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Table des matières

Chapitre 1 : Naissance et développements de la psychopathologie

Le courant psychiatrique : de l’organicisme à l’athéorisme

 Commençons par le courant psychiatrique, hospitalier pour l’essentiel et universitaire. On peut y déceler cinq tendances principales :

  • aliéniste,

  • organiciste,

  • classificatrice,

  • psychodynamique,

  • athéorique.

     

  • LÂ’aliénisme

  •  Restons encore avec Pinel, Esquirol et la psychiatrie française de ce XIXe siècle, pour souligner que l’aliénisme est une approche existentielle, humaniste, éloignée de l’organicisme, mais aussi une conception uniciste de la psychopathologie.

    « L’aliénation mentale est un processus unique, même si les manifestations extérieures sont diverses. L’accent est donc mis sur l’unicité du trouble, en dépit des apparences qui pourraient en imposer pour la multiplicité. Les divers tableaux que l’on peut décrire sont autant d’expressions différentes d’une seule et même maladie, ce que montre bien la survenue successive des différentes manifestations chez un même patient : « C’est ainsi qu’on voit des mélancoliques devenir maniaques, certains maniaques tomber dans la démence ou l’idiotisme, et quelques fois même certains idiots, par une cause accidentelle, retomber dans un accès passager de manie, puis recouvrer entièrement la raison ».

    L’aliénation mentale est unique en son fond et protéiforme dans ses manifestations. Diverses causes peuvent être invoquées selon Pinel : les causes éducatives, excès de tolérance ou de rigidité, l’expression des passions, débilitantes ou oppressives, gaies ou expansives, une constitution mélancolique, diverses causes physiques (fièvre, hémorragie, suites de couches…), l’abus des plaisirs, ou encore le refus ou l’impossibilité de satisfaire les ‘penchants’ » (Pewzner p.221).

    C’est le concept uniciste fondé sur un processus unique qu’il faut remarquer ici. Il sert de base à notre approche ontopathologique qui peut regrouper en un seul tableau les douzaines de « manifestations » avec seulement trois paramètres de différenciation.

     

    • LÂ’organicisme

    •  Les progrès de la médecine apportent de nouvelles connaissances du côté des organes. Il était tentant de s’en servir pour expliquer les maladies mentales tellement subtiles et impalpables.

      Laurent Bayle établit un lien de causalité entre l’inflammation des méninges et la paralysie générale. Il généralise : « La plupart des aliénations mentales sont le symptôme d’une phlegmasie chronique primitive des membranes du cerveau. » (p. 168).

      Gall, médecin neuro-anatomiste, procède à des coupes longitudinales de l’axe nerveux et crée la phrénologie qui fait correspondre chaque faculté à une partie du cerveau, repérable à la palpation.

      Broussais intitule son livre : De l’irritation et de la folie, ouvrage dans lequel les rapports du physique et du moral de l’homme sont établis sur les bases de la médecine physiologique (1828).

      Benedict-Augustin Morel traite les vésanies de « dégénérescence héréditaire » qui a comme corollaire sa transmissibilité héréditaire. « Cette transmissibilité est progressive : d’une génération à l’autre la pathologie s’aggrave ; chez les descendants du sujet atteint, la déchéance physique et morale progresse jusqu’à ‘la stérilité…, l’imbécillité, l’idiotie et finalement la dégénérescence crétineuse’ » (p. 170).

      En Allemagne s’affrontent des « psychistes » et des « somatistes ». « Aux excès des psychistes ont ainsi répondu les excès des représentants de l’école somatiste. (…) L’hérédité et les lésions du cerveau sont les causes habituellement invoquées. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, l’organicisme triomphe en Allemagne. Si  W. Griesinger (1817-1868), héritier des somatistes, a été un brillant représentant de la psychiatrie universitaire, positiviste, il ne doit cependant pas être considéré comme un organiciste au sens étroit du terme, en dépit de sa célèbre profession de foi : ‘Nous devons toujours voir avant tout dans les maladies mentales une affection du cerveau.’ Car dans un traité publié en 1845, qui fit autorité, Pathologie et thérapeutique des maladies psychiques, il admettait le rôle des conflits internes et celui du refoulement (Verdrängung) des idées et des sentiments – notion sans doute empruntée au philosophe Johann Friedrich Herbert – , et reconnaissait l’utilité d’agir sur le psychisme » (p.173).

