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Chapitre 1 : Naissance et développements de la psychopathologie

Le triomphe de la raison et l’exil de la folie à l’Age classique

 «Au XVIIe siècle, le culte de la raison, la maîtrise de la nature, la centralisation du pouvoir poussée jusqu’à l’absolutisme, sont allés de pair, tissant entre eux des liens significatifs. La défense de l’ordre s’est traduite par un désaveu des expressions outrées de l’imagination et de la fantaisie». La folie fut prise elle aussi, mais indirectement, dans le grand mouvement de mise en ordre (p.73).

La France créa l’Hôpital Général, l’Allemagne, les Zuchthaüser, l’Angleterre les Houses of Correction pour y rassembler « les pauvres, les errants, les enfants, les vieillards et les fous. Laïcisation de la charité, condamnation de la mendicité et moralisation de la folie semblent aller de pair » (p. 76-78). C’est le passage de l’assistance à l’enfermement.

L’ordre s’invite aussi dans le rationalisme de la pensée scientifique. En 1637 René Descartes publie le Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Il nous lègue la séparation de l’âme et du corps. La médecine connaît le même essor scientifique avec une « iatrophysique » et une « iatrochimie ». Harvey découvre la circulation sanguine. C’est la véritable naissance de la psychopathologie avec deux maladies emblématiques : l’hystérie et la mélancolie.

 

  • LÂ’hystérie

  •  Associé à l’utérus, cette maladie remonte sans doute à l’Antiquité égyptienne et se base sur les migrations de l’utérus vers le haut du corps. Pour attirer cet organe vers le bas, on applique des odeurs agréables sur la vulve. Mais pour Hippocrate et Galien, mieux vaut le maintien ou la reprise de relations sexuelles.

    Thomas Sydenham, l’ « Hippocrate anglais », fait une approche véritablement clinique de l’hystérie. «‘Cette maladie est un protée qui prend une infinité de formes différentes : c’est un caméléon qui varie sans fin ses couleurs… Ses symptômes ne sont pas seulement en très grand nombre et variés, ils ont encore cela de particulier entre toutes les maladies, qu’ils ne suivent aucune règle, ni aucun type uniforme, et ne sont qu’un assemblage confus et irrégulier : de là vient qu’il est difficile de donner l’histoire de l’affection hystérique.’ Magnifique description  du caractère changeant, trompeur, labile, de l’hystérie. L’abandon par Sydenham de la théorie utérine pour l’origine cérébrale de l’affection lui permit de rapprocher hystérie et hypocondrie ; la référence à une étiologie cérébrale autorisait à envisager ces deux affections comme une même maladie s’exprimant sous ses deux aspects quelque peu différents : l’hypocondrie était à l’homme ce que l’hystérie était à la femme. (…) ‘J’ai toujours grand soin de leur demander si le mal dont elles se plaignent ne les attaque pas principalement lorsqu’elles ont du chagrin ou que leur esprit est troublé par quelque passion.’» (Sydenham in o.c. p. 86)

    Le savant médecin anglais associe à la maladie traits de personnalité caractéristiques et faiblesse du tempérament. D’autres évoquent l’origine cérébrale, l’atteinte du cerveau et des nerfs. L’homme peut donc aussi être hystérique.


    Voici une autre étude clinique due à Thomas Willis : « Des mouvements dans le bas-ventre (…), des efforts de vomissements, la distension des hypocondres, des éructations et des borborygmes, la respiration inégale et gênée, la chaleur dans la gorge, le vertige, la convulsion et la rotation des yeux, des rires et des pleurs immodérés, des paroles absurdes, quelquefois l’aphonie et l’akinésie, le pouls nul ou faible, des mouvements convulsifs dans la face et les membres et quelquefois dans tout le corps, quoique les convulsions générales soient rares et ne surviennent que dans les cas graves.’ » (Willis in o.c. p. 88).

     

    • La mélancolie

    •   Robert Benton publie L’Anatomie de la mélancolie en 1621. Il a « privilégié le caractère d’exception des sujets mélancoliques, retrouvant à la thèse développée, immortalisée peut-être, par le célèbre Problème XXX, que la tradition attribue à Aristote. Faut-il le rappeler, « l’homme de génie et la mélancolie » est le thème dont traite le Problème XXX, qui débute ainsi : ‘Pour quelle raison tous ceux qui ont été des hommes d’exception, en ce qui regarde la philosophie, la science de l’Etat, la poésie ou les arts, sont-ils manifestement mélancoliques, et certains au point même d’être saisis par des maux dont la bile noire est l’origine ?’ (…) Burton a fait une revue soigneuse – quasiment exhaustive – des causes que l’on peut invoquer à l’origine de la mélancolie ; causes organiques, causes morales ou psychologiques : le rôle de la solitude, de l’oisiveté, est souligné. Mais ce livre étonnant parle aussi de jalousie, d’agressivité, de rivalité, de la lutte douloureuse, à l’intérieur de l’individu, de sentiments contradictoires ? L’amour, enfin, est parfois empreint d’une force si tyrannique qu’il peut aussi conduire à la mélancolie » (p. 89).

      Jacques Ferraud fait paraître, en 1612, De la maladie d’amour ou mélancolie érotique. Voici ce qu’il observe : « l’Amour est le principe et l’origine de toutes nos affections, et l’abrégé de toutes les passions de l’âme : car désirant jouir de ce qui plaît, soit-il beau réellement ou en apparence, nous l’appelons convoitise ou concupiscence : n’en pouvant jouir c’est douleur et désespoir, jouissant de la chose désirée, Amour pend le titre de plaisir et volupté : le croyant pouvoir obtenir c’est espoir, et le croyant perdre de tout, ou en partie, c’est jalousie » (p.90).

      On connaissait déjà le caractère saisonnier de la mélancolie. Le XVIIe siècle évoque le lien possible avec la manie et l’idée d’une maladie unique. Mais la proximité de l’hystérie et de la mélancolie avec la sexualité ne lève pas une dernière ambiguïté.

      « Si le point de vue médical, fidèle à la tradition galénique, tend à voir dans l’abstinence sexuelle l’origine de nombreux troubles, un autre point de vue fait autorité, issu lui aussi d’une longue tradition mais située aux antipodes, celle qui depuis trois siècles au moins associe la sexualité – surtout féminine – au mal, au péché, la rendant justiciable à ce titre de poursuites acharnées, de torture, de mort violente » (p. 92).


      L’âge classique met donc l’ordre aux commandes du politique et la science au gouvernail de la médecine. Une véritable « clinique » s’impose enfin avec les descriptions très modernes de l’hystérie et de la mélancolie. Mais l’existentiel, pour ne pas dire le psychologique, s’invite tout autant à la réflexion : génie et mélancolie sont associés, tout comme amour, sexe et hystérie. Mais la persistance des épidémies de sorcellerie dans les couvents et les condamnations à mort (de confesseurs) ne permet pas encore d’aller au-delà de ces pures observations cliniques.

       

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