmihalyi, Stern, Veldmann

                                                                                                                            • Le processus que conceptualise la notion “ d’expérience plénière “ n’est évidemment pas nouveau. Il est même vieux comme le monde. Il y a pourtant un regain d’intérêt pour cet “instant” dans la psychothérapie moderne, sans oublier la catharsis de Breuer et Freud. Le phénomène de “ Peak experience “ a permis à Maslow de lancer la “ psychothérapie transpersonnelle “, soixante-dix ans après la catharsis de Breuer. Très récemment, Mihaly Csikszentmihalyi a systématisé le même vécu sous l’appellation “d’expérience optimale“, à la différence près qu’il envisage un événement plus actif et volontariste que celui évoqué ici. L’attention est librement investie en vue de réaliser un but personnel parce qu’il n’y a pas de désordre qui dérange ou menace le soi. On l’appelle aussi “ expérience flot “ (flow experience)... L’expérience optimale rend le soi plus complexe, et c’est alors qu’il se développe. L’auteur énumère huit caractéristiques que nous reprendrons dans le tableau suivant (Csikszentmihalyip. 52 à 59).
                                                                                                                              Mais c’est Daniel N. Stern, psychiatre et psychanalyste, auquel nous avons déjà emprunté le terme “ d’accordage “ (tuning), qui présente l’analyse la plus fine de ce processus sous la notion de “ moment présent “, à partir de l’expérience psychothérapique verbale. Il évoque onze caractéristiques que nous mettons également dans le tableau suivant en les classant - comme celles du flow - en regard de la juste et pleine présence.
                                                                                                                               
                                                                                                                              L’expérience plénière
                                                                                                                              en Présence Juste
                                                                                                                              L’expérience optimale de
                                                                                                                              Mihaly Csikszentmihalyi ;
                                                                                                                               Le moment présent de
                                                                                                                              Daniel N. STERN
                                                                                                                              I. Point de départ :                 stimulus ;
                                                                                                                              entrée en Présence Juste
                                                                                                                              1) « La tâche entreprise est réalisable mais constitue un défi et exige une aptitude particulière
                                                                                                                              11) « Différents moments présents ont des importances différentes                               
                                                                                                                               
                                                                                                                              3) la cible visée est claire       
                                                                                                                              5) « Le moment présent a une fonction psychologique
                                                                                                                              II. Concentration et attention sur les étapes du protocole
                                                                                                                              2) « L’individu se concentre sur ce qu’il fait
                                                                                                                              1) « La conscience primaire ou réflexive est une condition nécessaire
                                                                                                                               
                                                                                                                              6) « La personne exerce le contrôle sur ses actions
                                                                                                                               
                                                                                                                              III. Plénarité et
                                                                                                                              pleine présence
                                                                                                                              5) « L’engagement de l’individu est profond et fait disparaître toute distraction                           
                                                                                                                              2) « Le moment présent n’est pas le compte rendu verbal d’une expérience
                                                                                                                               
                                                                                                                              4) « L’activité en cours fournit une rétroaction immédiate
                                                                                                                              3) « Le moment présent est une expérience ressentie
                                                                                                                               
                                                                                                                               
                                                                                                                              6) « Le moment présent est un événement holistique
                                                                                                                              IV. Abandon au                 processus
                                                                                                                              7) « La préoccupation de soi disparaît mais, paradoxalement, le sens du soi est renforcé à la suite de l’expérience optimale                
                                                                                                                              7) « Le moment présent est dynamique sur le plan temporel
                                                                                                                               
                                                                                                                               
                                                                                                                              10) « Le soi qui vit l’expérience adopte une position en rapport avec le moment présent
                                                                                                                              V. Contemplation et               Plénitude
                                                                                                                              8) « La perception de la durée est altérée.
                                                                                                                              4) « Le moment présent est de courte durée
                                                                                                                               
                                                                                                                               
                                                                                                                              8) « Le moment présent est en partie imprévisible alors qu’il se déroule
                                                                                                                               
                                                                                                                               
                                                                                                                              9) « Le moment présent implique un certain sens de soi
                                                                                                                                
                                                                                                                              Tableau 36 :trois conceptions de l’expérience plénière
                                                                                                                               
                                                                                                                                          Nous voyons que ces descriptions renvoient aux principaux points de l’expérience plénière et de la pleine présence. Néanmoins les deux auteurs insistent sur l’aspect qui les intéresse le plus :
                                                                                                                              -     Csikszentmihalyi insiste sur le point de départ qu’est le défi, comme tout américain conquérant, dans le cadre du développement et du bonheur personnel ;
                                                                                                                              -     Stern part de la psychothérapie verbale, analytique, et décrit ses moments présents comme arrivant soudainement au décours de l’entretien.
                                                                                                                                          On peut se référer à un troisième auteur, Frans Veldman, le concepteur de l’haptonomie ou science de l’affectivité. Son point de départ - non dit ici - est le toucher en prolongement, et son insistance va évidemment à l’affectif. Son texte, très phénoménologique, accumule les caractéristiques de ce qu’il appelle “still point “ en hommage au poète T.S. Elliot.
                                                                                                                               
                                                                                                                              • Le still point, de T.S. Elliott à Frans Veldman

                                                                                                                              • “Depuis plus d’une trentaine d’années, j’ai introduit la notion de “ still point “ afin d’expliquer un moment caractéristique.
                                                                                                                                            “Le “still point” représente un point de suspension, de vigilance, silencieux, “actif” ; il n’implique pas un arrêt ou une stagnation, mais représente une source de mouvement prêt à ré-agir, plein d’élan vital : un état “ dansant “. Ce n’est pas un point mécanique, statique, mais un point dynamique.
                                                                                                                                            “Le “still point” haptonomique est donc un “point” indéfinissable, plein de vie, d’élan vital, de vitalité, de vigilance, d’attention et de nature confirmante, qui crée une ambiance de confiance et de sécurité, point sensitif de départ d’un agir ensemble en confiance réciproque. On peut dire de ce “Still-point” qu’il s’agit d’un être-avec, ensemble, de nature non directive, chargé de sentiments de consensus - de con-sentir - transparents, réassurants, respectant l’autonomie, l’autodétermination, des personnes qui se rencontrent. Il porte en son sein la danse qui résonne de bien-être, qui donne à vivre, mutuellement et de concert, le plaisir de Bon, la “delectatio” du bien vital de la rencontre.
                                                                                                                                            “C’est là, dans ce “ Still point “ - au centre de la Philia - que se révèle dans ce “moment “ émouvant, éveillé, la “ danse de vie “ - vitale - dans l’”Affectif “ des personnes qui se rencontrent. Y règne une “ activité ; un acte sans action “, vivant et animé : une présence affective limpide et claire. Point de départ pour l’être-là-avec affectif et confirmant, pour une rencontre respectueuse et affective, véritablement humaine.”
                                                                                                                                (Veldman passim p. 471-475).
                                                                                                                                            Il nous reste à proposer une modélisation plus didactique de tous ces propos, insistant sur la dimension thérapeutique.
                                                                                                                                 
                                                                                                                                 
                                                                                                                                • L’expérience plénière et son action thérapeutique

                                                                                                                                • Nous procédons ici comme pour les processus inconscients, par touches successives, par référence à des auteurs renommés. Car la complexité de cette expérience plénière empêche son analyse, sa réduction et même son argumentation. Aussi nous proposons encore un simple schéma pour visualiser le processus, parce qu’il faut aussi arriver à la présentation de son rôle thérapeutique :
                                                                                                                                              a) le moment présent est défini par un cadre qui délimite la situation,
                                                                                                                                  b) un certain nombre de fonctions sont pertinentes - et nécessaires - dans ce cadre situationnel (les carrés à l’intérieur du cadre),
                                                                                                                                              c) l’une ou l’autre fonction peut être indisponible, absente, en clivage,
                                                                                                                                  d) alors qu’une autre fonction peut s’imposer, bien qu’étrangère au moment, elle est en amalgame.
                                                                                                                                              L’expérience est plénière lorsque toutes les fonctions pertinentes sont présentes, à la fois connectées et séparées. Cette présence totale, dans le moment et dans la situation, cette présence de toutes les fonctions pertinentes, a un effet précis, thérapeutique :
                                                                                                                                              e) elle connecte les fonctions clivées,
                                                                                                                                              f) sépare la fonction amalgamée,
                                                                                                                                              et parachève la pleine présence, à savoir dé-bloque.       

                                                                                                                                   

                                                                                                                                   

                                                                                                                                   

                                                                                                                                   

                                                                                                                                   

                                                                                                                                   

                                                                                                                                  schéma 52
                                                                                                                                  Schéma 52 :l’expérience plénière et les fonctions pertinentes, les fonctions en clivage ou en amalgame.
                                                                                                                                   
                                                                                                                                              Nous devons nous rappeler ici le modèle de René Thom et la came qui, au moment du saut de relaxation, intègre les nouveaux éléments de la complexification en cours, évitant ainsi le morcellement. Nous insistions sur le côté “plénier” de ce moment. Nous ajoutons à présent son rôle thérapeutique, son rôle fondateur de toute thérapie.
                                                                                                                                              C’est la qualité plénière de l’expérience qui est thérapeutique ; elle lève les clivages (refoulements, dissociations) et débarrasse des amalgames (réminiscences indues, confusions). Il n’y a plus que pleine présence ; la présence simultanément concentrative, attentive et contemplative (que nous avons décrite ci-dessus) est tellement prégnante qu’elle accroche la fonction clivée, décroche celle qui est amalgamée et relance l’ensemble bloqué.
                                                                                                                                              Voilà ! L’essentiel est dit en cinq lignes après une préparation de dizaines de pages. Le processus thérapeutique de base consiste en ce moment de pleine présence (“je suis là, pleinement là, juste là”) où tout superflu s’élimine et tout nécessaire s’arrime. Ça dés-amalgame, re-connecte et dé-bloque jusqu’à la pleine présence. La parution récente du dernier livre de Gérald M. Edelman apporte une caution scientifique à cette approche expérientielle.
                                                                                                                                   
                                                                                                                                   
                                                                                                                                • La théorie générale du cerveau et la conscience

                                                                                                                                • Nous avons beaucoup de mal à dépasser le dualisme esprit/ corps que Descartes nous a légué, ainsi que de ses nombreux produits dérivés tels la phrénologie (Gall) ou la plus récente approche computationnelle du cerveau qui serait presque comme un ordinateur, nos désirs et amours se transformant en algorithmes. Certes un neuroscientifique éminent, Antonio R. Damasio, a dénoncé “l’erreur de Descartes”, nous permettant d’introduire notre propre livre, “Freud encorps”, avec la nécessité de connecter l’émotionnel au fonctionnement global, y compris à celui de la pensée rationnelle. Oubliés Jean Pierre Changeux et sa tentative trop matérialiste de présenter « l’homme neuronal ».
                                                                                                                                              Plus récemment, c’est Gérald M. Edelman, prix Nobel de médecine, qui nous propose une théorie générale du cerveau, se concentrant sur sa partie la plus difficile et subtile, à savoir la conscience.
                                                                                                                                              On se retrouverait presque au départ de la psychothérapie moderne, puisque Freud a assis la psychanalyse sur une conception de la conscience avec sa première topique de 1900 (inconscient, préconscient, conscient). Nous ne ferons pas une longue présentation de cette théorie du cerveau et nous nous restreindrons à un tableau d’Edelman dans lequel il résume les caractéristiques de la conscience. (Edelman p. 145)
                                                                                                                                   
                                                                                                                                   
                                                                                                                                   
                                                                                                                                   
                                                                                                                                  I / Catégorie Générale, Fondamentale
                                                                                                                                   
                                                                                                                                  1. Les états conscients sont unitaires, intégrés et construits par le cerveau.
                                                                                                                                  2. Ils peuvent être extrêmement divers et différenciés.
                                                                                                                                  3. Ils sont ordonnés dans le temps, séquentiels et modifiables.
                                                                                                                                  4. Ils reflètent une liaison de diverses modalités.
                                                                                                                                  5. Ce sont des propriétés construites, incluant gestalt, fermeture et des phénomènes de remplissement.
                                                                                                                                   
                                                                                                                                  II / Catégorie Information et accessibilité
                                                                                                                                  1. Ils sont intentionnels, avec toute une gamme de contenus.
                                                                                                                                  2. Leur accessibilité et leur associativité sont très étendues.
                                                                                                                                  3. Ils ont un centre, une périphérie, un entourage et une frange.
                                                                                                                                  4. Ils sont sujets à des modulations dans l’attention, concentrée ou diffuse.
                                                                                                                                   
                                                                                                                                  III / Catégorie Subjective
                                                                                                                                  1. Ils reflètent des sentiments subjectifs, des qualia, des phénomènes, des humeurs, du plaisir et du déplaisir.
                                                                                                                                  2. Ils sont concernés par la situation et l’emplacement dans le monde.
                                                                                                                                  3. Ils donnent naissance à des sentiments de familiarité ou de non-familiarité.
                                                                                                                                   
                                                                                                                                  Tableau 37 : les caractéristiques des états conscients d’après Gérald M. Edelman.
                                                                                                                                   
                                                                                                                                              Je me contenterai de rebondir très librement sur certaines de ces caractéristiques, indiquées par le numérotage du tableau :
                                                                                                                                   