      Sont-ce les excès des psychistes et des somatistes qui font évoluer la recherche vers plus de clinique, d’empirisme et de zèle classificatoire ? La chronologie l’évoquerait.

      Toute avancée scientifique expose un danger ‘extrapolations hasardeuses, en médecine comme ailleurs. D’expliquer les maladies mentales par des atteintes organiques simplifierait bien les choses et, surtout, rassurerait les psychiatres dans leur impuissance thérapeutique. Mais quelles dérives que ces notions de dégénérescence et d’hérédité. Heureusement que s’annoncent en même temps les concepts de conflit interne et de refoulement, à mi-chemin de Mesmer et Freud.

       

      • Empirisme et classification

      • En Allemagne encore, Karl Ludwig Kahlbaum intitule sa thèse : Classification des maladies mentales. Essai de fonder la psychiatrie comme discipline clinique sur la base de l’empirisme et des sciences naturelles. Il propose la première véritable description de la catatonie, dont il souligne le parallèle avec la paralysie générale.

        Mais c’est Emil Kraepelin qui réussit la classification des maladies mentales qui fera autorité. Il se base sur l’évolution des différentes formes de maladie. Il a isolé deux syndromes à présent bien précis, la démence précoce (future schizophrénie) et la folie maniaco-dépressive. La France n’arrivera pas à rivaliser avec une telle somme, éditée neuf fois.

        Le travail de classification va de nouveau défaire l’unité introduite par l’aliénation, et suggérer de forts vilains mots comme ceux de démence précoce, annonciateurs de condamnation à vie.

         

        • Le psychodynamisme

        •  La psychanalyse de Freud et sa théorie psychodynamique n’auront pas de mal à s’engouffrer dans les lacunes béantes de la psychiatrie et de ses classifications. Sans devenir des psychanalystes exclusifs, des psychiatres comme Meyer, Bleuler et Ey feront profiter la profession des nouveaux apports, même s’ils se font désavouer par les puristes.

          Adolf Meyer, américain né en Suisse, marque sa nouveauté. « Contrairement à Kraepelin auquel il s’est opposé violemment, Meyer considérait les différentes maladies non comme des entités figées, mais comme des modes de réaction, des façons diverses de manifester une incapacité à s’adapter à des situations particulièrement difficiles ou conflictuelles. Une telle perspective impliquait une attitude plus optimiste et s’accompagnait d’un effort pour changer l’environnement, aider le malade à mobiliser ses forces vives pour contrebalancer ses déficiences. Ainsi l’influence de Meyer a favorisé l’approche psychothérapique de la schizophrénie. Ecartant l’ancienne nosologie, il a eu le mérite, très moderne, de s’intéresser à une personne « entière », en situation concrète, et non à un esprit séparé du corps. C’est le sens de sa conception de l’intégration psychobiologique selon laquelle le comportement humain est intégré par la pensée » (p. 258).

          En Suisse, Eugen Bleuler, médecin chef du Burghölzli à Zürich et patron de C.G. Jung, emprunte à Freud l’importance de l’affectivité dans la vie psychique. Mais c’est pour son concept de schizophrénie que Bleuler est surtout connu. « Il proposait pour désigner la démence précoce le terme de schizophrénie, qui avait le mérite de mettre l’accent non plus sur l’évolution démentielle inéluctable, mais sur le trouble fondamental du fonctionnement de la pensée, la dissociation. Le mot schizophrénie, en effet, est formé de deux racines grecques, schize – fente, séparation et phren – le cerveau. Au critère clinique évolutif de Kraepelin est substitué un abord psychopathologique : ‘La dissociation (Spaltung) des fonctions psychiques les plus diverses est une des caractéristiques les plus importantes de la schizophrénie.’ » (p. 260). La compréhension de ce syndrome se complexifie avec l’opposition des « troubles primaires » et la « lutte du sujet contre l’envahissement psychotique ». « Bleuler oppose d’une part les symptômes durables ou fondamentaux aux symptômes accessoires, qui peuvent manquer à certains moments et même pendant toute l’évolution d’un cas. Il oppose d’autre part les symptômes primaires, qui naissent directement du processus pathologique aux symptômes secondaires qui naissent seulement par la réaction du psychisme malade.

          On voit qu’une ‘part importante de la symptomatologie ne correspond pas aux effets immédiats de la maladie elle-même (le processus primaire), mais à ce que produit secondairement la lutte du sujet contre l’envahissement psychotique’ (Lantéri-Laura).

