Chapitre 9 : Le modèle structuro-fonctionnel et le cas Marjolaine Marjolaine, en ses lieux de vie et de mort : le schéma de territoire Sigmund Freud a assigné l'essentiel de l'histoire humaine à une « autre scène » proposant ainsi une imago de l'inconscient que Jacques Lacan a reprise en lançant son « quelque part » qui ponctue dorénavant le discours des initiés. Toujours est-il qu'il s'agit là de références à la topographie qui nous enchantent évidemment et qui introduisent notre propre choix de la notion de « lieu » qui est à la topographie ce que le « mode de fonctionnement » est à la personne. Voyons ces « lieux de fonctionnement » chez Marjolaine que nous retrouvons enfin et qui nous offre tout le matériel requis, des modes de vie positifs et des modes de vie négatifs, des lieux de vie et des lieux de mort. Nous retiendrons deux lieux de vie plus précisément, ceux qui nous semblent fondamentaux et les plus manifestes. Ces deux lieux de vie sont les fonctionnements intellectuels et sensitifs. C'est peut-être le moment de relire la longue présentation de notre héroïne qui se trouve en introduction. Sinon, il faut se rappeler : Marjolaine est étudiante, une étudiante attardée qui a intercalé plusieurs années de vie active entre son bac et la reprise des études. Elle était une commerciale, avait commencé par le porte à porte pour terminer comme responsable d'une équipe de vente. Mais ça ne répondait pas à son ambition, aussi a-t-elle repris des études en Fac de Lettres. Elle achoppe sur la licence en une classique conduite d'échec. Elle est pourtant une intellectuelle, trouvant dans la lecture une activité récréative et dans le débat d'idée un habile moyen de rencontrer les autres. Elle a beaucoup lu sur la psychanalyse et la psychologie ce qui lui permet de prendre une place redoutable dans le groupe de somatanalyse ; tout comme, en général, elle ne tire qu'à bout portant, elle ne parle, dans le groupe, qu'avec des références livresques certaines. L'intellect fait vivre Marjolaine, aussi n'hésite-t-elle pas à entreprendre de longues thérapies pour faire triompher cet intellect, par Université interposée, puisqu'elle terminera avec un bac + 5. L'autre lieu de vie est le lieu sensitif, celui des sensations physiques, solitaires, au-delà de la sensualité plus précise. Marjolaine est une fine gastronome et n'hésite pas à se préparer, pour elle toute seule, un gros homard arrosé d'un bon petit rosé... d'un grand rosé, en fait, une bouteille entière ne l'effrayant pas le moins du monde. Nous l'avons vue s'enfoncer dans l'écoute musicale aussi profondément que dans la baignoire d'eau chaude. Et quand je l'accompagne dans un travail émotionnel individuel, elle rejoint rapidement des sensations intenses qui vont déterminer son comportement et son discours. Remarquons que ces deux lieux de vie sont des lieux relativement solitaires. Il n'y a pas d'échanges intellectuels véritables – ce qui lui ferait réussir ses examens – tout comme il n'y a pas d'échange sensitif, ce qui lui permettrait une vie affective et sexuelle. C'est que l'échange et la socialité lui sont barrés comme des lieux de mort que nous situerons plus précisément du côté de l'émotion et de la communication. Plus généralement, c'est la normalité, le fonctionnement « commun » qui lui fait défaut. Marjolaine ne vit pas ses émotions ; elle n'a pas accès à ces réactions ininterrompues aux messages qui sont tantôt joie, tendresse ou plaisir, tantôt peur, colère ou souffrance. A tout instant du jour et de la nuit (le rêve en est l'illustration), les événements prennent une couleur émotionnelle. L'émotion est l'unité de base du vécu avec ses caractéristiques bien distinctives : durée courte, déroulement cyclique et pulsationnel centré sur un point de résolution (l'orgasme, l'acmé), laissant aussitôt la place à une autre émotion, occurrence spontanée ce qui enlève toute maîtrise. Seule son expression peut être réprimée, son déroulement pulsationnel, ce qui entraîne peu à peu son occultation. C'est ce qui est arrivé à Marjolaine. Quand je la vois habitée par un vécu intense et que je lui propose de l'accompagner en travail individuel, que je lui pose la main sur le thorax pour faciliter l'ouverture, elle réprime encore plus. Au lieu de connecter avec une peur, sa colère ou de la souffrance, elle se pose en face du thérapeute et le teste, le rejetant puis lui demandant quelque chose