Pysch'Inté

Table des matières

Chapitre 3 :Psychopathologies, Psychiatrie et Nouvelles Thérapies

Le psychiatre et lÂ’implication

Le mot qui désigne l'attitude du thérapeute dans les Nouvelles Thérapies est « implication ». Il apparaît en filigrane chez Bourg, il tombera clair et fort chez Moreau, Bour et Lechler. Or l'implication est l'un des leitmotiv de l'Association des Jeunes Psychiatres, le plus important. Il s'insurge contre le retrait, la rigidité et l'abstention du psychiatre qui se fige dans son rôle de « médecin » et se réfugie dans une mauvaise compréhension de la « neutralité » psychanalytique.

L'implication était au centre des Premières Rencontres de l'AJP et a donné lieu à la définition suivante :

« Présence au processus thérapeutique en tant que système relationnel original et unique, structurée de façon stable et souple par les référents sociaux, personnels et théoriques, mais non figée par ces mêmes référents devenus trop rigides .

A partir de cette constatation, se dégagent les principes suivants :

1) L'implication doit se concevoir comme l'attitude de base du psychiatre puisqu'elle seule permet de faire de la relation thérapeutique un système singulier et original évoluant de façon singulière et créative.

2) Le psychiatre doit être libre de toute contrainte externe, sociale et/ou théorique, qui empêcherait le processus relationnel et thérapeutique d'évoluer de façon autonome. A ce titre, il faut exiger que l'attitude des formateurs vis-à-vis des élèves et des anciens face aux jeunes soit inversée : qu'elle ne consiste plus à imposer des structures rigides qui empêcheraient d'hypothétiques erreurs mais qu'elle donne toute latitude pour que l'implication se fasse spécifiquement ainsi que l'exige chaque processus thérapeutique.

3) Si le psychiatre a l'obligation de se libérer des structures rigides, tout autant des contraintes administratives ou hiérarchiques que des enfermements techniques ou théoriques, il doit créer les référents sûrs qui soutiennent son implication » (Psyché, Soma, Socius n°1, p.9).

Le thème exact des Premières Rencontres était : « S'abstenir quand ? S'impliquer jusqu'où ? ». Il s'y faisait ouvertement allusion à l'attitude d'abstention du psychanalyste mais il s'est rapidement avéré que l'abstention peut être extrêmement violente, impliquante donc, de par ce refus d'intervenir et que le problème ne se situe pas dans le principe de cette attitude mais dans sa trop grande systématisation et dans le prétexte que ce principe psychanalytique donne indûment au psychiatre qui rechigne à s'impliquer. Cette attitude de retrait est massivement critiquée par les nouveaux thérapeutes, au point qu'ils en arrivent à jeter le bébé avec l'eau du bain, à condamner toute position d'abstinence et, par extension, la psychanalyse elle-même. A l'AJP, on nuance plus avec cette interrogation laissée ouverte et renvoyée à tout praticien : « S'abstenir quand ? S'impliquer jusqu'où ?

 

  • André Moreau et la Gestalt

  •  Laissons la parole à Moreau et à Bour, sans oublier Bourg et Lechler, qui parlent de leur implication de façon détaillée et explicite. André Moreau représente ici le thérapeute Gestalt qui pousse l'implication jusqu'à son extrême puisqu'il formule comme règle de réagir lui-même émotionnellement, d'être « une personne qui réagit à part entière, de façon vivante, acceptant aussi bien que le client, de se remettre en question... » (Moreau 1985). Pour nous, s'impliquer c'est agir ou réagir émotionnellement avec ses sentiments, explicitement, au client qui dit ou manifeste quelque chose : par exemple, le thérapeute peut dire : « Je suis triste quand tu me parles comme ça » ou « Ce que tu fais m'irrite, me met en colère ». Cette attitude doit avoir une fonction diagnostique et thérapeutique. Elle introduit surtout une dimension égalitaire avec le client car, au niveau de l'émotion, nous sommes précisément très proches. Cette attitude est extrêmement courageuse et difficile dans la mesure où le thérapeute a généralement choisi sa profession pour profiter du pouvoir certain qu'elle lui donne sur son client : très longtemps, jusqu'à trouver cette réelle et profonde égalité, il se sentira même en infériorité car le patient qui souffre exprime son émotion bien plus pleinement que le thérapeute qui reste néanmoins gêné par son double rôle de « pair » et de « père ».

