Chapitre 1 : Naissance et développements de la psychopathologie Emprise diabolique et intériorité du mal Encore mille ans, du Ve au XVe siècle pour ce Moyen Age si mal connu, traité d’obscurantiste du moins en Occident alors que la civilisation arabo-musulmane est à son apogée. A Bagdad, Razès, le Galien des Arabes, écrit : « L’alimentation du malade, son traitement, son soulagement, sa joie et son penchant à suivre ses désirs augmentent sa force. » (Pewzner. p.30) En Occident, on amalgame, pêle-mêle, la folie, la femme, le diable, le péché et la possession qui est volontaire. Pourtant, on valorisait aussi la folie « sous les traits du fou de cour, du fou d’amour, du fou de Dieu » (o.c. p. 35). Mais ce dernier risque néanmoins de succomber, à force de solitude et d’ascèse, à l’acedia, un état dépressif voire mélancolique. Hippocrate prônait les causes naturelles pour toutes les maladies ; le Moyen Age chrétien invoque le surnaturel. Les « fous sont victimes de l’exclusion, confondus avec les mendiants, vagabonds, hérétiques et infidèles » (o.c. p. 39). « Les Grecs en appelaient aux dieux… les chrétiens en appellent au diable » (o.c. p. 40). « La folie est associée à la sorcellerie, à la possession et au péché… La possession implique la participation volontaire de celui qui devient ainsi le suppôt de Satan… La sorcière – une femme – possède un savoir mystérieux et maléfique où la chair et la sexualité sont à l’origine du mal et du péché » (o.c. p. 39-41). A quelques foulées de dromadaire de là, Ishaq Ibn Imran parle bien différemment de la mélancolie : « C’est une maladie qui atteint le corps et dont les symptômes et les méfaits apparaissent dans l’âme. La forme hypocondriaque a pour origine l’orifice de l’estomac ; les autres formes prennent naissance dans le cerveau lui-même. Ses symptômes psychiques sont l’angoisse et la tristesse, qui sont les pires accidents de l’âme. La tristesse est l’état de l’individu qui a perdu un objet cher, quel qu’il soit ; l’angoisse est l’état de celui qui craint un malheur, quel qu’il soit » (p. 31-32). Car les Arabes développent les enseignements d’Hippocrate et de Galien. Ils « ont en effet décrit trois sens internes ou facultés mentales : l’imagination, située dans la « proue » du cerveau, la mémoire dans la « poupe », la raison dans la partie médiane. L’exercice normal et harmonieux des sens internes permet de faire la synthèse de la diversité du donné » (p.32). Ces dix siècles de lumière et d’obscurité nous permettent d’appréhender l’importance des contextes culturels et religieux pour la définition de la folie et le traitement des fous. Le passage des humeurs aux sens internes est remarquable : imagination, mémoire et raison.
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