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Chapitre 14 : Le principe complexification / plénarité et le modèle ontothérapeutique

LÂ’EXPERIENCE PLENIERE COMME PROCESSUS THERAPEUTIQUE DE BASE

            Tout est pluriel, la pratique en particulier, même si elle s’intègre en une unique globalité. Tout est complexe, le paradigme hol-anthropique en particulier, même si ses modèles s’agencent en une étonnante simplicité. Tout est différencié comme l’est la vie, humaine notamment, même si la vie est spontanément reconnue par le nouveau-né dès le premier jour. C’est cela qui fait l’angoisse du psychothérapeute en formation jusqu’au moment où advient “l’expérience fondatrice” qui reconstitue le puzzle.
            Mais il y a néanmoins un processus qui fait unité, unification, sinon unanimité, un processus qui est commun et fondateur, c’est le processus thérapeutique/analytique lui-même. Les innombrables concepts d’école alignés ci-devant dans l’état des lieux, se ramènent à un concept qui les informe tous. Certes, à la fin de la présentation de la pratique pluriglobale, nous avons évoqué des procédés thérapeutiques différenciés :
-     dés-amalgamage pour la désensibilisation progressive,
-     re-connexion pour l’affirmation de soi et l’EMDR,
-     dé-blocage pour l’injonction stratégique notamment.
            Ces trois processus thérapeutiques sont partiels et découlent de procédés, protocoles, techniques et méthodes multiples. Ils généralisent déjà leurs effets en trois déroulements de base.
            Bien qu’ils soient divers en tant que procédés partiels, ils ressortissent d’une dynamique commune, “l’expérience plénière”. De tout notre abord hol-anthropique, cette dernière proposition est certainement la plus importante. Il nous faut donc redoubler de perspicacité pour présenter ce point incontournable de toute intégration théorique. Pour cela, nous procéderons par étapes :
-     les stades préparatoires,
-     l’expérience plénière proprement dite,
-     les concordances avec d’autres conceptions,        
-     la modélisation de l’expérience plénière,
-     l’apport de la “théorie générale du cerveau” de Gérald Edelman,
-     une mise en perspective de ce moment-clé dans la cure séquentielle.
 
 
Les stades préparatoires :
- travail dans les fonctions différenciées,
- connexion par les cinq fonctions plénarisantes
 

Nous venons de ré-évoquer les procédés de désamalgamage, de reconnexion et de dé-blocage ainsi que leur occurrence dans les nombreuses techniques corporelles, artistiques et autres thérapies courtes. Il se passe quelque chose comme une réparation des structures stables et/ou des cadres de vie, que nous appellerons « restituance ». Il ne s’agit pas d’une restitution ad integrum, comme avant, mais c’est approchant. Cela peut se passer en douceur, sans éveiller ni attachement ni transfert. Et pourtant il y a déjà un moment plénier – à bas bruit – quand cela se restitue.

 

  • Le travail dans les fonctions différenciées

  • Essayons de systématiser cette première étape au risque du réductionnisme inhérent à cette généralisation. Entre confusion et ordonnancement, nous préférons le second, dans notre souci didactique.
                L’être humain est constitué de (près de) deux douzaines de fonctions indispensables, potentielles dès la conception, à développer au cours de la vie (posture, mouvement, marche durant la première année par exemple ; génitalité à l’adolescence). Pour les fonctions de base, il s’agit d’apprentissages confiés aux parents, éducateurs et groupes sociaux. Pour les fonctions plus élaborées (comme la sexualité, la vie citoyenne par exemple) il s’ajoute une part subjective et relationnelle qui peut faire pathologie, en stress, choc ou bloc. Mais pour toutes, s’enclenche le processus de complexification/plénarité. Pour toutes, ça se joue entre maîtrise et jouissance, prendre-prise et lâcher-prise, séparation et connexion.
                Notre proposition, qui se veut encore didactique, postule qu’un premier degré de pathologie, à savoir le niveau du symptôme, n’investisse qu’une (ou un petit nombre de) fonction. La thérapie, courte, « restituera » cette fonction, la reconnectera dans le processus complexification/plénarité par des procédés pointus et débouchera sur la plénarité fonctionnelle : ça fonctionne à nouveau, pleinement. ça peut même transporter dans la plénitude : quel bonheur que de sortir d’une déprime, que de dépasser une éjaculation précoce ou un vaginisme, que d’oublier les cauchemars post-traumatiques récents.
                La deuxième proposition postule que l’expérience plénière se produit directement lors de la résolution du problème fonctionnel différencié, faisant l’impasse des cinq fonctions plénarisantes.
                La démonstration de ce postulat se fait en deux temps, opérationnel et protocolaire. Ces mots étranges recouvrent des réalités simples, et d’abord que les thérapies courtes les plus récentes, intégratives, réunissent des techniques et procédés qui répondent de façon ciblée à ces problèmes fonctionnels différenciés. Je propose trois exemples empruntés à d’autres méthodes déjà évoquées, celles de Lazarus, de Hendrick et de Shapiro :
    -   pour Arnold A. Lazarus, on se reportera aux présentations de sa thérapie multimodale, éclectisme méthodique (cf p.    et      ) qui juxtapose des dizaines de techniques ;
    -   pour Stéphan Hendrick, on se souviendra de l’énumération que j’ai faite ci-devant (cf p.   ) ;
    -   Enfin, pour Francine Shapiro, j’ai déjà évoqué une longue liste d’emprunts dont la plupart travaillent effectivement dans une fonction différenciée ; voici cette liste, dans le désordre :
     