                                                                                                                                  I -1) - chaque état de conscience est unifié, on s’y sent un, plein, intègre, intégré et intégral ;
                                                                                                                                  I -4) - il est une “liaison de diverses modalités”, à savoir la connexion des fonctions pertinentes dans le contexte du moment ;
                                                                                                                                  I -5) - construction de « gestalt, fermeture et remplissement » renvoient à la notion de plénarité : y a pas tout, mais y a plein, une gestalt achevée (voir texte ci-après) ;
                                                                                                                                  II -3) - le centre, c’est la concentration ; la périphérie c’est l’attention diffuse ; l’entourage, le cadre du moment ; une frange, les contemplats menant à la plénitude ; c’est la définition de la pleine présence ;
                                                                                                                                  III -1) - plénarité et plénitude sont décrites ici par leur contenu : sentiments, qualia          (= vécu), humeurs, plaisir et déplaisir ;
                                                                                                                                              III -3) - le sentiment de “familiarité” renvoie à la qualité du “plénier”.
                                                                                                                                   
                                                                                                                                              Ajoutons qu’Edelman utilise le concept de “présence remémorée” pour évoquer la mémoire et que la synchronicité est une des clés fondamentales du passage du neural au conscient. Edelman n’aborde qu’incidemment la psychopathologie mais c’est pour évoquer deux processus de base qui sont.... le clivage et l’amalgame :
                                                                                                                                  -     “le noyau peut se diviser en un petit nombre de noyaux distincts... Il est probable que ce soit un des principaux fondements de syndromes de dissociation comme l’hystérie” (o.c. p. 170)
                                                                                                                                  -     quant à l’amalgame, il est évoqué à travers les processus de “fermeture et remplissage” et avec cette allusion “le noyau peut... être remodelé, redistribué” (o.c. p. 170 et 171).
                                                                                                                                   
                                                                                                                                              Avec cette description de l’état conscient, Edelman nous donne les éléments scientifiques du moment présent (Stern), du moment optimal (Csikszentmihalyi), de l’expérience plénière (Meyer), du still-point (Veldman), à la différence que ces derniers avatars sont des états plus particuliers, plus intenses, thérapeutiques et exceptionnels. Toujours est-il que les mêmes caractéristiques fondamentales s’y retrouvent et inscrivent donc ces vécus particuliers dans la science la plus dure, à travers la conscience.
                                                                                                                                              Mais quelle est donc cette théorie générale du cerveau ? C’est la TSGN, “théorie de la sélection des groupes de neurones” dont le pilier est constitué par la “réentrée”. L’ensemble thalamo-cortical, le principal de ces groupes de neurones, reçoit à la fois les messages extérieurs et constitue tout autant des circuits internes en boucle - les réentrées - qui réalisent la mémoire et élaborent la continuité de la conscience, de façon processuelle, en un “noyau dynamique”. Ces “groupes de neurones” se connectent pour créer des fonctions plus larges et plus riches comme la “conscience primaire” puis “la conscience d’ordre supérieur”. Ce processus bio-électro-physiologique est la cause de la “transformation phénoménale” que nous appelons, en psychothérapie, “connexion fonctionnelle” jusqu’à plénarité, “pleine présence” jusqu’à plénitude.
                                                                                                                                              En collant encore plus aux conceptions d’Edelman, on peut proposer les analogies suivantes :
                                                                                                                                                 - les « groupes de neurones » caractérisés par la « réentrée » sont le substratum de ce qui peut se cliver lors d’un événement traumatogène violent, tel que nous l’avons évoqué à propos de l’EMDR ; aujourd’hui les neuroscientifiques observent même que ce lieu dissocié se loge dans le lobe préfrontal gauche
                                                                                                                                  - ces « groupes de neurones » font penser aux fonctions différenciées,
                                                                                                                                                 - ils « se connectent pour créer des fonctions plus larges » ; ce seraient les fonctions plénarisantes.
                                                                                                                                              Nous reprendrons cette réflexion neuroscientifique en discutant la théorisation de l’EMDR par Francine Shapiro, ci-après.
                                                                                                                                   
                                                                                                                                   
                                                                                                                                  • Conscience, inconscient et transconscient

                                                                                                                                  • Et les inconscients freudien et jungien ? Edelman ne les évoque qu’incidemment, pudiquement, reconnaissant que ce concept n’entre pas pour le moment dans sa théorie. Il rejette l’idée que ce pourrait être une entité, affublée d’un substantif. La conscience est un processus, une fonction complexe et globale ; il ne pourra donc y avoir que des “processus inconscients” comme dans le paradigme holanthropique. De plus, ce processus se caractérise par la combinaison de fonctions. En effet, la première topique freudienne (inconscient, préconscient, conscient) ne rend plus très bien compte de la fonction « conscience », qui n’est, finalement, qu’une des deux douzaines de fonctions de l’être humain, même si elle est d’importance majeure. La difficulté actuelle réside du côté du « conscient » et non pas du côté de « l’inconscient ».
                                                                                                                                    Nous avons réévalué le cœur même de l’inconscient avec les « purs processus inconscients ». Il suffit d’y ajouter le lieu du « refoulé » cher à Freud pour rendre justice à ce concept emprunté à Schopenauer, Nietzsche et Théodor Lipps. Les progrès des connaissances actuelles, psychologiques et psychothérapiques, nous obligent à dévaluer, à présent, la part du « conscient ».
                                                                                                                                    En effet le découpage fait par Freud réduit son "conscient" à un ensemble relativement exigu et réducteur qui ne rend pas compte de toute la richesse de la conscience élargie aux notions de champs de conscience et d’états de conscience… Le conscient est réflexif, rationnel, ordonné selon des règles logiques, intentionnel, chargé du savoir orienté vers l’efficace et l’action. Ce « conscient » là ne travaille qu’avec un tout petit nombre d’items comme nous l’enseignent les neurosciences. C’est la raison pour laquelle il est réduit et réducteur et qu’il dérape facilement en clivage et dissociation dans ce qu’on appelle parfois le mental et l’égo.
                                                                                                                                    Or Freud fait du passage de l’inconscient au conscient le principe même de la psychanalyse, obligation reprise dans la deuxième tropique : « wo es war soll ich werden, là où était le ça, le moi doit advenir ». Cent ans plus tard, la psychothérapie a une toute autre conception : elle veut libérer de l’enfermement du mental, du contrôle (les défenses et résistances), du conscient freudien. C’est ce que nous prônons avec la notion de fonctions plénarisantes, d’expérience plénière et de pleine présence. Et quand nous nous servons des concepts freudiens, qui restent néanmoins des référents, nous utilisons aussi le signifiant « transconscient ». Un schéma très simple nous restitue cette nouvelle topique, « plénière ».
                                                                                                                                     
                                                                                                                                     schéma 53
                                                                                                                                    Schéma 53 : inconscient, conscient et transconscient
                                                                                                                                     
                                                                                                                                    Et voici la lecture du schéma :
                                                                                                                                    -     la conscience est concernée par deux réalités, l’une intérieure, inconsciente, (le refoulé et les purs processus) l’autre extérieure, en partie présente et sûe, en partie absente et insue ;
                                                                                                                                    -     le conscient « travaille » un petit nombre d’items de ces deux réalités, de par son fonctionnement même ;
                                                                                                                                    -     le transconscient a un champ beaucoup plus large ; il englobe plus de réalité intérieure et extérieure y compris le conscient, à l’exception de la part la plus distinctive de cette dernière ; il s’agit d’un champ de conscience plein (sinon total), d’un état de conscience plénier (sinon plénipotentiaire).
                                                                                                                                    Le signifiant « transconscient » est intéressant là où les concepts freudiens font référence. Il sert d’analogue assez fidèle à tout ce que nous appelons plein, plénier, plénarité et plénitude. Il n’a rien à voir avec le New Age (bien que le terme viendrait de Mircéa Eliade). Il est métapsychologique, sinon scientifique.
                                                                                                                                    Cette proposition n’implique pas que ce soit Freud lui-même qui ait appauvri ces concepts. En effet, en revenant à son principe thérapeutique originaire, à savoir la catharsis, nous pouvons observer que lui aussi était dans le plénier, grâce à l’enseignement reçu de son mentor Joseph Breuer et que nous avons déjà lu ci-dessus :
                                                                                                                                                “Chacun des symptômes hystériques disparaissait immédiatement et sans retour quand on réussissait à mettre en pleine lumière le souvenir de l’incident déclenchant, à éveiller l’affect lié à ce dernier et quand, ensuite, le malade décrivait ce qui lui était arrivé de façon fort détaillée et en donnant à son émotion une expression verbale”. (Breuer et Freud p. 24)

                                                                                                                                     

                                                                                                                                     

                                                                                                                                     

                                                                                                                                                                                                                                                                        (Meyer 1982 p. 62)
                                                                                                                                     
                                                                                                                                                C’est avec ce concept Freudo-Breuerien que j’ai inauguré ma réflexion sur la psychothérapie il y a trente ans. Quel bonheur que de le retrouver en aussi bonne place comme un “présent remémoré” et à peine réactualisé !
                                                                                                                                                Quelle que soit la difficulté à transmettre en si peu de mots la théorie d’Edelman, à la fois simple et complexe, il nous reste à répéter qu’avec elle nous pouvons réellement fonder le paradigme holanthropique en science. Mais, comme nous l’avons déjà évoqué, la pleine intégration - des pratiques et des théories - ne se fera vraiment qu’en la personne du thérapeute/analyste.
                                                                                                                                    Auparavant, revenons encore à la pratique et à la clinique, au plus près de ces patients qui sont notre raison d’être. Car l’expérience plénière n’est évidemment pas le tout de la cure. Il y a des stades préparatoires, il y a des étapes ultérieures, de répétition de ces expériences, jusqu’à l’aptitude à la “pleine présence” qui est à la fois guérison et bonheur.
                                                                                                                                     
                                                                                                                                     
                                                                                                                                    • L’expérience plénière encorps

                                                                                                                                    • Le processus plénier ne constitue pas toute la cure, même s’il en est le temps fort. Une seule, ou deux de ces expériences ne suffisent pas toujours non plus, même si leur répétition arrive néanmoins au bout de la tâche. En fait le nombre de ces expériences dépend du projet initial :
                                                                                                                                      -     unique, il peut assurer la restituance par une thérapie courte,
                                                                                                                                      -     répété, il réalise la transformance d’une personnalité troublée,
                                                                                                                                      -     quasiment stabilisé, il signe l’accès aux processus inconscients dans l’analyse longue.
                                                                                                                                      Enfin, ce vécu n’a pas qu’un seul aspect, bien au contraire. Aussi, après les généralisations scientifiques, faut-il revenir au plus concret, à commencer par décrire ce qu’elle n’est pas, cette expérience plénière :
                                                                                                                                      -     elle n’est pas nécessairement intense, en émotion, décibels, surprise… elle peut être douce, à bas bruit, familière ;
                                                                                                                                      -     elle n’est pas nécessairement agréable ou jouissive ; elle charrie sa charge de souffrance, de peur, d’étrangeté tout autant ;
                                                                                                                                      -     par contre, même dans la douleur, elle se reconnaît par la satisfaction d’être (enfin) là, présent, soi ;
                                                                                                                                      -     l’état de conscience n’y est pas nécessairement modifié (avec subversion de la structure mentale par exemple) ; il peut rester habituel, présent ;
                                                                                                                                      -     le champ de conscience ne s’élargit pas nécessairement, surtout lorsqu’on est dans la restituance d’une thérapie courte ; il n’y a pas obligation à s’élargir aux purs processus inconscients ;
                                                                                                                                      -     enfin, l’expérience plénière n’est pas nécessairement liée à la longueur de la cure, au type de méthode, même s’il y a une corrélation entre ces paramètres et ces manifestations.
                                                                                                                                       
                                                                                                                                                  Elle n’est pas nécessairement tout cela. Par contre, elle devient une merveilleuse grille de lecture de tout le domaine psychothérapique.
                                                                                                                                       
