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Chapitre 6 : Monique et Fabienne : deux somatanalyses prolongées et approfondies

Fabienne

 Fabienne a 47 ans. Divorcée depuis 1980, mère de deux filles âgées respectivement de 19 ans et demi et 16 ans, une troisième fille étant décédée à cinq semaines, par inhalation de biberon, elle est employée dans une administration. Issue d'un milieu modeste, Fabienne est l'aînée de trois enfants : elle a une sœur, dont elle ne nous parlera guère, et un frère, avec qui elle dit bien s'entendre.

Elle nous livre rapidement ses impressions vis-à-vis de ses parents : "avec ma mère, la communication ne passait pas ; elle était toujours angoissée, parlait beaucoup sans écouter ce qu'on lui disait. Elle me culpabilisait..." Concernant son père, elle est beaucoup plus ambivalente : "il y avait une certaine connivence... il était indifférent... exigeant... pour lui faire plaisir, il fallait que je mange…' Sa grand-mère maternelle qui a vécu longtemps dans la famille, semble avoir rempli le rôle de substitut maternel. Elle avait une très bonne relation avec elle.

De son enfance, elle nous dira simplement qu'elle s'est toujours sentie incomprise. A son adolescence, elle note un "décalage entre son désir de faire quelque chose et la réalité". Elle appartenait à de nombreux groupes, mouvements de jeunes, mais se sentait incapable de parler en groupe, du fait de sa timidité. Plus tard, un décalage persiste entre son désir et la réalité.

Elle se marie à 26 ans, désirant avoir des enfants. Avec son mari, elle vit une vie pleine d'insatisfactions, lui reprochant d'être toujours absent et de la laisser assumer seule les enfants. Elle dit de celui-ci : "il était un peu comme ma mère, on ne pouvait pas dialoguer avec lui". Bien sûr, elle n'est sans doute pas étrangère à cet état de fait. Elle semble avoir eu un caractère plutôt rigide avec tendance à la dépression, souffrant d'inhibition, de frigidité. Elle vit alors dans "une grisaille continue". Le couple va de moins en moins bien, chacun ayant des affinités différentes, ce que Fabienne semble mal accepter. Elle dit de son mari "qu'il n'avait pas envie de me perdre. Il ne pouvait accepter d'être bien et que ça dure..." On peut se demander s'il ne s'agirait pas là de ses propres sentiments.

En 1981, à 43 ans, Fabienne participe à un groupe d'analyse transactionnelle où elle dit s'être beaucoup impliquée, et décide brusquement, suite à ce groupe, de se séparer de son mari, décision qui lui aurait été plus ou moins suggérée. Elle garde un très mauvais souvenir de ce groupe où elle nous dit s'être fortement investie, puis avoir ressenti une grande déception du fait du manque de continuité. Après ces événements qui bouleversent sa vie, elle présente une première décompensation psychotique.

Il n'y a pas d'antécédent psychiatrique dans la famille. La première hospitalisation remonte à août 1981, suite à une tentative de suicide médicamenteuse qui survient dans un contexte délirant ayant démarré assez brusquement, un mois auparavant. Ce délire à tonalité dépressive, associant des hallucinations sur tous les modes, des idées de persécution, des interprétations multiples, un vécu d'étrangeté, d'incommunicabilité, est source d'impulsions réactives aboutissant finalement au geste suicidaire.

Suite à cette hospitalisation, une psychothérapie verbale est entreprise fin 1981. Le vécu délirant disparaît totalement. Fabienne parle beaucoup et attend énormément de cette thérapie. Après quelques mois, elle fait, d'elle même, une courte interruption "probatoire" de la thérapie pour s'assurer qu'une continuité est possible. Rassurée sur ce point, elle accorde toute sa confiance au médecin. La thérapie se poursuit jusqu'à la rentrée 1982 où le psychothérapeute lui apprend qu'il quitte la région. Pour Fabienne "le monde basculait".

Elle voit alors un autre médecin recommandé par le premier. "Il restait un lien", mais elle ne peut investir cette nouvelle relation. Quelques mois plus tard, elle fera un voyage à l'autre bout de la France pour revoir son premier thérapeute, voyage dont elle se dit fort déçue.

Fabienne présente une deuxième décompensation, début 1983. Elle sera hospitalisée assez longuement après un voyage pathologique "vers le sud, vers la mer", où elle provoque un accident, sans doute dans un but suicidaire. Elle apparaît alors dépressive et délirante ; extériorisant peu son vécu délirant surtout persécutif, elle présente des troubles du comportement, refuse de manger, s'isole, se sent "coupée de tout le monde..."

