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Chapitre 3 :Psychopathologies, Psychiatrie et Nouvelles Thérapies

L’institution psychiatrique et les Nouvelles Thérapies

  • Roger Gentis

  •  Roger Gentis connaît l'institution psychiatrique sur le bout des doigts. Il a vécu ses principales transformations comme acteur privilégié : l'introduction des neuroleptiques, le développement de la psychothérapie institutionnelle et de la sectorisation, la lente pénétration de la psychanalyse et le soubresaut de l'antipsychiatrie. Il n'a surtout pas raté l'arrivée des Nouvelles Thérapies et, même s'il ne les pratique plus énormément lui-même, il les organise dans son service hospitalier et y réfléchit. Avec ses Leçons du corps, il lance un gros pavé dans la marre et secoue tout le monde, et les nouveaux thérapeutes qui négligent la réflexion théorique et les psychiatres qui ratent le coche. Enfin Gentis n'oublie jamais les dimensions idéologiques et politiques auxquelles se situent nécessairement les faits de la psychiatrie et de la psychothérapie. Il ajoute : « Il faut se méfier de ceux qui ramènent ces changements à un facteur simple... de ceux qui diraient aujourd'hui que ce sont les nouvelles thérapies qui vont tout changer... » (Gentis 1985).

    L'état des lieux, c'est la nouvelle donne qu'introduisent le chômage, la loi sur les handicapés, l'explosion de la démographie médicale, l'analyse didactique des psychiatres, la sectorisation. L'état des lieux, c'est l'omniprésence de la psychanalyse en France grâce à Lacan, c'est aussi Ferenczi, ce méconnu qui a préfiguré les nouvelles thérapies il y a cinquante ans déjà.

    Mais Gentis témoigne surtout de son cursus personnel, de son cheminement quasi exemplaire à travers les thérapies : psychiatrie, psychanalyse bien sûr, puis groupe analytique et expression corporelle ; là surgissent des problèmes que le travail émotionnel résout merveilleusement ; enfin intégration sans difficulté de la pensée psychanalytique et des nouvelles pratiques. Cet éventail de techniques et concepts permet enfin à ce médecin-chef hospitalier de proposer une thérapie à tous ses patients, groupale ou individuelle, intensive ou douce, à expression émotionnelle ou toucher haptonomique et enveloppement humide. Pour ceux qui connaissent l'hôpital psychiatrique, cette réalisation est remarquable et constitue effectivement une révolution. « Ne s'en trouvent exclus par principe aucun psychotique, aucun déprimé rebelle à la chimiothérapie, aucun névrosé, aucun alcoolique ou toxicomane quelle que soit la gravité de ses problèmes. Ceci ne veut pas dire évidemment que nous guérissons tout le monde... Nous ne considérons personne a priori comme relevant d'une contre-indication d'une psychothérapie » (Gentis 1985). Et ceci, grâce à l'apport des Nouvelles Thérapies venant compléter toutes les autres, plus traditionnelles.

    Gentis pose la vraie et seule question importante : « Comment ça marche, comment ça guérit ? ». Au départ, il souligne et dénonce l'idéologie que véhiculent les pratiques thérapeutiques (les « nouvelles » surtout, mais aussi les « anciennes, psychanalyse y compris, ce qui nous permet de ne pas trop nous formaliser des critiques parfois féroces et cavalières pour ne retenir que leur utilité dans la démonstration). Thérapeutes et clients sont des « croyants » qui « partagent une philosophie de la vie et de l'existence », parfois même une visée politique. L'illustration de ce point de vue est aisée avec les exemples choisis : l'église de Scientologie, l'AAO et le cri primal. Affinant son analyse, Gentis distingue deux idéologies plus précises : l'une néo-reichienne qui prône une « conception naturante de l'être humain », l'autre gestaltiste introduisant les « valeurs pragmatiques de la classe dominante de notre société ».

    C'est là que se situe le paradoxe de l'idéologie que Gentis débusque avec pertinence et clarté : on veut magnifier l'homme naturel non traumatisé par la société, on veut promouvoir l'individu qui choisit lui-même entre la voie de la névrose et la santé. On rejette la dimension sociale et symbolique et pourtant, avec ces idéologies, on tombe dans le mythe, dans l'explication de la vie et du monde, dans ce champ même de l'inscription symbolique qu'on veut fuir. L'arroseur est arrosé. Gentis y décèle la courte vue des thérapeutes ; on peut quand même supposer que certains d'entre eux sont conscients du paradoxe et s'en servent parfaitement.

    Tout en s'y opposant, apparemment du moins, les néo-reichiens et les gestaltistes en arrivent à « s'inscrire dans l'ordre de l'univers et dans le mouvement historique de la société ». Bien plus ils se chargent de « l'assignation au sujet d'une origine », ils endossent cette autre fonction mythique que la société moderne néglige. Et là surgit un nouveau reproche, un regret même. En effet, en colmatant ce vide, les thérapeutes en restent dans l'au-delà de l'apparition de la subjectivité, dans le stade du langage, dans la différenciation d'avec l'objet. Ils répondent aux exigences de l'idéologie individualiste du monde occidental. Mais, en même temps, ils passent à côté de la plus belle chance qu'offrent les nouvelles thérapies, de passer en deçà de cette limite, de se retrouver dans « l'avant le sujet », dans le « défaut fondamental », dans « l'existence infinitive », du côté de la psychose !

