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Chapitre 7 : Le groupe de Socio- Somatanalyse : catharsis et sociodynamique

Le processus, la théorisation et la praxis de la catharsis

 La catharsis pose de nombreux problèmes pratiques. Elle est difficile à manier, délicate à assumer. C'est au niveau du détail que se joue la catharsis beaucoup plus que dans les positions systématiques et théoriques. Les problèmes se situent essentiellement à deux niveaux, apparemment contradictoires, et s'énoncent ainsi : le mécanisme cathartique est trop puissant, il met à mal le cadre thérapeutique ; ce mécanisme n'est pas reproductible à cause du rétablissement trop rapide de nouvelles résistances.

Les manifestations excessives de la catharsis sont devenues historiques : Breuer a reçu trop de bouquets de roses et n'a trouvé de parade qu'en fuyant à Venise ; Freud, lui, s'est trouvé avec sa patiente autour du cou ; Ferenczi a dû assister à la rechute de nombreux clients en profonde régression néo-cathartique lorsque sa maladie lui fit interrompre les cures… Faut-il rappeler aussi que l'amour de la catharsis a obligé Reich à fuir l'Allemagne nazie ? Ces exemples presque caricaturaux dépeignent pourtant la réalité. La catharsis est un moment imprévisible, parfois brutal, souvent dérangeant, toujours étonnant de par sa puissance.

Ainsi se confirme que la catharsis laisse émerger les processus les plus profonds et donne accès aux instances les plus éloignées, inconscientes, infonctionnantes, asociales. Cette puissance séduit les thérapeutes dynamiques et entrepre­nants. Elle dérange les gens plus calmes. La catharsis attire les jeunes praticiens en rupture d'école ; mais elle lasse peu à peu, jusqu'à être abandonnée lorsque l'âge fait ses ravages.

Toutes les rationalisations et théorisations, aussi scienti­fiques et sensées soient-elles, ne font jamais oublier qu'on défend d'abord soi-même de cette puissance de la catharsis. Pourtant, l'argumentation introduite par Freud est évidente et logique : il faut contrôler et maîtriser le déroulement de la cure, la protéger des explosions intempestives, éviter de a retrouver dans les bras de sa cliente, du moins quand on en a peur ! Le moyen de ce contrôle est tout aussi évident : au lieu d'encourager les forces vives à s'exprimer et de risquer l'explosion lorsqu'elles rompent les barrières défensives, on déconstruit ces barrières, défenses et résistances, en espérant que les forces vives se manifestent alors progressivement et sans chaos. Pour plus de sécurité encore, Freud conçoit la stratégie de l'oignon, lui enlève couche après couche, en une gradation raisonnée et une approche circonspecte de son coeur tellement imprévisible. Cette démarche thérapeutique est le prototype de toute alternative à la catharsis, elle se présente comme l'inversion exacte de la catharsis, comme son opposé et, bientôt, comme sa rivale inconciliable. Paradoxalement, la plupart des « nouveaux thérapeutes » emboîtent le pas de la prudence freudienne en enfermant très rapidement l'acquis de la catharsis dans des structures préétablies, d'autres fois théoriques, idéologiques et même « sectaires ».

Nous avons avec les participants du groupe de somatanalyse des illustrations très claires de l’une et l’autre pratique : explosion qui perfore les défenses et attaque des défenses qui libèrent la catharsis. En fait, ces deux démarches sont complémentaires en somatanalyse et cela se comprend simplement en décrivant deux types de catharsis, l’une de surprise, l’autre de négoce.

 

  • La catharsis de surprise

  •  Ce premier type est celui que l’on désigne habituellement quand on décrit la catharsis. Quelque chose se passe par surprise, de façon inattendue, pour la première – et parfois seule – fois, parce que c’est précisément la première fois. Notre atelier de somatanalyse nous fournit de nombreux exemples avec les cinq nouveaux participants.

