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Chapitre 4 : La psychothérapie et la psychopathologie en 2008

Les causes du foisonnement

 Interrogeons-nous sur le pourquoi de cette prolifération. Nous pouvons évoquer une demi-douzaine de causes :

  • la mise à disposition de nouveaux outils,

  • la modification des pathologies,

  • le ciblage de maladies et problèmes précis,

  • la création de protocoles structurés,

  • l’élargissement de la demande

  • et la créativité des thérapeutes.

     

  • La mise à disposition de nouveaux outils

  •  Appelons-les ainsi : des outils. La société nous permet d’intervenir dans de nouvelles dimensions de l’être quand elle est permissive puis restreint à nouveau ces libertés en temps de rétraction. Exemple : le contact, l’émotion, l’affectif. Anton Mesmer avait intégré le toucher et la crise émotionnelle lorsqu’il était à Paris à la fin du XVIIIe siècle avec des résultats cliniquement appréciés par une commission royale. Mais cette dernière n’a pas entériné la dimension affective, transférentielle, trop dangereuse pour l’époque. Cent ans plus tard, Freud a utilisé le contact (sur le front, en hypnose) puis l’a abandonné. Ferenczi a repris le toucher thérapeutique avec la néo-catharsis vers 1925 mais s’est fait désavouer par Freud et son école. En ce début de XXe siècle, seul le corps « fonctionnel » donnait assez de garanties : le corps du mouvement (danse thérapie), le corps de relaxation (de Schultz, de Jacobson), le corps en posture (eutonie de Gerda Alexander) notamment.

    Il faudra attendre mai 1968 pour que le corps émotionnel (Reich, Perls, Janov, Casriel) puis sensuel (massages, sexothérapies) prenne sa place officielle et définitive. Mais voici qu’en 2008, une réglementation interdit aux ostéopathes de toucher les bébés de moins de six mois et de « travailler » à l’intérieur des rectums et vagins, ce qui se faisait pourtant avec de bons effets cliniques. Depuis un quart de siècle, ce sont même les états de conscience modifiés qui prennent rang d’outils agréés (Présence Juste de Meyer, Mindfullness de Kabat-Zin et de Segal).

    J’évoque ici les outils corporels que j’ai bien étudiés personnellement à travers les somatothérapies et la somatanalyse. Mais il faut déjà évoquer les nouveaux outils liés aux «tic», technologies de l’information et de la communication (psy-show, téléphone, ordinateur, images virtuelles et blog-thérapie). Nous constatons que notre profession est intimement reliée au social. Elle constitue un fait social total.

     

    • La modification des pathologies

    •  Les psys soulignent généreusement la disparition de l’hystérie (de Charcot, Janet et Freud) sans bien percevoir ses résurgences comme spasmophilie, fibromyalgie, syndrome de fatigue chronique, syndrome d’hypersensibilité chimique multiple notamment. Le grand bénéficiaire de cet effacement n’est autre que le « trouble de personnalité » dont on peut trouver treize formes en recoupant DSM IV et CIM IO (la série schizoïde, schizotypique, borderline, histrionique, psychopathe, paranoïaque et post traumatique marquée par le clivage jusqu’à la dissociation ; et la série narcissique, impulsive, obsessionnelle-compulsive, évitante, dépendante et postpathologique marquée par l’amalgame jusqu’à la dissolution). Quinze pour cent de la population présenteraient une « caractérose » et ils représenteraient cinquante pour cent de nos patients. Il n’est jusqu’à la nouvelle « écolose » ou « climatose » qui ne produit ses nouveaux patients : écopsychotiques, écopathes, écodéliquants, écophobiques, éc’obsessionnels et écomélancoliques… Nous savons combien les personnalités « troublées » nous obligent à « aménager » nos thérapies jusqu’à en inventer de nouvelles (particulièrement nombreuses pour les borderlines, comme la thérapie comportementale dialectique de Linehan ou la schémathérapie de Young). Espérons que de nouvelles approches s’attaqueront aux écoloses ou climatoses.

