Chapitre 12 : Les purs processus inconscients et le modèle ontologique La psychose aiguë lÂ’irruption des processus inconscients : I.P.I. Mais c’est à un niveau plus précisément professionnel, à savoir psychopathologique, que les purs processus inconscients nous interpellent encore, à savoir dans les psychoses aiguës et bouffées délirantes. En effet, quoique les déroulements de ces épisodes soient décrits de façons assez différentes jusqu’à déboucher sur des nosographies apparemment contradictoires, on peut extraire des principales théories psychiatriques une trame commune qui est précisément celle… des processus en question.
C’est ce que la lecture d’un texte de J. Moya et I. Olle sur « la naissance de la psychose, les voies de la formation du délire » nous permet d’observer. Les auteurs résument les grandes conceptions de ce syndrome et y distinguent plus précisément des étapes qui ne sont pas sans nous intéresser. Encore faut-il se rappeler qu’il s’agit ici de pathologie, douloureuse en soi, mais aussi voluptueuse au fond, du moins au début, bien que les psychiatres hésitent à parler du bon, du vrai et de l’aimer en pareil contexte. Pour nous, il faut distinguer, pour chaque étape, la dé-structuration puis l’éveil processuel, pour chacune des trois étapes centrales : de l’énergie, de l’esprit, du lien. Voici d’abord une mise en tableau de cinq des descriptions résumées par les deux auteurs qui se réfèrent aux théorisations les plus communes.
Tableau 35 : les trois étapes de la psychose aiguë et de l’IPI.
Tous les concepts, toutes les descriptions de ce tableau sont repris au mot près du texte des auteurs. Pour ne paraphraser que succinctement, j’évoquerai que :
- la première étape est très corporelle, y compris voluptueuse, donc énergétique ;
- que la seconde est psychique et sans structure : pas de signifiant, de repère, de savoir, mais une production paranoïde qui va jusqu’à la certitude ;
- la troisième se re-constitue autour de choses organisées, délire systématisé, vécu de grandeur, de beauté, d’archétype, jusqu’au pur amour (si les psychiatres se laissent aimer !).
J’ai escamoté la quatrième étape, de chronicisation, qui n’entre plus dans notre étude de la psychose naissante, processuelle, réversible. Jusque là, tout est encore souple et fluide, et donc amendable, ce qui nous intéresse au plus haut point parce qu’une bonne expérience personnelle de ces trois processus inconscients permet de comprendre, de “s’accorder “ au patient qui fait le même parcours, bien que chaotiquement. Et si, de surcroît, on a à sa disposition des techniques corporelles, ou tout simplement la capacité de toucher, tenir, contenir, et si toute une équipe soignante peut le faire pendant les premiers jours de la bouffée, le pronostic de ces psychoses naissantes continuera à s’améliorer. Car tout se passe au-delà des mots, des logiques et des conditions. Ça peut-être beau et constituant, sinon c’est tragique et définitivement déstructuré. Tout dépend de la bonne compréhension de cette “irruption des processus inconscients” I.P.I.
Et pour asseoir la pertinence de cette I.P.I, il m’est agréable d’appeler à la rescousse la psychiatrie officielle qui, dans la dernière livraison de la revue “Psychiatrie Française”, évoque la cure de Sakel d’autrefois, à savoir la provocation d’un coma artificiel par injection d’insuline. Voici ce qu’un patient en rapporte :
“Lorsque j’étais dans ces comas provoqués, apparaissait mon grand-père paternel, vêtu d’un costume sombre, son visage resplendissant. Mais, avant de le découvrir, il fallait me laisser guider par une lueur m’indiquant un genre de chemin à emprunter.... Ce chemin ressemblait à un long couloir bleu turquoise. C’était étrange, il semblait ne pas être délimité sur les côtés... J’étais dans un monde totalement imaginaire, qui était d’une beauté incomparable, j’en éprouvais du plaisir, un bien-être que je n’ai jamais retrouvé dans un état conscient”. Et que répond le médecin prescripteur ? “Sur la cure de Sakel, certainement il y a des ressemblances entre l’état d’inconscience dans l’Expérience de Mort Imminente et le coma durant la cure de Sakel.” (Rumen p. 11 et 14).