                                                                                                                                      • En conclusion

                                                                                                                                      • Pleine intégration et nouveau paradigme
                                                                                                                                        Nous avons insisté sur le fait que l’intégration des méthodes en une pratique pluri-globale n’était pas éclectique ; elle n’est pas seulement la réunion de techniques et procédés jugés intéressants mais elle se constitue en une sélection méthodique.   
                                                                                                                                        A présent, il faut observer que l’intégration théorique n’est pas “multiréférentielle” ; elle ne se contente pas plus d’assembler les concepts et théories jugés utiles mais se constitue comme une méta-théorie, issue des observations de la pratique pluri-globale. Elle donne accès à la globalité de l’être, à l’hol-anthrope.
                                                                                                                                        Nous aboutissons ainsi à la pleine intégration : y a pas tout, mais y a plein. Et ce “plein” veut dire “tout ce qu’il faut pour être complet ici et maintenant”. L’être est pleinement représenté, en normalité et pathologie. Il nous reste à conclure en affirmant la double qualité de cette métathéorie, comme :
                                                                                                                                        -     modèle fondamental qui peut accueillir les principales théorisations psychothérapiques,
                                                                                                                                        -     modèle universel qui peut devenir paradigmatique.
                                                                                                                                        -      
                                                                                                                                        Une métathéorie en accueil des… théories
                                                                                                                                        Récapitulons rapidement la capacité de cette pensée à héberger les concepts et théorisations particulières sachant qu’en psychothérapie toutes les élaborations sont issues de lieux d’observation et d’expérimentation précis, à savoir des méthodes correspondantes. Freud a accédé au processus pulsionnel et libidinal grâce au long et libre discours sur le divan ; Jung a prolongé l’accès aux processus inconscients jusqu’à l’intime du lien grâce aux grands rêves, aux mythes et à l’art thérapie (mandalas) notamment. Mais il ne s’agit pas, ici, d’évoquer tous les concepts issus de toutes les pratiques existantes ; ce serait fastidieux sinon impossible. Il suffit de rappeler que notre champ d’étude englobe tous les paramètres de la pratique, tous les facteurs de la thérapie /analyse et donc toutes les dimensions de l’être humain :
                                                                                                                                        -     les trois durées de la cure et donc aussi les trois paliers d’approfondissement de toute relation humaine ;
                                                                                                                                        -     les trois dimensions de l’être (psycho-, socio- et somato-) à travers les trois grandes catégories de méthodes (verbale, groupale et corporelle) et donc leur rapport de séparation/connexion jusqu’à clivage/amalgame s’il y a pathologie ;
                                                                                                                                        -     les trois principales attitudes thérapeutiques (directive, interactionnelle, analytique) renvoyant aux relations humaines d’autorité, d’égalité, de créativité notamment ;
                                                                                                                                        -     la position une et unifiée au cœur de la thérapie (expérience plénière) comme du devenir soi (libre et authentique).
                                                                                                                                                    Ce raisonnement qui fait découler la théorie de son lieu d’obtention rappelle son “matérialisme historique”, cette pensée d’un philosophe (Marx pour ne pas le nommer) qu’il ne faudrait pas jeter avec l’eau du bain. Car nous pouvons nous en inspirer en psychothérapie, observant que la matérialité d’une méthode (son cadre, son organisation, son protocole) détermine très largement ce qui va s’y passer, les indications privilégiées, ainsi que la théorie qui en découlera… logiquement. Travaillez pluri-global et vous aurez de… l’hol-anthrope, avec son infrastructure corporelle et sa superstructure symbolique et spirituelle ! Mettez l’analysant sur le divan verbal et vous aurez la “représentation” des choses et, si ça dure assez longtemps, vous aurez du transfert de surcroît.
                                                                                                                                         
                                                                                                                                        Un modèle universel en devenir de…. Paradigme
                                                                                                                                        La métapsychologie de Freud est devenue paradigme, à savoir pensée et explication dominante pour l’Occident, même si elle montre de plus en plus ses limites, à cause de son incapacité à sortir de l’étroitesse de son organisation matérielle. C’est la civilisation qui choisit ses paradigmes en fonction de ses exigences du moment. Quelles sont-elles aujourd’hui ?
                                                                                                                                        On peut en distinguer quatre principales concernant la pensée de l’humain : la scientificité, la complexité, la subjectivité et l’universalité, exigences apparemment paradoxales mais que notre démarche… satisfait pleinement.
                                                                                                                                        -     La scientificité est une revendication bien présomptueuse pour une science dite molle ; pourtant les exigences d’objectivité maximale sont réunies :
                                                                                                                                        -            présentation de la matérialité du lieu d’observation ;
                                                                                                                                        -            description minutieuse des effets obtenus ;
                                                                                                                                        -            reproductibilité et transmission de ces effets ;
                                                                                                                                        -            construction théorique par paliers d’abstraction successifs ;
                                                                                                                                        -            confrontation aux pairs pour confirmation ou falsification.
                                                                                                                                        La psychothérapie est le laboratoire expérientiel le plus riche de notre société, elle est un nouveau “fait social total”. Et quand il est pluri-global en plus…
                                                                                                                                        -     La complexité. « Il y a trop de notes » disait l’empereur d’Autriche à Mozart. Notre vie (post-, hyper-) moderne a trop de stimulations… Avec nos gros sabots de carbone, nous déréglons le climat si subtil… Il y a plus de six milliards d’humains, six mille langues, des dizaines de religions… et moi, et moi et moi ! Quelqu’en soit la difficulté, notre société doit et veut affronter la complexité, avec l’hyperordinateur ou des PC en réseau… avec une métathéorie et des concepts y intégrés. Notre texte montre suffisamment que nous prenons la complexité à bras le corps.
                                                                                                                                        -     La subjectivité. Et moi, et moi et moi ! Que n’a-t-on décrié la narcissisation de l’individu (post-, hyper-, trans-) moderne. Et pourquoi ce terme péjoratif ? Notre société permet à chacun de ses membres d’accéder à de plus en plus de liberté et d’authenticité, à son individuation (Jung), à l’avènement du sujet (Lacan), au vrai self (Winnicott). Et c’est irréversible. Et ça en rajoute de complexité, et ça se complique du côté de la scientificité. La pensée de l’humain doit faire une place de plus en plus grande à l’individualité, maintenant que les idéologies et autres totalitarismes ont failli. Nous offrons, quant à nous, cette place privilégiée à la personne, notamment avec l’accès aux purs processus inconscients, auto-organisateurs, autopïétiques, constituants.
                                                                                                                                        -     L’universalité. La métapsychologie de Freud se voulait universelle, mais elle reste encore trop familialiste avec son agencement du trio papa, maman et moi, bien judéo-chrétien. Lacan prend du recul avec ses références structuralistes. Un paradigme ne peut qu’être universel actuellement et, pour cela, il ne peut se développer qu’au niveau méta- (fonctionnel/processuel et structurel/formel), laissant aux anecdotes (narcissiques et familialistes) le soin de trouver leurs places dans ces bases communes.
                                                                                                                                        Y sommes-nous, dans ces fondements structuro-fonctionnels ? C’est notre propos en tout cas. Et avec cela, nous complétons au niveau de la pensée ce que la mondialisation fait au niveau politique et l’œcuménisme, au niveau des croyances. Ce serait un comble si la psychothérapie ne participait pas à ce rassemblement urgent de l’humanité pour lutter contre les dangers autrement plus importants que les tics et les tocs (narcissiques), à savoir les griffes et les serres (du climat). De plus la pleine intégration psychothérapique peut donner du sens et de l’âme à la (alter-) mondialisation.
                                                                                                                                         
                                                                                                                                        S’inscrire en science et expérience.
                                                                                                                                        Rendre justice à la complexité.
                                                                                                                                        Respecter l’unicité de l’individu.
                                                                                                                                        Se réunir en une universalité à la fois urgente et sereine….
                                                                                                                                        C’est notre ambition.
                                                                                                                                         
                                                                                                                                      • Chapitre 15 : L’APPLICATION DES MODELES ONTOPATHOLOGIQUE, ONTOTHERAPEUTIQUE ET COMPLEXIFICATION/PLENARITE

                                                                                                                                      • Comme pour les modèles ontogénétique et ontologique, nous proposons, pour terminer, une application des trois derniers modèles à la Gestalt-thérapie qui se présente comme une méthode aussi systématisée que la psychanalyse tout en étant plus protéiforme. Elle représente totalement le courant dit humaniste et se prête exemplairement à la durée « moyenne » de la cure séquentielle (6 mois à 2 ans) comme cela est indiqué dans le texte que nous citerons. Voilà déjà trois raisons de choisir ce lieu d’application. Il y en a d’autres :
                                                                                                                                        -          la gestalt-thérapie est une méthode utile et efficace dont nous proposons les principaux exercices à l’Eepssa ;
                                                                                                                                        -          elle repose principalement sur un état d’esprit et une attitude du thérapeute ;
                                                                                                                                        -          elle s’oppose à la psychanalyse et donne à comprendre les limites de cette dernière tout en posant ainsi ses propres délimitations ;
                                                                                                                                        -          elle nous permet d’appliquer nos modèles holanthropiques ;
                                                                                                                                        -          mettant ainsi à l’épreuve notre capacité d’accueil et d’intégration d’un système lui-même déjà intégratif.
                                                                                                                                         
                                                                                                                                         
                                                                                                                                        • LA GESTALT-THERAPIE : L’intégration/recombinaison des années 1950-60

                                                                                                                                          • Introduction

                                                                                                                                          • Nous avons vu que Sigmund Freud a effectué une belle intégration des méthodes et théories de la fin du XIXème siècle, empruntant :
                                                                                                                                            -         la méthode cathartique à Breuer,
                                                                                                                                            -         l’hypnose à Janet, Bernheim et Liebault,
                                                                                                                                            -         la talking cure et le chimney sweeping à Anna O.
                                                                                                                                            -         l’inconscient à Lipps, Schopenauer et Nietzsche,
                                                                                                                                            -         la théorie psychogène de l’hystérie à Charcot,
                                                                                                                                            -         la sexualité infantile  à la sexologie naissante,
                                                                                                                                            -         la bisexualité à Fliess,
                                                                                                                                            -         l’herméneutique (interprétative) à la culture juive,
                                                                                                                                            -         et le ça à Groddeck, entre autres.
                                                                                                                                            Il a recombiné les méthodes en psychanalyse et les théories en métapsychologie, constituant un nouveau système que l’on n’enrichit qu’en… démissionnant, comme le firent Adler, Jung, Reich entre autres.
                                                                                                                                                        Cinquante ans plus tard, Fritz Perls, sa femme Laura et ses collègues Goodman et Hefferline firent de même, intégrant les nouveautés du moment et les recombinant en un nouveau système qui a failli s’appeler… « Psychothérapie Intégrative ». Perls a ajouté un rejet viscéral de la psychanalyse, ce qui l’a propulsé à la tête de la contreculture américaine de 1967 et des révoltes de mai 1968. Depuis lors, la Gestalt-thérapie a du mal à intégrer les nouveautés de plus en plus nombreuses et pointues que nous connaissons.
                                                                                                                                            Cent ans plus tard, cinquante ans plus tard, nous intégrons aussi, quant à nous, mais sans recombiner ni systématiser. Notre intégration est une démarche personnelle et personnalisée se nourrissant de nombreuses expériences, de larges connaissances, de méthodologie et d’épistémologie et se fondant sur la clinique et l’humanisme.
                                                                                                                                            C’est ainsi que nous nous réjouissons d’intégrer la psychanalyse de Freud et de ses dissidents, la Gestalt thérapie de Fritz Perls et de sa dissidente Laura Perls, entre autres. Mais voyons cet ancêtre de l’intégration, la Gestalt.
                                                                                                                                             
                                                                                                                                             
                                                                                                                                            • I. Historique

                                                                                                                                            • Frédéric Perls, 1893-1970, était Allemand, acteur, psychiatre, disciple de Freud et psychanalyste riche et renommé jusqu’au-delà de ses cinquante ans. Fuyant le nazisme, il a implanté la psychanalyse en Afrique du Sud avec le succès évoqué. Vers la cinquantaine, il y publie son premier livre, écrit par Laura, sa femme : « la faim, le moi et l’agressivité ». Laura était psychologue et avait fait sa thèse sur la Gestalt-psychologie de Köhler et Goldstein.
                                                                                                                                                          A 53 ans, Fritz Perls met un terme à sa carrière sud-africaine et émigre à New-York où il lance une nouvelle pratique avec des collègues dont Paul Goodman, philosophe et Ralph Hefferline. Il en naît le livre fondateur du mouvement « Gestalt thérapie » en 1951 écrit par Paul Goodman. L’inspiration pratique venait de Fritz, la rigueur de Laura et la richesse du texte de Paul et Ralph… La méthode n’eut que peu de succès pendant une quinzaine d’années malgré le prosélytisme de Fritz et la rigueur de Laura et Paul, jusqu’à ce que Fritz s’installe à Esalen, la Mecque des nouvelles thérapies et des hippies. A soixante quinze ans, il perce enfin et fut reçu comme le « Gourou » de la contre-culture. Deux ans plus tard, il mourut. Fritz et Laura vivaient séparés sans avoir divorcé, ce qui permit à Fritz de donner largement l’exemple de la libération sexuelle, affective et sociale de l’époque et d’en être un fervent promoteur. La dernière année de sa vie, il fonda un Gestaltkibboutz près de Vancouver.
                                                                                                                                              Perls – ce sera Fritz sous ce nom – a été analysé par Karen Horney, une femme qui a rejeté la misogynie de Freud, et par Reich, encore plus dissident, entre autres. Il a fait ses Gestalt-show devant Lowen, Bandler et Grinder, Grof et Berne notamment.
                                                                                                                                                          L’étude de ce courant gestaltique est une nouvelle tentative –après celle de l’EMDR – d’intégrer les méthodes et théories grâce à notre épistémologie. Le propos, ici, est bien plus difficile qu’avec l’EMDR parce que la Gestalt est une méthode complexe, utile pour la séquence moyenne alors que l’EMDR est une thérapie courte. Voici ce que dit le postfacien du livre de Perls à ses clients : « au bout de six mois, un an, deux ans vous aurez atteint les objectifs » (p. 125).
                                                                                                                                                          Nous nous servirons du seul livre écrit par Perls lui-même à la fin de sa vie : « Manuel de Gestalt-thérapie, la gestalt : un nouveau regard sur l’homme ».
                                                                                                                                               