pour l'obliger à rester néanmoins. Elle part dans l'intellect et raisonne. Son corps se crispe et esquisse ces mouvements de reptation qui vont la faire tourner autour des matelas. Entre l'événement (ma présence et son vécu) et ces comportements, il n'y a rien sinon une occultation, un blanc, l'absence des émotions précisément. On peut remonter à une époque plus précise où des causes relativement plausibles peuvent expliquer cette répression émotionnelle. C'est vers trois et quatre ans. Nous savons déjà que sa mère l'enfermait quand elle allait voir son amant. La souffrance et la peur étaient tellement intenses que l'enfant apprit à les évacuer dans des comportements périlleux comme de sortir par la fenêtre, ce qui évoque déjà l'étouffement de la peur de tomber. Vers la même époque, les problèmes du couple parental avaient poussé le père à se consoler au bistrot du coin. Lorsqu'il y tardait de trop, la mère allait à sa recherche et demandait à l'enfant d'entrer dans le bistrot et de supplier le père de venir. Au début, elle devait certainement fondre en larmes puis, peu à peu, se mordre les lèvres puis serrer les mâchoires pour ne plus souffrir... C'est ainsi que l'on constitue un lieu de mort, un fonctionnement qui ne marche plus, ici la répression de l'émotion. Mais sa communication ne marche pas mieux. Au groupe de somatanalyse, Marjolaine devient rapidement une espèce de leader à la fois admiré et craint, recherché et rarement trouvé. Elle s'allie avec deux, trois autres personnages, certes expressifs mais également manipulateurs, pour constituer un clan redoutable. A l'époque, j'aimais assez sa présence parce qu'elle animait bien le groupe jusqu'à le rendre explosif ; ça bougeait et criait. Les nouveaux arrivants étaient accueillis avec vigueur et rigueur. Les anciens qui se planquaient étaient rappelés à l'action... Mais Marjolaine fonctionnait de façon peu sensible, peu intuitive. Tout venait de la tête et devait déboucher sur l'action. C'était comme à quatre ans : « Allez, papa, viens, maman est dehors, tu dois rentrer, tu as assez traîné ». Marjolaine ne communique pas. Elle impose seulement sa manière de penser brutale, autoritaire, agressive. De l'humour atténue parfois cette rugosité mais de l'humour caustique auquel le thérapeute a droit lui aussi. Il ne faut donc pas s'étonner que son entrée dans la nouvelle équipe de travail, quand elle reprend la vie active, s'effectue en bulldozer. Marjolaine croit déceler du flottement dans la direction de cette équipe, alors elle la prend en main, propose une nouvelle organisation mais, après quinze jours, c'est la débandade. Elle est à côté de la plaque. De communication, il n'y en a pas. Faut-il s'appesantir sur le troisième lieu de mort, sur le barrage fait au fonctionnement normal ? Cette notion est difficile à définir par le seul discours. Elle se précisera mieux sur le modèle topographique qui lui assigne une place centrale, commune, correspondant à une espèce de dénominateur commun de tous les modes de fonctionnement particuliers. Il est clair que Marjolaine ne peut pas fonctionner sur ce mode commun et communautaire. Elle ne ferme pas à clé alors que tous les autres le font. Elle ne vit pas en couple, n'installe pas son appartement. Elle reprend les études très tard après avoir bourlingué à gauche et à droite... Dès qu'il y a des normes, notre héroïne prend ses jambes à son cou. Elle en fait même une philosophie, post-soixantehuitarde. Voilà un premier niveau d'abstraction dans l'analyse du cas Marjolaine : l'approche historique et événementielle se systématise en modes de fonctionnement, et en lieux de vie et de mort. En fait, nous venons de faire un travail préparatoire que nécessite la transmission écrite. Il faut préparer le terrain à l'introduction du modèle structuro-fonctionnel, à la transmission visuelle, topographique. Quand je fais ce travail dans le groupe de somatanalyse, sur le vif, ou avec des élèves en formation, il suffit de dessiner sur le schéma pour que les traits et les courbes disent ce que je viens de décrire si longuement. Approchons à présent ce modèle que le chapitre précédent a déjà mis en place et duquel cette nouvelle approche peut révéler de nouveaux aspects ou, mieux encore, sa simplicité même derrière une complexité apparente. Schéma 15 : Le somatogramme de Marjolaine en début de thérapie : lieu de vie (cercles) et lieux de mort (berlingots).