Cette longue description des “purs processus inconscients” ne sera pas nécessairement convaincante parce qu’elle est trop résumée d’une part et qu’elle nécessite une expérience vécue d’autre part. Mais le psychothérapeute expérimenté s’y retrouvera. Pour notre part, il ne nous reste qu’à évoquer que l’ensemble de ces conceptions ne nous est venu qu’après une vingtaine d’années de pratique et de réflexion, que l’association des purs processus et de l’inconscient a été bouleversante, et qu’il a encore fallu penser au mot “ constituant “ pour donner toute la valeur à ces processus.
Si déjà on prend le risque de dé-structurer, de purifier des structures rigides, encore faut-il relayer par autre chose : ces processus “ constituent “ le sujet par l’intérieur, de façon dynamique, authentique, en énergie, en esprit, en amour. Les analystes le savent. C’est l’avènement du sujet, c’est l’individuation. Il reste à rappeler que cet accès aux processus se fait par différents moyens, par des pratiques plurielles, dans des cadres thérapeutiques multiples, mais qu’il reste privilégié en analyse où la longue durée évite de plaquer des structures de remplacement (intellectuelles, relationnelles, new age, sectaires même) et laisse le temps au temps, le temps de la constitution personnelle. Mais s’agit-il bien des inconscients de Freud et de Jung. Interrogeons ces auteurs directement.
Commençons par Freud avec “les propriétés particulières du système Ics” (in Freud 1988 Métapsychologie, p. 225 à 233 passim). Nous nous permettons de compléter certaines citations par l’association des termes employés dans nos textes (et que nous mettons entre parenthèses).
- « Le noyau de l’Ics se compose de représentances de pulsions…de motions de souhait (motions, au pluriel, comme les trois purs processus)...
- « Il n’y a pas de négation, pas de doute, pas de degrés de la certitude (évidence absolue)…
- « Il règne une beaucoup plus grande mobilité des intensités d’investissement par le procès du déplacement… par celui de la condensation, indices de ce que nous appelons le processus primaire... (la circulation de l’énergie selon Reich)
- « Les processus du système Ics sont atemporels…
- « Les processus Ics connaissent tout aussi peu la prise en considération de la réalité (sans structure). Ils sont soumis au principe de plaisir (purement processuels)…
- « Remplacement de la réalité extérieure par la réalité psychique (au lieu de connexion de… à)…
- « Les processus inconscients ne nous sont connaissables que dans les conditions du rêver et des névroses (Freud méconnaît les pratiques centrées sur les états de conscience)…
- « Dans la vie d’âme deux états distincts de l’énergie d’investissement, un état toniquement lié et un librement mobile… Cette différenciation présente ce qui, à ce jour, nous fait pénétrer le plus profondément dans l’essence de l’énergie…
- « L’Ics d’un être humain… peut réagir à l’Ics d’un autre (connexion directe)…
- « L’inconscient est… autonome et non-influençable...
- « Une rupture absolue entre les deux systèmes (Ics et Pcs) est par excellence la caractéristique de l’état de maladie (clivage)...
- « La modification de l’Ics de la part du Cs est un procès difficile et se déroulant lentement (constituance)…
- « L’inconscient devient… conforme au moi (pleine présence)…
- « S’il existe chez l’être humain des formations psychiques héritées, quelque chose d’analogue à l’instinct des animaux, c’est là ce qui constitue le noyau de l’Ics ».
Interdisons-nous de commenter plus avant ces caractéristiques, qu’elles abondent dans notre sens ou qu’elles en diffèrent. C’est cela l’inconscient, c’est direct, affirmatif, sans doute. Rappelons-nous seulement que Freud s’est limité à l’inconscient énergétique parce qu’il a maintenu la structure mentale dans sa pratique psychanalytique. Avec la verbalisation et la conceptualisation obligatoires, il empêche d’aller au-delà, dans la lumière, les couleurs, l’amour, le sentiment océanique.
C’est ce qu’a fait Jung, par contre, qu’il faut lire dans le texte aussi, dans « Dialectique du Moi et de l’inconscient ».
