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Chapitre 3 :Psychopathologies, Psychiatrie et Nouvelles Thérapies

Changer la psychiatrie avec les nouvelles thérapies

 La psychiatrie ronronne doucement.

La psychiatrie est contente d'elle-même.

Elle a balayé l'antipsychiatrie et digéré la psychanalyse.

Elle se retrouve en territoire connu, en terrain sûr avec l'exclusivité de la maladie mentale et l'espoir d'en trouver l'origine biologique et la réponse pharmacologique. En attendant, elle se contente de proposer l'enfermement. La psychiatrie est même dynamique et audacieuse, elle condamne courageusement les détournements de son art à des fins politiques, ceux du moins qui se pratiquent ailleurs.

En 1983, deux grands rassemblements ont couronné ce retour au calme, l'un mondial, l'autre national. Au Congrès international de Vienne, on a assisté au triomphe de la biologie et de la pharmacologie et, dans l'antichambre même de Freud, on a proclamé la mise au pas sinon l'inutilité de la psychanalyse. La nouvelle nosographie du DSM III a réussi à éliminer les encombrantes névroses freudiennes. On s'est aussi réconcilié, sur le dos des... de ceux qui abusent de la psychiatrie. Heureusement que ce sont les autres, ceux de l'autre camp.

En Avignon, les principaux syndicats psychiatriques français ont organisé les premières journées communautaires autour du thème : « Quelle psychiatrie pour demain ? ». On s'est chamaillé sur quelques points secondaires, sur la pléthore des psychiatres, sur la capacité du praticien isolé d'être chercheur, sur l'accaparement de la psychiatrie par les seuls psychiatres... Et puis, là encore, on s'est retrouvé aux dépens des ...Russes.

 

  • Psychiatrie : état des lieux

  •  A Vienne comme en Avignon, la psychiatrie de demain, c'est celle d'aujourd'hui avec quelques médicaments de plus, une nosographie un peu plus affinée, une petite trace sanguine ou urinaire de la schizophrénie et son diagnostic enfin objectivé par résonance magnétique nucléaire. Il ne s'agit là qu'à peine d'une caricature. Car, en analysant plus finement la situation actuelle, on trouve un conservatisme foncier. En interrogeant les grands thèmes qui agitent le monde psychiatrique en 1984, on trouve les thèmes traditionnels, la nosographie, la pharmacologie et l'enfermement, toutes préoccupations bien anciennes et qui tournent autour du savoir et du pouvoir. Car le psychiatre est celui qui sait et qui peut quant à la maladie mentale, celui qui diagnostique et qui enferme. Et ce pouvoir, il faut le conserver, de même que le savoir qui garantit ce pouvoir. Il faut maintenir la psychiatrie dans la mouvance médicale.

    On s'agite autour de la nosographie, de cette belle machine à diagnostiquer et à différencier celui qui est fou – même s'il est seulement « troublé » selon le DSM III – de celui qui ne l'est pas. Les Américains nous défient avec cette troisième mouture du Diagnostic and statistical manual of mental disorders et les Français la traduisent en un temps record, ergotant tout autour, mais s'en servant déjà pour faire cours aux psychiatres en formation. L'ancien continent réplique, crée une Association Européenne de Psychiatrie pour défendre la tradition nosographique franco-germanique. Ça en soulève des passions de savoir quelle étiquette on va coller dessus. Mais on s'accorde sur la nécessité d'avoir ces étiquettes. Comment différencierait-on le psychiatre de son client autrement ? Dire que les psychanalystes n'arrivent pas à faire de statistiques sur les effets de leurs cures parce qu'ils ne peuvent même pas mettre de diagnostic commun sur les gens qu'ils prennent en traitement.