Après cet épisode, on lui conseille de reprendre une thérapie, et bien qu'elle n'y croie plus, elle entreprendra, à partir de septembre 1983, un travail de psychothérapie et de somatanalyse. Elle fait une nouvelle rechute en août 1984, sous la forme d'un "état dépressif majeur avec inhibition psychomotrice, aspect figé du visage, idées de mort, d'incurabilité, manifestations liées à l'anxiété, accompagnées d'idées de persécution mal systématisées. D'après sa fille, cet épisode serait moins grave que les précédents. Elle reste hospitalisée deux mois.

Pour elle, deux faits sont significatifs durant cette hospitalisation :

 

  • Un rêve, où elle voit deux rayons lumineux qui se croisent. Elle les interprète comme représentant Richard Meyer et elle-même et conclut : "je n'avais pas su le rencontrer, on s'était croisés".

  • Et une visite que le thérapeute lui fait à l'hôpital, qui a pour elle une grande importance : "il est venu me voir, même dans ma folie". EIle retrouve espoir, et son état psychique s'améliore.

Voyons maintenant ce qu'elle nous rapporte à propos de son travail en somatanalyse. Fabienne commence les groupes de somatanalyse en janvier 1984, après quelques mois d'entretiens individuels. Elle a très peur de venir à ces groupes, à cause de ses expériences préalables, dit-elle. Pendant les premiers ate­liers, elle se sent mal, ne parvient pas à communiquer avec les autres. "J'avais l'impression d'être une plante, je n'avais goût à rien. Il fallait qu'il me ressuscite... impression d'être dans un cercueil... plus d'énergie pour vivre... J'avais beaucoup de mal à être présente... Je n'arrivais pas à être bien... Les autres m'im­pressionnaient. J'avais peur... on m'a agressée... Je pensais que je devais dire quelque chose, je ne savais pas quoi... ça ne sonnait pas juste".

Peu à peu, Fabienne se détend, est plus présente dans le groupe. "Dans le groupe, il faut trouver sa place, comme dans la vie - ce n'est jamais acquis... je me sens souvent paumée parce qu'il y a des tas de gens qui parlent très facilement et ce n'est pas mon cas... C'est parce qu'on n'utilise pas seulement la parole dans ce groupe que je m'y sens à l'aise... quand l'émotion vient, la parole vient toute seule... On peut se laisser aller à crier, à penser à quelque chose qui fait peur, parce qu'il y a les autres… La thérapie... trouver une unité... ce sont de petites choses qui se passent, qui se mettent en place. J'ai peur des grandes choses, des grandes décisions, j'avance tout doucement..."

Fabienne a trouvé son propre rythme, ce qui lui convient dans le groupe. Elle apprécie particulièrement la méditation dynamique, dont elle nous raconte quelques séquences : "Au début, j'avais tellement peur de me désagréger que je n'ai pas dansé- je faisais de tous petits mouvements- puis c'est venu... "J’étais une fleur qui ouvrait ses pétales... il y avait une ambiance de brume, la montagne. Je me suis levée, je marchais en levant la tête, faisant de grands mouvements avec mes bras- j'allais à la découverte du monde... j'occupais beaucoup d'espace..." J'étais entièrement dans mes sensations, c'était très agréable- en en parlant après j'en ai compris la signification.

"Je me suis sentie en harmonie avec Richard... je me suis allongée criant fort sur des sons différents... crier pour ressusciter pour un an... Je faisais des gestes désordonnés comme une poupée en chiffon. Puis je me suis retournée sur le ventre et me suis mise à bouger les bras... mes ailes... d'une façon maladroite. Je me trouvais être un grand oiseau... Sur la partie criée, j'ai réussi à accélérer le rythme et à sentir plein de vibrations dans mon corps si bien qu'après, dans le silence, je l'ai senti se détendre... Sur la dernière partie, dansée, je faisais de tout petits mouvements avec tout mon corps, comme si je voulais m'éveiller à quelque chose..."

Autre séquence, autre vécu : "je me balançais comme un balancier de pendule... à plusieurs reprises, je réalisais que je respirais en même temps que Richard, au même rythme, mais j'avais parfois du mal à suivre... l'énergie circulait en moi... puis la musique douce, invitant à s'éveiller au voyage".

