Chapitre 11 : Les applications du modèle ontogénétique I. Le transfert et lÂ’amour : de la psychanalyse freudienne à la psychanalyse pléni-intégrative L’un des plus grands mérites de Freud a été sa compréhension du processus affectif qui s’invite dans la psychothérapie – et surtout dans la psychanalyse – lorsqu’elles se prolongent dans le temps ou qu’elles s’avèrent intenses de par la personnalité du patient et… du thérapeute.
Là où Anton Messmer a failli dans la gestion de l’immense efficacité – et succès mondain – de son « magnétisme animal », là où Joseph Breuer – le maître de Freud – a failli dans la gestion de la cure d’Anna O., Freud a réussi à déceler l’affectif, à désamorcer la bombe et même à en tirer profit. Freud aura quand même mis un quart de siècle à s’en dépêtrer et à rendre justice à toute la complexité de cet aspect fondamental de la relation thérapeutique/analytique. Au-delà du Freud-Bashing (terme péjoratif désignant le travail des historiens de la psychanalyse) auquel je m’associe parfois, il y a cette fantastique formalisation du transfert même si la dation même du mot évoque Ponce Pilate et son lavage de mains : circulez, y a rien à voir !
Vingt cinq années à découvrir toutes les facettes du transfert ce n’est pas de trop pour un processus aussi complexe. Tout bon vocabulaire de la psychanalyse – celui de Laplanche et Pontalis notamment – nous évoque six facettes décrites successivement par Freud. En voici une présentation succincte.
1) La plupart des patients/analysants manifestent progressivement des émotions, sentiments, attachements plus ou moins affectifs dans le cadre thérapeutique/analytique : l’intuition de Freud y a décelé un déplacement – un transfert – d’une personne sur une autre, d’un proche sur le thérapeute ; mais la rouerie de Freud se retrouve aussi là ; en tout cas, ça soulage… l’analyste et lui permet de gérer la relation dans la longueur de temps.
2) Quand le patient commence à transférer, il est béat, heureux, centré sur son affect et oublie même de causer ; or la parole est nécessaire pour qu’il y ait analyse, c’est le matériau à travailler ; le transfert fait donc « résistance » ; aussi faut-il le limiter, en intensité et en durée, et même le liquider. Mais comment ? En le dénonçant comme transfert précisément, comme déplacement : rendez à César… (La notion de « liquider » est intéressante au moment où l’un de nos plus brillants philosophes, Zigmund Baumann, qualifie le mode actuel d’aimer de « liquide » ! Baumann, 2003).
3) Le transfert échappe à la verbalisation, à la remémoration, à la reconstruction et devient mise en acte, la seule autorisée en psychanalyse d’ailleurs ; elle se fait répétition.
4) Pis encore : ce n’est pas seulement un affect, une toquade du patient ; ça devient une névrose… de transfert qui remplace la névrose d’origine. Il est bien connu que l’état amoureux guérit la névrose. Le motif de la consultation est troqué contre cet amour – ou haine – névrotique. L’analyste doit donc soigner/analyser la névrose de transfert, la liquider, pour ne pas voir revenir la névrose de départ.
5) Et puis, intuition encore – et rouerie : c’est bien cet éveil affectif qui transforme et guérit le malade ; le transfert est le « creuset de la thérapie » : on le fait chauffer jusqu’à ce qu’il soit malléable et amendable, ductile sous les coups de l’interprétation.
6) Sur le tard, Freud a néanmoins reconnu qu’il s’agissait quand même d’amour, d’un sentiment vrai et authentique.
Après avoir extrait ces six facettes de ma longue fréquentation de Freud, je les ai mises en perspective, en tableau. J’y ai associé les avatars de l’amour tels que vécus dans la vie privée : il y en a six aussi. Puis j’ai indiqué les modifications qu’apporte la psychanalyse pléni-intégrative. Ça a donné un de ces jolis tableaux, comme je les aime. Puis j’ai enseigné tout cela dans la « spécialisation psychanalytique » jusqu’à ce que je me rende compte que les six facettes du transfert et… de l’amour ne sont autres que les six états de stabilité structurelle que génère successivement l’amour au cours des six étapes de vie. CQFD.
Tableau 31 : L’Affectif, l’Amour et le Transfert en psychanalyses freudienne et plénière.
La vie est organisée de façon ordonnée, même la vie humaine… quand on se fie à son autopoïèse. Et cet ordre se manifeste tout d’un coup quand on s’y intéresse, comme ici. Vingt cinq années pour l’un, une trentaine pour moi-même… et le réel se révèle. Nous le verrons tout autant avec le thème suivant, encore plus complexe et pourtant très simple !
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