    La pharmacologie produit la même effervescence dans les rangs. On vient de découvrir un marché fantastique pour le médicament, à savoir la dépression. Pensez donc : cinq à dix pour cent de la population seraient plus ou moins dépressifs, de trois à six millions de Français, quelle aubaine ! II suffirait de lancer l'idée que la dépression, ça se soigne aux médicaments. Evidemment, on disait jusqu'à présent que la dépression, c'est réactionnel et existentiel à 95 %, que seule la mélancolie justifie les antidépresseurs. Mais voici que ce merveilleux DSM III vient éliminer la distinction entre dépression névrotique et mélancolie ; alors, dans le doute, autant médiquer tout le monde ! Et nos grands patrons de CHU emboîtent docilement le pas en cautionnant les innombrables petites revues sur la dépression qui se multiplient et dont nous inondent les laboratoires pharmaceutiques. Mais le médicament, c'est le moyen de notre pouvoir et ça nous est exclusivement réservé, à nous autres médecins.

    Et s'il n'agit pas, le médicament, il y a toujours l'enfermement. Evidemment, là, on n'est plus tellement fier, ce n'est pas aussi scientifique ni moderne. C'est même parfois carrément vétuste. Alors on ferme. En Italie, on a fermé tout. Et puis on rouvre à nouveau. En 1984, on fait marche arrière. La psychiatrie ne peut pas vivre sans enfermement. En France, on le sait, on est prudent, on se contente d'une sectorisation progressive et l'on s'arrange du fait que l'administration aurait plutôt tendance à freiner le mouvement car la sectorisation c'est aussi le pouvoir de pénétrer la famille, le quartier, l'environnement, c'est le risque de psychiatriser l'îlot.

    Evidemment, ça bouge aussi en psychiatrie, mais c'est pour rattraper les progrès inévitables et les réinscrire dans le statu quo, dans la position de savoir et de pouvoir du psychiatre. En ce sens, il y a conservatisme malgré quelques avancées, malgré les slogans du genre : « quelle psychiatrie pour demain ?

     

    • Les limites de la psychiatrie

    •  Pourtant la situation n'est pas si rose, malgré tout. Même dans son territoire, même sur ce terrain sûr dont la corporation a l'exclusivité, il y a matière à inquiétude. Pendant qu'elle ronronne, la psychiatrie se lézarde. La nosographie en prend plutôt un coup dans le DSM III. Les belles certitudes s'effritent, les grandes entités tombent en miettes. On n'ose plus trop parler de maladie ou de folie, on se rabat sur les concepts plus flous de trouble, de symptôme et d'accumulation de symptômes. On ne sait plus si les perversions sont pathologiques ou si le transsexualisme est délirant. Comme il faut quand même étiqueter, on propose une description multiaxiale et on exige un nombre de symptômes minimum : « Au delà de quatre items, monsieur, vous êtes bon ! ». Le psychiatre devient comptable et s'apprête à s'effacer derrière l'ordinateur après avoir cédé aux chimistes.

      Pourtant avec ces derniers il a du recul. Il constate de plus en plus que le médicament ne répond pas aux enthousiasmes d'il y a peu. Le neuroleptique ne guérit pas. Il atténue les phases les plus aiguës et évite les troubles sociaux les plus criants. Il avachit plutôt et aggrave l'aspect déficitaire du schizophrène. Le psychiatre le sait, il commence même à le dire et s'apprête à prescrire moins. En pratique de ville, le psychiatre change même radicalement de rôle. Il ne prescrit plus mais se charge du sevrage des traitements entrepris ailleurs et prolongés abusivement. On ne vient plus lui demander des tranquillisants ou des somnifères, on le supplie d'arrêter l'assuétude à ces drogues. Les laboratoires pharmaceutiques le savent, qui ne lancent plus leurs psychotropes auprès des psychiatres mais parmi les généralistes. Ceux-là ne sont pas encore au parfum.