       

      • Le ciblage de maladies et problèmes précis

      •  Nous assistons, émerveillés, à la prolifération de nouvelles cliniques : de l’alcoolisme, des toxicomanies, de l’addiction aux jeux et à Internet, du sommeil, de la douleur, des troubles alimentaires, des adolescents… Ces cliniques ont lancé les équipes pluridisciplinaires et les pratiques pluriglobales. Mais il y a aussi des méthodes très pointues pour certaines pathologies ciblées. Evoquons l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) pour le symptôme post-traumatique, la méditation pleine conscience (MBCT) pour la prévention de la rechute dépressive et les acouphènes, les constellations familiales pour les troubles (trans-) générationnels…

        Ma propre « Présence Juste » propose des applications pratiques pour : le symptôme fonctionnel habituel (bobo chéri), le trouble sexuel, le trac devant le jury d’examen, l’intimidation (admirative) pour le/la partenaire provoquant éjaculation précoce et vaginisme…

        Mais plus que de nouvelles méthodes, ce sont des protocoles mieux adaptés à telle ou telle pathologie qui excellent et se multiplient. Les courants cognitivo-comportementaux et systémiques excellent dans cet exercice sans oublier les « aménagements du cadre » des psychanalystes.

         

        • Les protocoles et processus structurés

        •  En 2008, il n’y a plus tellement de nouveaux outils, de nouveaux cadres, de nouvelles cliniques à utiliser. Mais il y a des protocoles à construire et des processus à mettre en valeur. Je n’en donnerai que deux exemples, déjà évoqués : l’EMDR et la Présence Juste.

          L’EMDR de Francine Shapiro est exemplaire. Elle retrouve le balayage oculaire de Wilhelm Reich mais l’inscrit dans un protocole de thérapie courte, et même extracourte (2 à 3 séances). Voici ce protocole.

          Les huit étapes du protocole :

            1. exploration de l'histoire du patient, des événements traumatogènes, de leur situation précise et de leurs effets ;

            2. préparation d'une relation de confiance (alliance thérapeutique), en présentant la méthode et sa théorie, en enseignant une technique de relaxation (pour se récupérer en cas de besoin) et en promettant de respecter le besoin du patient de contrôler la situation (possibilité d'interrompre le balayage) ;

            3. évaluation de l'intensité du trauma en sélectionnant l'image traumatogène la plus forte ainsi que de la pensée automatique négative (sur une échelle de 1 à 10) et de la phrase positive, de maîtrise. (Ces trois premières étapes peuvent prendre une partie seulement de la première séance ou plusieurs séances préalables.)

            4. désensibilisation (terme emprunté au comportementalisme) : séquences de 30 à 120 secondes avec visualisation de la scène entraînant émotions fortes, souvenirs associés, idées, sensations ; dialogue après chaque acting et évaluation chiffrée de la souffrance et des pensées négative et positive ;

            5. installation de l'opinion positive après que souffrance et négativisme aient commencé à baisser ;

            6. scanner du corps permettant de déceler les tensions résiduelles du corps et les malaises (intégration du corporel au relationnel (alliance) et au psychique (pensées automatiques) ;

            7. clôture de séance qui consiste à s'assurer d'une amélioration (vécue et chiffrée) et à renvoyer le patient à des exercices de récupération si nécessaire (relaxation, image- refuge) ;

            8. réévaluation en début de séance suivante : chiffrage de la souffrance et des pensées négative et positive. » (Meyer 2008).

          Le dernier livre de Shapiro (2007) reconnaît que les effets de la méthode ne sont plus aussi bons qu’annoncés triomphalement au début. Elle incrimine la… non observance du protocole – en onze points – par ses élèves. Pour ma part, je souligne que les extrapolations du balayage oculaire à quasi toutes les pathologies sont l’erreur qui explique les échecs. Quant au nouveau protocole, il se fonde sur la juxtaposition des deux visions, du doigt à suivre dans son mouvement de balayage et de la scène traumatogène responsable du syndrome de stress post-traumatique. Ce processus est affiné de par les séquences de balayage courtes (de 30 à 80 secondes) avec interruption de l’émotion, alors que l’acting reichien de l’ « essuie-glace » dure quinze minutes. Protocole et processus nouvellement structurés constituent effectivement une méthode différenciée.