Le "cercle rapproché vocal" où tous les participants se tiennent par les mains, émettent des sons est bien vécu également. "J'ai fait le carillon de Westminster. J'ai sonné les trois heures de ma naissance (je suis née à trois heures). J'avais un autre regard sur moi... Pour moi, c'est renaître dans un cadre différent, avec plus de possibilités pour moi..."

Dans le bonding, le vécu est parfois lié au partenaire. Ainsi, après un bonding avec le somalanalyste : "Je ne trouve pas de mots pour exprimer cette détente, ce bien-être au bout desquels je me trouvais sereine- et j'ai trouvé extraordinaire de ressentir cela aussi fort, aussi longtemps... même en me retrouvant dans les bras de Pierre par après, puis ensuite dans mon lit. Je me sentais merveilleusement bien et entière- le lendemain matin encore, je ressentais cette impression d'unité", et avec une femme : "J'étais dans les bras d'une femme- j'étais bien, oui mais c'était une femme..."

Pour la troisième séquence de la séance, il faut se confronter au groupe, aux autres : "J'aurais aimé que Bruno me fasse crier- il a refusé - je l'ai trouvé salaud... Pas le droit de pleurer, de faire du bruit... être .sage... Me cacher sous la couverture, seule, au chaud, comme lorsque j'étais enfant... Accepter que quelqu'un me dise non, sans en être aussi affectée... Il y a cette connivence avec les anciens qui se crée, week-end après week-end et, aussi, une plus grande réceptivité vis-à-vis des nouveaux... je ressens plus rapidement leur distance ou leur chaleur.,"

Actuellement, Fabienne est dans un processus transférentiel intense. Le thérapeute retient toute son attention : "J'ai un "programme" en ce qui concerne Richard... il faudra me déprogrammer". Après un week-end où il n'a pas travaillé avec elle, elle est en colère, se sent délaissée, le trouve injuste : "Les trois derniers week-end, il n'est pas venu vers moi pour me faire travailler... Mais jamais il n'oublie Monique et encore moins Cécile. Elle a droit à tous les égards... J'ai envie de faire le vide, de me caparaçonner. Je ne veux pas souffrir à cause de Richard...

... Solitude face à la mer... à la mère... à Richard?

Je lui ai parlé des nuances que je remarquais en lui quand il s'occupe de l'un ou l'autre et de Cécile en particulier... Cécile... ma sœur ? face à ma mère? ... J'ai besoin que Richard s'occupe aussi de moi... quand je le lui dis, il ne vient pas plus".

"Une autre fois : je m'isolais, je me mettais à l'écart du groupe, j'avais envie que Richard vienne... je me sentais de plus en plus seule... je pensais qu'il ne voulait plus me voir... puis le week-end suivant, Je me sens bien... Il est venu vers moi... pour la première fois j'ai eu l'impression de lui donner de la tendresse, qu'il la prenait, qu'il l'acceptait".

Enfin, pour conclure, Fabienne nous dit : "A la fin du week-end, il y a une ambiance chaleureuse, comme si on était dans le ventre de sa mère... Ma vie se peuple de choses positives, ça permet de ne pas se laisser submerger par le négatif… je mourais petit à petit, j'ai appris à renaître". Son travail en somatanalyse, débuté depuis plus de deux ans, n'en est pas pour autant achevé et se poursuit toujours, double d'entretiens individuels.

Voici, à présent, l'avis du somatanalyste.

 

  • La dimension relationnelle

  •  Dans le groupe, "Fabienne est très complexée au niveau intellectuel, parle peu, ne crie pas. Dans le groupe verbal, elle vit les choses intensément mais souffre car elle ne parvient pas à placer un mot. Elle a deux ou trois relations privilégiées, un peu symbiotiques - elle a besoin d'une petite fusion... Si l'on n'est pas attentif à elle, elle s'assombrit brusquement, passant d'une humeur enjouée à une humeur quasi mélancolique - elle déconnecte. Un fait minime suffit parfois pour qu'elle se ferme - elle reste dans cet état jusqu'à ce qu'un signe vienne lui prouver qu'elle se trompe, que son attitude est erronée - sinon ça peut durer très longtemps. Il persiste des difficultés de communication".