    Le mécanisme d'action est simple : c'est la surprise, la nouveauté, qui se retrouvent partout, dans toute thérapie. Un premier entretien psychothérapique peut le provoquer. C'est le coup de foudre. La situation est tellement imprévisible que les mécanismes de défense sont pris en défaut. Il n'y a pas de structure familière qui retient. Le processus se libère sans retenue, s'intensifie, explose en un moment violent, en un moment processuel quasiment pur qui souffre malheureusement d'un déséquilibre grave puisque la structure s'écroule tandis que le processus s'enfle de façon inhabituelle. Ce déséquilibre est intolérable et provoque très rapidement une nouvelle structuration défensive, de nouvelles résistances, nous le voyons dans l'atelier. Ces mécanismes de défense qui tiennent lieu de structures d'urgence dans ces situations imprévues se construisent à tous les niveaux, psycho-, socio- et somato- logiques, selon les sujets.

    Cette catharsis de surprise est très spectaculaire et impressionne énormément. Les thérapies corporelles post soixantehuitardes s'en font une spécialité. Malheureusement, la surprise ne se répète pas indéfiniment. Nous avons un don particulier pour nous en protéger. Cette constatation est aussi vieille que la thérapie elle-même : l'évocation d'Oedipe est depuis longtemps éventée ; le transfert n'émeut plus non plus, son concept du moins, pas sa réalité : Ferenczi et Reich le sentaient vers 1920 déjà. Le cri aussi se fait piéger. Pour pallier à ce retour du balancier, on pourrait multiplier et diversifier les settings et les techniques et pousser les clients à faire la tournée des différentes méthodes et pratiques. La catharsis de surprise révèle alors son point faible, à savoir son déséquilibre structuro-fonctionnel. Il se passe bien quelque chose au niveau de la grande défonce émotionnelle, à un niveau purement subjectif, mais pas au niveau objectif. La situation réelle est scotomisée tout comme les défenses sont court-circuitées. Il ne se fait pas encore d'élaboration par rapport aux référents objectifs. Pourtant, ce premier type de catharsis est inévitable. Il est utile quand on sait le replacer dans son contexte. Il représente le prototype et la promesse de ce qui peut s'acquérir de façon plus constante par la suite avec la catharsis négociée. Il donne envie de continuer la thérapie.

    On ne peut d'ailleurs pas ne pas évoquer les moments analogues qui se présentent spontanément dans la vie quotidienne sous forme de moments merveilleux, d'expériences paroxystiques, construits sur le modèle même de la catharsis de surprise. Ces moments, même agréables, restent souvent uniques parce qu'ils sont précisément paroxystiques, imprévus, non structurés. On peut ranger là beaucoup de coups de foudre et de grandes passions qui ne restent qu'événementiels parce que ponctuels et inquiétants. Ils restent uniques parce qu'on se défend efficacement contre tout retour de telles perturbations ! Il faut y ranger nombre de bouffées délirantes, dépressives, psychopathiques, qui ne s'emballent que parce qu'on est absolument démuni et surpris par leur survenue.

    L'apprentissage de la négociation permet d'enrichir la vie quotidienne et de ne pas se priver de tels moments.

     

    • La catharsis de négoce

    •  Passé l'effet de surprise, la situation se précise. On connaît maintenant les moyens d'arriver à la catharsis et l'on perçoit aussi les mécanismes de défense spécifiques. On peut analyser les processus et les structures en attendant de les négocier les uns et les autres. La notion d'analyse prend tout son sens ici, non seulement celui de compréhension mais surtout celui, étymologique, des chimistes: de décomposition des comportements globaux en leurs éléments constitutifs. Les résistances qui se manifestent ne sont rien d'autre que les symptômes et syndromes habituels, névrotiques et psychoti­ques, fonctionnels et psychosomatiques, relationnels et compor­tementaux. Nos somatanalysants nous en fournissent des illustrations pertinentes.