                                                                                                                                               
                                                                                                                                              • II. Les fondements théoriques et conceptuels

                                                                                                                                              • Cinq concepts fondent la Gestalt-thérapie selon ce livre ; nous y ajouterons 2 autres, un premier et un septième.
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                1)     L’opposition à la psychanalyse de Freud
                                                                                                                                                Perls a complètement rejeté la psychanalyse orthodoxe et s’oppose point à point aux principales caractéristiques de cette dernière. C’est plus qu’une conviction professionnelle ou scientifique ; c’est une attitude politique qui l’a longtemps desservi puis enfin consacré comme « gourou des hippies »:
                                                                                                                                                Il s’oppose                                                  il propose l’inverse 
                                                                                                                                                - au verbal                                                     →        la mise en acte,
                                                                                                                                                - au pourquoi                                                →        le comment,
                                                                                                                                                - au passé                                                     →        le hic et nunc,
                                                                                                                                                - à l’inconscient                                            →        le non-conscient,
                                                                                                                                                - à la longueur des cures                            →        la durée de six mois à 2 ans,
                                                                                                                                                - aux interprétations simples                      →        la complexité de la gestalt,
                                                                                                                                                - à l’Œdipe                                                    →       
                                                                                                                                                - aux causes inconscientes et passées   →           le choix et la responsabilité    présente,
                                                                                                                                                - au transfert                                            →               le plein contact,
                                                                                                                                                etc.…
                                                                                                                                                            Tous les grands principes, concepts, protocoles, toutes les attitudes et théorisations sont critiquées et corrigées par leur inverse.
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                2)     La Gestalt ou forme, structure d’ensemble
                                                                                                                                                est empruntée à la Gestalt-psychologie de Köhler et Goldstein (directeur de thèse de Laura). Voici deux aspects descriptifs :
                                                                                                                                                            « L’organisation des phénomènes en un ensemble … »
                                                                                                                                                            « Un élément prend sens par rapport à l’ensemble, il se met en avant-plan par rapport à l’arrière plan »
                                                                                                                                                            Deux figures bien classiques rendent encore mieux compte de ce qu’est la Gestalt en tant que forme. On perçoit d’abord un ensemble (cube ou vase) avant les détails. Très récemment, on s’est rendu compte que le passage d’une figure à l’autre (pour chaque dessin) se fait automatiquement : c’est la « perception bistable ».
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                3)     L’homéostasie, concept élaboré par Cannon
                                                                                                                                                -         «  La vie est faite d’un jeu continuel de rééquilibrages organiques » (p. 23) (dans un) « processus d’autorégulation », (p. 24).
                                                                                                                                                -         Il en va de même pour le besoin de « contact » relationnel qui s’autorégule,
                                                                                                                                                -         ainsi que pour les deux appétences fondamentales : survie et croissance.
                                                                                                                                                -         Il en découle une « hiérarchie des valeurs » et son aspect psychologique d’adaptation. (p. 25, 26)
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                4)     La doctrine holistique empruntée à Smuts,
                                                                                                                                                président de l’Afrique du Sud et philosophe :
                                                                                                                                                -         l’homme est un « organisme unifié » (p. 27) ;
                                                                                                                                                -         action et pensée se complètent ;
                                                                                                                                                -         l’esprit fonctionne à trois niveaux : l’attention intense,
                                                                                                                                                                   l’awareness diffuse,
                                                                                                                                                                   la contemplation « fantasmatique » (p. 29) ;
                                                                                                                                                -         « le concept holistique de champ unifié pour approcher l’homme entier, dans sa globalité, qui accède à la « plénitude » (p. 32-33).
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                5)     La frontière – contact entre l’individu et l’environnement/entourage, entre l’intérieur et l’extérieur qui sont en coopération mutuelle, en opposition dialectique.
                                                                                                                                                -         L’individu a besoin de l’extérieur pour satisfaire son besoin, le besoin dominant, qui est en avant-plan de la gestalt. (p. 34)
                                                                                                                                                -         La satisfaction du besoin pousse à l’impatience, sa non satisfaction, à l’effroi. (p. 36)
                                                                                                                                                -         Relation champ/organisme de Kurt Lewin.
                                                                                                                                                -         La névrose est une rigidité qui empêche ce contact (ou retrait) souple avec le champ pour la satisfaction du besoin ; incapacité de faire des choix ; de former, achever une Gestalt (p. 38-39).
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                6)     La force fondamentale qui assure tous ces processus (achèvement de la Gestalt, homéostasie, holisme, contact) est l’émotion, le « langage même de l’organisme ». (p. 40)
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                7)     Le cercle de la Gestalt vient synthétiser ces concepts fondamentaux en un fil conducteur qui sert de trame à la thérapie.
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                            Schéma 46 : le cercle de Gestalt ou cycle de satisfaction du besoin
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                Des processus psychopathologiques précis viennent interrompre ce cercle de la satisfaction du besoin en ses différentes étapes ; ils sont au nombre de quatre.
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                • III. Les mécanismes névrotiques

                                                                                                                                                • Malgré sa rébellion contre la psychanalyse et contre Freud (qui n’a accordé que 3 minutes au représentant de la psychanalyse en Afrique du Sud !), Perls a retenu quatre processus psychopathologiques qui ne sont autres que des mécanismes de défense ou résistances, évoqués par les psychanalystes (parmi la cinquantaine de répertoriés) : l’introjection, la projection, la confluence et la rétroflexion.
                                                                                                                                                  Ce sont les quatre avatars de ce qui fige le névrosé dans un comportement obsolète, alors qu’il devrait être en interaction dans le champ global organisme/environnement. Les névroses sont des perturbations de frontière, consécutives à un événement traumatogène grave unique ou à des interférences chroniques plus bénignes.
                                                                                                                                                   
                                                                                                                                                  1)     L’introjection
                                                                                                                                                  -         « Toutes les attitudes étrangères, les façons d’agir, de ressentir, de juger qui sont mal digérées… l’introjection est le mécanisme par lequel ces agglomérats se greffent sur notre personnalité » ; (p. 48)
                                                                                                                                                  -         « l’introjecté est incapable de développer se personnalité, tout occupé à maintenir en place les corps étrangers ; l’introjection désintègre la personnalité « ; (p. 48)
                                                                                                                                                  -          l’incorporation des références, des attitudes, des façons d’agir et de penser qui ne nous appartiennent pas ». (p. 49)
                                                                                                                                                   
                                                                                                                                                  2)     La projection
                                                                                                                                                  -         « Tendance à rendre l’environnement/entourage responsable de ce qui devrait être attribué à soi-même » ; (p. 49)
                                                                                                                                                  -         «  la projection consiste donc à incurver la frontière entre soi-même et le reste du monde en sa faveur, de façon à pouvoir désavouer et renier les aspects de sa personnalité que l’on y trouve grossiers, déplaisants ou ennuyeux ». (p. 51)
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                  3)     La confluence
                                                                                                                                                  -         « L’individu ne sent plus aucune limite entre lui-même et son environnement, tout deux sont devenus une seule et même chose ». (p. 51)
                                                                                                                                                  -         L’extase, la grande joie, la concentration extrême sont des confluences ponctuelles normales ; mais quand ce phénomène d’identification totale devient chronique et que l’individu perd la capacité de faire la distinction entre lui et le monde, il tombe psychologiquement malade ». (p. 52)
                                                                                                                                                  -         «  La confluence pathologique se caractérise par l’intolérance et le refus de toute différence », comme « chez les parents qui considèrent leurs enfants comme de simples prolongements d’eux-mêmes ». (p. 53)
                                                                                                                                                   
                                                                                                                                                  4)     La rétroflexion
                                                                                                                                                  -         «  Se retourner contre ».
                                                                                                                                                  -         Tracer une ligne-frontière entre lui-même et l’environnement, en plein milieu… de lui-même (p. 53).
                                                                                                                                                  -         La rétroflexion s’exprime par la présence de « je » et de « me » (ou « moi ») dans la même phrase : l’acteur s’applique l’action à lui-même. (p. 54)
                                                                                                                                                   
                                                                                                                                                  • IV. L’intégration des théories gestaltiques dans le paradigme holanthropique

                                                                                                                                                  • Les fondements de la Gestalt et ses quatre processus psychopathologiques interpellent deux modèles du paradigme holanthropique, les modèles ontopathologique et complexification / plénarité. Commençons par le premier pour y situer le cercle de la gestalt et les quatre symptômes.
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                    1)     le modèle ontopathologique
                                                                                                                                                    Rappelons-nous la trame du modèle ontopathique et portons-y le cercle de la gestalt mais en l’ouvrant comme une pulsation.
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                    schéma 47
                                                                                                                                                    Schéma 47 : le cercle de la gestalt intégré au modèle ontopathologique
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                    Ce cercle ouvert comporte les sept temps de la satisfaction du besoin. Nous proposons de considérer les trois premiers temps comme des étapes successives :
                                                                                                                                                    - sentir, percevoir   :                                  c’est socio-
                                                                                                                                                    - conscientiser :                                         c’est psycho-
                                                                                                                                                    - mobiliser l’énergie pour agir :               c’est somato-
                                                                                                                                                    -   l’action doit en découler pour rester dans le champ unifié là où je suis moi, soi, gestalt, global ;
                                                                                                                                                    -   sinon les trois premières étapes dérapent en stress, pensée automatique, spasme physique, toutes manifestations d’introjection ;
                                                                                                                                                    -   l’action évite cette pathologie et recentre, facilitant le contact ;
                                                                                                                                                    -   ce contact se fait en lâcher prise, ouverture, communication sinon communion 
                                                                                                                                                    -   et peut déraper en « projection » 
                                                                                                                                                    -   si ce contact total ne se résout pas et n’amène pas le retrait après satisfaction.
                                                                                                                                                                Nous avons là les étapes de la pulsation plénière, du bouclage de la gestalt, de la satisfaction du besoin et, à défaut, des glissements :
                                                                                                                                                    -         par excès de maîtrise jusqu’au stress et l’introjection,
                                                                                                                                                    -         par excès de contact jusqu’à l’état de choc et la projection.
                                                                                                                                                                En effet, ces deux premiers processus pathologiques retenus par la gestalt ne sont autres que nos deux symptomatologies du premier degré de gravité : stress et choc.
                                                                                                                                                                En cas d’accentuation de la gravité :
                                                                                                                                                    -         le stress produit du clivage et l’introjection débouche sur la rétroflexion d’une part,
                                                                                                                                                    -         le choc s’aggrave en amalgame et la projection en confluence d’autre part.
                                                                                                                                                    La Gestalt Thérapie nous propose la parfaite illustration de notre modèle ontopathologique. Quant à ce dernier, il éclaire bigrement ce qui reste un peu flou des quatre processus gestaltiques.
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                    2)     Le modèle complexification / plénarité
                                                                                                                                                    Rappelons-nous cet autre modèle issu de la came du moulin, via René Thom et Michèle Porte. Il représente l’enrichissement permanent de la vie humaine, son auto-organisation et son homéostasie. Ce modèle qui se veut aussi simple que les concepts gestaltistes nous permet de représenter les quatre processus pathogènes.
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                    schéma 48
                                                                                                                                                    Schéma 48 : rappel du modèle complexification/plénarité
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                    schéma 49
                                                                                                                                                     Schéma 49 : l’introjection comme présence d’un corps étranger non assimilé en soi
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                    schéma 50
                                                                                                                                                     Schéma 50 : la projection de soi sur un corps extérieur
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                    schéma 51
                                                                                                                                                     Schéma 51 : la confusion comme englobement de l’environnement sans plénarisation
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                    schéma 52
                                                                                                                                                     Schéma 52 : la retroflexion comme séparation étanche du moi et de l’environnement.
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                    • V. Eléments de clinique : manipulations et caractéromes

                                                                                                                                                    • Lorsqu’il aborde de façon plus pratique le comportement du névrosé, Perls insiste sur des manifestations qu’il traite de « manipulations », de façon peu médicale. Mais il abandonne aussi le terme de « patient » pour lui substituer celui de « client ». Voici quelques exemples de manipulations :
                                                                                                                                                      « Il peut noyer son interlocuteur sous un flot de paroles ou bouder en silence…flatter, caresser ou se rebeller et tout saboter… flatter notre vanité ou blesser notre fierté…
                                                                                                                                                                  « Si le thérapeute s’intéresse aux transferts, n’importe qui deviendra son père ou sa mère, avec quelques frères et sœurs en prime…
                                                                                                                                                                  « Son autre technique manipulatrice est de poser des questions ; elles ont pour fonction de nous tester, de nous piéger, de nous déconcerter, de faire appel à notre supposée omniscience… (p. 60)
                                                                                                                                                      « Que se passe-t-il alors dans le cas d’un investissement négatif ? Le patient peut avoir peur que la thérapie, au lieu de l’aider, le plonge dans une zone indécise dans laquelle se dissoudraient les étais qui l’empêchaient de tomber… (p. 60 et 61)
                                                                                                                                                      « Le patient s’est donné beaucoup de mal pour construire un concept de soi, … un self-system, idéal du moi, persona, etc.… (p. 61)
                                                                                                                                                      Toutes ces citations doivent nous faire sentir qu’il s’agit ici de traits de caractère, de caractéromes comme nous les appelons. Or ce sont bien ces troubles de personnalité qui constituent l’indication même des cures de durée moyenne (1 à 2 ans) dont la Gestalt est un parfait exemple.
                                                                                                                                                                  Ces dites « manipulations » nous rappellent l’apport de Wilhelm Reich à la psychanalyse avec la mise en évidence du « transfert négatif ». Chez lui aussi, il s’agit principalement de traits de caractère
                                                                                                                                                      -         qui s’opposent à l’attachement par peur de dépendance et d’abandon,
                                                                                                                                                      -         qui refusent le changement nécessaire à la guérison. « Le patient peut avoir peur que la thérapie le plonge dans une zone indécise » dit Perls en échos.
                                                                                                                                                      Il ne s’agit nullement de la « névrose de transfert » psychanalytique mais de l’étape précédente, d’attachement, qui caractérise la séquence de durée moyenne de la cure thérapeutique. Cela colle bien avec la volonté de Perls de squizzer cette névrose de transfert. Mais pour cela il faut raccourcir la durée de la thérapie, être relativement directif, centrer sur le hic et nunc et proposer un protocole simple et solide, tel le cercle de la Gestalt. Il y a sept étapes tout comme il y a sept niveaux musculo-caractériels en thérapie post-reichienne.
                                                                                                                                                       