    • La relation transférentielle

    •  "Sa demande est fusionnelle - elle cherche à rétablir une relation de type symbiotique avec le thérapeute. Elle avait établi des transferts massifs avec les thérapeutes antérieurs… Elle a été traumatisée par les ruptures, a été refroidie… Elle a mis longtemps avant de venir me voir, trois quatre mois avant de me faire confiance… Elle a eu alors une phase d'euphorie, un grand espoir de réalisation - elle venait à tous les ateliers, puis les problèmes d'argent l'ont mise face à la réalité - elle a décompensé, attribuant cette rechute à mon attitude… Elle n'avait pas la continuité qu'elle souhaitait…

      Du fait qu'elle ne fait pas de travail émotionnel intensif, '' nous manque l'occasion d'être ensemble pendant et après ce travail, j'allais moins souvent vers elle… elle se sentait frustrée... Il fallait un minimum de bonding, ce contact physique pour remplacer le travail expressif. Quand j'oubliais cela, elle en souffrait beaucoup... elle est très sensible aux différences par rapport aux autres femmes".

       

      • La dimension somatothérapique

      • Les settings investis de manière préférentielle sont :

        • "la méditation musicale, dans laquelle elle est très bien,

        • le rebirth, le cercle rapproché vocal, où elle est assez bien,

        • et le bonding dont elle a besoin,

        • elle est rassurée par le groupe.

        Elle ne crie pas, fait du travail émotionnel mais toujours en pleurs : elle pleure, est malheureuse, frustrée, voit tous les échecs de sa vie, ressent un vécu douloureux de vide intérieur… Dans le bonding, elle vit des moments de bien-être. En méditation musicale, elle s'ouvre à des vécus très riches, qui se sont répercutés dans sa vie privée.

        Dans le groupe, elle vit des états de bien-être, banaux en soi, mais qu'elle ne connaissait pas auparavant. Elle a aussi des joies très intenses dans des moments doux et tendres. Le moment primaire se passe dans la douceur... surtout dans le transfert, mais plus exclusivement avec le thérapeute - elle parvient aussi à s'investir ailleurs... Par contre, elle ne peut pas accéder à l'intensité émotionnelle. Dans sa vie relationnelle, on retrouve la même chose : elle est bien avec des amis mais pas avec des amants - sa frigidité est liée à cette impossibilité de vivre l'intensité émotionnelle...

        Mais cet enrichissement d'un bien-être doux et calme ne lui suffit pas encore. Elle espère toujours quelque chose d'autre, de l'ordre du fantasmatique - ça reste un de ses grands conflits. Par exemple, dans le bonding, il lui arrive de s'emballer alors que tout semblait aller, mais elle n'a pas la conviction que c'est ça... Dans le groupe verbal c'est pareil, verbalisant peu, elle n'est pas satisfaite de sa place... De même dans sa vie sociale, intellectuelle, elle est déçue par rapport à ses ambitions, qui sont beaucoup plus élevées, et qu'elle reporte sur ses filles qui la déçoivent également… Pour l’instant elle n’accepte pas de se mettre à sa place qui se dessine pourtant de façon assez claire dans le groupe, à travers ses investissements préférentiels".

         

        • Ce qu'apporte le corps

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          • "Tout d'abord, "c'est le corps qui lui permet de trouver sa place. C'est à travers ce qu'elle vit dans son corps qu'elle pourra se rendre compte qu'elle est bien dans un mode de vie calme, doux, tendre, qu'elle comprendra ce qu'elle doit investir et ce à quoi elle doit renoncer...

          • Pour l'instant le corps est le seul lieu où elle vit quelque chose de vraiment positif : au niveau relationnel, c'est difficile ; au niveau amoureux, c'est plutôt négatif ; au niveau intellectuel et social, c'est décevant pour elle par rapport à ses ambitions.

          • Enfin le corps introduit la discontinuité: les moments pleins sont limités dans le temps - elle sait comment ils viennent et peut accepter qu'ils s'arrêtent, sachant qu'ils peuvent revenir, qu'ils sont reproductibles.

          • On peut parler de "castration temporelle". Elle accepte cela, sauf quant elle est malade...

          • Le corps peut être moyen de communication, dans le bonding en particulier.

          • A propos du corps. Fabienne reste encore un peu complexée dans son corps, elle ne l'aime guère".

             

          • La dimension analytique

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            • Pour Fabienne, le travail thérapeutique vise surtout à l'acceptation de la séparation et des frustrations. C'est la séparation qui lui permettra d'accéder à l'individuation.