L'objet de notre recherche, c'est la thérapie : un patient dans le cadre thérapique, l'histoire du patient, les processus de la thérapie. Autant dire qu'il s'agit de l'être humain et de la vie, tout simplement. Cet objet constitue le «territoire » dont il faut dessiner la « carte ». Pour se déplacer dans un pays, il faut une carte routière. Ici, pour le territoire humain, nous aurons le modèle structuro-fonctionnel. Notre territoire, c'est donc un « vécu » situé dans un « cadre ». Ce premier point est fondamental : nous représentons des éléments instantanés, subjectifs, singuliers, des choses uniques tout comme une carte routière indique l'emplacement d'une voiture à un moment donné. Mais ce vécu s'insère toujours dans un cadre, dans un environnement qui, lui, est permanent. La voiture est sur une route qui sera là bien après le passage du véhicule et qui était là bien avant. Notre modèle va donc juxtaposer deux réalités de nature totalement différente, une réalité subjective, vécue, évanescente et une réalité objective, matérielle et durable. Le « vécu » est complexe et polymorphe. II faut néanmoins le préciser, le démembrer, le définir dans ses parties constitutives. C'est ainsi que Freud a proposé un découpage en trois : conscient, préconscient et inconscient ou encore : ça, moi et surmoi. Je propose, quant à moi, six fonctions subjectives que j'ai argumentées dans le tome I : intuition, émotion, sensation, réflexion, communication et action. Ces dénominations courantes ont leurs correspondants plus techniques : Mais, encore une fois, c'est leur intégration dans le modèle qui donne vraiment sens à ce découpage et, en particulier, le mouvement directionnel qui dynamise ce modèle et situe les six fonctions dans un rapport plus précis. Le « cadre » est ce qui permet le vécu. Sans cadre, pas de vécu, puisque c'est lui qui envoie les messages et stimuli initiateurs de ce vécu. Sa caractéristique fondamentale réside dans le fait qu'il constitue une permanence, comme nous l'avons déjà souligné, quelque chose qui est là avant, pendant et après le vécu et se distingue ainsi radicalement de ce vécu. Cette caractéristique d'objectivité permet d'y situer des éléments différents de par leur nature, à savoir des éléments de la personne elle-même (sa réalité psychique et son corps) et des éléments extérieurs à la personne (l'entourage et l'environnement, le social et l'écologique). Cette hétérogénéité est souvent mal comprise. En fait, nous n'envisageons pas la nature du cadre mais seulement sa fonction, pour laquelle nous postulons une équivalence : la réalité psychique, les autres personnes, l'environnement et le corps anatomique et bio-physiologique jouent un même rôle : c'est la règle d'équivalence fonctionnelle que j'ai postulée ailleurs (Meyer 1982).
Schéma 16 : Le modèle structuro-fonctionnel La mise en place retenue pour ce modèle est celle de deux sphères emboîtées ; la sphère interne représente le vécu personnel et la sphère externe le cadre permanent. La disposition des fonctions subjectives et des réalités objectives découle du sens dynamique qui anime ces sphères : les messages venant du cadre partent de gauche, pénètrent l'intérieur et constituent le vécu qui n'est que l'élaboration de ces messages par la personne ; cette perlaboration engendre une réaction qui se répercute sur le cadre, à droite, et transforme ce cadre qui, dans ce nouvel état, envoie de nouveaux messages. C'est un moment de rétroaction qui boucle la boucle et crée le mouvement même de la vie, un mouvement continu et permanent. La vie est mouvement ; la maladie, c'est l'arrêt de cette dynamique ; la thérapie, elle, doit relancer ce mouvement. Dans notre postulat d'équivalence fonctionnelle, le message ou stimulus entraîne les mêmes fonctionnements de base, qu'il soit psychique, social ou corporel. C'est, en tout cas, cette équivalence qui nous intéresse ici. Il reste à trouver le mode de représentation de cet autre élément qui entre dans le schéma de territoire : le somatotope. Le principe en est simple. Tout comme une voiture n'occupe jamais tout un territoire géographique, un vécu instantané ne recouvre pas plus tout le territoire subjectif. Il est dans l'émotionnel, le sensitif ou l'action, mais jamais partout à la fois. Nous ne fonctionnons, à un moment donné, que dans des fonctions limitées. Nous représentons cela par un cercle dans la sphère du vécu ; ce cercle est un lieu de vie quand il est bien rond ; il est lieu de mort quand il implose et se retrouve comme un berlingot. Celte surface de vécu, appelée « somatotope », possède un centre qui indique le fonctionnement principal et une surface plus ou moins grande qui représente l'extension de ce vécu vers d'autres fonctions. Car le vécu n'est évidemment jamais pur, même s'il n'occupe pas tout le territoire. A présent, il nous suffit de placer sur ce schéma de territoire les lieux de vie et les lieux de mort d'un individu pour constituer son « somatogramme ». Ce somatogramme est un instantané, une image de ce qu'il est à un moment donné. Il est une grille de lecture provisoire, comme celle que nous venons d'établir pour Marjolaine. Nous en avons terminé avec la mise en place du schéma de territoire et du somatogramme. Nous pouvons, à présent, revenir à Marjolaine et travailler sur son somatogramme particulier qui doit d'abord être comparé au somatogramme familial, avec toutes les chances d'y trouver des concordances.