                                                                                                                                                      • VI. L’intégration des processus thérapeutiques gestaltiques dans le modèle ontothérapeutique

                                                                                                                                                      • Dans le domaine de la clinique, il faut souligner les pratiques très explicites qui doivent favoriser la reconnexion des éléments clivés par l’introjection et la rétroflexion, pratiques telles que l’awareness (prise de conscience), la navette, le psychodrame emprunté à son ami Moreno.
                                                                                                                                                        Pour ce qui concerne le traitement des états de choc et d’amalgame (projection et confluence), Perls nous parle fort étonnamment de la traversée de la confusion qui… nous rappelle bien quelque chose ! Il faut « accéder à une zone confusionnelle… ».
                                                                                                                                                        - « L’expérience de désarroi confusionnel est vraiment très, très déplaisante, comme celle de l’angoisse, de la honte ou du dégoût… (p. 105)
                                                                                                                                                        - « Si on laisse le désarroi confusionnel évoluer de lui-même… il se transforme… en un sentiment plus positif… (p. 106)
                                                                                                                                                        - « Une fois que notre patient accepte la réalité de l’existence de zones confusionnelles… le thérapeute lui demande alors d’imaginer qu’il saute par-dessus le mur. Et il découvre derrière l’obstacle, des… pâturages verts ».
                                                                                                                                                        - « Notre patient peut également souffrir d’une absence totale d’images, un trou noir complet (p. 107).
                                                                                                                                                        - « Une dernière étape reste à franchir… Il s’agit d’une expérience extraordinaire, troublante, souvent proche du miracle. Nous l’appelons le « retrait dans le vide fertile ». La confusion, là, elle se transforme en clarté. Le vide fertile renforce l’autonomie interne : l’expérimentateur s’aperçoit qu’il dispose de beaucoup plus de ressources qu’il ne croyait ». (p. 108-109)
                                                                                                                                                        Donnons-le en mille. Perls décrit ici la subversion de la structure mentale (confusion, tunnel noir…) l’accès à la nature de l’esprit (clarté, miracle) et paraphrase l’éveil des purs processus inconscients qui deviennent constituants (autonomie, ressources). Toutes choses que nous avons décrites à propos de la Pneumanalyse, de la Présence Juste, mais aussi de la psychose aigüe.
                                                                                                                                                        Et ceci peut se produire dans une pure interaction gestaltique, très émotionnelle évidemment. Et il y a même un truc, une botte secrète : « on doit opérer très vite, pendant les quelque trois minutes… ». Et Perls d’ajouter, fair play, « je suis redevable de cette idée à mon collègue, le Dr. Paul Weiss ». (p. 109)
                                                                                                                                                        Ce travail sur et par la confusion entraîne Perls dans la pathologie du troisième degré de gravité que nous appelons « dissolution ». Mais la Gestalt ne traite généralement que les symptômes et caractéromes (névroses et troubles de la personnalité), premier et deuxième degré de gravité. Nous avons pu ordonner ces pathologies selon la polarité structuro-fonctionnelle. Nous pouvons aussi lire dans la manuel de la Gestalt que les processus thérapeutiques se rangent dans le même modèle, sans trop solliciter ces textes.

                                                                                                                                                        1) Réintégration des parties dissociées « Le névrosé se dissocie de lui-même… il se retrouve dans une position où, ayant abdiqué sa responsabilité, il a également renoncé à sa capacité de réagir et à sa liberté de choix. Pour obtenir la réintégration des parties dissociées, nous devons mobiliser toute la responsabilité qu’il est prêt à assumer. » (p. 88)

                                                                                                                                                        2) Interruption de la confluence Perls prend l’exemple d’un symptôme psychosomatique, l’incapacité de pleurer. « Les victimes ont d’un coté verrouillé ensemble le contrôle des muscles oculaires avec le besoin de pleurer et de l’autre, le contrôle de la respiration avec les réactions émotionnelles. Une fois que les deux éléments de chaque paire se sont amalgamés l’un à l’autre, l’interruption de l’un des deux termes aura pour effet d’interrompre l’autre. Notre travail consiste à dissocier les deux éléments, à dissoudre le lien qui les unit. » (p. 88-89)
                                                                                                                                                        C’est ce que nous appelons le désamalgamage.

                                                                                                                                                        3) Reconnexion de la rétroflexion (clivage)
                                                                                                                                                        « Comment la rétroflexion se manifeste-t-elle ? Généralement, dans les attitudes physiques du patient et dans l'emploi réflexif des pronoms « me » ou « moi ». Supposons, par exemple, que le patient commence à tapoter l'une de ses paumes avec son poing pendant qu'il est en train de parler. Il est évident qu'il s'agit là d'un comportement typiquement rétroflexif. Si le thérapeute lui demande : « A qui voulez-vous donner des coups de poing ? », le patient risque la première fois de regarder le thérapeute avec stupéfaction : « Oh c’est juste une manie, une habitude nerveuse ».
                                                                                                                                                        « Si son geste réapparaît régulièrement, le patient fournira un jour au thérapeute une réponse directe venant du soi. Il dira : « ma mère », ou bien : « mon père », ou encore : « mon patron », ou même : « vous ». Quelle que soit sa réponse, le patient sera alors devenu conscient de sa façon d'agir, de ses motivations et de lui-même. » (p.89)

                                                                                                                                                        4) Réappropriation de la projection « Quand le patient dit une phrase qui apparaît comme une projection : on peut réagir en lui demandant plusieurs choses. S'il a parlé en employant le pronom « ça » (« ça m'ennuie » par exemple), comme dans le cas de la migraine, il faut d'abord obtenir qu'il s'associe lui-même avec son mal de tête. Il le fera en examinant comment il s'y prend pour se faire mal : ainsi, sa migraine n'est plus un vague « ça » extérieur, mais devient partie intégrante de lui-même. Dans le cas où il expose une opinion sur autrui qui n’est en réalité qu’une projection (« Ils ne m’aiment pas », où « Ils en ont toujours après moi »), on lui demande d'inverser sa phrase : «Je ne les aime pas » ou «J'en ai toujours après eux ». On peut la lui faire répéter jusqu’à ce qu’il sente qu’elle est une véritable expression de soi. » (p. 89-90)


                                                                                                                                                        5) Expulsion de l’introject
                                                                                                                                                        « Pour traiter l’introjection on fait exactement l'inverse : il faut rendre le patient conscient de son attitude envers le matériel introjeté. Il est intéressant de voir, une fois qu’il a compris émotionnellement (emotional awareness) qu'il avait avalé une information directement, comment cette prise de conscience se transforme rapidement en un sentiment physique et réel de nausée et en une envie de vomir. » (p. 90)

                                                                                                                                                        6) Traversée de la confusion jusqu’aux purs processus inconscients : (voir ci-dessus) Cette présentation résumée issue d’un manuel lui-même résumé de 120 pages est très claire quand nous la lisons à partir de nos modèles holanthropiques. Appelons à la rescousse un autre schéma, le modèle ontothérapeutique.

                                                                                                                                                        schéma 53

                                                                                                                                                         Schéma 53 : le modèle ontothérapeutique et les propositions de la Gestalt

                                                                                                                                                        Les quatre mécanismes névrotiques élargis à six s’ordonnent et se réduisent aux deux ensembles clivage/amalgame. Les six processus thérapeutiques leurs correspondent exactement en toute cohérence. Perls à simplifié la psychopathologie tout autour de l’essentiel. Nous aussi !
                                                                                                                                                                    Il nous reste à établir une dernière concordance entre Gestalt et Somato- sous la forme d’un tableau qui associe les deux apports autour de deux concepts fondamentaux :
                                                                                                                                                        -         degré de gravité de la souffrance,
                                                                                                                                                        -         étape de la cure séquentielle.
                                                                                                                                                         
                                                                                                                                                        gravité
                                                                                                                                                        de la
                                                                                                                                                        pathologie
                                                                                                                                                        1er degré
                                                                                                                                                        2ème degré
                                                                                                                                                        3ème degré
                                                                                                                                                        caractéristiques
                                                                                                                                                        Gestalt et
                                                                                                                                                        holanthropiques
                                                                                                                                                        concepts psychopathologiques
                                                                                                                                                        symptôme
                                                                                                                                                        trouble de la personnalité (caractérome)
                                                                                                                                                        syndrome
                                                                                                                                                        concepts ontopathologiques
                                                                                                                                                        stress
                                                                                                                                                        choc
                                                                                                                                                        clivage
                                                                                                                                                        amalgame
                                                                                                                                                        dissociation
                                                                                                                                                        dissolution
                                                                                                                                                        concepts gestaltiques
                                                                                                                                                        introjection
                                                                                                                                                        projection
                                                                                                                                                        rétroflexion
                                                                                                                                                        confluence
                                                                                                                                                        dissociation
                                                                                                                                                        confusion
                                                                                                                                                        durée de la thérapie
                                                                                                                                                        thérapie
                                                                                                                                                        courte
                                                                                                                                                        psychothérapie
                                                                                                                                                        moyenne
                                                                                                                                                        analyse
                                                                                                                                                        longue
                                                                                                                                                        cible fonctionnelle
                                                                                                                                                        de l’ontothérapie
                                                                                                                                                        fonctions différenciées
                                                                                                                                                        fonctions plénarisantes
                                                                                                                                                        éveil des purs processus inconscients
                                                                                                                                                        processus thérapeutique
                                                                                                                                                        en Gestalt
                                                                                                                                                        expulsion
                                                                                                                                                        réappropriation
                                                                                                                                                        reconnexion
                                                                                                                                                        interruption
                                                                                                                                                        réintégration
                                                                                                                                                        traversée de la confusion
                                                                                                                                                         
                                                                                                                                                        Tableau 38 : gravité de la pathologie et cure séquentielle, Gestalt et modèles ontopathologique et ontothérapeutique.
                                                                                                                                                         
                                                                                                                                                        Comme souvent dans ce livre, l’absence d’explications supplémentaires oblige à se pencher sérieusement sur ce nouveau puzzle pour laisser venir spontanément son enseignement comme une Gestalt dont l’ensemble donne sens à chacun des détails qui se mettra successivement en avant-plan.
                                                                                                                                                         
                                                                                                                                                        • VII. Les outils thérapeutiques

                                                                                                                                                        • La Gestalt-thérapie est active, relativement directive, basée sur un certain apprentissage. Les outils sont nombreux et inventifs, choisis éclectiquement dans le vaste champ des nouvelles thérapies qui ont fleuri à l’époque de la contre-culture, à Esalen notamment.
                                                                                                                                                                      Ils se construisent sur l’opposition à la psychanalyse, mais aussi sur le rejet du comportementalisme naissant et trop sommaire. Perls n’a pas aligné de longue liste d’exercices, se contentant d’animer des ateliers de démonstration pendant lesquels il traitait un « client » devant le groupe. Il n’y a pas d’analyse de la dynamique de groupe en Gestalt, ce qui peut expliquer l’échec très rapide du Gestalt kibboutz. Voici néanmoins quelques méthodes présentées dans le « Manuel de la Gestalt-thérapie ».
                                                                                                                                                           
                                                                                                                                                          1)     La thérapie de l’ici et maintenant et l’awareness
                                                                                                                                                          « La Gestalt est une thérapie expérientielle plutôt que verbale ou interprétative » destinée à résoudre les problèmes aujourd’hui.
                                                                                                                                                          « Nous demandons au patient de prendre conscience de ses gestes, de sa respiration, de ses émotions, de sa voix, de ses expressions faciales, autant que de ses pensées prégnantes ». (p. 74)
                                                                                                                                                          « Chaque séance de thérapie commence et se poursuit par un exercice fondamental : Maintenant je suis conscient de… » (p. 75)
                                                                                                                                                          Il s’agit du fameux « awareness », différent du conscious (freudien).
                                                                                                                                                          « L’awareness, le contact et le présent sont les trois facettes d’un seul et même processus ». (p. 76)
                                                                                                                                                          Et nous, nous cultivons cet awareness par la Présence Juste et toutes les Somatothérapies.
                                                                                                                                                           
