Chapitre 9 : Une nouvelle étape, scientifique, de la psychothérapie Modèles intermédiaires entre pratique et théorie Mes études d’anthropologie m’avaient sensibilisé à cette autre aberration qu’était l’opposition entre le fonctionnalisme (anglais) et le structuralisme (français) : comment pouvait-on insister sur l’un seulement des pôles de l’être, sur sa dynamique ou sur ses constantes ? Aussi me suis-je astreint, dès le départ, à être du côté de la complexité, à savoir « structuro-fonctionnel ». C’est le titre de la modélisation que j’ai entreprise dès le début de la somatanalyse.
N’ayant plus de théorie, et n’en voulant pas à tout prix, sachant que les concepts sont réducteurs et enfermant, j’ai choisi les modèles topographiques comme premier degré de représentation. En effet, il n’est presque pas possible de passer directement de la clinique à la théorie sans retomber dans les concepts anciens ou dans ceux d’un système voisin, à moins de rester dans des descriptions purement phénoménologiques. Mais on peut modéliser… Voici le départ de ces incessants griffonnages qui ont produit, entre temps, plus de cent vingt schémas différents.
Le modèle structuro-fonctionnel réintroduit le maillon manquant entre :
Nous avons longuement présenté les schémas de base de ce modèle ci-dessus pour ne pas les reproduire ici. Nous pouvons observer que ce modèle structuro-fonctionnel est universel. Il ne concerne pas seulement la somatanalyse mais toute psychothérapie, même si chaque méthode n’occupe qu’une surface déterminée du territoire. Il concerne la vie humaine tout bonnement, ses structures et sa dynamique.
Il nous suffit de rappeler la fécondité de ce modèle qui a abouti au questionnaire EISARC Plé que nous revisitons rapidement.
L’une des illustrations de cette universalité nous vient d’un auteur “intégratif” déjà cité, à savoir d’Arnold A. Lazarus dont la “thérapie multimodale : éclectisme méthodique” repose sur les mêmes six fonctions du modèle structuro-fonctionnel, comme nous l’avons déjà évoqué.
Tableau30 : concordances entre EISARC Plé et BASIC ID de Lazarus.
Cette mise en rapport des deux approches enrichit le contenu de ces “modes” que les mots risquent d’appauvrir. Nous avons d’ailleurs proposé des termes plus techniques aux quatre fonctions internes :
- intuition et imagerie = fonction psycho-associative,
- sensation = fonction viscéro-sensitive,
- réflexion et cognition = fonction psycho-dissociative,
- action et comportement = fonction musculo-tensionnelle.
- P = plénarité et plénitude, à savoir l’intégration des 6 fonctions.
Une autre illustration de l’universalité et de la fécondité du modèle provient de sa pertinence dans mon deuxième travail de doctorat en sociologie et ethnologie.
Ce n’est pas par hasard que ce modèle a coïncidé avec la conclusion de ma thèse d’anthropologie sur le mythe Dogon (peuple du Mali, Afrique). Ce mythe situe évidemment dieu et l’homme, l’individu et la société. Voici, pour complément d’information, cette rencontre du mythe et de la psychologie, au niveau formel, structurel.
Nous sommes toujours encore dans « l’agencement du multiple ». Un jour, il a quand même fallu se résoudre à identifier les principaux paramètres qui informent notre modèle. Ils sont au nombre de quatre, auxquels j’ai ajouté un cinquième par après :
- l’unité de l’être,
- la polarité maîtrise-jouissance,
- les trois positions de vie : groupe, couple, solo,
- les six étapes du développement relationnel,
- les principales fonctions de l’être.
Ces cinq paramètres sont à la fois nécessaires et suffisants pour définir anthropos. Me souvenant du pont aux ânes (le théorème de Pythagore), j’ai appelé cet ensemble : le théorème de l’humain ou l’hum’un trois six deux (auquel j’ai ajouté le dix-huit). A ce propos, une recension d’un de mes livres m’a renvoyé au Président Schreber et à sa paranoïa chiffrée (une des cinq psychanalyses de Freud) ! Nous sommes de nouveau dans le multiple, et dans les concepts réducteurs. Mais ils permettent de travailler, d’observer, d’abstraire, de connecter avec les pathologies notamment. Voici quelques exemples :
- le un, l’unité, soi : le patient arrive-t-il à être là, pleinement là, juste là ?