            • C'est la prise de conscience de la répétition, à travers des situations clefs pour elle, qui peut amener une meilleure compréhension.

               

            • Quelques remarques par rapport à l'évolution de la cure

            •  Fabienne est une psychotique qui a fait des rechutes de mélancolie délirante. La somatanalyse a réussi à espacer ces rechutes sans les éviter totalement, malgré un traitement de fond (lithium + neuroleptique à dose filée). Aucune psychothérapie ne peut éviter ce déroulement. Par contre, la somatanalyse a grandement amélioré les intervalles libres où la qualité de vie s'enrichit sensiblement.

              Fabienne nous évoque une personnalité borderline, relativement compensée sur un mode rigide tant que sa vie reste structurée par le biais du couple. La séparation qui entraîne à la fois une perte d'objet et d'un cadre de référence, fait resurgir le versant psychotique et dépressif de la personnalité. Par la suite, chaque nouveau vécu de séparation est à l'origine d'une décompensation psychique. Il s'agit, semble-t-il, d'épisodes de mélancolie délirante. Avant ces accès dépressifs, elle aurait présenté des phases d'hypomanie, plus difficiles à détecter.

              En ce qui concerne la thérapie verbale entreprise par Fabienne avec le Dr A., on constate que la relation qu'elle établit est massive, tendant à être fusionnelle. La rupture, de ce fait, est vécue comme catastrophique. Ceci retrace vraisemblablement la relation de Fabienne avec son mari, puis avec l'animateur du groupe d'analyse transactionnelle auquel elle participe ; cette relation est de type symbolique. C'est le prototype de la relation qu'elle tend à établir avec autrui.

              En somatanalyse, la relation transférentielle répète encore une fois le même processus auquel on peut distinguer plusieurs phases : une phase de mise en confiance qui est de plus en plus longue du fait d'expériences négatives antérieures, une phase d'espoir de réalisation de cette relation continue, fusionnelle, qui est souhaitée, puis la confrontation à la réalité comme source de déception entraîne la première fois une décompensation psychique, enfin, à un degré moindre, une grande souffrance et une tendance à la déconnexion, à l'isolation.

              Mais dans cette répétition, la somatanalyse introduit, par le biais du corps, de nouveaux rythmes. Contrairement au transfert fantasmatique qui se prolonge entre les séances et tend à être continu, le transfert "qui passe par le corps" respecte le rythme du corps. Par son rythme cyclique, plaisir - saturation de plaisir, le corps introduit la discontinuité. Le bien-être vécu dans le corps, le moment plein, apparaît limité dans le temps. L'introduction de ces ruptures temporelles, que Richard Meyer dénomme castration temporelle, permet l'acceptation progressive de la séparation.

              Ce travail sur la séparation est central pour Fabienne. On assiste à ses réactions face à cette mise à distance favorisée par le groupe qui impose le "partage" du thérapeute : des phases d'acceptation partielle supportées par l'espoir d'un retour à la symbiose possible alternent avec des phases de refus où elle exprime toute la souffrance qu'elle vit dans cette séparation, et sa façon de s'en protéger par le repli, l'isolation.

              Par ailleurs, grâce au corps, Fabienne peut faire l'expérience de l'unité, de la plénitude. Ces expériences sont rassurantes et positivent sa vie, lui permettant de vivre mieux la psychose, entre les accès aigus, et, espère-t-elle, de "ne pas se laisser submerger par le négatif". Les différents types de mise en jeu du corps la reconnectent avec son corps, lui donnant un sentiment d'unité corporelle et sont en même temps source d'expression de soi plus globale, autant par le biais du corps que par la libre association.

              Dans le travail dansé et l'analyse respiratoire, c'est la détente corporelle qui permet d'accéder à ce vécu unifié, permettant une libre circulation énergétique, tandis que, dans le bonding, c'est la diffusion du plaisir dans tout le corps qui prépare la détente musculaire et l'impression de plénitude qui en découle. Ici encore, on remarque que les settings investis par Fabienne correspondent bien à sa dynamique personnelle. En effet, sa crainte de l'intensité émotionnelle est liée à sa crainte de l'éclatement, du morcellement; de même, elle a besoin de travailler tout doucement, ayant pris conscience de sa fragilité en partie à cause de ses expériences passées. Elle est sécurisée en groupe et accède au moment primaire dans la douceur. Son travail est plutôt intériorisé, la communication restant son point faible. Elle y parvient parfois, communiquant toute sa tendresse dans le bonding, par exemple.