                                                                                                                                                          2)     Empêcher ou amplifier l’auto-interruption du « cercle de satisfaction du besoin »
                                                                                                                                                          « Toute la névrose est là. Le névrosé possédant un sens de lui-même assez pauvre, il interrompt constamment son soi véritable (son self). » (p. 83)
                                                                                                                                                                      « Poser trois questions :
                                                                                                                                                          -     que faites-vous ?
                                                                                                                                                          -     que ressentez-vous ?
                                                                                                                                                          -     que voulez-vous ? (p. 84)
                                                                                                                                                          « Frustrer le patient en refusant de répondre à ses questions. » (p. 84)
                                                                                                                                                          « Trois faits importants :
                                                                                                                                                          -     le thérapeute peut toujours travailler avec les événements présents,
                                                                                                                                                          -     il peut intégrer immédiatement tout ce qui surgit au cours de la séance,
                                                                                                                                                          -     il peut proposer des expérimentations. (p. 91)
                                                                                                                                                          « Nous demandons également à tous nos patients de faire des devoirs à la maison : Il s’agit de s’imaginer que l’on est revenu dans le cabinet de consultation. « Que se passe-t-il alors ? Qu’est-ce que je pense et ressens ? Puis-je passer en revue toute la séance sans difficulté ? Est-ce que je repère des trous, des lacunes, dans mon souvenir ? » (p. 92)
                                                                                                                                                          (Un autre exemple d’application de l’auto-interruption nous a été donné avec le travail sur la confusion)
                                                                                                                                                           
                                                                                                                                                           
                                                                                                                                                          3)     La navette
                                                                                                                                                          « Les Freudiens s’en servent pour analyser les rêves : ils demandent au patient de faire la navette entre le contenu manifeste du rêve et les associations qu’il évoque. Mais en Gestalt-thérapie cette technique est appliquées d’une manière systématique et totalement nouvelle » (p. 95).
                                                                                                                                                          « Nous faisons la navette entre la reviviscence du souvenir et l’ici et maintenant » (p. 97).
                                                                                                                                                          Et cela inclut visualisations, anamnèses, proprioceptions, sensations kinesthésiques, mouvements involontaires du patient (haussement d’épaules, balancement du pied etc.) (p. 97)
                                                                                                                                                          « La navette mentale… accroît l’awareness et le self-support, (l’auto-étayage ou autonomie interne). (p. 102)
                                                                                                                                                           
                                                                                                                                                          4)     Psychodrame, monodrame et hot seat
                                                                                                                                                          Nous avons évoqué le psychodrame de Moreno dans ce livre. Perls l’utilise beaucoup. En individuel, il parle de monodrame. Nous lui devons le fameux hot seat, chaise brûlante, qui consiste à placer une chaise vide en face du client sur laquelle le patient assied la personne (imaginaire) avec laquelle il a à communiquer. Après un temps, le client se met sur l’autre chaise et entre dans le rôle de ce correspondant. Perls fait changer de place pour qu’un dialogue imaginaire se développe jusqu’à… satisfaction de ce besoin relationnel.
                                                                                                                                                          Dernier outil documenté par Perls, le travail sur la confusion que nous avons vu ci-dessus.
                                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                          • Conclusion

                                                                                                                                                          • Toutes ces méthodes sont largement représentées dans notre démarche intégrative à l’Eepssa comme dans de nombreuses méthodes éclectiques. Ajoutons sans fausse modestie que, par rapport à la Gestalt, la démarche intégrative a quelques atouts :
                                                                                                                                                            -         elle intègre psychanalyse et… Gestalt ;
                                                                                                                                                            -         de plus, elle intègre ce qui s’impose de bon depuis ces cinquante dernières années ;
                                                                                                                                                            -         elle ne constitue pas un nouveau système qui se referme sur lui-même et continue à accueillir ce qui se fait de neuf au niveau professionnel.
                                                                                                                                                            Contrairement à ce qu’a fait Perls vis-à-vis de la psychanalyse, nous n’avons pas diabolisé la Gestalt mais, au contraire, fait ressortir ses principaux aspects pour nous en enrichir.
                                                                                                                                                                        En effet, la Gestalt est le modèle même de la durée moyenne (de 1 à 2 ans) de la cure séquentielle. Il est à espérer que la Gestalt actuelle puisse aussi s’inspirer de la démarche méthodologique et épistémologique que nous faisons ici.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                          • Résumé : Quelques mots sur la Gestalt-thérapie

                                                                                                                                                          • Voici, en résumé la présentation de la Gestalt-thérapie que donne Martine Capron, formatrice à l’Eepssa. Ce digest est maintenant totalement assimilable après avoir acquis les bases scientifiques de la méthode.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            « La Gestalt-thérapie s’appuie sur deux principes fondamentaux : être ici et maintenant, être en contact (avec soi et son environnement). Facile à dire ! Pas si facile à faire.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            La Gestalt nous apprend à lâcher petit à petit notre passé et à prendre responsabilité pour tout ce qui nous arrive au lieu de continuer à rejeter la faute sur papa et maman qui n’ont pas fait pour nous tout ce que nous étions en droit d’attendre d’eux, et sur la société qui nous a si souvent réprimés.
                                                                                                                                                            Bien sûr que pour la plupart d’entre nous papa et maman n’ont pas été comme nous aurions aimé qu’ils soient et que notre société est loin d’être idéale mais, en reprenant la responsabilité de ce qui nous arrive, nous pouvons passer de victimes impuissantes à acteurs et actrices créateurs/créatrices de notre vie. C’est tellement plus dynamique !
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Pour arriver à cela, il faut pouvoir achever une série de « gestalts » inachevées, c’est-à-dire terminer des cycles de satisfaction de nos besoins ou « cycles de contacts » qui ont été interrompus à divers moments de notre vie dans certaines relations importantes. 
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            La Gestalt explique que toute rencontre entre un individu et son environnement va s’articuler le long d’un « cycle de contacts », l’environnement pouvant être une autre personne comme un parent, un conjoint, un enfant, mais aussi un groupe affectivement proche ou non, des problèmes existentiels, des croyances, etc…
                                                                                                                                                            Le cycle de contacts se subdivise en 4 phases principales : le pré-contact ou émergence du désir étant une phase essentiellement de sensations, la prise de contact étant une phase active de confrontation avec l’environnement, le plein contact étant le moment de rencontre, d’interaction, et finalement le retrait étant une phase d’assimilation de l’expérience vécue. A chaque phase il peut se produire une perturbation, un blocage chez l’une ou l’autre personne qui interrompt le développement harmonieux du cycle de contacts et empêche son achèvement.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Dans la relation avec l’un de ses parents, par exemple, il est nécessaire, pour achever un cycle interrompu, d’oser lui exprimer complètement – même si ce parent est déjà mort – tout ce que l’on ressent à son égard et qu’on n’a jamais osé lui exprimer vraiment (colère, peine, peur… mais aussi amour, tendresse…) et pouvoir ensuite lui pardonner – dans le sens gestaltique de ce mot, c’est-à-dire lui donner, lui rendre sa part de responsabilités dans ce qui s’est mal passé entre ce parent et nous et reprendre la nôtre – pour finalement pouvoir lui dire au-revoir et nous sentir en paix avec lui,  à nouveau disponible pour d’autres relations.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Une des grandes techniques de la Gestalt pour arriver à ce résultat est la mise en actes ou en action et la plus célèbre de ces mises en action est la « chaise vide » ou « hot seat »(chaise brûlante) sur laquelle la personne qui travaille assoit virtuellement la personne à qui elle a des choses à exprimer. Dans mon exemple, c’est le parent – père ou mère – que l’on assoit sur cette chaise.
                                                                                                                                                            Ce qui est des plus troublants dans cet exercice, c’est quand le(a) thérapeute vous suggère d’aller vous asseoir vous-mêmes sur cette chaise et de devenir cette personne qui va vous répondre par votre bouche… C’est étonnant tout ce qui vient à la conscience à ce moment-là.
                                                                                                                                                            On découvre, parfois pour la première fois, quels étaient les vrais sentiments de ce parent à notre égard, sentiments qu’il n’a pas pu nous exprimer comme nous en aurions eu besoin. Une rencontre très intime et une ouverture très grande peuvent alors se faire en nous et nous libérer d’émotions et de sentiments négatifs qui étaient jusque là restés bloqués dans notre corps et notre psychisme.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Après de telles expériences et prises de conscience que permettent la Gestalt, nos relations avec les autres changent. Nous pouvons en effet cesser de projeter les griefs que nous avions contre notre père et/ou notre mère sur tous les hommes et/ou toutes les femmes avec lesquels nous entrons en relation et commencer à les rencontrer vraiment ici et maintenant, pour ce qu’ils sont et non comme des substituts de nos parents.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Là où la Gestalt devient une thérapie très corporelle et rejoint très fort la Somatothérapie, c’est lorsqu’elle insiste sur la nécessité de prendre conscience du langage du corps. Pour cela, le Gestalt-thérapeute observe les mimiques, les gestes, les postures – souvent inconscients – de la personne et lui propose de les amplifier jusqu'à ce qu’une signification s’en dégage (ex : la main qui reste devant la bouche en parlant, les épaules voûtées et la tête rentrée, le pied qui tapote le sol, etc…). Très souvent ces gestes et ces mimiques contiennent ou expriment des émotions que la personne ne se permet pas d'exprimer ouvertement et ce travail peut alors amener une prise de conscience et une libération de ces émotions.
                                                                                                                                                            Considéré comme une thérapie de contact, la Gestalt encourage aussi les personnes à toucher et à se laisser toucher, ce qui aide à accroître la conscience corporelle (ex : toucher pour faire prendre conscience d’une tension, pour faire mieux sentir la respiration, pour accompagner le vécu d’une émotion, pour exprimer de la tendresse,…). Ce toucher peut même aller jusqu’au corps à corps (ex : se prendre dans les bras, s’affronter physiquement – sans se faire mal -).
                                                                                                                                                            Il existe aussi le « Gestalt Sensitive Massage » qui vise la détente et l’unification de tout le corps  et développe la capacité à donner et à recevoir tendresse et énergie.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Dans le groupe de formation, la gestalt-thérapie est utilisée autant dans les exercices de danse (travail en contact dans l’ici et maintenant) qu’au moment des feed-backs en groupe, ce qui permet un travail de prise de conscience de ce qui se passe pour chacun(e) dans et avec le groupe.
                                                                                                                                                            Une lecture intéressante pour aborder la gestalt-thérapie :
                                                                                                                                                            « La Gestalt, une thérapie du contact » de Serge Ginger Editions Hommes et Groupes, Paris – 1990 »
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                          • Chapitre 16 : L’intégralité est plus que l’addition des méthodes et théories intégrées

