Chapitre 5 : Un nouveau champ dÂ’observation : la somatanalyse Richard Meyer et la somatanalyse par O. Dunstetter La somatanalyse, développée par R. Meyer, psychiatre et psychanalyste, nous apparaît comme l'heureuse intégration des différents aspects développés par les thérapies corporelles (contact corporel, expression émotionnelle) et du cadre analytique, en un "setting" original. Le concept d'unité psychosomatique est élargi à l'ensemble psycho-, socio-, et somato- et l'hypothèse thérapeutique de base est la simultanéité des trois aspects "impression, expression, compréhension", réalisant le "moment primaire". Ces trois fonctions, d'impression/expression/compréhension, sont l'équivalent fonctionnel des trois référents, soma, socius et psyché. Commençons par quelques aspects théoriques qui montrent déjà que le corps n'est que partie de la personne et l'expression corporelle, nouveau canal de communication élargissant les autres, verbal et relationnel. L'accent est mis sur l'aspect global du changement. Pour tenir compte de cette globalité, la somatanalyse propose :
Pour réaliser le cadre analytique, le travail se fait au sein d'un groupe non directif. Il s'agit d'un groupe analytique où communique "le corps aussi" qui se ressent et s'exprime dans l'émotion, dans la dimension relationnelle, et le langage. C'est ce qui fait l'originalité de ce type de groupe par rapport aux autres groupes rencontrés qui sont, soit des groupes analytiques purement verbaux, soit des groupes directifs centrés sur des exercices corporels et émotionnels. La non directivité nécessite le développement d'une "intelligence" de la vie relationnelle : la personne doit d'abord sentir ce dont elle a besoin, et vers qui diriger sa demande. Cela responsabilise la personne devant ce qui lui arrive, évitant du même coup l'effet de suggestion et de manipulation. Le risque d'intrusion idéologique des groupes directifs qui proposent un "modèle" de santé psychique et physique est ainsi évité. La conception de la vie et de la maladie reste dans la lignée freudo-reichienne et vient l'enrichir. Le fonctionnement de l'individu peut se résumer à un flux vital, et la maladie correspond au blocage de ce flux. Le but de la somatanalyse, conformément aux autres thérapies reichiennes et freudiennes, consiste à restituer ce mouvement vital. Au niveau théorique, Meyer propose le "modèle structuro-fonctionnel", comme représentation du vécu immergé dans son environnement et se structurant selon les clivages fondamentaux de l'individu. Ce modèle est le reflet de la situation présente, permettant d'insérer le vécu subjectif du patient dans la réalité objective à la fois psychique, somatique et sociale. (…) Le moment primaire apparaît comme le processus thérapeutique fondamental. Il est à la fois : moment subjectif ressenti comme moment plein, et moment qui s'insère dans la réalité objective. Vécu subjectivement comme un moment plein, il efface transitoirement les clivages qui redeviennent mobiles et donne accès à la santé. Il s'accompagne d'un sentiment d'unification de la personne. Schéma 4: Le moment primaire La somatanalyse, en multipliant les canaux de communication verbal, corporel et groupal, multiplie les voies d'accès au moment primaire et permet d'en repérer les caractéristiques, donnant un profil dynamique de la personne. Puis, leur ayant restitué leur sens, le travail d'analyse se poursuit dans la déconstruction de ces situations figées et exclusives ouvrant le sujet à un maximum de lieux de vie. La somatanalyse se veut, pour cette raison, une succession de moments primaires. Voici les caractéristiques de ce moment.