Schéma 17 : Somatogramme familial de Marjolaine La famille est constituée des deux parents et d'un frère aîné. Le père est un homme débonnaire, employé modèle, mari soumis, père attendri, avec Marjolaine en particulier. Mais, avec une femme autoritaire et étroite d'esprit, il passe par une phase alcoolique au plus mauvais moment du développement de sa fille qui hérite de cette sensibilité et la refuse par après. Nous pouvons donc situer le lieu de vie principal du père vers la gauche et le bas, dans l'émotionnel et le sensitif. Marjolaine développe cette même capacité mais refuse peu à peu l'aspect émotionnel et glisse plus franchement dans une sensitivité coupée à la fois du relationnel (à mi-hauteur) et de l'expression (à droite). La mère est une femme dynamique, active et ambitieuse, s'arrangeant mal d'un homme aussi falot et d'un fonctionnaire aussi soumis. Dans un premier temps, elle se donnera de l'air avec un amant puis, rentrant dans le bercail familial, elle investira la pratique religieuse et les œuvres de charité avec la même fougue. Le tout s'insère malheureusement dans une rigidité de caractère qui ne peut que rebuter sa fille. Nous la plaçons donc à droite, un peu en bas, dans l'action et la communication. Là encore, Marjolaine ne peut adopter cette attitude parentale de harpie qui affronte les clients du bistrot, les bonnes mœurs et la discrétion des convictions. Elle fera du lieu de vie de sa mère un lieu de mort pour elle-même et glissera vers le haut, vers le réflexif et l'intellectuel. Le frère, lui, a sept ans de plus que Marjolaine et apparaît à celle-ci comme le centre de la famille. Il est apprécié par le père, gâté par la mère, étudie bien et se situe en un lieu d'équilibre qui en impose à la petite sœur. Il est « normal », si l'on donne à cette caractéristique sa définition statistique, il a de tout suffisamment et rien en excès, s'agissant des six fonctions retenues ici. Son lieu de vie se situe donc au centre, là où ces six fonctions se rejoignent et s'équilibrent. Mais, aussi confortable que soit cette place, elle est prise, occupée, et Marjolaine ne peut donc s'y loger sinon elle ne serait que la pâle copie de l'aîné. Fuyant les lieux de vie des parents, elle ne peut pas pour autant se glisser entre les deux, au milieu, puisque cet interstice est occupé par le grand frère. Elle se définira donc à l'extérieur, en excentrement et excentricité. Deux commentaires nous viennent très logiquement à la vue de ce somatogramme familial : Profitons de cette mise en place générale du somatogramme et de l'illustration particulière qu'en donne Marjolaine pour aborder une réflexion plus générale sur les modes de fonctionnement de l'individu. Nous esquissons ici l'une de ces élaborations que suggère le modèle lui-même, à partir de sa logique interne. Le modèle nous propose un lieu central, « normal », caractérisé par un bon équilibre entre les six fonctions constituantes du vécu. C'est celui du frère. En principe, ce lieu est unique mais mobile, permettant à son locataire d'investir l'une ou l'autre fonction plus précisément mais sans jamais se couper des cinq autres. La « normalité » est confortable et sécurisante mais pas passionnante et il ne naît pas de génie en ce lieu, à moins qu'il y ait des « excursions » significatives comme le propose le schéma ci-contre.
Schéma 18 : La personne dans sa complexité Lorsque ce lieu central, consensuel, est barré, interdit, comme pour Marjolaine ici, il se propose une occupation de lieux de plus en plus excentrés. A partir d'une certaine distance du centre, ces lieux, parce qu'ils restent limités en taille, se séparent les uns des autres et se divisent en quatre somatotopes distincts. Chacun de ces lieux est constitué par un plus petit nombre de fonctions et se différencie donc de plus en plus. C'est là qu'on trouve des modes de fonctionnement plus passionnants, jusqu'au génie, mais avec la sécurité en moins. (La sécurité se définie ici très simplement comme la réunion de toutes les fonctions en un lieu central). Voyons Marjolaine. En principe, elle devrait occuper quatre lieux de vie au lieu des deux que nous avons retenus, comme le suggère le schéma suivant.