      La sectorisation déçoit elle aussi. Il manque de l'argent, il manque tout autant de volonté et d'enthousiasme chez les médecins concernés. Ici, il ne suffit pas de troquer un médicament contre un autre, ou une étiquette contre une autre, il faut payer de sa personne et sortir de sa douce quiétude. Car tout changement profond en psychiatrie est affaire de personne plus que de matériel ou de concept.

      Mais, à la limite, ce conservatisme là n'est pas encore trop grave pour la profession puisque le domaine de l'aliénation mentale lui reste réservé corporativement et légalement. Même si des outsiders viennent rivaliser, comme Bettelheim pour les schizophrènes ou Tinbergen pour les autistes, ces intrusions ne restent que limitées. La psychiatrie classique est bien dévolue aux psychiatres.

      En fait, on en reste là à une psychiatrie parfaitement objective qui s'accroche au modèle médical parce qu'il sert de modèle précisément, de modèle scientifique, du meilleur modèle qui soit actuellement, de celui qui attire le plus de crédits et de dons. La science, c'est le mythe moderne ; c'est elle qui explique le monde et vaincra la mort. La science, ça se fait avec des machines et des théories, dans des laboratoires. Le scientifique, c'est le Prométhée moderne. De plus, son objet d'étude est objet précisément et non sujet ; c'est plus simple à manier et à manipuler, ça n'implique pas, ça n'émotionne pas. Le fou ne peut même plus s'épancher sur sa petite névrose, il devient « n°309.81 trouble état de stress post-traumatique, forme chronique ou différée » ou encore « n° 300.02 trouble anxiété généralisée », selon le DSM III. Le conservatisme de la psychiatrie se manifeste là, fondamentalement, dans sa volonté de rester une science médicale comme les autres avec diagnostic, étiologie, pronostic et traitement. Le conservatisme du psychiatre s'exerce là, pernicieusement, dans sa volonté de préserver la position de savoir et de pouvoir qui est dévolue au médecin dit scientifique.

       

      • Les nouveaux champs de la maladie psy

      •  Mais la psychiatrie, ce n'est pas seulement ça. Elle occupe une place à part dans le monde médical : la maladie mentale n'est pas une maladie comme les autres et le fou n'est pas non plus un patient comme les autres. Cela, on le sait, c'est entendu. Il se crée régulièrement des mouvements pour le revendiquer. La psychanalyse en a été un, l'antipsychiatrie un autre, les nouvelles thérapies le font actuellement. Or la situation est de nouveau urgente, de nos jours, parce qu'il se développe de plus en plus de domaines-limites qui devraient échoir à la psychiatrie et qui lui échappent en fait. Il est courant de reconnaître la perte du vaste champ de l'alcoolisme et du champ tout neuf de la toxicomanie. On se demandera si ces troubles spécifiques ressortent de la psychiatrie ou non. Mais, à mon sens, la question elle-même ne peut se poser que parce que la psychiatrie s'est d'abord montrée incapable de s'adapter à ces nouveaux problèmes, parce qu'elle s'est recroquevillée sur le noyau dur de la maladie mentale prise dans son sens médical strict. Il est clair qu'une classique hospitalisation en asile ne sied ni à l'alcoolique ni au drogué et que d'autres structures d'accueil s'en occupent mieux. Mais ce n'est que parce que ces structures alternatives ont su offrir un accueil différent. Et quand les psychiatres s'en mêlent néanmoins, c'est avec des pratiques absolument différentes comme ces séances psychothérapiques marathon qu'Olivenstein fait durer pendant des heures avec certains drogués. Du reste, l'alcoolique et le drogué ont beaucoup apporté aux thérapeutes qui les accueillent, dans la direction des nouvelles thérapies notamment. Rappelons que c'est la communauté d'anciens drogués de Synanon qui a inspiré la thérapie émotionnelle de Daniel Casriel que Walter Lechler et moi-même reconnaissons comme l'un de nos maîtres.