                                                                                                                                                          • Nous l’avons déjà évoqué. Il se passe quelque chose de remarquable dans cette démarche intégrative quand ça passe tout d’un coup de la juxtaposition et de la recombinaison des différentes parties à la globalité de « la » psychothérapie. Au départ, nous nous sommes inspirés de Bertrand Russel et de son principe des types logiques. Aujourd’hui nous écoutons les sciences de la complexité : la somme est plus que la seule addition des parties. Cette réalité est encore plus criante dans les sciences de la vie et les sciences humaines dont fait partie la psychothérapie.
                                                                                                                                                            Deux processus tout aussi remarquables découlent de cet effet de globalité :
                                                                                                                                                            -         le signalement du moment d’intégration par la survenue de ce « plus », telle l’expérience plénière par exemple faisant basculer le difficile travail de plénarisation vers la plénitude ;
                                                                                                                                                            -         l’enrichissement des parties par l’apport du tout nouveau « tout », telle la classification des thérapies courtes selon trois mécanismes thérapeutiques : re-connexion, dés-amalgame et dé-blocage, par exemple.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Et cela découle du postulat structuraliste de pluriglobalité.
                                                                                                                                                            Et pourtant il ne s’agit pas de l’intégrale
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Et là nous nous référons à la musique. Eh bien non ! Ce ne sera pas l’intégrale des œuvres telles que promise, évoquée, esquissée. Il n’y a pas tout, mais il y a plein :
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            -         les principaux courants que le consensus actuel reconnaît : cognitivo-comportemental, stratégico-systémique, somatothérapique-somatanalytique, humaniste-transpersonnel, psychanalytique et …intégratif ;
                                                                                                                                                            -         les grands auteurs à commencer par les classiques (Freud, Ferenczi, Reich, Jung, Lacan ; Wolpe, Beck, Erickson…) ; en continuant avec les psycho-corporels (Lowen, Janov, Casriel) pour capter ce que des créateurs contemporains apportent comme renouvellement (Veldman, Shapiro, Hellinger, Lazarus, Norcross) ;
                                                                                                                                                            -         tous les cadres de vie, duel évidemment mais aussi solo (Présence Juste), conjugo (avec Caillé), et socio (sociothérapie courte, et socio-somatanalyse) ;
                                                                                                                                                            -         les trois séquences temporelles : thérapies courtes, de durée moyenne, longue…
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Mais ce n’est néanmoins pas tout. Ce n’est pas l’intégrale. Et je ne me cacherai pas derrière la réalité des « facteurs organisateurs » pour prétendre que nous remplissons toutes les cases organisationnelles. Il n’y a quand même pas tout. Ce n’est pas le but non plus, mais on pourra néanmoins reprocher que telle ou telle méthode ou théorie, et des plus intéressantes, n’a pas été retenue ou évoquée. Il reste donc du travail à faire encore, pour confirmer ou falsifier.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Les modèles retenus sont très systématisés
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            On reprochera peut-être aussi de trouver préférentiellement les méthodes et théories les mieux protocolées et les plus synthétisées, imposées par des auteurs impérieux sinon impérialistes. Je pense à un Veldman que j’ai fréquenté, à une Shapiro ou un Hellinger dont j’étudie assidument les livres, sans occulter Freud, Jung ou Reich ! Ces créateurs en imposent par leur rigueur (jusqu’à la rigidité).
                                                                                                                                                            On s’étonnera alors de ne pas trouver plus d’intérêt pour des pratiques protéiques comme la PNL, ou plus englobantes comme la biodanza. Il y a là une certaine injustice, j’en conviens.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Facilité et/ou légèreté ?
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                                        Cette injustice ne serait-elle que facilité ?
                                                                                                                                                                        Et les présentations parfois cavalières de l’une ou l’autre méthode ne seraient-elles que légèreté ? D’aucuns décrieraient même le tout comme charlatanisme.
                                                                                                                                                                        A décharge, il faut associer ici avec le travail de débriefing des séances restituées par les psychothérapeutes en formation et même avec le travail de supervision fait en groupe. Thérapeutes et tenants lieu de patient sont présents et ces derniers sont surpris, étonnés et parfois même horrifiés de la façon dont le thérapeute restitue la séance ou l’analyse du cas. Il y a un décalage entre le dire et le redire, entre la réception de l’un et le vécu de l’autre. Et pourtant c’est dans cet écart même entre les deux intentions que naît une nouvelle vérité.
                                                                                                                                                                        Ici aussi, dans la restitution parfois très partielle, partiale et subjective d’une méthode ou d’une théorie, peut émerger une nouvelle compréhension ou, du moins, une invitation à laisser faire l’effet de surprise. Mais cela ne fait pas raison. Et je ne me réfère pas encore au saut qualitatif qu’effectue l’accès à l’intégralité. Je me défends encore…
                                                                                                                                                                        Il faut bien reconnaître que, bien qu’ayant été retenues dans notre présentation, les méthodes et théories décrites ne se sentent pas nécessairement traitées à leur juste valeur, ou même seulement mises en valeur.
                                                                                                                                                                        Probablement que bien des « traités de psychothérapie » qui ne veulent être que descriptifs, rendent mieux justice à leurs élus. Le reproche qu’on peut leur faire réside dans leur sélectivité qui exclut trop de méthodes, le psychocorporel ou le spirituel par exemple.
                                                                                                                                                                        Mais reconnaissons encore une fois que celui qui ne veut pas se laisser surprendre par ce qui se retient ici d’une méthode/théorie peut à juste titre se plaindre de superficialité, légèreté et même de mauvaise foi.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Associations osées et même hasardeuses
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Les associations d’idées sont pain béni en... psychanalyse. Oui mais c’est une praxis alors qu’ici nous contons science. Nous voulons respecter les règles de science, même de la « dure ». Alors peut-on encore s’appuyer sur des associations d’idées osées et même sur des évidences qui ne convainquent que les initiés ?
                                                                                                                                                                        Rappelons-nous : un quart de siècle à entendre des milliers de compte-rendu de pneumanalyse (ou rebirth), dix années à suivre l’évolution des connaissances médicales sur les NDE (near death experience), vingt ans à pister les inconscients, de Freud et de Jung… Puis, tout d’un coup, kairos, expérience jubilatoire, tout s’associe : la pneumanalyse passe par des étapes qui sont celles de la NDE et de celles de l’accès à l’inconscient, freudien d’abord, jungien ensuite, oriental entre les deux. Eurêka, cette association permet enfin de constituer le modèle ontologique. Et ça marche.
                                                                                                                                                                        Et ces trois inconscients qui sont associés aux étapes centrales de la NDE, aux sept chambres du château de l’âme (Thérèse d’Avila), aux stades de la psychose aigüe…
                                                                                                                                                            Associations hasardeuses ? Peut-être bien. J’assume.
                                                                                                                                                                        Sans oublier la théorie des catastrophes de René Thorn, les dernières trouvailles de l’IRMF, le mythe dogon et l’essai sur le don de Marcel Mauss. L’accumulation suscite-t-elle le saut de plénarisation ou décompose-t-elle dans le morcellement ?
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Systématisations réductrices
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Toute systématisation est réductrice. C’est le prix à payer pour la science et l’enseignement. La psychothérapie/psychanalyse oscille entre réduction et expansion, des dogmes freudiens à l’ici et maintenant humaniste, de la neutralité psychanalytique à l’amour inconditionnel rogérien, du décryptage jungien à la pure description phénoménologique…
                                                                                                                                                            Il y a dans notre texte des systématisations vertigineuses, qui s’emboîtent les unes dans les autres, qui débouchent sur des tableaux prétentieux : toute l’ontologie en un seul schéma, toute la psychopathologie en un tableau, tableau à deux dimensions seulement !
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Ouverture illimitée
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Ça fleure bon l’ouverture politique et le débauchage à gauche et à droite. Dans la réalité, ça ne marche pas. Du temps de la revue « Somatothérapies et Somatologie », j’ai pu faire cohabiter deux textes des deux héritiers français de Milton Erickson, mais seulement les textes. J’ai pu publier la révolte d’un bioénergéticien contre Lowen, pour m’en faire un ennemi aussi vite. Parce que ça sent la récupération ! Par trois fois, je me suis fait menacer par les avocats de chers confrères !
                                                                                                                                                                        Dans ce livre, nous sommes au-delà des auteurs, créateurs, concepteurs. Nous puisons dans leurs œuvres, nous expérimentons leurs protocoles, nous comparons, associons, intégrons. La nouvelle question est éthique et déontologique : jusqu’où aller, quelles méthodes intégrer, quel crédit accorder :
                                                                                                                                                            -         au bonding de Daniel Casriel, répertorié dans la liste des sectes par les Renseignements généraux,
                                                                                                                                                            -         au rebirth, créé par un baba cool new age,
                                                                                                                                                            -         à la méditation, que j’ai pudiquement appelée « Présence Juste » et qui s’impose enfin comme « mindfullness » dans le cognitivo-comportementalisme,
                                                                                                                                                            -         au comportementalisme qui cache son Orange Mécanique,
                                                                                                                                                            -         au transgénérationnel qui ressuscite aussi les vies antérieures,
                                                                                                                                                            -         au chamanisme planqué derrière « l’écothérapie » ?
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            J’évoque les extrêmes. Mais on peut se hérisser pour moins que ça. On peut s’interroger légitimement sur la rigueur de telle pratique, sur la pertinence de telle indication thérapeutique, sur l’éthique de leurs promoteurs, sur la scientificité de leurs théorisations ou… rationalisations. En trente années de quête curieuse et d’annexions hâtives sinon avides, j’ai parfois frôlé la limite, offensé la bienséance, montré ma naïveté et mis à rude épreuve la confraternité. On peut le penser à juste titre à la lecture de ce livre.
                                                                                                                                                            Il ne s’agit pas plus d’intégrisme
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                                        Ce n’est pas l’intégrale. Même si ça récupère aux limites mêmes du domaine. Mais ce n’est pas plus de l’intégrisme.
                                                                                                                                                                        Après l’ouverture politique, l’allusion religieuse.
                                                                                                                                                                        Acceptons la proximité des termes : intégration et intégrisme ! Ce dérapage tristement contemporain condamne-t-il l’intégration ? Faut-il préférer le communautarisme à l’anglaise ? Il ne réussit pas plus ! Essayons une définition de l’intégrisme qui s’appliquerait au religieux comme à la psychothérapie, deux domaines décidément proches même si Freud a cru devoir s’en distancier. Ce serait :
                                                                                                                                                            -         accaparer un héritage (cultuel, culturel) ;
                                                                                                                                                            -         le réduire à sa plus simple expression, le systématiser pour assurer sa transmission au plus grand nombre ;
                                                                                                                                                            -         en faire une arme de domination et parfois même d’exclusion sinon d’extermination.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Notre démarche intégrative répond-elle ou s’oppose-t-elle à ces trois critères ?
                                                                                                                                                            La psychothérapie est un héritage, culturel, professionnel, mais pas cultuel. Nous avons nous-mêmes enrichi cet héritage de trois nouvelles pratiques (somatanalyses et Présence Juste). Loin d’accaparer, nous avons intégré les œuvres personnelles dans le vaste domaine commun. La démarche intégrative elle-même développée ici est mise à disposition de qui veut en prendre connaissance et en emboîter le pas. Et si j’ai pu déposer certaines propriétés intellectuelles ce n’est que pour assurer leur bon développement pendant les dix années du dépôt. Après cet élevage contrôlé, ces propriétés retournent au bien commun.
                                                                                                                                                                        L’intégration des psychothérapies prend le risque de systématiser, de réduire, mais à l’essentiel. J’ai évoqué ce risque, par honnêteté intellectuelle et presque par provocation. Le chemin de la praxis et d’épistémè passe par là. Ce travail d’abstraction est d’ailleurs tellement austère que les mémoires de fin de formation de mes élèves citent bien plus volontiers Jacques Salomé ou David Servan-Schreiber que mes propres textes ! Et puis, il y a toute l’ouverture sur toutes ces méthodes tellement séduisantes de par leur systématicité (jungienne ou reichienne) et de par leur nouveauté (EMDR, constellations familiales) que j’en perds des élèves !
                                                                                                                                                                        Les collègues invités à nos congrès vantent leur produit tout aussi bien et en séduisent encore d’autres, d’élèves. Nous assistons au mouvement inverse de l’intégrisme : à force de présenter la diversité des méthodes, on suscite un certain éparpillement.
                                                                                                                                                                        Il reste le troisième critère : l’arme de domination… J’ai participé à la fondation de l’Association Française pour une Approche Intégrative et Eclectique de la Psychothérapie (AFIEP) avec des universitaires lyonnais respectés et dynamiques. Ils ont organisé le premier congrès… ce fut un échec ! J’ai édité le premier livre français sur le thème, il fut un échec ! L’intégration ne paye pas, n’impressionne pas, ne motive pas les foules. Ce ne sont ni les psychiatres ni les psychologues qui s’y intéressent mais les futurs thérapeutes venant d’horizons divers et que dérange la dispersion des méthodes et théories et leur… impérialisme.
                                                                                                                                                                        Et puis, le recours à une méthodologie rigoureuse et à une épistémologie scientifique ainsi que l’arrimage à un humanisme exigeant sont aux antipodes de tout intégrisme. De plus, la reconnaissance de la psychothérapie comme « fait social total » et son inscription dans le champ de l’anthropologie, constituent une ouverture supplémentaire, garante de notre esprit démocratique.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            Et quid de l’intégralisme ?
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                                        Il y a près de trente ans, j’avais lancé l’Association des Jeunes Psychiatres. Et ce sont des plus âgés qui ont aussi répondu, notamment des concepteurs de méthodes « orphelines » pour reprendre le concept aux maladies génétiques qui n’intéressent personne. Il y avait notamment le créateur de « l’intégralisme ». Je ne sais plus en quoi cela consistait mais le mot fait partie de notre déclinaison autour d’integer.
                                                                                                                                                                        Que serait dans notre contexte, un intégralisme ? Probablement quelque chose comme l’intégrisme de l’intégration. Eh bien non ! Répétons-le encore une fois, notre propos est une démarche, un cheminement, individuel et personnel, sur les bases des méthodes et théories existantes et avec un certain nombre de règles méthodologiques, épistémologiques, cliniques et humanistes ! Exit donc l’intégralisme qui se retrouve à nouveau orphelin.
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                             
                                                                                                                                                            • L’effet d’intégralité : un saut qualitatif dans les quatre dimensions de la psychothérapie

