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Chapitre 2 ; Les courants psychothérapeutique et psychiatrique de la psychopathologie

La psychopathologie existentialiste

 A ne pas confondre avec le courant phénoménologique ni avec la Daseinsanalyse de Binswanger ! Il s’agit d’abord d’une démarche psychothérapeutique qui débouche peu à peu sur des conceptions psychopathologiques. Les inspirateurs en sont Kierkegaard, Sartre et Heidegger, Tillich, Buber. L’animateur principal en est Rollo May qui enrôle tout autant Victor Frankl et sa logothérapie ainsi que Ronald Laing (voir l’antipsychiatrie).

« Une période de sept ans vécus dans un camp de concentration, amène Victor Frankl à l’existentialisme et de là, à la création d’une nouvelle forme de psychothérapie existentialiste, dénommée logothérapie, qui est destinée à aider les hommes à trouver un sens à leur vie. Frankl explique le développement de sa méthode en indiquant qu’un nombre croissant de personnes viennent, pour être aidées, chez les psychothérapeutes, sans présenter de symptômes, mais avec des sentiments d’ennui, parce qu’ils en « ont marre » et parce que leur vie manque de sens. Il n’est donc pas étonnant que la volonté et la prise de décision soient des ingrédients importants de la logothérapie. (…)

« Dans son ouvrage La politique de l’expérience, Laing (1967) considère que nous nous trouvons actuellement au milieu d’une période de changement d’approche aussi radicale que celle d’il y a trois siècles, lorsque se produisit le passage de la démonologie à une approche clinique. Actuellement, cette dernière cèderait sa place à une approche qui est, en même temps, existentialiste et sociale. A ce stade, la schizophrénie (ou l’expérience et les comportements qui sont étiquetés comme schizophrénie) constituerait, en fait, ce que Laing appelle la stratégie spéciale qu’une personne invente afin de vivre une situation invivable… La seule modalité nous permettant de comprendre et de nous occuper des êtres humains est, selon Laing, celle de clarifier la nature de l’être humain, c’est-à-dire l’ontologie ; toute théorie non fondée sur la nature de l’être humain est un mensonge et une trahison de l’homme » (Ionescu p. 132).

L’existentialisme affronte les vécus fondamentaux, ontologiques, de l’être, à savoir la volonté, l’angoisse et la mort.

 

  • Volonté

  •   « L’existence de l’homme consiste, en dernière analyse, en sa liberté. A ce sujet, May (1972b) cite Tillich qui a exprimé de manière très percutante cette idée en écrivant que « l’homme ne devient vraiment humain qu’au moment de la décision ».

    « May (1972b) croit que le noyau central de la « névrose » de l’homme moderne est « la destruction de son expérience de lui-même, en tant qu’être responsable, ainsi que l’usure de sa volonté et de sa décision ». Plus grave encore, l’individu moderne aurait très souvent la conviction que même s’il faisait réellement appel à sa volonté, ses efforts ne changeraient rien » (p. 133).

    Par ailleurs, Rollo May nous propose une polarité désir-volonté que nous pouvons associer à l’axe force-tension et à notre vecteur processus-structure.

    « Pour May (1972b), le désir et la volonté peuvent être considérés comme « des bi-pôles ayant une action opposée ». la volonté requiert la conscience de soi, le désir, non ; la volonté implique une possibilité de liberté de choix, le désir ne l’implique pas. Le désir donne la chaleur, le contenu, le jeu et l’enjouement de l’enfance, la satisfaction, la fraîcheur, la coloration et la richesse à la volonté. La volonté donne au désir l’orientation, la liberté et la maturité » (p. 140).

     

    • Angoisse

    • L’angoisse existentialiste est moins la crainte d’un danger précis que le vif sentiment d’avoir été jeté là sans l’avoir voulu, contraint à des options dont on n’aperçoit pas toutes les conséquences et qu’on ne saurait justifier (Foulquié, 1968). Sartre ne fait pas à l’anxiété et au désespoir la place qu’ils occupent dans la vie et l’œuvre de Kierkegaard ou même de Gabriel Marcel. Pour Sartre, l’angoisse résulte du sentiment de la portée de nos options. En effet, l’individu choisit ses propres normes sans avoir pu auparavant juger de leur valeur. Il s’agit, par conséquent, chez Sartre, d’une angoisse du choix » (p. 134).