              Les moments pleins expérimentés au sein du groupe pourront ensuite être vécus à l'extérieur. C'est déjà ce qui se passe pour Fabienne quand elle fait du tanking, quand elle chante dans une chorale et dans certains moments de sa vie quotidienne où elle se sent bien. Elle peut ainsi abandonner de temps à autres ses mécanismes de défense contre la psychose : l'isolation, la projection..., et acquérir un fonctionnement plus souple.

              Le sentiment qu'elle éprouve en thérapie, de se remplir de choses positives, lui permet de lutter contre son impression de vide intérieur, ses tendances dépressives, et lui redonne goût à la vie. Le bien-être nouveau ressenti par Fabienne est parfois parasité par son insatisfaction fondamentale, liée au fait qu'elle espère toujours "autre chose", qu'elle ne s'accepte pas comme cette femme "ordinaire" qu'elle est. Sa perception de son corps qui la complexe peut être mise en parallèle avec son vécu psychique.

              Comme elle le souligne elle-même, sa difficulté consiste à "trouver sa place" dans le groupe comme dans la vie et est à l'origine d'un sentiment d'échec. Et, de l'avis du thérapeute, cette place apparaît déjà assez clairement à travers ses investissements préférentiels. C'est grâce aux situations vécues dans son corps qu'elle pourra la trouver. C'est un autre volet du travail qui lui reste à faire : s'accepter comme elle est, trouver sa place, son identité.

              Sur un plan évolutif, Fabienne se situe actuellement dans les deux premières phases de recherche de sécurisation par le groupe et de recherche d'affection en relation de couple, mais elle n'a pas encore accès à l'individuation qui déclenche l'angoisse. On peut espérer avec elle que la somatanalyse l'aidera à traverser ces étapes encore conflictuelles de son développement.

               

              • Commentaires

              •  La clinique vient soutenir notre thèse de l'intérêt de l'utilisation du corps au sein d'une thérapie à visée analytique. Elle est l'occasion pour nous de revenir sur quelques points.

                Tout d'abord, nous constatons à travers les exemples cliniques, que les conceptions reichiennes, d'un lien entre fluidité corporelle et psychique, tension musculaire et refoulement, phénomène émotionnel et énergétique, se confirment. En effet, l’accès au moment primaire ne peut se faire que dans la détente corporelle, et tout ce qui vient entraver cette détente, spasme ou contracture musculaire, pensée inopportune, peur... arrête le processus en cours. La cuirasse se referme, "carapace" qui protège et éloigne le sujet de lui-même, en maintenant les clivages et la déconnexion d'une partie du vécu. Soulignons encore l'importance du vécu corporel. La clinique nous montre qu'il est structurant et mène à une prise de conscience réelle, dont elle illustre les méandres.

                C'est le corps vécu qui ramène le sujet à sa globalité, lui permettant de reconnecter sensation corporelle, émotion, compréhension, et lui donnant cette impression de plénitude, d'unité décrite par nos patientes. Cette unité est parfois directement ressentie comme résultant de la restitution du flux vital ainsi que nous le communique Fabienne.

                Proposant un champ d'expression et d'expérience plus vaste que la psychothérapie purement verbale, la thérapie corporelle permet d'élargir les indications de psychothérapie analytique au delà des possibilités d'intellectualisation du patient. D'autre part, elle semble d'un abord moins difficile au début, débordant plus facilement les défenses et ouvrant à de nouvelles expériences, moteur de la poursuite de la thérapie.

                Le transfert se manifeste différemment et de multiples manières en somatothérapie, permettant au thérapeute d'accueillir plus facilement un transfert massif qui trouve ainsi à s'exprimer là où il ne se passait "rien" en thérapie verbale. Nous avons vu que ce transfert "qui passe par le corps", introduit une discontinuité qui va de pair avec le rythme cyclique du corps, en opposition au transfert fantasmatique qui tend à être continu, discontinuité structurante, ouvrant à la notion de "castration temporelle" développée par R. Meyer.

                Enfin, la pratique du travail corporel au sein d'un groupe présente divers avantages. Nous avons pointé l'ouverture du patient au monde relationnel et l'intérêt des "transferts latéraux" dans la compréhension des phénomènes transférentiels. Une réflexion sur le travail en groupe nécessiterait de plus amples développements mais déborderait largement le cadre des thérapies corporelles.

                 

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