- le deux, la polarité maîtrise- jouissance : en rebirth, le patient entre-t-il en tétanie par excès de maîtrise ? Ou peut-il s’engager jusqu’à l’intime du lien grâce à sa flexibilité fonctionnelle?
- le trois : groupe, couple, solo : dans quel cadre de vie le patient excelle-t-il, échoue-t-il?
- le six, les étapes de l’ontogenèse : dans quelle étape de vie s’inscrit l’origine de sa pathologie ?
- le dix-huit, les fonctions différenciées : dans quelle fonction s’inscrit prioritairement la pathologie du patient ou son excellence ?
Pour mes élèves, les deux critères les plus prisés du théorème auront été le trois (les trois cadres de vie, normalement séparés et connectés) et le six (le six étapes du développement, en particulier les trois dernières étapes, de l’adulte, qui sont rarement envisagées dans les théories psychothérapiques).
Quatre de ces paramètres se laissent agencer en un schéma (auquel manque la polarité maîtrise-jouissance).
Schéma 33 : Les étapes du développement ontogénétique Précisons encore le sens du dix-huit de la différenciation des fonctions particulières : nous avons retenu les 18 fonctions les plus importantes parmi les trois douzaines de “modes” qui constituent l’être humain : chacune de ces fonctions se différencie en se développant, (en hyper- hypo- ou dys- fonctionnement) à un moment relativement précis de la vie et présente alors une “période de sensibilité” particulière qui en fait le lieu d’impact privilégié des événements de vie marquants (paroxystiques, traumatiques ou pléniers). Ainsi, le divorce traumatisant des parents a beaucoup de chance de provoquer :
- des troubles de la propreté chez l’enfant de 2 ans,
- une dyslexie chez l’enfant de 6 ans,
- une dyscalculie chez l’enfant de 9 ans,
- des troubles sexuels chez l’adolescent de 14 ans, par exemple.
Avec ces modèles intermédiaires, nous sommes toujours encore dans le multiple, à la recherche d’agencements astucieux : topographique, mythologique, en théorème. Ils permettent de travailler. Ils nous ont redonné des repères suffisants pour soigner, former des thérapeutes /analystes, écrire et nous produire. Mais ils ne constituent pas encore l’intégration théorique. La distance entre la clinique et sa compréhension restait trop grande. Et la complication prenait le pas sur la complexité.
Enseignement : L’utilisation d’illustrations schématiques est fréquente en psychothérapie. Freud avait dessiné les première et deuxième topiques. Ça reste, ici, des illustrations qui n’ajoutent que la visualisation. D’autres auteurs recourent aux modèles mathématiques, géométriques, topologiques comme Lacan. Là, le modèle possède aussi une dynamique propre qui vient enrichir le concept humaniste. C’est ce que j’ai fait moi-même avec le modèle topographique appelé structuro-fonctionnel. C’est le modèle lui-même qui m’a suggéré de nouveaux développements comme je le décris dans les textes correspondants (Meyer 1995 et 1998). Ce modèle est basique, méta-, puisqu’il représente le setting même de toute thérapie, quelle qu’elle soit, et même la situation de l’humain dans son contexte tout universellement. C’est pourquoi ce modèle est pertinent pour tous les domaines humains comme le montre sa correspondance avec la structure du mythe (dogon d’abord, universel ensuite).
N’oublions pas que tout le courant systémique se nourrit des analogies avec l’ordinateur et ses première et deuxième cybernétiques, mais pour s’en libérer de nouveau avec le constructionisme et la narration. On a beaucoup critiqué ce recours aux sciences dures, confer la facétie de Sokal ! Il faut évidemment reconnaître clairement les limites de ces analogies et les référer incessamment aux réalités cliniques. Voilà l’aspect le plus « dur » de ces références transdisciplinaires. Il y a également transversalité avec les humanistes, comme avec l’ethnologie, mais aussi avec l’éthologie (Harvey, Cyrulnik) l’anthropologie (Freud), la philosophie (Janet, Reich et Bergson), la pensée orientale, sans parler de la psychologie expérimentale (pour le cognitivisme et le comportementalisme) et des neurosciences (comme nous le ferons avec Edelman, ci-après). Le recours à toutes ces sciences annexes n’apporte pas la réponse mais oblige à prendre du recul et à introduire une rigueur méthodologique et logique dans notre domaine si « mou ».
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