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Chapitre 8 : Le modèle structuro-fonctionnel et le processus de changement

Deux grands processus de changement : en essensialité et en attensionnalité

 La modélisation des deux somatanalyses nous met en face de deux déroulements bien distincts sinon opposés. Cela pouvait déjà se deviner à travers les descriptions cliniques, mais ici la caractérisation est bien soulignée. Les deux cas ont évidemment été choisis à cet effet. Ils n'ont pas à servir, ici, de preuve de quoi que ce soit, mais seulement d'illustration d'un propos qui est double :

  • caractériser les deux grands processus de changement,

  • montrer la pertinence et la finesse du modèle structuro-fonctionnel.

     

  • Les deux grands processus de changement en thérapie

  •  Le praticien averti reconnaît ici deux processus de changement bien connus : 

    • l'un passe par la régression et se déroule dans un cadre analytique classique,

    • l'autre se constitue d'un apprentissage ainsi que le proposent les comportementalistes.

    Le passage par le modèle somatologique nous permet d'apporter d'utiles éclaircissements à ces deux stratégies.

    Ainsi pour Juliette:

    La situation à gauche, dans la moitié essensielle du territoire, nous fait comprendre que sa structure est relativement fragile. Dans sa vie quotidienne, elle pallie cette faiblesse en se tenant hors situation, c'est la belle indifférence de l'hystérique. Dès qu'elle entre dans une situation nouvelle et intense comme l'est le cadre thérapeutique, ses mécanismes de défense sont débordés et elle adhère massivement à l'événement, comme lors de ses dix-sept ans.

    Mais, ici, elle tombe heureusement dans une situation positive, dans un vrai lieu de vie dont elle reconnaît rapidement l'importance. Les amourettes étaient de fausses situations, elle choisissait les hommes en conséquence, elle y renforçait son faux self et s'en réchappait aisément. Ici, elle reconnaît à son propre besoin que la situation est authentique, elle s'y fie aveuglément et entre dans la « présence à l'événement» ; elle adhère totalement au moment et acquiert la mobilité qui est liée à cet état d'être. Elle glisse donc insensiblement vers la gauche et le milieu, dans l'affectivité du transfert. Son état énergétique est diffus et souple, ce qui permet aux refoulements psychiques, aux répressions émotionnelles et aux blocages corporels de se lever progressivement pour permettre aux trois dimensions de son être – psychique, sociale et corporelle – de s'intégrer, de s’harmoniser. Le transfert ouvre le corps et le cœur et place l'esprit dans son fonctionnement associatif pour donner sens. Le vécu est intégral, harmonisant les sensations et les significations aux situations. C'est là que se retrouve le Self originaire.

    Cette intégration verticale corps-esprit, à gauche de la carte, augmente la réceptivité des messages. Elle maintient aussi la toute nouvelle mobilité qui entraîne une réactivité très libre à ces messages. Quand ils sont tendres, ils sont vécus sur place, dans l'essensiel. Quand ils sont intenses, ils expédient le vécu à droite jusque dans la pointe du cône. Ces déplacements vers l'attensionnel de plus en plus spontanés et adéquats constituent une véritable expérience de vie, pour peu que le cadre thérapeutique soit aussi un cadre de vie où ce qui s'y passe peut tenir lieu de leçon. Nous sommes là dans la troisième phase de la cure analytique qui est une phase de consistance quoiqu'on en dise.

    A l'intégration verticale, psychosomatique, s'ajoute l'intégration horizontale, essensio-attensionnelle.

    Nous avons là un condensé de la stratégie analytique au sens de Freud et de Ferenczi. Elle offre un cadre de vie sécurisant, réparateur et pédagogique dans lequel l'analysant régresse et progresse quasi spontanément, à son rythme et à son heure.

    Il en est autrement pour Simon :

    Fixé très à droite, dans l'attensionnel, sa structure est solide et ses défenses aguerries. Même s'il accepte d'entrer dans la situation thérapeutique, il garde beaucoup de recul. Il ne lâche rien et ne transfère que dans la méfiance. Lorsqu'il décoche ses critiques, c'est pour tester la solidité du cadre thérapeutique et du thérapeute. Il prend tout son temps avant d'en être persuadé. Il ne veut pas de tendresse, il attend seulement à ce qu'on résiste à ses coups de boutoir.