    André Moreau nous retrace magnifiquement sa longue évolution de l'abstention à l'implication ; ça lui a pris près de vingt ans. Il conceptualise judicieusement trois étapes qu'il formule avec bonheur :

    - « avoir » une thérapie ainsi que le propose le modèle médical et la «médecine à une personne » ;

    - « être thérapeute » comme le lui apportent ses formations en psychanalyse et groupe Balint, dans une « médecine à 2 personnes » ;

    - enfin, « être en thérapie avec » comme il peut l'être en Gestalt thérapie, en s'impliquant émotionnellement.

    Une implication aussi radicale pousse à rechercher la congruence la plus forte possible de tous les domaines existentiels : du thérapeute et de son client, du thérapeute et de l'homme privé, de l'adulte actuel et de son passé, de cet adulte et de son entourage, du thérapeute et de sa thérapie. Tout cela est merveilleusement décrit par Moreau. Nous y voyons comment sa thérapie préférée – le kibboutz-groupe - recrée son passé d'animateur scout. Nous y voyons qu'il retrouve la même relation profonde avec ses clients qu'avec ses « garçons » d'autrefois. Cette notion de « congruence » est centrale pour Rogers, l'un des pères des Nouvelles Thérapies.

     

    • Pierre Bour et le psychodrame

    • Pierre Bour est hospitalier, homme de l'institution et sa marge de manœuvre est bien moindre. Il est plus âgé aussi – comme quoi la jeunesse est vraiment une affaire de cœur – et représente la génération qui a immédiatement précédé et préparé les Nouvelles Thérapies, comme Durand de Bousingen. Il pratique le psychodrame depuis son introduction en France, a côtoyé Moreno et créé l'une des formes de cette méthode particulièrement pratique, utilisable à l'hôpital, en grand groupe, avec un minimum de thérapeutes, un seul en fait. Car on a souvent reproché au psychodrame de mobiliser trop de personnel et d'être trop lourd à mettre en œuvre.

      Pierre Bour s'implique depuis toujours et il l'illustre plaisamment à partir de faits précis. Il entre dans le psychodrame en tant que participant, acceptant les rôles dont on l'affuble et par lesquels on se venge le plus souvent de sa fonction d'autorité ; mais il reste aussi l'organisateur et l'homme de la synthèse.

      L'expérience du psychodrame permet à Pierre Bour d'expliciter ce qu'il entend par « implication ». Le symptôme entre dans la relation, il devient « ce qui est ressenti dans un dialogue partagé ». Quant à cette relation, elle « implique un dialogue d'inconscient à inconscient, à savoir l'inconscient dynamique du patient avec lequel l'expérience de notre propre inconscient dynamique mobilisé permet d'entrer en résonance » (Bour 1985).

       Pour Bour, ceci suppose « une forte capacité de réceptivité et, à l'extrême, une possibilité en soi de faire le vide ». Cela donne une « psychothérapie dialoguée », où « le patient est sécurisé par le fait qu'il trouve un répondant chez le thérapeute ». Cela reste analytique, permettant au client de passer par les trois phases du transfert :

      - la première, où le sujet prête toutes les qualités au médecin de façon magique;

      - la seconde, où il s'aperçoit que le médecin ne fera rien à sa place... où il est déçu ;

      - la troisième, où il accepte le médecin pour ce qu'il est.

      On sent ici un heureux équilibre entre la psychanalyse, la prise en charge de malades hospitaliers lourds et l'humanisme qui rappelle Binswanger et annonce les Nouvelles Thérapies.

       

      Haut de page

      << Section précédenteTable des matièresSection suivante >>