        Il existe d'autres domaines-limites plus récents, moins évidents que l'alcool et la drogue mais non moins importants comme les problèmes sexuels, les troubles du sommeil et la douleur. Tous ces champs sont entrepris d'abord par des non psychiatres même si, par après, on intègre le psychiatre dans l'équipe constituée. Assez rapidement et très souvent, on en arrive à la constatation fondamentale que le trouble privilégié n'est qu'un symptôme d'appel, que le sommet émergé de l'iceberg. Mais on développe néanmoins dans ces nouvelles équipes une ouverture, une créativité et une pluridisciplinarité qui enrichissent la question et apportent des réponses mieux adaptées même si elles doivent être psychiatriques. Le progrès se fait là parce que le conservatisme corporatif n'y exerce pas sa pesanteur.

        Il faut ajouter le vaste champ des troubles relationnels qui ne sont plus ramenés à leur dimension intrapersonnelle mais sont abordés dans leur réalité interpersonnelle. Le problème sexuel par exemple n'est plus constamment attribué à l'un seul des partenaires mais se conçoit comme problème de communication entre les deux partenaires. Or, actuellement, la thérapie de couple échoit au conseiller conjugal, tout comme la dynamique de groupe, au psychosociologue. C'est un anthropologue, Gregory Bateson, qui jette les bases de la thérapie familiale et un psychologue, Kurt Lewin, qui esquisse la thérapie de groupe.

         

        • Les transformations de la psychopathologie

        •  S'il ne s'agissait que de reconnaître que d'autres se débrouillent mieux avec ces nouveaux problèmes, il n'y aurait qu'à se résigner, qu'à passer la main et se replier sur notre chasse gardée. Mais ces observations nous mènent bien plus loin, en fait ; elles nous obligent à élargir le débat et à constater une transformation de la psychopathologie elle-même. En effet, il ne s'agit plus seulement de domaines-limites et limités mais du cœur même de la psychiatrie. Car la maladie mentale n'est pas conservatrice, elle ; elle évolue avec la société, avec les mœurs et les façons de vivre. La grande hystérie de Charcot n'existe plus. La belle névrose de Freud se fait rare et les catatonies sont passées de mode. Il y aura bientôt du chômage parmi les psychiatres purs et durs.

          Il est banal de relever que notre société change. Les médias se chargent de nous en informer, soulignant la nouveauté et l'amplifiant. Ce qui reste plus discret, c'est le changement concomitant de la psychopathologie et sa corrélation avec les faits de société. Cette étude reste à faire, en grand et de façon pluridisciplinaire. Voilà du travail pour les psychiatres chômeurs ! Ici, il ne s'agit que de souligner cette réalité et d'en esquisser les grandes lignes. La société change, les mœurs se transforment, c'est banal disions-nous. On peut néanmoins regrouper la multitude des faits sous quatre rubriques plus spécialement responsables des faits psychopathologiques nouveaux :

          • l'allongement des apprentissages et des formations, scolaires en particulier, et leur spécialisation de plus en plus poussée mettant en jeu des fonctions partielles de plus en plus dissociées ; cette même
            spécialisation se continue dans la vie professionnelle ;

          • l'élargissement des libertés et des possibilités d'action menant aux expériences de vie toujours plus poussées, aux mises en acte et à une plus grande extériorisation;

          • la multiplication des rencontres, intimes en particulier, accentuant l'importance de la communication interpersonnelle, au-delà de tous les codes sociaux préexistants ;

          • enfin, l'augmentation du temps libre qui oblige à prendre en considération la qualité de vie dans des subtilités de plus en plus fines au-delà des besoins élémentaires.