          Les symptômes fondamentaux sont les troubles des associations, les troubles de l’affectivité et l’ambivalence, auxquels s’ajoutent les troubles des fonctions complexes qui en découlent, en particulier la perturbation du rapport à la réalité, décrite par Bleuler sous le nom d’autisme. Les symptômes accessoires sont nombreux ; ils comprennent les hallucinations, les idées délirantes, les altérations de la personnalité à type de dépersonnalisation, la catatonie et les symptômes aigus. Les symptômes primaires consistent surtout dans le trouble des associations, tandis que l’essentiel de la symptomatologie décrite jusqu’alors dans la démence précoce est secondaire » (p. 261). L’essentiel de la toute nouvelle schizophrénie est dit, presque définitivement. Bleuler ne se prononce pas sur l’origine de la pathologie, organique et peu psychogénétique.

          C’est un français qui s’essayera à allier organicisme et psychodynamique sous l’appellation « organo-dynamisme ». Henri Ey, contemporain, collègue et rival de Jacques Lacan, a tenu le haut du pavé de la psychiatrie française au milieu du XXe siècle, consolidant cette place avec un Manuel de psychiatrie qui a accompagné mes nuits de garde dans les hôpitaux évoqués ci-dessus. Ey construit son approche sur une conception hiérarchisée de la vie mentale. « Ey s’inscrit en effet dans la filiation du neurologue anglais Hughlings Jackson (1835-1911) qui a proposé un modèle de la dissolution des fonctions nerveuses supérieures. Influencé par les idées évolutionnistes de son maître Thomas Laycock et par la thèse du philosophe Herbert Spencer, Jackson a élaboré une théorie globale de l’intégration hiérarchisée des niveaux d’organisation des centres nerveux. Il y a, selon Jackson, une hiérarchie des fonctions psychiques. Les états pathologiques se traduisent par un mouvement de dissolution des fonctions existantes, et cette dissolution entraîne la libération des instances sous-jacentes. La maladie représente ainsi une régression du système à un niveau inférieur, antécédent et sous-jacent. Des troubles négatifs et des troubles positifs vont alors être observés. Les troubles négatifs résultent directement du processus de dissolution, les troubles positifs représentent la manifestation de l’activité du niveau sous-jacent, activité neutralisée dans les conditions normales par l’action du niveau supérieur » (p. 264-265). Voici comment il applique cette hiérarchisation de la vie mentale. « Le modèle le plus caractéristique et le plus compréhensible de dissolution psychique est le rêve. Lors de l’endormissement s’exprime la conscience hypnagogique, métamorphose de la conscience qui devient ‘conscience imageante’. Ey remarque que la pensée schizophrénique, ‘si admirablement analysée par Bleuler’, n’est elle-même qu’une pensée infiltrée de rêve, et l’autisme ne peut être perçu que comme un type de pensée fantasmique. On peut considérer en somme que la dissociation libère une efflorescence de rêveries, de fantasmes, d’images, qui s’apparentent au mode de pensée onirique » (p. 265-266).

          Si Mesmer a dû attendre cent ans pour inspirer Charcot, Freud a rapidement influencé la psychiatrie. Meyer s’intéresse à la « personne entière », à notre « holanthrope ». Bleuler remplace la démence par la schizophrénie et la pense récupérable. Il reconnaît une polarité avec les symptômes primaires et secondaires qui annoncent la polarité structuro-fonctionnelle. Ey renchérit sur cette vectorisation, complétant la dissociation de Bleuler par la dissolution empruntée à Jackson. Psychiatres, psychanalystes et nanophysiologistes font de belles avancées quand ils collaborent.

           

          • LÂ’athéorisme du DSM et du CIM

          •   Américains, Suisses, Allemands, Français… Nous n’avons pas évoqué les luttes entre nations par psychopathologies interposées. Psychodynamique, organicisme, phénoménologie, systémisme… N’entrons pas plus dans les querelles d’école qui sont encore en cours. Et pourquoi le même malade serait-il dément précoce d’un côté du Rhin et schizophrène de l’autre ? Et pourquoi la même pathologie serait-elle organogénétique d’un côté de l’Atlantique et psychogénétique de l’autre ? Et nous n’évoquons pas plus d’autres découvertes du début du XXe siècle comme celles des stades du sommeil, du rêve, grâce à l’EEG, la neurochirurgie, les neurosciences. Devant ces incohérences, la profession a senti le besoin de tout remettre à plat. Quelle modestie ; quelle sagesse : et si on laissait tout simplement tomber les théories, parce qu’elles ne sont pas fiables ! Ça laisserait de la place à du neuf ! L’Eepssa l’a entendu ! 