    • Désensibilisation (Wolpe)
    • Exposition imaginaire (comportementalisme)
    • Procédures pour le sentiment de maîtrise (Bandura)
    • Sentiment de trouver du sens (Gendlin)
    • Recadrage cognitif (Beck, Ellis, Young)
    • Modèle de dissociation BASK ( behaviour, affect, sensation, knowledge)
    • Associations libres (psychanalytiques)
    • État de pleine attention (Kabat-Zinn, Teasdale)
    • Gestion du stress
     
    Le deuxième temps de notre démonstration se base sur les protocoles des thérapies courtes qui évitent soigneusement l’attachement, les résistances, le transfert et les purs processus inconscients, et pour cause. En effet, ces dernières « super fonctions » sont des agglomérés de fonctions différenciées, des processus complexes qui engagent le patient dans des vécus plus profonds et nécessitent un temps d’élaboration de durée moyenne (la deuxième tranche de la cure séquentielle). Toutes ces observations renforcent progressivement la pertinence de notre cure à trois temps. Elles nous introduisent aussi très logiquement dans la deuxième étape des stades préparatoires à l’expérience plénière.
     
    • La connexion par les cinq fonctions plénarisantes

    • Nous ne sommes plus dans les quinze, vingt, trente fonctions et procédés différenciés qui ciblent le point précis de la panne et de la restituance. A présent, nous suscitons et éveillons des dimensions plus globales dont le processus est connectant (et non différenciant) jusqu’à devenir plénarisant, préparant le processus central, plénier. Durant les longues années d’exploration des multiples pratiques, j’ai rencontré ces méta-fonctions l’une après l’autre, pour en reconnaître cinq finalement :
      - l’émotionnel (relation à l’entourage),
      - le consensuel (relation au social),
      - l’affectif (relation dans le couple intime),
      - l’énergétique (relation au corps),
      - le véridique (relation à l’esprit).
       
                  L’originalité de la psychothérapie plénière consiste dans la réunion de ces cinq dimensions fondamentales du travail thérapeutique. Ce n’est pas le cas ailleurs. En effet, l’histoire de la psychanalyse nous montre l’éclatement de ces occurrences en autant d’écoles différentes, même si cette présentation sommaire est quelque peu réductrice :
      -     Freud a centré son œuvre sur le pulsionnel et le sexuel (l’émotionnel),
      -     Adler, sur le groupal (le consensuel),
      -     Ferenczi, sur la relation archaïque (l’affectif),
      -     Reich, sur le corporel (l’énergétique),
      -     Jung, sur le véridique, côté spirituel,
      -     et Lacan, sur le véridique, côté symbolique.
                  Nous avons déjà esquissé la quintessence de trois de ces pleines fonctions et leur place, à propos de la présentation des deux formes de la somatanalyse :
      - l’émotionnel, à propos de la socio-somatanalyse,
      - l’affectif, à propos de la psycho-somatanalyse,
      - l’énergétique, dans l’une et l’autre et la Présence Juste.
                  Il nous reste à compléter la fonction de “vérité” et de “consensus”.
       
      • LÂ’expérience du vrai

      •             La pleine expérience du vrai apparaît probablement comme celle qui est la plus obscure encore ; mais la vérité ne peut pas rester longtemps sans manifester son évidence ! Ici, il ne s’agit ni de l’exactitude scientifique (comme le serait une analyse de rêve par Freud avec argumentation métapsychologique à l’appui) ni de la croyance spirituelle (comme facteur de certitude pour son heureux élu) car l’une et l’autre interviennent tout autant comme éléments de fermeture, d’appropriation, de repli repu, d’arrêt de la recherche et de l’éveil. Freud nous en avertit avec son concept de “souvenir écran” qui empêche -et évite- d’aller chercher plus profond. On peut donc parler tout autant de “savoir écran” et de “croyance écran”.
                    C’est Jacques Lacan qui a insisté sur la dimension de vérité qui est personnelle (c’est vrai pour le seul sujet), ponctuelle (demain il y aura probablement un développement plus vrai encore de cette évidence) et cathartique (ça fait choc, provoque un lâcher-prise et reconnecte les principales fonctions clivées par l’incertitude, grâce au “boum boum de l’interprétation juste”).
                    Il y a trois types de vérité à effet reconnectant :
        -     la vérité intellectuelle
        -     la vérité spirituelle
        -     la vérité esthétique : c’est beau pour le sujet en question.
         