           

          • Présence Juste

          • Le second exemple reprend le MBSR, mindfullness based stress reduction de Kabat-Zin qui fait mode comme l’EMDR en thérapie comportementale. Cette « méditation pleine conscience » a un quart de siècle et provient d’une combinaison de yoga, zen et vipassana. Ma propre Présence Juste a le même âge, correspond largement au MBSR, partage donc ses indications et peut se baser sur ses validations d’efficacité. Mais elle s’est construite différemment et présente un protocole bien charpenté pour éveiller la « pleine présence » ou pleine conscience chez les occidentaux bien occupés et préoccupés, stressés et pressés ; à partir de cet éveil, le protocole s’efface et sert de recours… contre distractions, jugements et préoccupations. Voici très succinctement ce protocole en sa progression très étudiée.

             Premier cycle : personnel, corporel

             

            1. présence relax par la relaxation de Schultz et la posture de Mathias Alexander,

            2. présence espace par l’expansion dans l’espace de l’haptonomie,

            3. présence énerg’ par l’éveil des sept centres énergétiques (appelés plexus neurovégétatifs, chakras orientaux ou anneaux reichiens) en un mouvement ascendant,

            4. présence contact par l’ouverture des centres de communication de la face antérieure du corps, de haut en bas : vue, ouïe, odorat, goût, lèvres, larynx, cœur, tripes, paumes et voûtes plantaires.

             Deuxième cycle : interpersonnel, social et affectif

             

            1. voir : visualiser les images spontanées des personnes de notre vie,

            2. sentir : observer les émotions ou sentiments liés à chaque personne,

            3. centrer : dans son axe énergétique (de l’étape 3),

            4. communiquer activement avec l’une ou l’autre de ces personnes grâce aux centres ouverts en 4.

            Troisième cycle : transpersonnel

            Nous ne développerons par ici les quatre étapes suivantes, plus subtiles, concernant la planète, l’éthique (affirmer le non et le oui), l’univers. Elles débouchent sur un équivalent de méditation ou pratique prise au sens large, non religieuse, comme chez Kabat-Zin. 

            Voilà deux exemples de nouveautés qui doivent plus aux protocoles et aux processus (déjà connus) qu’aux outils eux-mêmes. Les thérapies conjugales, familiales, groupales se (dé-) multiplient principalement de cette façon.

             

            • La demande des patients et la créativité des thérapeutes

            •  L’explosion de la demande de psychothérapie impose des offres de plus en plus diversifiées. Déjà du temps de Freud. La bourgeoisie viennoise a induit la psychanalyse classique ; la banlieue viennoise a suscité l’analyse caractérielle de Reich ; les analyses traînant en longueur ont nécessité thérapie active et néo-catharsis à Budapest ; l’intelligentsia parisienne a orienté vers structuralisme et linguistique lacaniennes. La réponse de ces auteurs est adaptative et néanmoins créative. Mais il faut encore évoquer la pure créativité des auteurs à partir de leurs besoins et capacités propres.

              Oserais-je évoquer que si j’ai créé somatanalyse et somatothérapie, c’est que j’avais besoin du corporel pour ma propre thérapie et analyse ; que la Présence Juste a été esquissée lors d’un arrêt prolongé sur un télésiège, pour réduire le stress ? Quant à l’étape transpersonnelle de cette dernière, elle m’a reconnecté avec mes trois années de couvent de ma jeunesse…

              Et la créativité personnelle n’ayant pas de limites, nous pouvons nous promettre un bel avenir pour les psychothérapies !

              Là, nous reconnectons aussi avec l’appartenance de la psychothérapie à la société. Cette dernière nous reproche – aux thérapeutes et plus encore aux psychanalystes – d’avoir initié et d’encourager l’individualisme – le narcissisme, de Lash – qui créerait tellement de difficultés à l’esprit communautaire (cher à A. Adler) et à la planète. La prolifération des méthodes et théories en serait l’illustration. Eh bien non. Ou plutôt : oui mais. Tout comme la société actuelle se réunit, volens nolens, au chevet de la planète, les psychothérapeutes esquissent des convergences et même de l’intégration. Il ne s’agit pas tellement de volonté délibérée que du génie propre de ce « fait social total » : la différenciation atteint des paliers – sinon des limites – où des convergences apparaissent, se reconnaissent et entrent en concordance.

              Le big bang engendre son big crunch.

              L’entropie suscite la néguentropie.

               

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