            C’est aux Etats-Unis qu’est apparu ce besoin de faire abstraction des théories pour se focaliser sur des pures descriptions qui peuvent s’entendre par toutes les nations et toutes les écoles. Il en résulte le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ou DSM dont nous sommes près de la dixième évolution. Voici ce qu’en dit Serban Ionescu dans son livre : 14 approches de la psychopathologie.

            « Publiée en 1952, la première édition du DSM (DSM I) a été fortement influencée par le point de vue psychobiologique d’Adolf Meyer qui concevait les troubles mentaux comme des ‘réactions’ de la personnalité à des facteurs psychologiques, sociaux et biologiques. Seize ans plus tard, lors de la parution du DSM II, on constate, d’une part, que, dans l’ensemble, on se sert de termes qui ne présupposent pas de cadre théorique particulier pour la compréhension des troubles mentaux non organiques.

            Le processus d’élaboration du DSM III (American Psychiatric Association, 1980) débute en 1974, lorsque l’Association américaine de psychiatrie (APA) crée un « Groupe de travail sur les nomenclatures et les statistiques » qui fonctionne comme un véritable comité d’orientation supervisant la progression de l’ouvrage. Il nous paraît important de souligner que, parmi les objectifs que les membres du groupe de travail s’étaient engagés à atteindre, figurait celui de « se faire accepter des cliniciens et des chercheurs d’orientations théoriques différentes » (Spitzer, 1985) » (Ionescu p. 9).

            « Au cours de la préparation du DSM IV, le groupe de travail et les comités mentionnés ci-dessus ont procédé à l’étude approfondie des publications existantes, ont effectué quarante nouvelles analyses sur des données déjà traitées et ont fait d’importants essais sur le terrain. Ces essais ont impliqué 70 sites et plus de 6 000 sujets. Lors de la prise finale de décisions, le groupe de travail et les comités ont tenu compte de l’ensemble des données empiriques disponibles » (Ionescu p. 10).

            Voici comment les psychiatres français ont jaugé l’athéorisation de ce manuel : « L’athéorisme est, sans doute, dominant dans les dernières éditions du DSM. Pichot et Guelfi (1985) constatent, en effet : (a) que l’athéorisme est affirmé dans le titre même du volume où figure le concept de « troubles mentaux » et non celui de « maladies mentales » ; (b) qu’il se manifeste par le fait que la plupart des catégories diagnostics du DSM III sont définies par des constellations de symptômes, donc par des syndromes ; (c) que, dans un nombre important de cas, les termes évoquant une étiologie ou une pathogénie « non démontrées » ont été bannis » (p.11).

            Le second intérêt des DSM et CIM réside dans l’évaluation multiaxiale.

            « Dans le cas du DSM III, l’adoption d’un système multiaxial est une conséquence logique de l’athéorisme étiologique qui rend nécessaire l’enregistrement de l’ensemble de l’information disponible (Pichot et Guelfi, 1985). Ce système assure une évaluation minutieuse du point de vue psychologique, biologique et social (Skodol & Spitzer, 1985). Dans l’évaluation multiaxiale, chaque axe se rapporte à une classe d’informations différente. Les quatre premiers axes sont typologiques, impliquant des catégories ; l’axe V est dimensionnel, l’évaluation se faisant sur un continuum. Gisselmann et al. (1985)  soulignent l’intérêt des axes IV et V qui font apparaître, à côté du malade, l’environnement de celui-ci, notion qui conditionne, souvent et en grande partie, le pronostic.