       

      • Mort

      •  Vers la trentaine, Rollo May est atteint de tuberculose et passe deux ans alité au sanatorium de Saranac. Comme ceci se passait avant la découverte du traitement de la tuberculose, les malades ne savaient pas s’ils allaient survivre et côtoyaient de près la mort. Pendant ces années, May lut les deux principaux ouvrages sur l’anxiété qui existaient à l’époque : Le problème de l’angoisse de Freud et Le concept de la crainte de Kierkegaard. En lisant ce dernier, il ressent que Kierkegaard parlait exactement de ce qu’il était en train d’éprouver. Pour Kierkegaard, l’anxiété est la lutte d’une personne vivante contre le non-être. La terreur, dans l’expérience de l’anxiété, vient non pas de l’angoisse de la mort en tant que telle, mais de son conflit ambivalent en relation avec la menace, c’est-à-dire le fait que l’on soit tenté de céder à la menace. Comme le dit Kierkegaard, ce n’est pas la mort en tant que telle qui nous effraie, mais le fait que chacun de nous possède en lui des tendances dans les deux camps adverses. « L’angoisse est un désir que l’on redoute » écrit-il. Ainsi, comme un « pouvoir étranger, elle se saisit d’un individu, et il ne peut plus s’en arracher ».

        En apprenant à affronter directement le problème de la mort, May découvre qu’il est devenu capable de surmonter deux des faux moyens d’aborder la mort : l’attitude nonchalante, déni complet de la terreur de la mort s’exprimant par le fait d’être exagérément gai, insouciant et frivole et l’abandon désespéré que l’on rencontre chez les individus déprimés, apathiques, sans ressort, sans aucune ressource. Lorsqu’il put regarder la mort en face, May constata un changement radical dans sa relation avec le temps. Le temps « maître » ou « camisole de force » s’était transformé en temps « cadeau » (p. 136).

        Plus encore que d’isoler les vécus fondamentaux pour mieux les affronter, le courant existentialiste considère le patient dans son intégralité comme être-dans-le-monde, monde écosystémique, monde des relations humaines et monde propre. A ce propos, on peut demander au patient, comme le suggère Anne Ancelin-Schützenberger : « Qui suis-je en tant qu’être au monde ? Quelle est mon identité ? D’où est-ce que je proviens ? Comment puis-je me trouver ou m’accepter ? » (p. 137-138).

        « Dans le cadre de l’approche existentialiste, il faut chercher avant tout à voir le patient tel qu’il est réellement, à le découvrir en tant qu’être humain, en tant qu’être-dans-le-monde, et non pas comme une simple projection de nos théories à son propos. Cette approche nous montre qu’il faut considérer la personne humaine comme un processus plutôt que comme un produit. Très concernés par la volonté et la décision humaines, les existentialistes insistent sur le fait que l’être humain peut influencer sur sa relation à son destin. L’approche existentialiste remet en question la frontière entre « normalité » et « pathologie » en nous faisant découvrir une psychopathologie de la moyenne, largement partagée par les membres de notre société qui vivent l’angoisse de l’isolement et de l’aliénation » (p. 139). Cette psychopathologie de la moyenne s’appelle ailleurs normopathie ou normose.

        La psychopathologie existentialiste complète et continue la démarche phénoménologique. Elle reconnecte avec le « temps », l’intentionnalité et de « sens de la vie » que Frankl met au cœur du pathos. L’appellerons-nous ontosophie ? Autres concepts fondamentaux : volonté versus désir connectés par la décision, angoisse et anxiété, et la mort, enfin. Nous rencontrons ici un quatrième critère pour le couplage méthode-pathologie : le thème existentiel. Je voulais le développer dans mon dernier livre, le voici esquissé : coupler une méthode sur l’un de ces thèmes, créer des méthodes pour ces grands thèmes, au-delà des couplages usuel, formel et fonctionnel.

         

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