        • LÂ’expérience du “consensuel”

        •             Ci-dessus j’insistais sur la dureté du groupe social. Mais il y a aussi l’inverse, la sécurité chaleureuse, le sentiment d’être partie prenante de cette communauté, la sereine évidence qu’on a sa place parmi les autres et de la valeur. J’ai appelé ce vécu le “consensuel”. Ce mot polysémique ne renvoie pas seulement au consensus mais rappelle que c’est éminemment “sensuel”, affectif et partagé (con →cum → avec).
                      La psychothérapie française a du mal à accepter ce point de vue, marquée qu’elle est par Didier Anzieu et son concept “d’illusion groupale”. Eh bien non, la communauté sociale n’est pas une illusion. Le consensuel existe et nous l’avons rencontré. La séquence de la socio- qui privilégie cette expérience est celle du groupe rapproché. Quand les émotions les plus intenses se sont exprimées et épuisées, quand les analysants les plus chargés émotionnellement sont partis sur les matelas ou les zafous, il reste 7, 6, 5 personnes, il reste un “groupion”. Ces personnes se rapprochent encore, passent les bras sur les épaules ou s’accrochent par la taille pour resserrer le lien, s’accoler par les flancs. Les sons émis deviennent de plus en plus doux, s’accordent, s’ajustent jusqu’à produire des harmonies surprenantes; ce cercle solidement arrimé entre dans un balancement lent qui permet à l’analysant de s’abandonner physiquement au mouvement commun, en relâchant ses membres inférieurs par exemple et en se sentant maintenu par les autres. Tout comme l’harmonie sonore, cette harmonie des corps amène subitement à la pleine expérience, profonde et douce, du “consensuel”. Comme toute expérience plénière, elle s’impose d’évidence, on la reconnaît immédiatement, comme le premier orgasme, comme le coup de foudre affectif. Cette expérience du consensuel permet de réattribuer au groupe social son rôle positif, après la sécurisation et la protection, au-delà de toutes les rebellions personnelles, circonstanciées, qui entretiennent la peur et le rejet du groupe. La répétition de cette expérience vient atténuer puis éliminer ces peurs et rejets. Et elle donne envie de passer au don qui est plénitude. Car, sans ce passage au don, le groupe sombrerait effectivement dans « l’illusion groupale ».
           
          • Caractéristiques principales de la fonction plénarisante

          • -     l’attitude de lâcher-prise, d’acceptation, d’abandon à la relation et à l’unification ; même l’émotion, qui est d’abord concentration d’énergie, se termine par la résolution énergétique si on lui lâche la bride ;
            -     l’énergie y est libre, elle circule, elle diffuse, pour se transformer en énergie douce, puis subtile, seule à même de connecter des fonctions de plus en plus nombreuses en une unité plurielle ; la conscience elle aussi se libère et se prête à tous les “états de conscience” ; l’amour se délie de ses fixations objectales ;
            -     la conscience se globalise, englobe des données de plus en plus nombreuses, va jusqu’aux 7 ± 2 éléments que peut contenir simultanément le “conscient” par analogie avec la loi de Miller, et va encore plus loin quand elle passe du conscient au transconscient ;
            -     la commande : on aime à dire qu’elle serait “autonome” comme le système nerveux du même nom, en opposition au système volontaire ; eh bien non : elle est tout aussi volontaire, mais subtilement ; c’est un changement d’état d’être qu’on ne subit pas mais qu’on laisse advenir dans une commande... complexe ;
            -     le processus opérant : c’est l’unification fonctionnelle, la connexion psycho- somatique et intéro-externe ; jusqu’à cette saturation de la conscience où se fait le déclic... plénier, de plénarité en plénitude ;
            -     le mode d’acquisition n’est pas l’apprentissage qu’impose l’éducation pour les fonctions différenciées, mais “l’initiation”, concept pris au sens large, qui implique un référent qui montre par l’exemple et qui repère in vivo, live, le bon ou mauvais fonctionnement chez l’élève.
             
                        On reconnaîtra ici la grande proximité de ces caractéristiques avec celles de l’inconscient telles qu’évoquées par Freud et Jung.
                        La focalisation sur les pleines fonctions donne une ambiance toute nouvelle à la cure plénière. On y dépasse le travail somatothérapique technique, sur la respiration ou le mouvement par exemple, on y transcende l’opposition du verbal et du corporel, on déconstruit les procédés de désamalgamage ou reconnexion, on traverse la peur du transfert pour accéder à des vécus pleins et profonds, de joie, volupté et amour. L’avènement de la plénitude est thérapie, changement, expansion de l’être.
             
             
             

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