    Dans un deuxième temps, il veut comprendre, savoir, apprécier le nouvel événement qui lui est proposé. Il pose des questions, lit des livres, prend des renseignements sur la thérapie et le thérapeute. Il veut juger lui-même de la justesse de la situation. Il émet des jugements qui sont souvent mal acceptés par les autres membres du groupe.

    Tout cela constitue un travail de sécurisation qui lui permet de se situer à nouveau dans le lieu attensionnel de la situation thérapeutique. Alors seulement il entre très progressivement dans l'événement, mais toujours partiellement, gardant un pied très ferme dans l’attensionnel. A chaque nouvel engagement, il assure, teste la solidité et évalue la justesse de la situation. Puis il peut à nouveau avancer un peu, insensiblement, parcimonieusement, sans en avoir l'air. Mais, au bout du compte, il est guéri lui aussi !

    C'est là la quintessence même de la démarche comportementaliste et cognitive. Le thérapeute crée un cadre de sécurité et apporte son lot de pédagogie, progressivement. Tout est fait pour qu'il n'y ait pas de mouvement ample ni brutal. Tout se fait à petits pas mesurés.

    Ces deux grands processus de changement sont bien codifiés par la psychanalyse d'une part, le behaviorisme d'autre part. Deux questions viennent pourtant automatiquement. Ces formes aussi typiques existent-elles et ne travaillons-nous pas surtout avec des formes intermédiaires ? Évidemment, mais ces deux grands types existent néanmoins jusqu'à avoir suscité les deux formes de thérapie évoquées.

     

    • La pertinence et la finesse du modèle structuro-fonctionnel

    •  Si la modélisation des cas cliniques doit mener à un premier niveau d'abstraction de la réalité vécue, pour mieux la comprendre, cette compréhension peut aussi faire retour sur le modèle et nous donner un feedback sur sa pertinence et sa finesse. C'est ce qui peut se faire ici. Nous venons d'ajouter un discours tout à fait classique sur les théories psychothérapiques qui nous permet de mesurer la distance entre les approches somatologique et métapsychologique. Soulignons trois aspects plus précis : 

      • la représentation des fonctionnements généraux,

      • la représentation de la singularité du vécu,

      • l'énoncé des principes théoriques. 

      En métapsychologie freudienne, les fonctionnements généraux s'inscrivent dans des mots qui font concepts et qui sont en nombre très réduit pour chaque fonctionnement. Le fait que Juliette retrouve un fonctionnement émotionnel et un engagement affectif s'appelle « régression », Par opposition, on dépeint parfois la démarche de Simon de « progression ». Voilà deux concepts qui recouvrent peu à peu la dynamique de changement : on régresse ou on progresse, on regarde dans le passé ou on « anticipe » l'avenir.

      En somatologie, il en va tout autrement. Au-delà des deux cas cités qui sont typés, il y a moyen de représenter des dizaines et des centaines de dynamiques intermédiaires et même une infinité !

      Cette première remarque nous mène tout droit à la seconde, à la représentation de la singularité de chaque cas personnel. Dans le discours classique, il faut toute une littérature pour décrire des traits individuels. En somatologie, la représentation topologique permet une infinité de représentations, en particulier par le somatogramme. A partir du moment où l'on est un peu familiarisé avec le territoire et sa carte, on perçoit toute une histoire, une dynamique et sa structuration et ses variantes très particulières à la seule vue de l'image.

      Quand on arrive au niveau de la théorie, les choses se corsent encore. L'utilisation de concepts aussi carré que ceux de « régression » et « progression» conduit tout droit à deux scolastiques qui ont vite fait de s'opposer radicalement. C'est le cas entre les écoles psychanalytiques et comportementalistes qui se chargent réciproquement de toutes les turpitudes.

      Or tous les cas intermédiaires entre la régression et la progression sont possibles et effectivement existants. Si l'on regarde dix modélisations de dix cures, on ne peut déjà plus distinguer deux processus seulement, il y a tout un éventail de faits qui appellent nécessairement autre chose qu'une opposition de deux concepts. C'est l'espoir et la promesse du modèle structuro-fonctionnel, de nous obliger à de nouveaux points de vue. Ici, par exemple, on dira seulement que Juliette travaille plus dans l'essensialité et Simon dans l'attensionalité.

       

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