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Chapitre 1 : Naissance et développements de la psychopathologie

De la philosophie des Lumières à l’appropriation médicale de la folie

Le XVIIIe siècle met à la barre « une entière confiance dans la raison humaine par une foi sans limites dans le progrès… La capacité de maîtriser la nature était censée contribuer à l’avènement du bonheur ici et maintenant… Avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la liberté humaine est un droit attaché à la personne : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ».

La médecine se laïcise. « S’il ose encore être incroyant, le médecin du XVIIIe siècle est volontiers sceptique… Une chose est remarquable… la référence à l’observation, la suprématie accordée aux faits ».

Le mot de « psychiatre » est proposé vers 1808. Cette nouvelle branche de la médecine est mise en œuvre par Pinel. Mais deux autres médecins émergent auparavant : Cullen et Mesmer. William Cullen, médecin écossais, crée le terme de névrose. Cette classe des névroses est très large, débordant sur de l’organique et de l’infectieux, mais elle comprend les principales maladies dites actuellement mentales : adynamie, hypocondrie, chlorose, affections spasmodiques, hystérie, mélancolie et manie, comas ou perte du mouvement volontaire. Voilà de la bonne médecine classique et rationnelle. A la même époque, professait Mesmer et « l’on peut faire remonter la psychiatrie dynamique moderne au magnétisme animal ». C’est l’avis de Henri F. Ellenberger, avis partagé par Evelyne Pewzner dont nous nous inspirons fidèlement jusqu’à présent.

 

  • Mystère de la guérison, scandale de lÂ’imagination : lÂ’aventure du magnétisme animal

  •   Mais c’est à Ellenberger et à sa monumentale Histoire de la découverte de l’inconscient que nous emprunterons la présentation de Mesmer. Avec ce dernier, nous entrons dans une toute nouvelle démarche scientifique, qui ne découle pas de l’observation des malades eux-mêmes mais de l’expérience d’une pratique nouvelle sur qui veut bien s’y soumettre. Plus que de pratique, il s’agit du pouvoir personnel du médecin lui-même.

    Après des études de théologie et de philosophie, Mesmer apprend la médecine et prend le risque d’un sujet de thèse étonnant : De l’influence des planètes. Il épouse une riche veuve aristocrate viennoise, et se trouve à l’abri du besoin ainsi qu’en contact avec la bonne société. « Au cours des années 1773 et 1774, Mesmer soigna dans sa propre maison une malade de 27 ans, Fraülein Oesterlin, qui ne présentait pas moins de quinze symptômes d’apparence grave. Il nota la périodicité quasi astronomique de ses crises et fut bientôt capable de les prédire. Il chercha alors alors à en modifier le cours. Il venait d’apprendre que les médecins anglais utilisaient des aimants pour traiter certaines maladies, et il eut l’idée de provoquer une « espèce de marée artificielle » chez sa malade. Après lui avoir fait avaler une mixture contenant du fer, il fixa sur son corps trois aimants spécialement conçus à cet effet : un sur l’estomac et deux autres à chacune de ses jambes. La malade sentit bientôt d’étranges courants, comme un fluide mystérieux, traverser son corps de haut en bas, et ses maux disparurent pour plusieurs heures. (…)

    Il comprit que les effets constatés chez sa malade ne pouvaient être dus aux seuls aimants, mais qu’ils devaient provenir d’ « un agent essentiellement différent », c’est-à-dire que ces courants magnétiques qui traversaient le corps de la malade étaient issus d’un fluide accumulé dans son propre corps à lui, fluide qu’il appela « magnétisme animal ». (…) Mesmer avait 40 ans lors de cette découverte. Il devait consacrer le reste de sa vie à la développer et à la présenter au monde » (Ellenberger p. 89).