    « Les thérapies dites émotionnelles – qui sont à cet égard les héritières de ce que Ferenczi appelait « l'analyse en état de transe » – offrent une possibilité d'accès à l'existence psychotique ». Gentis nous parle de sa propre expérience de tels moments psychotiques et il propose carrément une « psychose didactique » qui se ferait grâce à ces thérapies émotionnelles et qui permettrait aux thérapeutes de patients psychotiques d'en ressentir un peu plus le processus. Et voici que le long réquisitoire de Gentis se termine et devient plaidoyer : « Pour en arriver là, il faut faire sauter un verrou théorique : se débarrasser de toute l'idéologie du sujet ».

    Or cette idéologie du sujet n'est pas seulement psychothérapique mais plus profondément psychiatrique. Ainsi nous trouvons-nous en plein dans l'institution psychiatrique, dans son histoire et ses certitudes. Gentis nous y situe très précisément ; il nous indique aussi comment les Nouvelles Thérapies nous offrent la chance de la dépasser, de la faire changer... du côté de la psychose. Mais à ce prix là, on peut hésiter, décliner l'offre et même rejeter à bon droit ! En attendant, nous découvrons enfin le vrai message de Roger Gentis qui manifeste une attente énorme de ces thérapies au-delà d'une critique apparente et féroce. Ceux qui, comme Maud Mannoni, voyaient « Roger Gentis contre les Nouvelles Thérapies » se sont carrément trompés.

     

    • Christian Bourg

    •  Avec Christian Bourg, nous restons avec ces hospitaliers si proches de l'institution, tellement imprégnés par elle. Bourg est également médecin-chef de secteur, frais émoulu. Il est philosophe, ce qui est rare chez les psychiatres et pratique l'analyse existentielle de Binswanger. Il s'intéresse aux Nouvelles Thérapies sans les pratiquer et nous offre ici une réflexion théorique sur Le contexte anthropologique et social des nouvelles thérapies. Il nous ramène aux sources institutionnelles lointaines, jusqu'à Pinel et Esquirol, mais nous propose aussi un cadre de compréhension et d'accueil très riche avec l'attitude existentialiste.

      Bourg nous propose d'interroger les différentes « lectures de la folie » puisqu'elles sont autant des thérapies que des indices. En effet, « les lectures de la folie » sont des thérapies parce que la thérapie est avant tout l'acte de lire

      comme partage et épiphanie d'autrui ». D'autre part, cette même lecture fonctionne comme « révélateur anthropologique central », nous amenant finalement à tirer de la lecture qu'en font les Nouvelles Thérapies « de quel type de rapports entre les hommes, elles sont le symptôme » (Bourg 1985).

      A cet effet, Bourg nous ramène à la naissance de la conception moderne de la folie, au début du XIXe siècle, avec Pinel et Esquirol. Nous y assistons à l'avènement du sujet, du fou comme sujet, tout aussitôt voué au traitement individuel, à l'immixtion dans son intériorité subjective. Le traitement « moral » de Pinel ne fait que préfigurer la cure psychanalytique. La reconnaissance et l'appropriation de soi, tant pour le « fou » que pour l'homme réputé « sain », ne sont que le tremplin de la dépossession de soi dans l'Autre.

      Plus proche et pragmatique apparaît l'analyse existentielle que Bourg privilégie et qui préfigure bien des nouvelles thérapies ; elle leur propose une formulation claire et cohérente de l'attitude thérapeutique que ne renieront ni Moreau, ni Bour, ni Lechler, à en croire leurs propres textes. Soulignons cette attitude existentielle si peu connue :

      « La lecture binswangerienne n'apparaît plus comme un déchiffrage allant... vers de "l'expliquer" mais bien plutôt comme production de textes... selon l'art particulier du "laisser venir au mot"...

      La relation psychothérapique est avant tout rencontre, regard, parole, espace où s'articulent cependant les deux mondes irréductibles de Buber, le Je-cela comme monde des choses et le Je-Tu comme monde de la relation...

      "L'être psychiatre" dépasse "l'être docteur" puisqu'il ne s'agit ici essentiellement non pas seulement d'une prise de position du "docteur" vis-à-vis de son sujet scientifique, mais de sa relation avec autrui, "fondée" de la même manière sur le "souci" et "l'amour" ». On ne peut en conséquence absolument pas séparer l'existence et la profession.

      La cure psychothérapique s'adresse au patient "sur le plan de la présence humaine, comme partenaire" selon "un contact communicatif et une influence réciproque ininterrompus" pour être "avec lui dans une certaine ouverture". Le transfert est compris comme "Tragung", néologisme traduit par portage pour développer la métaphore de l'alpiniste. Le symptôme est donc un fait de communication qui doit être reçu dans l'espace d'une rencontre "sur l'abîme de l'être-présent" selon l'expression de Buber » (Bourg 1985, passion).

      Avec une telle attitude, il n'est pas difficile à Bourg de reconnaître que les Nouvelles Thérapies peuvent « privilégier cette notion d'implication qui va jusqu'à engager le corps ». Certes, l'existentialisme est reconnu comme l'un des précurseurs des Nouvelles Thérapies, Binswanger plus particulièrement encore. Mais de là à remonter à Pinel et Esquirol ! C'est pourtant ce que nous propose notre appartenance à cette institution psychiatrique qui nous donne des racines, du recul, de la suite dans les idées et un esprit de corps tout à fait salutaires. C'est pourquoi le dépit est grand d'y être tenu en suspicion. A nous d'y entrer en force, au cœur même, sans perdre notre nouveauté ni notre identité.

       

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