           

          Ces facteurs provoquent très logiquement des modifications des structures caractérielles et des modes de décompensation tout en multipliant les occasions de ces dernières. Cette nouvelle pathologie peut, elle aussi, se résumer sous quatre grandes rubriques :

          • accentuation des clivages et des dissociations de type schizotypique et borderline, étouffant l'émotionalité névrotique et accentuant les obsessions mentales, les rigidités corporelles et la méfiance relationnelle ;

          • multiplication des passages à l'acte de type caractériel ou psychopathe avec des excès de tous genres, promiscuité relationnelle, toxicomanies, actes dangereux, suicides ;

          • exacerbation des problèmes relationnels tant à l'adolescence que dans le couple, tant dans le groupe professionnel et social, qu’avec ses propres enfants ; tendance à la rupture et aux fuites ;

          • enfin déplacement de la symptomatologie d'appel qui n'est plus tellement positive comme une douleur, un symptôme ou une angoisse, mais négative comme absence de plaisir et manque d'intérêt.

          Cette dernière perspective, celle du plaisir, pourrait résumer et symboliser ce nouvel état et ce n'est pas par hasard si Roger Gentis y a insisté dans les « Leçons du corps ». Le plaisir devient symptôme autant sinon plus que la souffrance, le plaisir avec sa problématique d'intégration, ses limites et son absence. On ne se plaint plus des symptômes mais d'ennui, on ne souffre plus de maladie mais de manque de satisfaction. Le plaisir devient un droit, une revendication et une quête analogue à celle du Graal. Son absence déprime, rend violent, pousse à l'alcool, aux drogues, à la promiscuité sexuelle, au mariage précipité et à la maternité compensatrice. Le psychiatre lui-même se laisse prendre à cette évolution, comme on pourra l'entendre dans le témoignage d'André Moreau qui cherche la forme de thérapie dont la pratique lui apportera le plus de satisfaction. Cette exigence se généralise puisque le travail perd peu à peu son aspect de malédiction pour devenir moyen d'épanouissement.

          Evidemment, le plaisir n'est pas à prendre dans le sens simpliste qu'affectionnent les polémistes pour mieux le discréditer. Le plaisir ne doit pas être opposé à la réalité comme le fait Freud mais conçu comme cette qualité que peut prendre toute réalité, fût-ce au prix de l'ascèse et de la discipline comme le prônait Epicure. On arrive alors à rejoindre la définition moderne de la santé qui n'est pas seulement absence de maladie mais état de bien-être. Et c'est l'absence de ce bien-être qui devient maladie et qui concerne le psychiatre.

           

          • Les Nouvelles Thérapies

          •  On rencontre ainsi de nouveaux patients qui ne sont pas à enfermer, qui n'exigent pas de médication, mais relèvent d'une psychothérapie. Ces patients fréquentent les cabinets de ville en consultation ambulatoire et s'il y a un psychiatre à leur disposition, ils choisissent le psychiatre. S'il n'y en a pas, ils vont ailleurs, chez le thérapeute « nouveau », humaniste, si ce n'est chez l'astrologue. Car, ici, s'amorcent ces thérapies dites nouvelles qui nous intéressent aujourd'hui. Elles aussi dérivent de ce nouveau cours de la société occidentale comme en dérivent les pathologies évoquées. Elles s'adressent à cette maladie nouvelle comme à sa meilleure indication. A cause des clivages et des dissociations, à cause des assuétudes toutes corporelles et de la propension à la mise en acte, on pense thérapie intensive, corporelle, groupale. Le psychanalyste classique avoue ici ses limites et un homme aussi prudent que Didier Anzieu, tout en essayant de fonder théoriquement l'interdit du toucher, reconnaît que pour certaines catégories de sujets le toucher serait bénéfique.