    Mais un autre cas, celui de Mlle Paradis, allait ruiner sa carrière viennoise et… son couple. Cette musicienne aveugle de 18 ans affirmait retrouver la vue, mais en présence de son magnétiseur seulement. Elle développa aussi un attachement très vif vis-à-vis de lui. Puis tout cela s’avéra pur… transfert. La cécité devint définitive et Mesmer quitta Vienne pour Paris, en 1778, où il eut rapidement un énorme succès. Il s’installa Place Vendôme, abandonne les aimants et reçoit tellement de patients qu’il doit inventer un traitement collectif autour d’un « baquet ». Un médecin anglais décrit cette séance.

    « Toute cette mise en scène était destinée à renforcer les influences magnétiques. De grands miroirs réfléchissant le fluide qui était transmis par des sons musicaux émanant d’instruments magnétisés. Mesmer lui-même jouait parfois sur son harmonica de verre, instrument dont bien des personnes disaient qu’il ébranlait les nerfs. Les malades étaient assis en silence. Au bout d’un moment, certains commençaient à éprouver des sensations physiques étranges. Quant à ceux qui étaient saisis de crises, ils étaient traités par Mesmer et ses assistants dans la « chambre des crises». Parfois, une vague de crises se propageait d’un malade à l’autre. Mesmer utilisait aussi un procédé encore plus extraordinaire, l’arbre magnétisé, sorte de traitement collectif de plein air pour les pauvres » (p. 93).

    Mesmer avait à cœur de fonder sa pratique scientifiquement et de la faire connaître. Il évoque Newton et la gravitation universelle, il invoque l’électricité qu’on découvre à l’époque et propose un système en 27 points en 1779.

    « Le système de Mesmer (…) peut se résumer en quatre principes fondamentaux : un fluide physique subtil emplit l’univers, servant d’intermédiaire entre l’homme, la terre et les corps célestes, et aussi entre les hommes et eux-mêmes ; la maladie résulte d’une mauvaise répartition de ce fluide dans le corps humain, et la guérison revient à restaurer cet équilibre perdu ; grâce à certaines techniques, ce fluide est susceptible d’être canalisé, emmagasiné et transmis à d’autres personnes ; c’est ainsi qu’il est possible de provoquer des « crises » chez les malades et les guérir » (o.c. p. 94-95). Et Ellenberger de commenter.

    « Pour Mesmer, la crise était la preuve, artificiellement provoquée, de la maladie, en même temps qu’elle fournissait le moyen de la guérir. Les crises, disait-il, sont spécifiques de la maladie : un asthmatique aura une crise d’asthme, un épileptique une crise d’épilepsie. A mesure que l’on provoquait ces crises chez un malade, elles devenaient de moins en moins violentes. Elles finissaient par disparaître totalement, signant ainsi la guérison  » (p. 94).

    « Le magnétiseur, déclarait Mesmer, est l’agent thérapeutique des ses guérisons : c’est en lui-même que réside son pouvoir. Pour être en mesure de guérir, il lui faut d’abord établir une relation étroite avec son malade, c’est-à-dire, en quelque sorte, « se mettre en harmonie avec lui ». Le chemin vers la guérison passe par des crises, lesquelles sont des manifestations de maladies latentes, que le magnétiseur provoque artificiellement afin de pouvoir en triompher. Il vaut mieux induire plusieurs crises, de moins en moins violentes, qu’une seule crises très grave. Dans le traitement collectif, le magnétiseur doit également garder sous sa maîtrise les réactions des patients les uns sur les autres » (p. 100).

    Ainsi ce siècle des Lumières suscite psychiatrie et névrose et promeut des droits de l’homme dont le malade mental va bientôt profiter. Mais c’est Anton Mesmer qui s’impose à nous comme le premier véritable psychothérapeute et somatothérapeute, et même sociothérapeute avec la séance du baquet. Sa prétention à fonder son art en science, sous le terme de « magnétisme animal », le discrédite. Mais la découverte de la circulation énergétique et du transfert/contre-transfert en fait notre précurseur à tous, bien avant Freud.

     

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