      L'avant et l'après des moments cathartiques font ressortir l'attitude consciente, volontaire et de plus en plus maîtrisée qui préside à cette montée en catharsis. Les obstacles sont abordés de front, même si c'est avec ruse ; les moyens proposés par la méthode sont utilisés avec art pour arriver à ce moment d'émotion, d'intensité et de présence qu'est la catharsis. Mais, une fois arrivé, ça se passe tout seul, spontanément, sans contrôle ni maîtrise ; ça arrive, ça tombe bien, ça s'écoule. C’est le moment primaire, l’expérience plénière. La caractéristique majeure réside dans l'équilibre entre les processus d'une part et les structures d'autre part. Grâce à cet équilibre, s'acquiert une capacité de prise de conscience à la fois pleine et suffisamment légère pour ne pas perturber le processus en cours. Il s'acquiert aussi le maniement progressif des mécanismes qui favorisent ces processus. Cette catharsis négociée ne suscite aucun nouveau mécanisme de défense puisqu'elle est équilibrée et structurée. Elle met en oeuvre les mécanismes thérapeutiques mis en évidence ci-dessus: la libération des processus subjectifs, la restauration des rapports avec les référents objectifs et le réaménagement de l'équilibre global. L'aspect le plus difficile à comprendre reste cette attitude subtile à la fois consciente, volontaire et négociée qui permet néanmoins aux processus de se dérouler sans entrave, sans censure, sans contrôle. Cela se fait ainsi, en pleine conscience, en plein accord, en pleine insertion dans la situation... Nous verrons dans la troisième partie de ce nouveau tome que ça s’appelle aussi pulsation plénière et que ça ressort tout simplement du modèle ontodynamique.

      La différenciation en catharsis de surprise et catharsis de négoce oblige à nuancer l'opposition qu'on voudrait installer entre les deux modes thérapeutiques apparemment ennemis dont l'un favorise la libération processuelle et l'autre le déblaiement des résistances. Le premier rappelle plus la surprise et le second, le négoce mais il y a passage progressif du premier au second, au fil du temps. Dans une cure prolongée, on se retrouve finalement à même enseigne. La psychanalyse connaît – fort heureusement – des moments extrêmement émouvants et violents, jusques et y compris des bouffées délirantes. Quant aux méthodes dites émotionnelles, elles passent aussi par les méandres contournés du discours, de l'analyse et de la négociation laborieuse. On arrive donc à une rencontre entre les différentes positions concernant la catharsis grâce à cet élargissement aux deux types, de « surprise » et de « négoce ». Il ne reste plus qu'une seule caractéristique qui oppose vraiment les tenants et les opposants de la catharsis prise dans son sens restreint, celle de l'intensité, de l'explosion, des manifestations extrêmes et... des éventuelles complica­tions socio-professionnelles. Là, il faut situer les choses très clairement et très simplement, quittant la grande théorie, pour s'autoriser de plus de bon sens, parce qu'il ne s'agit que d'un point de détail, même s'il est tonitruant !

      La catharsis n'est pas nécessairement intense ni explosive. Nos illustrations l'ont montré. Inversement l'intensité n'est pas nécessairement cathartique, c'est l'expérience qui se fait amèrement avec les techniques les plus actives comme le cri et le mouvement. De plus, l'intensité n'est pas une fin en soi mais un moyen thérapeutique. Si on peut se passer de la forme explosive, c'est tant mieux. Mais parfois elle est nécessaire. L'élargissement des indications de thérapie à une population de plus en plus large et diversifiée impose ce moyen pour un nombre de personnes de plus en plus important. Certes, certains thérapeutes essayent de faire de nécessité vertu et de prendre les moyens pour la fin. L'idéal de « l'homme primal » janovien, qui ressemble à ce qu'on pourrait appeler aussi « l'homme cathartique » est suffisamment suspect pour qu’on le traite de zombie. Et je comprends cette critique. Les détracteurs soulignent avec raison que la qualité de vie se situe dans le calme, l'intériorité, un certain recul par rapport aux événements. C'est ce qui se dessine d'ailleurs dans l'évolution d'une cure non directive comme la somatanalyse : les moments cathartiques les plus intenses se situent au début et au milieu de la thérapie alors que la fin s'annonce par beaucoup de calme, de profondeur et d'élaboration intériorisée, ou alors d'activité et de détermination sereine. La catharsis n'est pas une fin en soi, du moins pas la catharsis limitée aux moments de surprise et d'explosion. Mais la catharsis comme moment primaire est l'un des buts de la thérapie. Car le moment primaire n'est autre que le moment d'être, plein, harmonieux, présent et authentique. C’est l’expérience plénière, facteur de guérison. Pour un certain nombre de personnes, seule l'explosion intense donne accès au moment primaire ! Elle en fraye le chemin, puis est abandonnée lorsque l'accès au moment primaire se fait simplement et calmement.