            Ici s'annoncent effectivement et pleinement les nouvelles thérapies. Elles sont l'effet du changement de société tout comme la nouvelle pathologie. La libéralisation des mœurs permet aux thérapeutes aussi de libérer le geste, l'interprétation, le setting et les modes d'expression. Le corps peut s'exprimer dans toute l'amplitude du mouvement, dans toute l'intensité de la voix et toute l'étendue du contact. Il peut se laisser aller au maximum d'émotion et arriver à une intensité qui égale la rigidité des clivages et la solidité des dissociations. Il peut s'abandonner aux sensations et sensualités qui ont à voir avec cette qualité de vie qui se cherche. Il entre dans une nouvelle dimension de rencontre et de relation qui met en scène le besoin de communication actuel. Les nouvelles thérapies sont d'actualité et correspondent à la nouvelle pathologie tout simplement parce qu'elles sortent du même moule culturel.

            Mais que sont-elles ces thérapies dites nouvelles ? Le terme est vague et la réalité non moins. Il ne suffit pas de dire « nouveau » pour que la chose soit caractérisée. Dans un article intitulé Sociologie des nouvelles thérapies (Meyer ?), j’essaye de préciser cette réalité. On y verra que le contenu reste trop vaste mais qu'il se dégage néanmoins un noyau plus précis qui définit quelque chose de neuf, de cohérent, de représentatif et qui tourne autour des quatre caractéristiques suivantes :

            • le corps avec ses différents fonctionnements allant jusqu'au cri et au toucher ;

            • l'émotion qui résulte du libre fonctionnement corporel ;

            • l'implication du thérapeute dans cette dimension émotionnelle ;

            • et le groupe (fréquent mais non obligatoire) qui offre le cadre requis pour cette implication.

            Cette définition correspond aux thérapies que représentent les principaux orateurs de ces rencontres : Gentis avec la bioénergie et l'haptothérapie, Lechler avec la thérapie émotionnelle de Casriel transformée par lui en Teaching-and-Learning-Community, Moreau avec la Gestalt thérapie ; moi-même avec la somatanalyse.

            Les Nouvelles Thérapies, c'est Reich, Lowen, Perls, Janov, Casriel, Berne, Orr... du moins pour ce noyau caractéristique que nous proposons et représentons ici. Mais elles sont tout autant Ferenczi, Balint et Winnicott. Evidemment, nous avons tendance à privilégier ici les psychiatres et les psychanalystes que la profession reconnaît comme siens. Mais les Nouvelles Thérapies, c'est aussi un courant tout à fait autonome qui ne se confond pas avec la psychiatrie et qui aurait même tendance à s'en méfier.

             

            • Les limites des nouvelles thérapies

            •  Effectivement, si l'on envisage l'évolution actuelle du courant « humaniste », on doit reconnaître que la thérapie l'intéresse de moins en moins, alors qu'elle s'y était spécialisée au départ. Il y a dix ans, tout le monde en était au travail intensif avec positions de stress bioénergétiques, cri primal, interpellations percutantes et volonté pesante de promouvoir du changement. Actuellement, on en est plutôt aux méthodes douces, aux massages, aux méditations. C'est comme si les thérapeutes avaient achevé leur période pure et dure personnelle et que ça ne les intéressait plus de travailler dans l'intensité. Et puis la mode tourne, le marché s'oriente différemment et les animateurs suivent. Le courant humaniste se reconvertit : dans la pédagogie et la formation avec l'analyse transactionnelle par exemple qui se propose aux institutions et aux entreprises plus qu'aux patients ; dans la dimension « transpersonnelle » qui retrouve les spiritualités et sagesses traditionnelles ; dans l'élaboration de modes de vie plus qualitatifs, écologiques, pacifistes tels qu'on les prône dans les revues féminines ou les médecines douces.

              On sent là un cheminement très rapide et très polymorphe qui pose problème : le thérapeute qui évolue aussi rapidement lui-même peut-il entraîner ses patients au gré de son propre cheminement, de méthode en méthode, de mode de vie en sagesse, jusqu'à leur proposer d'être disciples de sa communauté méditative ainsi que le fait une thérapeute bien connue transformée en Swami ? Dans le compte rendu que j'avais fait pour la revue Psychiatrie Française sur le sixième Congrès Européen de Psychologie Humaniste, je soulignais les risques de cette fuite en avant qui semble devoir masquer et faire oublier la pauvreté théorique et la légèreté de certaines pratiques.