                                                                                                                                                            • Après les réserves d’usage, après les esquisses de falsification ou, du moins, après les indications sur les lieux où pourrait se faire cette remise en question, nous pouvons aborder l’essentiel, à savoir ce saut qualitatif qu’opère l’effet d’intégralité. Nous postulons que cette intégralité est acquise même si elle est à parfaire ou, du moins, que cette intégralité est suffisante pour produire son effet spécifique : la somme est plus que l’addition de ses parties.
                                                                                                                                                                          Rappelons les conditions de cette intégralité :
                                                                                                                                                              - la prise en considération de toutes les méthodes et théories (éthiques et    déontologiques) ;
                                                                                                                                                              - le respect du principe des types logiques et le décalage en méta- ;
                                                                                                                                                              - l’interaction constante avec la clinique et, plus récemment, avec la formation des thérapeutes.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              L’effet d’intégralité opère dans les quatre dimensions de la psychothérapie, au niveau des :
                                                                                                                                                              - méthodes, comme saut méthodique,
                                                                                                                                                              - théories, comme saut épistémique,
                                                                                                                                                              - psychopathologies, comme saut ontopathique,
                                                                                                                                                              - pratiques, comme saut créa-praxique.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              Ce long texte a bien établi les trois premiers acquis (méthodique, épistémique et ontopathique) que nous ne réévoquerons que rapidement pour développer le quatrième point plus nouveau : le saut praxique.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              Le saut méthodique
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              La prise en considération de tous les grands courants de la psychothérapie nous a permis d’extraire les constantes et les invariants de toute méthode sous la forme des facteurs organisateurs (F.O.) En répondant aux exigences de tous ces facteurs, nous arrivons à la création d’une pratique pluri-globale (dont le contenu particulier peut varier, signe de l’ouverture décrite).
                                                                                                                                                                          En insistant sur le facteur durée, nous débouchons sur la cure séquentielle qui dépasse toutes les polémiques entre écoles en insistant sur la différence et la complémentarité temporelles.
                                                                                                                                                                          Il s’agit là d’un véritable saut qualitatif qui nous permet de nous situer en une quatrième étape du mouvement intégratif, après les juxtaposition, recombinaison et éclectisme multi-référentiel. Il n’y a pas lieu de revenir plus longuement sur ce premier point.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              Le saut épistémique
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                                          Nous observions déjà que la prise en considération des principales théories est beaucoup plus difficile que celle des méthodes, ces dernières peuvent s’accaparer éclectiquement mais les premières ne s’acoquinent pas aussi aisément. Le cognitif est plus opiniâtre que le comportemental, tout comme les thérapies cognitives sont de durée plus longue que les thérapies comportementales. L’erreur réside dans cette tentative de les fusionner au lieu de passer au niveau méta-. On peut évidemment rapprocher le cognitivo-comportemental et la psychodynamique puisque c’est complémentaire.
                                                                                                                                                                          Passer en méta-, c’est transcender les théories spécifiques pour fonder au-delà :
                                                                                                                                                              -         le modèle ontologique qui accueille les comportements et l’inconscient, le cognitif et le corporel, le duel et le groupal, entre autres ;
                                                                                                                                                              -         le modèle ontogénétique, construit sur le critère relationnel qui permet aussi de sérier les étapes de la théorisation freudienne, par exemple ;
                                                                                                                                                              -         les processus complexification/plénarité et ontothérapeutique qui situent dans le développement personnel et dans la guérison, le même principe du saut qualitatif que dans l’effet d’intégralité.
                                                                                                                                                              -         Le modèle ontophathologique qui dispose en un seul tableau les principales maladies.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              Nous n’avons pas plus à insister sur ce deuxième point largement développé dans la troisième partie de ce livre, si ce n’est pour préciser ce qu’apporte ce saut qualitatif. Chaque élément constitutif de ces modèles et processus peut être discuté ou même falsifié isolément, par exemple le point d’impact de chaque séquence temporelle (courte, moyenne, longue) sur la dimension cible (qualité de vie, traits de caractère ou cadres de vie). Il y a, de toute façon, les exceptions et les nuances. Mais l’intégralité donne une valeur supplémentaire à chacun de ces points et le valide, au-delà des opinions communément admises, du simple fait de la mise en perspective globale. Si la psychanalyse veut accéder aux processus inconscients, et si le comportemental s’assigne les qualités de vie, il reste les traits de personnalité troublée aux thérapies de durée moyenne. C’est l’effet de différenciation qui joue ici, nous faisant entrer dans la dimension structurale et la méthode structuraliste.
                                                                                                                                                                          Rappelons-nous aussi que ces modèles n’ont pas été construits au forceps, produits à la force des méninges. Non. Ils ont émergé spontanément sinon dans la surprise, kairos, lorsque l’ensemble était prêt :
                                                                                                                                                              - le modèle ontogénétique m’est apparu en contemplant -rêvassant sur- les schémas structuro-fonctionnels ; une nouvelle structure s’est imposée au détour du jeu sur les fonctions ;
                                                                                                                                                              - le modèle ontologique ne s’est réalisé qu’avec la découverte des purs processus inconscients, vingt ans plus tard ;
                                                                                                                                                              - le principe complexification/plénarité doit sa qualité principale à la cause de René Thom, à la théorie des catastrophes.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              Il y a du structuralisme à l’œuvre comme pour ma thèse d’ethnologie. Si donc l’établissement des modèles épistémiques se fait dans une réorganisation subite des éléments constitutifs, l’effet de ces modèles intégraux offre un saut qualitatif tout aussi subit. Il s’y recèle une cohérence, une structuralité, un au-delà qui charrie autant de vérité que de beauté. En effet, l’esthétique est le critère et la preuve de l’aboutissement de cette structure. Et la simplicité aussi. Et la transmissibilité. L’accueil d’un modèle par mes élèves me montre si ce dernier est achevé ou pas.
                                                                                                                                                              L’effet d’intégralité est donc un effet de structuralité. Mon maître Lévi-Strauss m’a montré le chemin en anthropologie mais Freud déjà avec sa deuxième topique (moi, ça, surmoi) et Lacan par la suite ont surfé sur les bénéfices de la structuralité. Pour ma part, ce n’était nullement un propos délibéré. Ça s’est fait tout simplement. Cela nous montre que la vie, que la constitution et le fonctionnement humains s’organisent autour de structures simples, cohérentes, esthétiques, que nous avons à repérer. Tout à coup elles se dévoilent, s’imposent, facilitent la vie et sa compréhension, donnant par là validation à ce nouveau modèle. Ces considérations doivent nous aider à aborder la troisième dimension, la plus fragile encore.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              Le saut ontopathique
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                                       Bien que promis au deuxième tome de cette œuvre, le modèle ontopathologique a été dévoilé ci-dessus et son mode de déconstruction aussi en ses « paramètres diagnostics » (P.D.). Pour le moment, nous en connaissons trois :
                                                                                                                                                              -         le degré de gravité, en trois degrés,
                                                                                                                                                              -         la polarité structure-fonction,
                                                                                                                                                              -         la temporalité de mise en place et/ou de manifestation pathologique.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              Ces premiers critères permettent de situer toutes les grandes pathologies de nos manuels athéoriques, comme nous le savons à présent. Laissons opérer ici encore l’effet d’intégralité et son saut ontopathique.
                                                                                                                                                              Là encore émerge une structure cohérente jouant les différences, les opportunités et les interrelations dégagées par la méthode structuraliste. Mais il se dégage beaucoup plus encore un enseignement magistral : la psychopathologie est elle aussi ordonnée, structurée, en interrelation. Les quelques douzaines de grandes pathologies ne sont pas jetées là au petit bonheur la malchance… Il y a des règles, des cohérences, comme notre tableau le laisse voir.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              Voilà un effet étonnant, et réjouissant, du saut qualitatif effectué par l’intégralité.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              Le saut créapraxique
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              Les trois premières dimensionsde la psychothérapie évoquées jusqu’à présent ne constituent que 30 à 40% de son efficacité ; nous le savons à présent. Le thérapeute en sa praxis et sa reliance conserve 60 à 70% de cette fonctionnalité. Et là encore l’effet d’intégralité opère son saut qualitatif : il amplifie la liberté d’action et de relationnalité, il élargit le champ de créativité, il restitue pleinement la part de 70% d’efficacité qui lui échoit.
                                                                                                                                                              Nous n’avons pas assez abordé la situation de la personne même du thérapeute. Nous resterons encore relativement bref, schématique, structural, en opposant la situation du thérapeute d’une seule méthode et le praticien en démarche intégrative.
                                                                                                                                                              Lorsque je pratique une seule méthode, quand je suis adepte d’un seul courant thérapeutique, je possède une technique qui est étroitement imbriquée à une théorie, les deux définissant des indications thérapeutiques très précises. On pourrait représenter cette étroite cohésion par le schéma suivant :
                                                                                                                                                               

                                                                                                                                                               

                                                                                                                                                              schéma 62 

                                                                                                                                                              Schéma 62 : la symbiose de la méthode unique
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              L’illustration (par l’absurde) nous vient par la malheureuse guerre des écoles qui a fourbi le « livre noir de la psychanalyse » et sa contre-attaque, « l’anti-livre noir de la psychanalyse ». Deux blocs se font face, persuadés de leur bon droit et de leur cohérence praxo-théorético-clinique.
                                                                                                                                                              En face, on doit concevoir l’effet d’intégralité qui libère entre les trois dimensions praxo-théorético-clinique un large espace de liberté et de créativité.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              schéma 63  
                                                                                                                                                              Schéma 63 : le saut créapraxique de la démarche intégrative
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              En effet, il n’y a pas de référence unique et obligatoire entre méthode, théorie et clinique. Il y a des couplages chaque fois particuliers. Il y a des accordages chaque fois congruents.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                               tableau 39
                                                                                                                                                              Tableau 39 : la double créativité de la praxis intégrative
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              Ce champ de liberté peut connecter une méthode avec une théorie venue d’ailleurs par l’intermédiaire des bases méta-. Il peut rapprocher une pratique d’une indication originale grâce à un aménagement de la pratique. Cette liberté se gagne peu à peu à travers l’assurance que donnent la richesse de l’intégration et les résultats cliniques assurés par un bon couplage et des accordages justes.
                                                                                                                                                              Mais cette créativité laisse aussi de la place au doute, à l’hésitation, à la peur de ne pas trouver… A ce moment, on peut se référer au systémisme et à ce qu’il appelle la « position basse » : « ok, en ce moment je ne sais pas, j’hésite, acceptons-le, ça veut sûrement dire quelque chose, ça viendra ».
                                                                                                                                                              Pour être créatif, il faut être libre. Pour être libre, il faut que la place ne soit pas déjà occupée ! Pour trouver, il faut un temps mort, du vide, de l’ennui, puis de l’angoisse, jusqu’à ce que, eurêka, l’intuition surgisse et l’acte s’ensuive.
                                                                                                                                                              Mais il faut cet espace vide, libre, créatif, praxique. C’est ce qu’offre l’effet d’intégralité au niveau de la praxis, en termes de créativité. Et le patient ? Et son histoire personnelle ? Ils trouvent exactement la même place dans cette faille des structures.
                                                                                                                                                              Ce saut créapraxique fait passer le thérapeute/psychanalyste dans l’intégrité.
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                              • L’intégrité, comme effet de l’intégralité

                                                                                                                                                              • Nous ne prétendons pas que le praticien d’une méthode systématisée, à la cohésion praxo-théorico-clinique quasi symbiotique, n’ait pas aussi un certain degré de liberté créative ni surtout qu’il ne jouisse de cette intégrité dont le terme fait sens. Mais avec les trois sauts qualitatifs évoqués, le thérapeute pléni-intégratif est évidemment catapulté d’office dans cet espace structurellement ouvert qui le désigne à l’intégrité.
                                                                                                                                                                Nous continuons à décliner cette racine « integer » pour en tirer le meilleur mais pour en saisir aussi les dangers (comme l’intégrisme). « Intégrité » évoque deux aspects principaux desquels nous tirerons un troisième : l’entièreté, l’honnêteté et la présence. Ces trois caractéristiques rejoignent les trois qualités que nous assignons au thérapeute/analyste depuis longtemps et que l’approche intégrative renforce : la plénarité, la positivité et la présence.
                                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                                Entièreté et plénarité
                                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                                L’intégrité évoque l’entièreté : ça ne s’est pas désintégré, ça a tenu le choc sans se morceler. Ça sent bon la résilience. On peut taper dessus et ça reprend sa forme d’origine. On tape aussi sur le praticien de toutes ses souffrances, de tous ses problèmes insolubles, attachements et transferts et il n’explose pas. Il se retrouve dans ce champ de liberté entre facteurs organisateurs, paramètres diagnostics et modèles holanthropiques et il ne se désintègre pas. C’est que le thérapeute pléni-intégratif n’est pas « structure » à toute épreuve mais « constitué » de l’intérieur, dynamiquement, par les purs processus inconscients. Il est plein de cette dynamique auto-organisatrice, il est plénier jusqu’à la plénitude, souffrance et doute pouvant aussi participer de cette entièreté et faire plénitude.
                                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                                Plénitude et présence
                                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                                Cette plénarité ne peut advenir qu’en englobant la situation du moment, l’entourage de l’instant. Cette entièreté implique nécessairement la présence. Nous accordons un intérêt majeur à cette présence, ne serait-ce qu’avec la pratique de la Présence Juste. Cette présence au patient et à l’événement nécessite un certain recul par rapport aux structures imposées et c’est ce qu’apporte ce champ de liberté créapraxique laissé ouvert entre méthode, théorie et psychopathologie.
                                                                                                                                                                            L’approche intégrative impose la présence de chaque instant. L’intégrité comme entièreté inclut cette présence et ne l’empêche pas. Je termine enfin le grand livre de Francine Shapiro où elle s’étale sur les études statistiques évaluant l’efficacité de son EMDR. Elle se plaint que les résultats sont de moins en moins bons. Que trouve-t-elle comme explication ? Dans les études à résultats mitigés, les praticiens n’auraient pas respecté strictement les onze étapes du protocole à présent codifié !
                                                                                                                                                                            Cette présence ne résulte pas d’un protocole, d’une morale ou de la déontologie professionnelle. Elle n’est pas imposée ni inculquée par la formation. Cette présence découle de l’effet d’intégralité. Elle est structurellement issue de ce saut qualitatif pléni-intégratif. Elle est partie prenante de l’intégrité.
                                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                                Honnêteté et positivité
                                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                                Un homme intègre est un homme honnête, droit, juste et fiable. Parce qu’il est entier et présent, il représente la réalité de la vie, de l’humanité, telle qu’elle est. Et comment est-elle donc, cette réalité, sinon souffrance et guérison, problème et solution, dés-être et plénitude ? Par définition, le thérapeute possède l’art de la guérison, de la solution et de la plénitude, ne serait-ce qu’en décelant dans la maladie le tremplin vers l’être réel et authentique. Le thérapeute intègre est positif, surtout le thérapeute intégratif qui assume l’angoisse du champ créapraxique vide et en attente. Le cynisme d’un Freud et surtout d’un Lacan peut lui-même être retourné en positivité quand on y voit une injonction paradoxale, une prescription stratégique ou une ADM (Arme de Déconstruction Massive). Mais il ne faudrait pas en faire une philosophie de vie, ce que les disciples oublient trop souvent.
                                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                                Le saut créapraxique accule le thérapeute à l’intégrité, à savoir à un être plénier, présent et positif. C’est la structure même de la démarche pléni-intégrative qui fait franchir cette étape définitive.
                                                                                                                                                                 

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