      Il ne reste donc plus qu'à se poser une dernière question: cette intensité, transitoirement nécessaire comme moyen, ne laisse-t-elle pas des séquelles préjudiciables et dangereuses ? N'a-t-elle pas des effets secondaires disproportionnés avec son utilité ? Ne devient-on pas obligatoirement un zombie primal à force de crier, de taper, d'hyperventiler, de mettre en acte et d'accéder à l'orgasme ? Certes, tout comportement répété se fixe et s'automa­tise. Tout travail thérapeutique prolongé modèle son sujet, même la psychanalyse. Dominique Frischer a entendu auprès des psychanalysés interviewés qu'ils s'intériorisent, se coupent de l'extérieur, cultivent leur jardin et se retrouvent plus seuls. Inversement, la répétition du cri, de l'hyperventilation ou de l'expression colérique pousse à être énergique, dynamique et actif. Le travail au corps rend sensuel et la présence au groupe développe le besoin relationnel et affectif. La plupart des somatanalysants quittent la thérapie pour investir plus dynamiquement leurs vies professionnelles, rela­tionnelles et sensuelles. Il est donc vrai qu'une thérapie prolongée déteint sur le patient et lui fait aimer l'ambiance de la thérapie elle-même. C'est l'un des effets secondaires – pas nécessairement négatif – de toute thérapie.

      Il faut donc dire à celui qui veut vivre dans la sérénité d'un ashram de ne pas s'habituer à crier ; au bureaucrate qui reste immobile derrière son bureau de ne pas prendre plaisir à bouger ; au conjoint mal marié, de ne pas se laisser tenter par la douceur des corps et des coeurs... sinon, ils ne tiendront plus dans ces situations. Ils seront amenés à changer et à affronter des crises avant de se rééquilibrer dans de nouveaux modes de vie. Mais n'est-ce pas cela même que la thérapie ? Parfois, la guérison est à ce prix ; le bien-être, lui, l'est encore bien plus souvent. La décision en revient évidemment au patient. C'est lui qui décide de changer ou non et d'encourir les risques correspondants. L'aptitude à réagir émotionnellement est bien utile dans notre société moderne, la capacité d'aimer profondément est requise de plus en plus et l'aisance relationnelle devient l'une des conditions de la vie occidentale. Alors, autant acquérir cette capacité cathartique, au-delà de la surprise, dans une maîtrise négociée.

      C'est au patient de choisir, en dernier ressort. Hélas, le thérapeute choisit trop souvent pour lui. L'indication de telle ou telle thérapie tourne souvent autour de l'intensité de la catharsis qui s'y manifeste et, surtout, de l'intensité que le thérapeute peut et veut supporter lui-même. La théorie ne vient que justifier ce choix tout à fait subjectif et ne reste que rationalisation. Le client, lui, n'a que rarement les informations suffisantes pour dénicher ce qui lui conviendrait. La somatanalyse a l'ambition de réunir en un même lieu l'intensité et la douceur, quitte à imposer à son animateur la quadrature du cercle, la présence à l'une comme à l'autre. Car le client a besoin et de l'intensité et de la douceur, à son heure et a son rythme.

      C’est ce que nous appelons le « couplage méthode-pathologie » et « l’accordage thérapeute-patient ». Pour cela, il faut avoir une boîte à outils diversifiée et savoir décomposer la pathologie en ses paramètres diagnostics. C’est le thème de la quatrième partie de ce livre, après une prise de position préalable sur les choix les plus pertinents dans les quatre dimensions de la psychothérapie/analyse : somatologique, psychodynamique, sociodynamique et anthropologique.

       

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