              Car là se manifeste une autre caractéristique du mouvement humaniste, dans la pauvreté de l'élaboration théorique. Le matériel d'observation est d'une richesse extrême, le vécu émotionnel retourne les cœurs mais trop de textes se contentent de ce matériel brut qui a pour but d'émouvoir le lecteur. Lorsqu'une première élaboration se dessine, elle en reste trop facilement à la justification de la pratique, à la rationnalisation de cette pratique et, comme la thérapie fonctionne surtout au paradoxe, elle ne fait pas la différence entre ce qui fait marcher la thérapie et ce qui peut devenir un nouveau savoir. Roger Gentis a beau jeu de reprocher ces insuffisances criantes, réelles, que ne masquent plus les fuites en avant dans l'oriental ou le transpersonnel.

              Aussi, même si les Nouvelles Thérapies collent à l'actualité et suivent la nouvelle pathologie à la trace, pour la psychiatrie, ce n'est qu'une raison supplémentaire de s'en méfier. L'évolutivité du courant humaniste contraste absolument avec le conservatisme des psychiatres et, comme dans une fratrie, l'excès de l'un ne fait qu'alimenter l'excès de l'autre, la différenciation dans un sens pousse dans l'autre sens, pourvu qu'on soit bien différent et qu'il n'y ait aucun risque de confusion.

               

              • Nouvelles thérapies et psychiatrie

              •  Pourtant, on pourrait croire que certaines thérapies s'introduisent calmement dans la pratique courante. Dans la clinique psychosomatique de Walter Lechler, on s'inscrit sur une liste d'attente pour pouvoir aller crier. Dans le service de Roger Gentis, pratiquement tous les patients bénéficient d'une prise en charge corporelle, bioénergétique ou haptothérapique. Et chez Moreau ou moi-même, rien n'empêche de proposer à un patient le Gestalt-kibboutz ou la somatanalyse. On pourrait en conclure à une pénétration progressive des nouvelles thérapies, à une évolution graduée. Malheureusement, ce n'est vrai que ponctuellement. Les situations heureuses décrites ci-dessus restent trop exceptionnelles et, surtout, le client qui s'y engage se sent encore marginalisé et rejeté. S'il fait une thérapie classique parallèlement, il doit affronter la désapprobation de ce thérapeute. S'il s'adresse aux autorités en place, on lui répond : « Vous savez, c'est assez farfelu » comme l'a fait mon ancien patron à l'un de ses patients qui lui demandait une adresse.

                En effet, jusqu'à présent, la psychiatrie officielle se montre particulièrement fermée aux nouvelles thérapies parce qu'elles sortent du domaine purement médical et s'élargissent à toutes les préoccupations existentielles. Mais plus encore que les autres psychothérapies, elles arrachent le thérapeute à son socle de savoir et de pouvoir et l'obligent à une implication bien inconfortable. On pourrait même dire qu'au moment où ces nouvelles pratiques se font néanmoins connaître et se développent imperceptiblement, l'opposition se braque jusqu'au rejet et à la rupture.

                Cette exacerbation s'illustre à merveille par l'épisode fondateur de l'AJP, de cette Association des Jeunes Psychiatres qui organise ces Quatrièmes Rencontres autour de la pomme de discorde même qui a provoqué sa création. En effet, c'est au moment où l'un de nous proposait à son syndicat professionnel, l'un des plus importants en France, un programme de formation à ces pratiques nouvelles que lui fut répondu : « Dans dix ans, quand ce sera au point ». Le choc fut rude mais il produisit l'étincelle nécessaire pour réagir, à savoir réunir ceux qui seraient encore assez jeunes et assez dynamiques pour ne pas attendre dix ans...