             

            • L' Axe I
            • L’Axe I du DSM IV comprend les troubles cliniques ainsi que les différentes autres situations qui peuvent faire l’objet d’un examen clinique. Au total, quinze catégories de troubles mentaux figurent sur cet axe :

              • troubles apparaissant habituellement durant la première et la deuxième enfance, ou à l’adolescence :

              • delirium, démence, syndrome amnésique et autres troubles cognitifs ;

              • troubles mentaux dus à une affection ou à un trouble physique ;

              • troubles en relation avec l’ingestion de substances psychoactives ;

              • schizophrénie et autres troubles psychotiques ;

              • troubles de l’humeur ;

              • troubles anxieux ;

              • troubles somatoformes ;

              • troubles factices ;

              • troubles dissociatifs ;

              • troubles sexuels et de l’identité sexuelle ;

              • troubles de l’alimentation ;

              • troubles du sommeil ;

              • troubles du contrôle des impulsions non classés ailleurs ;

              • troubles de l’adaptation. (…)

                 

            • L'Axe II
            •  L’Axe II comprend les troubles de la personnalité et sert, aussi, à coder le retard mental. Au nombre de dix, les troubles de la personnalité constituent trois groupes :

              • le groupe A comprend les personnalités paranoïaque, schizoïde et schizotypique. Les sujets présentant ces troubles apparaissent souvent comme bizarres ou originaux ;

              • le groupe B est constitué de quatre types de personnalités pathologiques : antisociale, limite (borderline), histrionique, narcissique. Les aspects communs aux personnalités appartenant à ce groupe sont la tendance à la dramatisation, l’émotivité et un caractère irrégulier, erratique, des conduites ;

              • le groupe C réunit les personnalités évitante, dépendante et obsessionelle-compulsive. Les sujets présentant ces trois types de personnalités apparaissent souvent comme anxieux ou craintifs. (…)

                 

            • L'Axe III
            •  L’Axe III sert à noter les troubles ou affections physique présents chez la personne évaluée et susceptibles d’avoir une importance pour la compréhension ou le traitement du cas. (…)

            • L'Axe IV
            •  L’Axe IV sert à noter les problèmes psychosociaux et environnementaux qui peuvent affecter le diagnostic, le traitement et le pronostic des troubles mentaux codés sur les Axes I et II. (…)

               

            • L'Axe V
            •  L’Axe V sert à indiquer le jugement du clinicien sur le niveau de fonctionnement global de la personne évaluée. A cette fin, le clinicien utilise l’échelle GAF. L’estimation porte uniquement sur le fonctionnement psychologique, social et professionnel et concerne, dans la plupart des cas, la période actuelle ». (o.c. p. 15-17)

              Les DSM et CIM serviront de base à notre propre démarche, ontopathologique. Nous retrouverons donc longuement des pans entiers de ces manuels. De plus, l’ensemble des champs couverts par eux sera considéré comme des totalités qui font structure, et pluriglobalité, à savoir :

              • l’ensemble de l’axe I,

              • les 13 troubles de la personnalité de l’axe II (+deux),

              • les troubles de l’enfance et de l’adolescence.

                 

          • La psychopathologie phénoménologique

          •  Initiée par des philosophes, Husserl, Heidegger puis, plus tard, Sartre, la phénoménologie a été adoptée très tôt par les psychiatres allemands (Jaspers), suisses (Binswanger) et français (Minkowski). Cette approche de l’être, de l’existence, de l’être-dans-le-monde ou Dasein a permis à la profession de faire de la véritable psychopathologie – comme nous le verrons – mais différemment et même à l’opposé de ce que nous avons vu jusqu’à présent qui est la constitution du modèle médical classique. Nous nous inspirons du livre de Serban Ionescu, 14 approches de la psychopathologie.

            • Modèle médical
            • Ce modèle, dans sa forme typique, peut être défini en utilisant plusieurs assertions : (1) la ‘maladie mentale’ a des causes individuelles, internes ; (2) les comportements des ‘patients’ sont déterminés par des causes ; (3) les personnes peuvent être classées comme saines ou comme malades ;(4) ainsi dans cette loi de 1838 a été en vigueur pendant plus de cent cinquante ans, de 1838 à 1990, objet de nombreuses attaques ; sa longévité, en dépit des critiques qu’elle a suscitées, témoigne peut-être de la difficulté et de l’ambiguïté de la législation dans le champ de la psychiatrie ; (5) les professionnels possèdent le savoir sur ce qu’est la maladie mentale (et donc, un certain pouvoir) » (Ionescu p. 159).

              Ce modèle médical a provoqué une première réaction, sociale, contemporaine du courant antipsychiatrique.