Schéma 19 : L'excentrement et l’éclatement des lieux de vie jusqu’à la psychose Or les deux lieux, intuitif et actif, ne sont pas suffisamment développés pour que nous en fassions des lieux de vie. Ils restent des « lieux en suspens », des fonctionnements potentiels que Marjolaine n'a pas investis suffisamment. L'une des raisons de cette suspension nous apparaît à la lecture du somatogramme familial : aucun des deux lieux n'était à l'ordre du jour, ni l'intuition, même pas religieuse, car la mère n'était que bigote mais pas croyante, ni l'action parce que le père menait sa carrière de fonctionnaire avec la placidité de mise dans son statut, nous découvrons là l'une des tâches de la thérapie : mener au développement des lieux en suspens. Mais pourquoi seulement quatre lieux d'éclatement et non pas six comme le suggérerait l'existence des six fonctions de base ? Ici s'introduit une nouvelle réalité que Marjolaine illustre également. Nous voyons sur le schéma qu'elle glisse vers des fonctionnements purs, vers la sensitivité et l'intellectualité, tout en laissant en suspens l'imaginaire et l'action. Cette position en des lieux univoques correspond à une réalité bien précise, à la réalité psychotique qui se caractérise par un fonctionnement pur, en une fonction univoque. Lorsque ce lieu est totalement excentré, il donne lieu aux quatre grands syndromes psychotiques : Lorsque les somatotopes ne sont qu'à mi-chemin entre le centre et l'extrême, il s'agit seulement de la structure psychotique, celle-là même que possède Marjolaine. Et puis, il y a un deuxième mode d'éclatement des lieux de vie, un éclatement qui suit les lignes de clivage à mi-hauteur et à mi-largeur comme cela se dessine sur le schéma suivant.
Schéma 20 : La disposition excentrée, semi-clivée comme lieu de névroses A ce moment, le somatotope est à cheval sur deux fonctions : Ce mode de fonctionnement est déjà plus complexe, sans atteindre pourtant la globalité du lieu central. L'expérience montre que ce fonctionnement duel est celui de la névrose avec ses quatre syndromes classiques : Je laisse au lecteur le soin de valider lui-même ces observations en mettant en relation chaque diagnostic avec les deux fonctions prévalentes. Nous touchons ici à cette géométrie du fonctionnement humain que doivent promouvoir la somatologie et ses modèles. La notion de géométrie se justifie par la précision toute mathématique des faits. Mais l'humanisme n'y manque pas lorsqu'on ajoute que toutes les situations intermédiaires (donc singulières) existent et apparaissent sur le schéma dans leur unicité même grâce à l'infinité des somatotopes possibles. Il reste que c'est cette modélisation qui donne la meilleure image de la réalité à la fois par sa mathématicité et sa singularité, l'emportant très largement sur ce que peuvent décrire les concepts. Aussi des termes comme hystérie, mélancolie ou angoisse doivent-ils être enrichis par la géométrie du modèle topographique lui-même qui nous propose les réalités suivantes : Il nous reste à préciser la notion de clivage. Le modèle structuro-fonctionnel nous en propose quatre, de clivages :
Le somatotope d'un vécu et d'un mode d'être est une des pièces maîtresses du modèle structuro-fonclionnel. Il se laisse approcher sous de nombreux aspects dont nous retiendrons quatre :
Tout découle d'une observation qui devrait aller de soi. Tout comme une voiture ne peut être qu'à un endroit du territoire à la fois, le vécu d'un sujet à un moment donné ne peut être que d'un certain ordre. Dans des exercices somato-thérapiques tels que la respiration libre ou la transe giratoire, on constate que tel sujet part dans des images et tel autre dans des sensations corporelles et, ceci, de façon répétitive comme une constante de la personne. Par ailleurs, chacun sait qu'une réflexion attentive empêche d'agir et même de communiquer et inversement. Certes, il existe des vécus plus complexes et l'on peut même avoir l'impression de plénitude. Il s'agit effectivement de la plénitude du vécu mais en aucun cas de la totalisation de toutes les fonctions qui nous intéressent. Quoique mon argumentation ne soit pas suffisante ici, j'insiste sur cette limitation non seulement du vécu du moment mais encore du fonctionnement prévalant d'un sujet à une période donnée, que ce fonctionnement soit agréable ou désagréable. Sur le modèle structuro-fonctionnel, ce fait se traduit par un lieu ou somatotope qui possède un certain nombre de caractéristiques.
|