                Mais que signifie ce : « Dans dix ans, quand ce sera au point » ? Exactement ceci, qu'il faut d'abord faire de ces pratiques des techniques bien codifiées qu'on peut inclure dans l'arsenal du pouvoir et dont on peut revendiquer l'exclusivité médicale. Exactement ceci encore, qu'il faut passer des intuitions premières à un savoir théorique figé dans des traités et transmissible dans des cours magistraux. A ce moment, on aura reconstitué le statu quo ante, à savoir la position dominante du spécialiste, la situation de pouvoir et de savoir qui ne saurait évidemment pas se compromettre dans une implication quelconque.

                Mais les Nouvelles Thérapies se fondent précisément sur l'implication, et le conservatisme psychiatrique fuit cette implication comme la peste. S'il y a rejet d'un côté, il ne peut y avoir que rupture de l'autre. Si les corps constitués ne veulent pas évoluer, il se crée une Association de Jeunes Psychiatres pour les contourner. Car les nouvelles thérapies doivent s'inscrire au cœur même de la psychiatrie, elles doivent en devenir une partie constituante et même renouveler la pratique de la thérapie et la réflexion sur elle.

                Certes, l'Association des Jeunes Psychiatres n'est pas organiquement liée à cette forme de pratique. Il se présente seulement qu'elle y trouve présentement un thème qui correspond à ses objectifs et à ses capacités. En effet, l'implication s'inscrit au cœur de son programme. La pluridisciplinarité constitue sa spécificité et le plateau des orateurs et intervenants l'illustre suffisamment. Enfin, l'innovation l'interpelle fondamentalement, en réaction à l'immobilisme professionnel ambiant. Aussi le thème des rencontres ne vient-il évidemment pas au hasard.

                Mais comment changer la psychiatrie ? Comment faire bouger cette institution pesante, ces professionnels sûrs et contents d'eux-mêmes, cette théorisation pour laquelle on ne tolère que d'aimables variations de DSM en DSM ? Sûrement pas en polémiquant, ça les braquerait encore plus. Sûrement pas en rejetant, ça élargirait encore le fossé. De toute façon, la thérapie ne supporte pas la bagarre, sinon elle n'est plus une thérapie, elle s'armerait d'une cuirasse et refoulerait ses meilleurs sentiments : ce serait un comble !

                Non. Il suffit de proposer, d'exposer, de parler, d'écrire et de montrer : on fait quelque chose d'autre quelque chose de neuf ; c'est positif et constructif ; ça marche et ça s'explique. La revue de l'AJP s'intitule Psyché-Soma-Socius avec, en sous-titre, Le champ (gement) psychiatrique. Comme l'éditorial du premier numéro le souligne, il suffit de s'élargir à « tout le champ psychiatrique », à savoir aux dimensions psychiques, sociales et somatiques pour que le « changement » s'y opère de par la seule ouverture de ce champ.

                Nous en avons la démonstration, ici, avec les Nouvelles Thérapies. Il a suffi de proposer le thème pour que les orateurs et intervenants arrivent, représentant et couvrant tout le champ psychiatrique. Il y a des psychiatres hospitaliers et libéraux, et, parmi les premiers, des publics (Gentis, Bour, Bourg) et un privé (Lechler). Leurs implications dans les Nouvelles Thérapies sont diverses, d'intérêt seulement comme chez Dufay et Bourg, totale comme chez Meyer, Moreau, Lechler et Gentis, intermédiaire avec Bour et Durand de Bousingen. Enfin les spécialisations varient tout autant, les investissements privilégiés faudrait-il dire plus justement ! Les uns privilégient la psychanalyse comme Durand de Bousingen et Gentis, les autres en sont entièrement aux Nouvelles Thérapies comme Moreau et Lechler ; j'essaye quant à moi d'équilibrer les deux ; Bourg investit l'analyse existentielle, Bour le psychodrame.

                 

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