               

            • Modèle social
            •  Ce modèle, développé en réaction au modèle médical, peut être caractérisé par les cinq énoncés suivants : (1) l’hospitalisation est le résultat de la déviance des sujets ; (2) la déviance a des causes sociales et externes aux sujets ; (3) les comportements et attitudes des hospitalisés sont le résultat d’une situation sociale oppressante ; (4) l’hôpital psychiatrique est une société qui a des buts précis et qui possède ses propres règles et valeurs ; (5) la personne hospitalisée développe des stratégies, des attitudes, des comportements qui ne sont en relation avec aucune pathologie, mais plutôt avec un système d’interaction sociale en vue d’une adaptation » (o.c. p. 160).

              L’un des meilleurs représentants de ce modèle social est Goffman avec son livre Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux. Voici comment Ionescu le présente. « Pour Goffman, l’hôpital psychiatrique est une institution totalitaire dont la fonction est de prendre en charge des personnes jugées à la fois incapables de s’occuper d’elles-mêmes et dangereuses pour la communauté. Au fur et à mesure que son séjour en institution se prolonge, le patient perd progressivement sa culture (‘déculturation’). Le patient se dépersonnalise comme effet des différentes ‘techniques de mortification’ : l’isolement du monde extérieur, la perte de ses anciens rôles, le dépouillement de ses biens, la dégradation de son image de soi, la violation de son intimité, etc. Goffman décrit aussi les différentes stratégies d’adaptation que peut utiliser le patient : (a) le repli sur soi ou la régression ; (b) l’intransigeance (refus de collaborer, mutisme) ; l’installation (appréciation de la vie institutionnelle) ; (d) la conversion (adoption de l’opinion de l’administration et/ou du personnel à son égard et le fait de s’efforcer de jouer le rôle du parfait reclus : soumis, rigide et incolore) » (p. 162).

              Cette réaction violente au modèle médical donne le ton du modèle phénoménologique même si ses tenants n’étaient pas aussi agressifs que Goffman ou mes antipsychiatres, parce qu’il s’agit d’une démarche nouvelle et autonome.

              « La phénoménologie est à la recherche du trouble fondamental, du trouble générateur qui, à l’instar d’une pierre angulaire, porte tous les autres tels qu’ils s’étalent à la surface et peuvent être l’objet d’une description. Elle a le souci de rendre compte de l’expérience vécue, dans toute sa densité, de comprendre les rapports de l’être-dans-le-monde, de l’être avec le monde. Selon les phénoménologues, la modification de la structure temporelle est au centre de la problématique morbide et, plus particulièrement au cœur du drame mélancolique. Cette malformation particulière du temps vécu se traduit par l’incapacité de relier les expériences les unes aux autres afin d’en tirer une conclusion pour l’avenir » (Pewzner p. 268).

              Se voulant simple, purement compréhensive et descriptive, la démarche phénoménologique se présente néanmoins de façon déroutante. Et c’est la focalisation sur le temps qui fait cette difficulté. Nous essayerons quand même de prendre le temps… grâce à nos vulgarisateurs, tout en affrontant le maître, Husserl, et une illustration clinique avec Binswanger.

              « Husserl (…) comprend ‘le temps’ à partir de l’intentionnalité et étudie la constitution, dans la conscience subjective du temps, de l’objectivité temporelle, et donc des ‘objets’ temporels noématiques ou intentionnels : passé, présent, avenir. Husserl désigne les moments structuraux intentionnels constitutifs des objets temporels (avenir, passé, présent) comme protention, rétention, présentation. Normalement, dans la structure de l’objectivité temporelle, la protention, la rétention et la présentation ne constituent pas des éléments isolés. Elles ne sont pas dissociables, elles s’intriquent et assurent ainsi la structure du ‘à propos de quoi’ (Worüber) » (Ionescu p. 157).

              Après les concepts médicaux, quelques concepts philosophiques ! Résumons ou, mieux encore, traduisons. La conscience est toujours conscience de quelque chose et surtout d’une intention, c’est cela l’intentionnalité. Le temps est l’objet privilégié de cette intention, temps qui n’existe que grâce à la conscience. Il est passé, présent et futur :

              le présent, je le présente,

              le passé, je le retiens,

              le futur, je m’y pro-jette.

              Voilà le sens simplifié de ces trois termes : présentation, rétention et protention. Ces trois séquences temporelles sont en relation logique sur la flèche du temps, passéprésentavenir. Ce serait une évidence si ce n’est que la pathologie ne s’engouffre dans les interstices de ces trois séquences. Ainsi pour le maniaque avec l’analyse de Minkowski.

