Chapitre 14 : Le principe complexification / plénarité et le modèle ontothérapeutique La dimension thérapeutique "Je ne suis rien,
Je ne vaux rien,
Je rate tout, personne ne m'aime..."
Ce type de déclaration peut mener tout droit à l'hôpital psychiatrique ou susciter une longue prescription de tranquillisants, de somnifères et d'antidépresseurs. Le psychothérapeute, lui, peut choisir de travailler sans filet et les mains nues; mais selon l'école à laquelle il appartient, il réagit différemment.
- JANOV ferait répéter cette plainte, de plus en plus fort, jusqu'au cri et jusqu'aux larmes, en faisant remplacer le "personne" par "maman" ou "papa". Il expliquerait qu'on arrive là à la souffrance primale, à cette expérience décisive où l'enfant de 5-6 ans comprend très clairement qu'on ne l'aime pas comme il a besoin qu'on l'aime...
- CASRIEL retournerait peu à peu ce vécu en une affirmation du type: "Je suis comme je suis; ce que je fais est beau, et si ça ne te plaît pas, tant pis pour toi; je suis "aimable" et si toi, tu ne peux pas m'aimer, j'en trouverai un autre". Affirmé, répété et écouté dans un groupe chaleureux, ce genre d'affirmation revigore et transforme. Et si l'on peut faire le tour du groupe et prendre chaque participant dans ses bras après cela, l'humeur peut effectivement changer et s'accorder à cette nouvelle conviction...
- Sur le divan lacanien, un tel discours est religieusement écouté et entendu. Il peut être répété autant de fois qu'il faut, car l'oreille ne se lasse jamais sur son fauteuil. Si la voix de derrière soi laisse tomber que "rien" vient de "res" et signifie "quelque chose", l'analysant peut prendre cela comme une discrète reconnaissance. Et si on associe sur le thème du "manque", il peut accéder à une dimension fondamentale de son être...
Moi-même, j'ai été appelé au chevet d'une de mes analysantes qui venait d'accoucher d'un enfant malformé dont la vie est compromise à bref délai. Son sentiment ressemble à ce "je rate tout". Son visage est triste, mais elle lutte contre son émotion, tout comme elle le faisait au groupe de somatanalyse. Elle craint des malaises et même des pertes de connaissance si elle se laisse aller trop profondément à ressentir, à régresser.
Je lui propose néanmoins de ne pas se bloquer et de vivre celle tristesse, d'en faire une occasion de se centrer en elle et de rencontrer ses proches au niveau affectif que favorise cette épreuve commune... Les malaises et lipothymies ne proviennent d'ailleurs pas de l'émotion elle- même mais du refus de l'émotion.
Ces quatre attitudes sont bien différentes, presque contradictoires. Pourtant elles se veulent toutes thérapeutiques et nous obligent donc à poser la question: qu'est-ce que cette dimension thérapeutique dont se réclame évidemment la somatanalyse? Dans un premier temps, on pourrait chercher une réponse du côté des pathologies que l'on aborde et du côté de la guérison. Mais là aussi l'éventail des troubles pris en considération s'élargit tellement qu'on ne sait même plus très précisément s'il s'agit encore de thérapie ou d'autre chose.
La notion de thérapie est évidente lorsqu'elle s'attaque au symptôme ainsi que le faisait FREUD à ses débuts (et toute sa vie d’ailleurs comme le montre André Haynal 2007), quand il traquait le symptôme hystérique. Elle l'est encore lorsqu 'on demande à la psychothérapie de guérir une dépression, une lombalgie, une hypersécrétion gastrique ou une assuétude aux tranquillisants. On admet aussi que la notion de thérapie s'élargisse au "terrain", au caractère, à la personnalité pathologique. FREUD a rapidement dépassé le symptôme pour s'intéresser à la personnalité hystérique. REICH a créé les moyens d'en faire autant pour la personnalité schizoïde et caractérielle. Les plus audacieux parmi les thérapeutes s'essayent au traitement du terrain psychotique. Mais le développement et la démocratisation des nouvelles thérapies élargit la demande à la troisième dimension: au mal-être, aux difficultés affectives et relationnelles, aux troubles sexuels, au mal-dans-sa-peau... S'agit-il encore de thérapie à ce niveau? Oui, si on se réfère à la nouvelle définition de la santé que donne l'OMS pour qui elle n'est plus seulement absence de maladie mais "état de bien-être".
Comme on le constate, l'abord des indications ne donne pas d'éclaircissement très évident sur l'essence de la thérapie; la notion de guérison non plus, puisqu'elle prend les aspects les plus divers; on peut faire disparaître un symptôme hystérique certes, mais en risquant de le voir réapparaître ailleurs; on ne change pas radicalement un terrain, qu'il soit psychotique ou névrotique; enfin le mal-dans-sa-peau est un fait existentiel plus encore que pathologique et LACAN insiste suffisamment sur le "manque" structurel pour qu'on se fasse à cette idée. Il doit pourtant exister des éléments communs à ces différentes attitudes thérapeutiques; il devrait même y avoir un principe unique. La fréquentation des méthodes les plus diverses et des thérapeutes les plus différents m'en a profondément convaincu. Aussi, comme je dirigeais un séminaire d'enseignement sur les méthodes psychothérapiques, je me suis exercé à un regard comparatif, à une recherche de "psychothérapie comparée" plutôt que de présenter un catalogue de techniques juxtaposées, On pratique cette approche en littérature. On l'introduit dans les sciences humaines avec la méthode structuraliste. Pourquoi ne pas l'employer pour les psychothérapies, maintenant qu'elles prolifèrent comme autant de variations sur un thème, sinon connu, du moins pratiqué? L'un de ces enseignements a porté sur la dimension thérapeutique précisément et j'en reprends ici une partie: celle qui aboutit à l'émergence du fait thérapeutique, d'un de ses aspects en tout cas, que j'appelle "moment primaire". Nous le définirons d'abord pour lui-même puis il nous servira à fonder et à expliciter la dimension thérapeutique de la somatanalyse.
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