- « La marque indiscutable des images collectives semble être leur aspect cosmique, c’est-à-dire une manière de lien interne qui associe les images du rêve et les fantasmes à des faits cosmiques, tel que l’infini spatial ou temporel, une vitesse, un mouvement ou une expansion considérable (voici l’aspiration du tunnel)… des modifications essentielles dans les proportions du corps…
- « On traverse le firmament comme une comète…
- « Une libération et un déchaînement de l’imagination involontaire…
- « Le conscient perd sa position dominante de puissance dirigeante (subversion de la structure mentale)… un processus inconscient et impersonnel assumant progressivement la direction…
- « Libération du transfert (amour de qualité nouvelle)…
- « Une telle perte de l’équilibre est dans son principe très comparable à un trouble psychotique… (comme évoqué ci-dessus)
- « L’énergie qui abandonne le conscient anime l’inconscient…
- « Le conscient défaillant sera remplacé par l’activité automatique et instructive de l’inconscient (constituance). (passim p. 88 à 92)
- « (L’inconscient) renferme et constitue lui-même la source de la libido dont émanent les éléments psychiques qui font notre vie « . (p. 103)
- « Les processus inconscients se situent dans une position de compensation par rapport au conscient ». (p. 122)
Changement de tonalité. L’inconscient ne doit pas tout simplement devenir conscient, l’inconscient est un processus en soi qui a son utilité et qui « compense » le conscient. Pour nous, il « complète » l’être dont le conscient n’est qu’un aspect. Ensemble, ils plénarisent, font accéder à la plénitude.
En fait, ce qui se décline ici en langage médical, scientifique et rationnel, ne peut pas l’être de la sorte, c’est un quiproquo, un contresens. Et cela se lit dans ces extraits. L’inconscient est précisément l’antidote de la raison ! Nous ne pouvons que placer les poteaux indicateurs pour donner le sens du cheminement, pour sécuriser la progression et familiariser avec les processus. Mais nous ne pouvons rien prouver. Leur éveil dans le consensus d’un groupe de rebirth ou sous la main du psycho-somatanalyste se “constitue” de par ces cadres positifs même. L’expérience de cet “inconscient heureux” devient alors accès aux ressources les plus fondamentales de l’être, œuvre de la constituance de soi. Voilà pour l’utilité de ce travail d’analyse, qu’il soit intensifié comme en pneumanalyse ou progressif comme en psycho-somatanalyse. Au moment où l’humanité se solidarise avec les victimes du tsunami, il faut se rappeler qu’un humain sur trois fait, un jour ou l’autre, une EMI, cet autre raz de marée, neuro-bio-physiologique. L’accès aux purs processus inconscients déconstruit les points de rencontre entre les plaques structurelles de l’être et fraye un passage souple à ces forces irrépressibles.
Il reste encore une dernière question : pourquoi trois processus inconscients : essence de l’énergie, nature de l’esprit et intime du lien ? Pourquoi pas un seul comme chez Freud et les Orientaux, pas seulement deux comme chez Jung ? Freud s’est barré l’au-delà de l’énergétique de par sa méthode même. Lacan, par contre, a beaucoup œuvré à la subversion de la structure mentale avec son travail de déconstruction des mots, des phrases et du sens. Jung a trop vite investi la restructuration des images dans la fantasmagorie transpersonnelle et trop aimé les symboles et archétypes à analyser. Quant à la pure lumière, pur amour, absolue vérité des Orientaux, ils englobent tout… et ne permettent pas trop de différencier!
Une réponse partielle à cette question de la tridimensionnalité inconsciente nous vient de l’utilisation de ces processus dans la vie courante :
- dans la sexualité, nous accédons à l’essence de l’énergie,
- dans la spiritualité, nous accédons à la nature de l’esprit,
- dans la vie amoureuse, nous accédons à l’intime du lien.
Or nous savons bien que ces trois “qualités de vie”, (le bon, le vrai, l’aimer) se différencient et peuvent se décliner séparément même si leur réunion est encore plus agréable.
Quant à nous, nous tentons de produire une phénoménologie scientifique et une nomenclature des vécus reliées au mode d’obtention de ces vécus :
- expérience de mort imminente, E.M.I., traumatique,
- expérience des processus inconscients, E.P.I., par des pratiques intensives comme la pneumanalyse,
- présence aux processus inconscients, P.P.I., en Présence Juste et méditation,
- irruption des processus inconscients, I.P.I, dans les psychoses.
Cet acquis nous permet de proposer enfin un modèle ontologique qui, entre autres, nous montre la différence entre le déroulement des processus inconscients jusqu’aux “qualités de vie” et l’accès direct -analytique- à ces “purs processus”. L’inscription des processus inconscients dans ce modèle apportera une réponse complémentaire à la question : pourquoi trois ?
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