              « Le maniaque reste certes en contact avec la réalité : il absorbe même avec une telle avidité le monde extérieur qu’il ne s’en pénètre plus du tout. Le contact existe, mais c’est un contact uniquement instantané. ‘Il n’y a plus de durée vécue en lui. Ce qui fait défaut à notre maniaque, c’est le déploiement dans le temps.’ Le maniaque ne vit que dans l’instant » (Pewzner p. 269).

              Quant à Binswanger, c’est du côté de la mélancolie qu’il développe la Daseinsanalyse, du côté de l’autoreproche mélancolique.

              « ‘Si je n’avais pas proposé l’excursion’ ou bien ‘si seulement je ne l’avais pas proposée (alors mon mari serait encore en vie, alors je serais encore heureuse et pleine de joie de vivre, alors je n’aurais pas à me faire de reproches, etc.)’ Ce discours du ‘si’, du ‘si… ne pas’, du ‘si j’avais’ ou du ‘si je n’avais pas’ nous offre une série de renseignements sur ce que Binswanger appelle ‘le relâchement des fils des moments structuraux intentionnels de l’objectivité temporelle’. En voici l’explication. Là où il est question de possibilités, il s’agit d’actes protentifs. Or, le discours de la patiente montre que ce qui est possibilité (possibilité libre) se retire dans le passé (qui, normalement, ne contient pas de possibilités) et constitue, en fait, une possibilité vide. Nous constatons ainsi que la rétention se confond avec la protention, que la protention est ainsi altérée, vide. Le ‘processus’ tout entier, la continuité de la temporalisation (tout comme de la pensée en général) est altéré et la protention n’a plus de ‘à propos de quoi’, plus rien qu’il lui resterait à ‘produire’ si ce n’est, pour reprendre la formulation de Binswanger, ‘l’objectivité temporelle du vide à venir ou du vide en tant qu’avenir. ’» (Ionescu p. 157).

              Ainsi, si le maniaque n’est que dans l’instant – et même pas dans le présent - le mélancolique n’a comme avenir (protention) que le passé (rétention). Or, dans le cas clinique évoqué, cette femme qui a conseillé une excursion à son mari au cours de laquelle il est mort accidentellement, n’a comme passé que la mort et le vide et comme futur que ce passé tout vide.

              Voilà cette psychopathologie phénoménologique qui n’est pas une révolte explicite contre le modèle médical, mais qui le remet implicitement en question. Ce courant est un précurseur de l’athéorisme des DSM et CIM et de l’antipsychiatrie. Voici ce qu’en conclut Evelyne Pewzner.

              « L’approche phénoménologique se situe en quelque sorte en dehors ou au-delà de la querelle opposant organicistes et psychogénétistes. Cette position est bien décrite par Minkowski. (…) Il souligne la difficulté que soulève la question de l’origine des troubles mentaux et la présomption qui consiste à se poser en détenteur de la vérité touchant les mécanismes et l’origine : ‘Il faut que je dise tout d’abord que tout le problème de la genèse des troubles mentaux, comme celui d’ailleurs de la genèse des manifestations psychiques normales est rien moins que clair pour moi (…). J’écrivais déjà tout à l’heure que je n’étais pas organiciste ; mais cela ne voulait point dire que je me déclarais adepte de la psychogenèse, du moins sous sa forme habituelle. Les chocs, les traumas, les conflits même qu’on incrimine me paraissent encore des concepts bien obscurs. (…) Bien souvent les théories dites psychogénétiques me donnent l’impression d’être plus matérialistes en fin de compte que le ‘matérialisme’ le plus extrême.’ » (Pewzner p. 271).

              Avec la phénoménologie, la patiente devient enfin un être considéré pour lui-même, un être-dans-le-monde à l’instar de tous les autres, au-delà des organogénèse ou psychogénèse. Malheureusement, il se retrouve aussi être-à-l’hôpital ! Ce qui a été relégation, enfermement, refuge et protection, lieu de soin, s’avère aussi institution totalitaire et génère des pathologies spécifiques qui s’ajoutent aux autres. Au-delà des causes, il y a l’expérience de la folie, le pathos du temps.

              La transition se fait très logiquement avec la fameuse antipsychiatrie à laquelle j’ai personnellement participé, ce qui m’a coûté… ma carrière universitaire !

               

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