La catharsis est à la base du moment primaire. Elle globalise, intègre les différentes fonctions: intuitions, sensations, réflexion, mouvement, et cette totalité donne un vécu nouveau. Bien qu'ayant été l'objet de nombreuses suspicions, en relation avec son côté spectaculaire, la catharsis apparaît structurante. La prise de conscience et la compréhension équilibrent les faits corporels, qui donnent assise à l'inconscient révélé. En réponse à d'autres reproches faits à la méthode cathartique, concernant en particulier l'épuisement de ses effets, les risques de déstructuration et de dépendance au thérapeute, l'effet de suggestion... R. Meyer distingue deux phases dans le phénomène cathartique, la catharsis de surprise et la catharsis de négoce, phénomène que les critiques semblent ignorer en s'attaquant isolément à la catharsis de surprise. La catharsis de surprise vient d'abord et n'est possible que parce que les défenses n'ont pas eu le temps de se mettre en place, débordées par la nouveauté du processus. Elle garde malgré tout sa valeur expérientielle, en faisant faire l'expérience d'autres états d'être. La catharsis de négoce se fait une fois passé l'effet de surprise: on connaît alors les moyens d'arriver à la catharsis et on perçoit les mécanismes de défense correspondants. La notion d'analyse prend tout son sens, ouvrant à un travail sur les résistances. Au cours de la thérapie, il y a passage progressif du premier type au second. Par ailleurs, on confond souvent catharsis et explosion, intensité. Or la catharsis n'est pas nécessairement intense, et l'intensité n'est pas toujours cathartique. L'intensité n'est d'ailleurs jamais une fin en soi mais un moyen thérapeutique. Pour certaines personnes, seule l'explosion intensive donne accès au moment primaire. Elle en fraye le chemin, puis est abandonnée, lorsque cet accès se fait simplement et calmement. La catharsis, comme moment primaire, est l'un des buts de la somatanalyse. Le moment primaire apporte également la résolution musculaire. La résolution renvoie à la cuirasse caractérielle de Reich, aux tensions qui se placent préférentiellement sur les anneaux musculaires. En végétothérapie et en bioénergie, la détente musculaire s'obtient par des manipulations et des exercices localisés. Dans le moment primaire, l'attaque des niveaux de contraction et de spasticité se fait de façon globale, grâce à l'émotion et à son expression. Ainsi peuvent s'atteindre, autant que les tensions musculaires, les tensions des organes internes, les spasticités digestives, sexuelles ou respiratoires. Enfin, le moment primaire peut être réalisation. Cette réalisation consiste à passer des intentions, désirs, besoins, aux actes, ce qui permet souvent de dépasser une attitude d'inhibition. Précisons qu'il s'agit ici d'une "mise en acte" dont la nature est définie au départ par le protocole et non du "passage à l'acte" évoqué par la psychanalyse, qui correspond à une transgression du code établi. Bien sûr, tout ce qui transgresse le contrat de départ reste passage à l'acte. Un autre aspect de la réalisation vise à donner un sens aux actes, aux sensations et aux émotions. Au total, le moment primaire peut être assimilé à un vécu de base qui prend sens et se structure grâce à sa qualité de plaisir-déplaisir. Or, tout vécu a une histoire et le sens qualitatif, plaisant-déplaisant, fait automatiquement référence à une situation, à un environnement à la fois présents et passés. "Il suffit donc de vivre le corps pour qu'il y ait somatanalyse". On retrouve Reich. Ce corps qualitatif se situerait entre le corps matériel, anatomo-bio-physiologique et le corps signifié de la psychanalyse. Il reste du côté du vécu évoquant les aspects particuliers de ce vécu qui le rendent unique, atemporel, souvent indicible, sujet à "castration temporelle" et, de surcroît, structurant. Sur un plan méthodologique, la somatanalyse met tout en œuvre pour permettre l'accès répétitif aux moments primaires, grâce à l'élargissement des canaux de communication :
La somatanalyse, à visée analytique, se conçoit comme une cure prolongée qui met en jeu le corps de manière préférentielle. L’attachement et le transfert se manifestent dès que la thérapie a une certaine durée. (Les thérapies brèves, structurées, prévoient pour cette raison un nombre limité de séances, entre 10 et 15, au delà duquel vont naître l’attachement et le transfert). Le transfert est un outil essentiel dans toute méthode analytique et ce qui diffère d'une méthode à l'autre, c'est la manière dont il se manifeste. En thérapie corporelle, il peut se manifester aussi bien par le cri, par le toucher que par la parole et donc par une plus grande intensité qu'en psychanalyse, mais il n'est aucunement provoqué et reste analysable de la même façon. Chacun retrouve dans la relation transférentielle le mode de relation affective que la situation familiale avait permis et favorisé. Mais cet aspect de répétition prend vite une signification et s'adresse à son destinataire exact, que ce soit papa, maman... Le transfert prend tout son sens, à la fois actuel, de mode préférentiel d'entrée en relation affective, et ancien, de répétition du mode intrafamilial de cette même relation affective. Avec la somatanalyse, on retrouve cette autre caractéristique analytique qui veut qu'une grande partie du travail se fasse dans la dimension relationnelle, transférentielle. Nous en resterons là quant à l'exposé théorique des principales notions reprises et développées par la somatanalyse dont nous avons essayé de montrer la spécificité par rapport aux autres méthodes de thérapies dites "corporelles". » (O. Dunstetter). Avant de suivre O. Dunstetter dans la présentation des deux patientes longuement interviewées, j’intercale d’abord une présentation personnelle du lieu de naissance et d’exercice de la somatanalyse et de sa vocation d’intégrer des patients psychotiques dans ses groupes, malgré la difficulté de la chose.
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